Les Université d’Ecosse

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Les Université d’Ecosse
Revue des Deux Mondes4e période, tome 142 (p. 657-682).


Les Universités d’Écosse

La réception officielle des délégués des Universités écossaises au mois d’avril 1896 à la Sorbonne a passé presque inaperçue du public parisien, et l’écho des toasts, prononcés au banquet qui a clos le meeting, n’a guère dépassé les frontières du quartier Latin. Et pourtant il y a là une date qui marquera dans l’histoire, si c’est la reprise des relations amicales qui ont étroitement uni les deux peuples depuis le moyen âge jusqu’au commencement du XVIIe siècle ; et cet événement peut avoir une portée considérable pour l’avenir de nos Universités reconstituées d’hier.

Tous ceux qui ont lu Quentin Durward savent que les rois de France avaient une garde écossaise ; mais on ignore que Louis XII, considérant les grands services rendus à notre pays par l’Écosse, publia une ordonnance qui « exemptait à l’avenir tous les Écossais résidant dans le royaume de l’obligation de demander des lettres de naturalisation et leur accordait en masse le droit de tester, de succéder ab intestat, et de tenir des bénéfices comme s’ils étaient Français. » On connaissait si bien cette étroite alliance des deux pays que c’était un dicton courant aux XIVe et XVe siècles :

Qui la France veut gaigner,
Par l’Écosse doit commencer[1].

Les étudians écossais venaient en foule aux Universités de Bordeaux, de Poitiers, de Paris. Dans cette dernière, le collège doté par Marie Stuart et Jacques Beaton, archevêque de Glasgow, leur offrait un logis confortable et plusieurs bourses[2]. Ils faisaient d’ailleurs bonne figure parmi les étudians des autres nations, et voici le témoignage que leur rendait Estienne Perlin à la fin du XVIe siècle : « Les Écossais qui se mettent à étudier, deviennent volontiers bons philosophes et bons artiens, et en ay congneu autrefois à Paris deux docteurs en théologie des plus savans qu’on peut voir et principalement en philosophie, qui tenoyent les livres d’Aristote sur le doigt, et s’appeloit l’un notre maître Simon Saneson, demeurant au collège de Sorbonne et l’autre M. Cranston, qui avait été recteur et lesquels deux sont pour le jour d’aujourd’hui évesques en Écosse et en grand crédit d’honneur et augmentent et amplifient le Royaume de leur honneur et vertu[3]. » Les Écossais n’étaient pas moins renommés pour leur talent littéraire que pour leur bravoure, tous les collèges tenaient à avoir un maître de grec ou de philosophie de cette nation.

La tradition était si bien établie, qu’elle ne fut même pas interrompue par les événemens qui jetèrent l’Écosse dans le camp protestant et firent monter sur le trône d’Angleterre un roi écossais. La France donna asile à une foule de réfugiés catholiques venus de ce pays. Le cardinal du Perron trouva, dit-on, à lui seul place dans les écoles de notre pays pour un plus grand nombre d’Écossais lettrés que n’en avaient réunis toutes les écoles et universités de l’Écosse.

Mais l’accession de l’Écosse à l’Angleterre ne rompit pas tous les liens avec la France ; ces liens furent resserrés avec les protestans de notre pays, car les collèges et académies fondés par les protestans appelèrent à l’envi des maîtres écossais dont plusieurs ont laissé un nom dans l’histoire de la théologie ou de la médecine. Il vaut la peine de citer Marc Duncan, médecin à Saumur ; André Melvil, professeur à Sedan ; et surtout John Cameron, professeur à Saumur et à Montauban, qui fut le maître d’Amyraut, de Laplace et de Cappel et atténua les angles de la doctrine calviniste.

Cette vogue gagna la noblesse et la cour. On était fier de compter parmi ses ancêtres un Écossais, et ceux qui n’en trouvaient pas parmi leurs aïeux se forgeaient une généalogie avec les données les plus invraisemblables. C’est ainsi que Sully prétendait faire dériver son nom patronymique de Béthune de celui du clan des Beaton et il prit la chose très au sérieux, comme le prouve l’anecdote suivante. Le cardinal Beaton (de Glasgow), qui tenait de Henri II des bénéfices considérables en France, avait été dénoncé à Henri IV comme ayant participée la Ligue et était menacé de les perdre ; mais l’homme d’État protestant prit sa défense avec chaleur et répondit à ses détracteurs : « Ne touchez pas à Béthune, c’est mon cousin ! » On pourrait multiplier les exemples de cette sympathie qui unissait les Français et les Écossais. Je n’en citerai plus qu’un, qui a été rappelé avec beaucoup d’à-propos par Jules Simon au meeting de la Sorbonne. Quand Royer Collard, sous la Restauration, reprit avec tant d’éclat l’enseignement de la philosophie à la Faculté des lettres de Paris, ce furent les maîtres de l’école Écossaise : les Thomas Reid, les Dugald-Stewart, les Adam Smith qu’il prit pour modèles. Jouffroy fut également leur disciple. Et lorsque Victor Cousin, sous le gouvernement de Juillet, devint le grand maître de l’Université, ce fut encore la doctrine des Écossais qu’il mit à la base de la philosophie enseignée dans les lycées, comme offrant le plus de rapports avec les exigences de l’esprit français.

À cela rien d’étonnant, car il ne manque pas de traits de ressemblance entre les deux peuples, issus l’un et l’autre de la race celtique. Tous deux ont dans l’esprit de la logique, un grand besoin de clarté et dans le caractère quelque chose de franc, de hardi et de chevaleresque, qui leur fait prendre le parti des opprimés et des victimes de la tyrannie contre leurs oppresseurs. C’est ainsi qu’au temps où la France était écrasée par l’Angleterre victorieuse, les Écossais formèrent une compagnie de volontaires qui escorta Jeanne d’Arc dans ses campagnes[4]. De même, malgré l’annexion de l’Écosse au Royaume-ilni de Grande-Bretagne, la belle et malheureuse Marie Stuart est demeurée l’héroïne populaire, et son portrait se trouve exposé aux vitrines d’une foule de magasins de la Princess street à Edimbourg. Cette affinité de l’Écosse pour la France s’est manifestée jusque dans la langue, qui est beaucoup plus imprégnée de mots français que l’anglais de Grande-Bretagne[5]. Mais, en revanche, l’Écossais diffère de nous par certains traits qu’il doit sans doute à l’influence de son pays si pauvre, si brumeux, mais si pittoresque. Il a l’esprit enclin à la poésie, non pas mystique et sentimentale comme celle des Allemands, mais à la poésie épique. Qu’on lise les romans de Walter Scott, les poèmes de Burns ou mieux encore les vieilles ballades recueillies par Percy, et l’on sera tout de suite frappé de ce goût des Écossais pour le récit des aventures de guerre et d’amour, en quoi ils se rapprochent des Espagnols du moyen âge ; ils sont très jaloux de leur indépendance, très fiers de leurs héros ; cela était même passé en un proverbe, cité par Rabelais et qui dit : « Fier comme un Écossais. » Enfin, et c’est là peut-être le trait le plus original de leur caractère, l’Écossais est à la fois très religieux et très sobre dans les manifestations extérieures de son culte. Tout le monde connaît l’histoire de ses « covenants » et la fermeté que les Écossais ont déployée pour maintenir leur forme de religion presbytérienne contre le système épiscopal, que voulaient lui imposer par la force les chefs de l’église anglicane. Les Écossais, enfin, sont en général, sauf quelques cantons reculés des Highlands, instruits et même plus instruits que les Anglais. Il y a trente ans, Stuart Mill constatait que l’Écosse, « grâce à ses grands réformateurs religieux, avait eu l’avantage inestimable, refusé à sa sœur du midi, d’avoir d’excellentes écoles de village (parish school) qui donnèrent, deux siècles avant tout autre pays d’Europe, à la masse de la nation une somme considérable d’instruction populaire. » C’est dans ces écoles que se recrutent les étudians des quatre universités du pays : Saint- André, Glasgow, Aberdeen et Edimbourg.

Je voudrais, dans les pages qui suivent, rechercher les causes qui ont présidé à la fondation de ces Universités, expliquer leur organisation actuelle, leur programme d’études et signaler quelques-unes de leurs illustrations.


I

Les Universités de Saint-André, de Glasgow et d’Aberdeen datent du XVe siècle ; Édimbourg est de beaucoup la plus jeune des sœurs, n’étant venue au monde qu’à la fin du XVIe siècle ; de là deux groupes distincts au point de vue des origines. Les trois aînées durent leur fondation à la Renaissance et reçurent leurs droits et privilèges de l’Église catholique et du Saint-Siège, tandis que la cadette est fille de la réformation protestante et a été jusqu’en 1838 sous le patronage du conseil municipal d’Edimbourg. Cette différence d’origine n’a pas été sans influence sur l’esprit et les tendances de ces écoles supérieures. On connaît la vive impulsion que la culture générale des lettres reçut de la prise de Constantinople et de l’émigration des savans grecs en Occident. Ce mouvement de l’esprit humain, justement appelé la Renaissance, ne resta pas limité à l’Italie et aux pays voisins ; il se propagea jusqu’aux extrémités de l’Europe, aux pays Scandinaves et à l’Écosse. L’Europe, au début du XVe siècle, comptait une cinquantaine d’écoles d’études générales (Studia generalia), comme on disait alors ; à la fin du même siècle, le nombre en avait doublé, et parmi les nouvelles venues, se trouvaient Saint-André (1411), Glasgow (1453), Aberdeen (1494). La première loi sur l’instruction publique fut votée par le parlement d’Écosse en 1496. Elle enjoignait aux barons et aux francs-tenanciers, sous peine d’une amende de £20, d’envoyer leur fils aîné à l’école pour y apprendre le latin et suivre, ensuite, les cours de l’Université pendant trois ans.

D’autres causes locales contribuèrent à leur établissement. Les gentilshommes écossais étaient pauvres, trop pauvres, pour entretenir leurs fils aux Universités du continent. Il y avait sans doute des bourses au collège des Écossais de Paris ; mais seulement une douzaine et encore étaient-elles réservées pour les aspirans aux charges ecclésiastiques. Ils auraient pu encore les envoyer à Oxford ou à Cambridge, mais on avait alors une telle antipathie pour les Anglais, qu’ils préféraient les garder chez eux et leur faire enseigner le latin et le maniement des armes par des précepteurs domestiques. Quant aux futurs clercs, ils trouvaient les rudimens d’instruction dans les écoles cathédrales, telles que Saint-Macaire, à Aberdeen.

Mais, outre que cet enseignement des chapitres ou des maisons nobles était très insuffisant, il avait un caractère partial et particulariste ; les élèves y étaient imbus de l’esprit de clan ou de l’esprit de clocher, ce qui est tout un. On leur y apprenait à se glorifier de leurs quartiers de noblesse ou à maintenir les privilèges de telle ou telle église ou abbaye. Nulle idée générale et généreuse ; l’orgueil et les préjugés des étudians n’étaient égalés que par l’ignorance des maîtres. Ce fut de la source même du mal que sortit le remède ; il se rencontra des abbés, des évêques comme Wardlaw à Saint-André, Elphinstone à Aberdeen, qui comprirent qu’il y allait de l’honneur de l’Église de relever le niveau de l’instruction des clercs et de prendre la tête de ce mouvement général, qui emportait les nations d’Occident vers la connaissance de l’antiquité ou de la nature et l’étude des chefs-d’œuvre des littératures grecque et hébraïque. La bulle d’Alexandre VI (février 1495), octroyant à l’Université d’Aberdeen les mêmes privilèges qu’aux Universités de Bologne et de Paris, marque bien les deux objets qu’on se proposait en les fondant : élever le niveau intellectuel du clergé et mettre l’instruction à le portée des plus pauvres. Le pape Borgia se déclare « affligé d’apprendre que ses fils écossais, séparés du reste du monde par leurs golfes et leurs très hautes montagnes, sont si grossiers et si ignorans qu’il est impossible de trouver chez eux des personnes capables de lire la parole de Dieu et d’administrer les sacremens. » Il voudrait leur procurer cette « perle inappréciable de la science, qui non seulement permet de découvrir les secrets de l’univers, mais encore aide ceux de la plus humble origine à parvenir au rang le plus élevé. »

L’organisation de ces premières Universités d’Écosse fut calquée sur le modèle de Paris. Elles reçurent du Saint-Siège, qui approuva leur constitution, et elles gardèrent jusqu’au XVIe siècle une empreinte ecclésiastique : c’est ainsi que tous les maîtres devaient porter le costume de clerc et étaient astreints au célibat. Mais, par suite même de cette dépendance de l’Église catholique, c’est-à-dire universelle, elles furent affranchies de l’esprit étroitement national.

L’Université fondée dans la plus pauvre cité d’Écosse, à Saint-André, par exemple, n’appartenait pas à la nation écossaise, ni à tel ou tel clan ; elle devait être égale en rang et si possible en richesse et en grandeur aux universités créées dans les villes les plus grandes et les plus prospères de France ou d’Italie. Le programme des études était le même, la langue latine était commune à toutes, équivalens étaient les grades. Les Universités des diverses nations d’Europe faisaient un échange fréquent de maîtres et d’élèves ; grâce à cette unité d’organisation et à cette identité de langue, un étudiant en droit ou en médecine, qui avait commencé dans son pays, pouvait continuer ses études dans une deuxième Université étrangère et, enfin prendre son grade de maître ès arts ou de docteur à Paris. Les Universités d’Europe formaient alors comme une grande république des lettres, dont le Pape était le président. C’est de ce régime si favorable à tant d’égards à la solidarité du genre humain et au progrès de la science que M. Michel Bréal disait si justement, au meeting franco-écossais de la Sorbonne, « qu’il y avait alors une unité de culture intellectuelle entre les nations, |qui n’existe plus aujourd’hui et que des accords de ce genre devraient rétablir. « Il n’oubliait qu’une chose, c’est de dire que c’est à l’action vraiment cosmopolite et civilisatrice de la Papauté, que le moyen âge a dû cette unité et qu’aujourd’hui, en l’absence d’une autorité morale reconnue de toutes les nations, il est bien difficile de rétablir cette harmonie.

Tout autre est l’origine de l’Université d’Edimbourg : elle n’a eu ni pape, ni évêque pour parrain, elle n’a pas même eu pour marraine Marie Stuart, comme quelques écrivains plus romanciers qu’historiens l’ont avancé. L’histoire de la donation de l’évêque d’Orkney et d’une fondation de Marie Stuart sont de pures légendes. En revanche, le livre de la Discipline de l’Église réformée, composé par le calviniste John Knox, renfermait un plan grandiose pour l’instruction publique de l’Écosse, mais il ne mentionne que les trois anciennes Universités.

Ce furent les bourgeois et les ministres qui voulurent avoir leur collège ; ils comprirent que, malgré toutes les épurations, les maîtres des vieilles Universités seraient longtemps imbus des idées et des méthodes catholiques et qu’à l’esprit nouveau il fallait créer un foyer nouveau. Aussi, depuis 1561, vit-on le conseil de la ville d’Edimbourg faire de constans efforts pour fonder un collège qui servirait à la fois pour l’éducation des futurs pasteurs et des fils de la bourgeoisie protestante. Ils adressèrent à la reine Marie, puis à Jacques VI, des pétitions réitérées afin d’obtenir la concession d’un terrain occupé par de vieilles abbayes ; mais ils se heurtèrent à deux obstacles : l’apathie de la couronne et l’opposition des chanceliers des trois Universités qui voyaient d’un œil jaloux la naissance d’une rivale. Enfin, après l’abolition de l’épiscopat en Écosse, les initiateurs de l’entreprise, Jean Lawson, doyen des ministres d’Edimbourg, et quelques aldermen eurent le champ libre et obtinrent du roi Jacques VI la charte de fondation (14 avril 1582). Ils se mirent aussitôt à l’œuvre et installèrent le collège dans les bâtimens de l’ancien couvent de Kirk-on-field. Dès que l’aménagement fut terminé, ils engagèrent R. Rollok comme principal du collège et régent de la classe de philosophie. Ce premier maître était un élève de Saint-André, oïl il avait eu pour condisciple et ami André Melvil, le continuateur de l’œuvre réformatrice de Knox en Écosse. Lawson et Rollock, dans l’organisation du nouveau collège d’Édimbourg, prirent pour modèle, non pas l’Université de Paris, comme avaient fait les fondateurs de Saint-André ou de Glasgow, mais l’académie de Genève, qui, elle aussi, avait été créée pour les besoins de l’Église réformée et avait eu pour fondateur Calvin et pour patron le conseil des bourgeois de Genève. D’ailleurs, pour mieux marquer la différence, le nouveau collège reçut le nom d’académie de Jacques VI et non pas d’Université.

C’est ainsi que, par l’origine, ces deux groupes d’Universités diffèrent. Une idée commune pourtant les relie par-dessus la différence des temps et des tendances : c’est l’estime de la science et le désir d’élever le niveau intellectuel des ministres du culte. En outre, le législateur, par les lois de 1858 et de 1889, qui ont statué sur les Universités d’Écosse, s’est efforcé de leur donner une organisation semblable et de leur assigner un but commun.


II

De leur ancienne organisation, les Universités écossaises ont conservé un caractère essentiel, leur autonomie. Ce que nous essayons péniblement de recréer dans nos Universités, sans grand succès jusqu’à présent, l’Écosse l’a heureusement maintenu à travers ses vicissitudes politiques et religieuses. Ses Universités vivent en grande partie de leurs propres ressources et n’ont avec l’État que des liens assez lâches ; quanta leur dépendance vis-à-vis de l’Église, il y a longtemps qu’elles en ont secoué le joug, sauf en ce qui concerne les Facultés de théologie. Deux seulement, Aberdeen et Glasgow, ont retenu pour l’élection du recteur la division des étudians en nations, organisation empruntée à Paris, où elle avait sa raison d’être à cause de la présence de nombreux étrangers, mais qui en Écosse ne répond à aucun besoin réel.

La direction de chaque Université est entre les mains de trois assemblées : le conseil général, la cour de l’Université, le sénat académique, qui ont à leur tête trois hommes : le chancelier et le recteur, élus par les membres de l’Université, le principal, nommé par la couronne.

Le conseil général, institution qui remonte au moyen âge, est une sorte de parlement qui se réunit deux fois l’an, au printemps et à l’automne. En font partie les membres de la cour de l’Université, les professeurs, les gradués et en général tout étudiant qui a été inscrit pendant quatre semestres à l’Université ; de la sorte le chiffre peut s’en élever à plusieurs milliers[6]. Il a pour mission d’examiner toutes les questions qui intéressent le bien-être et la prospérité de l’Université ; c’est lui qui élit le chancelier, le député au Parlement et nomme quatre assesseurs à la cour de l’Université. Le chancelier, élu à vie et chargé de présider le conseil général, est presque toujours choisi dans les rangs de la noblesse ou parmi ceux qui ont rendu de grands services à la cause de l’instruction publique[7]. Comme il est la plus grande partie de l’année retenu par des fonctions publiques, il substitue en son lieu et place un vice-chancelier qui confère les grades en son absence. Dans une pensée d’unité, les chanceliers ont tous choisi le principal nommé par la couronne et qui réside au siège même des écoles. De la sorte, ce personnage, investi de la double fonction de vice-chancelier et de principal, est devenu le chef réel de chaque Université. L’office de chancelier de l’Université qui, à l’origine, était effectivement rempli par des évêques, comme Kennedy Elsphinstone et Wardlaw, est devenu aujourd’hui une sinécure honorifique.

Après le conseil général, vient le sénat académique qui existait dans l’ancien régime et correspond à notre conseil général de l’Université. Il se compose de tous les professeurs de Faculté et compte de trente à cinquante membres, qui se réunissent chaque mois sous la présidence du principal ou de l’un des deux principaux à tour de rôle, quand il y en a deux comme à Saint-André. C’est ce conseil qui règle et contrôle l’enseignement et la discipline dans l’Université et qui examine en première instance les réclamations de tel membre ou les rapports des commissions. Il y a, en outre, à Edimbourg, mais là seulement, un conseil dit « des curateurs du patronage », qui a été substitué par la loi de 1858 au conseil municipal, pour la nomination des professeurs à quatorze chaires de l’université. Les curateurs, qui sont au nombre de sept, dont quatre nommés par la ville et trois par la cour de l’Université, tiennent leur office pour trois ans. À ces deux conseils qui existaient déjà dans l’ancien régime, les lois de 1858 et de 1889 en ont ajouté deux autres, qui distinguent les Universités écossaises de leurs sœurs d’Angleterre et du continent.

Ce sont la cour de l’Université et le conseil représentatif des étudians. Le premier de ces corps joue à la fois le rôle de conseil d’administration et de cour d’appel par rapport au sénat. Il se compose de quatorze membres, dont un tiers environ est nommé par le conseil général, un tiers par le sénat académique, et le dernier tiers par le recteur, le principal et la municipalité de la ville. C’est lui qui gère tous les biens et revenus de l’Université et des collèges affiliés, nomme les professeurs aux chaires dont le patronage appartient à l’Université, et définit la nature et les limites des attributions de chaque professeur. En qualité de tribunal, il a le droit de procéder contre tel ou tel maître et même contre le principal ou proviseur élu par le gouvernement, de juger en appel toute cause portée en première instance devant le sénat, et de trancher les questions d’équivalence des certificats d’études délivrés par les collèges ou professeurs libres en vue de l’obtention des grades. La cour se réunit une fois par mois sous la présidence du recteur, qui est élu pour trois ans par tous les étudians immatriculés. Ce personnage étant en général comme le chancelier un noble ou un homme politique, c’est le principal qui préside la cour de l’Université en son absence ou à son défaut un des membres élus par la cour.

Quant au conseil représentatif des étudians, il se compose de quinze à trente membres délégués par les diverses facultés ou associations d’étudians. Il a pour objet d’offrir un moyen de communication régulière entre eux et les autorités de l’Université ou le public et d’encourager l’union sociale et académique entre les étudians. Les règlemens doivent en être approuvés par la cour de l’Université ; de son côté il a le droit d’adresser des pétitions au sénat ou à la cour de l’Université et le chancelier peut le consulter pour le choix de son assesseur à la cour. Dans les grandes Universités, comme à Glasgow et à Edimbourg, il forme des sous-comités pour la publication d’une revue pour les sociétés de chant, pour les relations avec les autres Universités.

En effet, quoique les quatre Universités d’Écosse soient indépendantes et rivales, il y a pourtant entre elles quelques liens. Elles sont associées deux à deux pour élire deux membres du Parlement : Edimbourg vote avec Saint-André, et Glasgow avec Aberdeen. De plus, leurs chanceliers et leurs recteurs font partie de droit du « comité du conseil privé de la reine pour les Universités d’Écosse ». Ce conseil, qui renferme, en outre, le président du conseil privé, le secrétaire pour l’Écosse et le « Lord justice général » est une sorte de conseil supérieur de l’Instruction publique. C’est lui qui examine le rapport annuel, présenté par le principal et le chancelier, sur les travaux de chaque Université, et aucun changement important ne peut être opéré sans son approbation. Il y a d’ailleurs un bureau d’examen commun aux quatre Universités, composé de seize membres, quatre élus par chacune, qui se transporte tous les ans à tour de rôle dans l’une des villes et qui surveille la manière dont fonctionne l’examen d’admission. Ces relations, ainsi que les règlemens imposés à toutes les Universités d’Écosse par les lois de 1858 et de 1889, ont produit peu à peu une certaine uniformité, qui est loin d’avoir effacé leur respective originalité.

Leurs rapports avec l’État se bornent donc aux droits et devoirs suivans : les Universités ont droit à une subvention annuelle de £ 72 000[8] et élisent deux députés qui représentent leurs intérêts au Parlement. La couronne, de son côté, s’est réservé le droit de nommer à un grand nombre de chaires et de contrôler la marche générale des Universités, au moyen du « comité du conseil privé de la reine. »

C’est par là surtout que s’exerce l’influence du gouvernement ; il remplace le pouvoir que la papauté possédait au moyen âge et empêche les Universités de tomber dans le particularisme ou de céder aux empiétemens de l’esprit de clocher.

Cela nous amène à parler des rapports des Universités avec l’Église : trois sur quatre, on l’a vu, sont filles de l’Église catholique du moyen âge. Née de la révolution religieuse du XVIe siècle, l’Université d’Édimbourg n’a pu échapper à la domination que l’Église anglicane d’abord, puis l’Église presbytérienne, devenue l’Église nationale d’Écosse, ont fait peser sur le système entier d’instruction publique. Les Universités d’Écosse au XVIe siècle n’ont donc fait que changer de tutrice ; mais elles sont toujours restées les pupilles d’une Église. Il est vrai que le patronage de l’assemblée générale de l’Église (Kirk assembly) a été plus favorable à leur développement que celui de l’Église romaine, parce qu’il laissait une porte ouverte à l’esprit d’examen. Cet esprit, se dégageant du sein même des controverses théologiques, s’est propagé dans le domaine des autres sciences et les a peu à peu affranchies du joug de la confession de foi. Aujourd’hui, il n’y a plus que les professeurs de théologie qui soient astreints au test, c’est-à-dire à signer la confession de foi de l’Église établie, et soumis à sa discipline. Des tentatives ont été faites depuis plusieurs années pour supprimer cette dernière restriction et ouvrir l’accès des chaires théologiques aux ministres des Églises dissidentes, mais sans succès jusqu’à ce jour. La création des conférences Gifford, pour l’étude de la théologie naturelle, marque un vigoureux effort en ce sens. Si un professeur de théologie s’écarte de la doctrine orthodoxe, — et cela s’est produit plus d’une fois, depuis que le mouvement de la critique biblique s’est propagé en Écosse, — il peut être cité devant l’assemblée ou synode général et privé de sa qualité de ministre, mais non pas de sa chaire, car l’Église n’a plus conservé le droit de patronage que sur une chaire, celle de théologie dogmatique à Aberdeen. Toutes les autres dépendent de la couronne, de la cour de l’Université ou du comité des curateurs d’Édimbourg, qui sont on majorité des délégués du conseil municipal. De sorte qu’on peut dire que les Universités d’Écosse ne tiennent plus à l’Église que par un fil ; il est vrai que ce fil est encore très fort en pays anglo-saxon, c’est celui de la tradition.

Si cette organisation des Universités écossaises nous paraît au premier abord très compliquée, cela tient à ce que nous ne sommes pas habitués, comme nos voisins d’outre-Manche, à ce respect des droits historiques appartenant aux institutions politiques ou religieuses. C’est pourquoi, — soit dit en passant. — nous ne savons guère accomplir de progrès sans faire de révolution. Le législateur anglais au contraire a voulu faire dans le gouvernement des Universités sa part à chacun des organes essentiels : les maîtres et les étudians, la ville et la couronne. Et même une très large part a été faite aux étudians et aux gradués, puisque, à leur droit d’élire le recteur, on a ajouté celui de nommer un chancelier et d’avoir un conseil de représentans. Cette complication ne l’empêche d’ailleurs pas d’être assez souple. L’acte de 1889 a donné aux commissaires nommés par le Parlement le droit d’autoriser les Universités à pourvoir à l’enseignement des femmes (art. 14, n° 6) et de les admettre à prendre leurs grades dans plusieurs facultés. Il a aussi prévu l’extension des Universités par l’affiliation des nouveaux collèges (art. 15). Ces articles de la loi de 1889 ne sont pas restés à l’état de lettre morte. À Glasgow, on ne compte pas moins de 246 jeunes filles étudiant en lettres, sciences et médecine ; à Edimbourg, 185 sont inscrites pour la plupart à la Faculté des arts[9], à Saint-André 47, à Aberdeen 43. L’Université de Saint-André a créé pour les femmes un diplôme de licence ès lettres équivalant à celui de maître ès arts et pour l’obtention duquel on exige un examen satisfaisant sur sept branches. Aberdeen a ouvert ses portes plus grandes encore et les a admises à prendre le diplôme dans toutes les facultés. Edimbourg a un collège médical réservé exclusivement aux femmes. Les négociations, pour réunir le collège de Dundee à l’Université de Saint-André, réunion prévue par l’article o de ladite loi, ont été fort laborieuses, à cause de l’opposition de la Chambre des lords qui réussit à empêcher l’union en 1893. Elles ont été reprises depuis peu par les commissaires, et ont abouti, mais cette union est encore précaire. L’avantage de cette affiliation serait de procurer à la Faculté de médecine de Saint-André l’occasion d’exercices pratiques dans l’hôpital de Dundee, qui est une beaucoup plus grande ville.

Mais une des sources de la prospérité des établissemens d’enseignement supérieur en Écosse, c’est l’abondance des dotations dont la plupart remontent au moyen âge et se continuent en notre siècle. D’après la volonté des donateurs elles ont pour but d’entretenir les étudians pauvres et laborieux ou d’encourager les recherches personnelles des jeunes gradués qui se sont déjà distingués en recevant le diplôme de maître ès arts avec honneur. Ces subventions ont la forme de bourses (burses), de prix, de frais d’étude (scholarship) et de bourses d’agrégation (fellowship). À l’Université d’Edimbourg, rien qu’à la faculté des arts on compte 75 bourses et 8 prix variant de 10 à 100 livres sterling ; 37 bourses, 6 bourses d’agrégation et 1 de voyage. À Glasgow, une centaine à la Faculté des arts et 27 pour la médecine ; à Saint-André, 43 pour la théologie. Ces dotations, jadis presque entièrement réservées aux maîtres es arts ou aux étudians en théologie de telle ou telle Université, se sont, dans les dernières années, portées sur d’autres branches et peuvent être affectées aux étudians de toutes les universités d’Écosse.

Ainsi les bourses de Ferguson ; celle de sir James Shaw fondée en 1861 pour les étudians en philosophie morale ou en philosophie de l’histoire ; le prix du jubilé Victoria fondé par le docteur Gunning (de Rio-Janeiro) pour encourager l’étude des sciences naturelles parmi les étudians en théologie ; et enfin la fondation Gifford pour des conférences de théologie naturelle, sont communes aux quatre Universités.


III

Après avoir montré les causes de la fondation et décrit l’organisation actuelle des universités écossaises, il nous reste à parler du programme des études et à signaler les branches dans lesquelles se sont illustrés leurs maîtres. L’ancienne Faculté des arts ayant été dédoublée en Faculté des arts et Faculté des sciences, elles comptent en général cinq Facultés : les deux précédentes, plus le droit, la médecine et la théologie. Cependant Saint-André n’a pas de Faculté de droit, et sa Faculté de médecine ressemble plutôt à nos écoles préparatoires de médecine, Nantes par exemple. En revanche, Édimbourg a depuis 1839, comme Dublin, une Faculté de musique, qui délivre les grades de bachelier et de docteur. La limite d’âge pour être admis aux cours de l’enseignement supérieur est placée beaucoup plus bas que chez nous parce que les Universités d’Écosse sont encore obligées de donner l’enseignement secondaire à un grand nombre d’adolescens qui, sortis des écoles primaires supérieures ou des écoles de grammaire, leur arrivent avec une culture classique insuffisante. C’est ainsi que les cours des trois premières années de la Faculté des arts roulent sur les humanités et correspondent aux classes de troisième, de seconde et de rhétorique de nos lycées. On a même établi à l’Université d’Édimbourg des classes de répétition (tutorial classes) pour préparer les nouveaux venus à suivre les cours de Faculté ; mais elles ne comptent pas pour le temps requis pour obtenir les grades.

La commission, nommée pour l’exécution de la loi de 1889, a cherché à parer à cet inconvénient en instituant à l’entrée de la Faculté des arts et de celle des sciences et de médecine un examen préliminaire[10]. D’ailleurs, comme au moyen âge, la Faculté des arts sert pour ainsi dire de vestibule pour entrer dans les autres : nul étudiant, en effet, ne peut prendre ses grades à la Faculté de droit, ou de théologie s’il n’est pourvu du diplôme de maître es arts, qui correspond à notre grade de licencié ès lettres ou, à défaut, s’il n’a passé un examen sur des matières équivalentes. Pour la dernière il faut, en plus, faire preuve qu’on connaît les élémens de l’hébreu. Il y a, en Écosse, deux diplômes de maître ès arts, le diplôme ordinaire, le diplôme « avec honneur ». Pour obtenir le premier, il faut avoir suivi les cours trois semestres d’hiver ou bien pendant deux semestres d’hiver et trois d’été ; ce qui fait deux années et demie à trois ans. L’examen roule sur la matière de sept cours, dont quatre : le grec (ou le latin), l’anglais (ou une langue vivante ou l’histoire), la logique (ou la morale) et les mathématiques (ou les sciences naturelles) sont obligatoires. Quant aux trois autres, le candidat peut les choisir parmi les diverses sections de la Faculté des arts : philologie, philosophie morale, sciences, histoire et droit.

Le grade de maître ès arts « avec honneur » est une sorte de brevet de capacité pour une branche spéciale[11]. On ne peut y prétendre qu’après avoir suivi les « classes d’honneur » au moins sur deux branches et on est tenu de passer l’examen en une seule fois.

On voit que la commission a laissé au candidat une assez large liberté d’option, pour le diplôme de maître ès arts ; mais une fois le choix fait, il ne peut le changer au cours des trois années. C’est là le premier trait distinctif des nouveaux programmes.

Et voici le second, c’est qu’on a abaissé autant que possible les barrières qui séparaient jadis les facultés ; en d’autres termes, on a jeté, d’une faculté à l’autre, des ponts qui permettent de fréquenter chez les deux à la fois, et qui, par là, retardent le moment où l’étudiant devra se spécialiser, et, partant, borner son horizon. C’est ainsi que dans toutes les Universités on a conservé dans la Faculté des arts des cours de mathématiques, de physique, d’astronomie et de sciences naturelles. Il en est de même à la Faculté de médecine, qui n’a pas moins de cinq enseignemens communs avec la Faculté des sciences. Il y a aussi une chaire commune au droit et à la médecine : la médecine légale ; et une autre qui est mitoyenne entre la Faculté des lettres et celle de théologie : la chaire de langues orientales. Il n’est pas jusqu’à la Faculté de théologie qui jadis fermait ses portes aux sciences profanes et qui, aujourd’hui, grâce aux legs du grand juge Gifford et du Dr  Gunning, ne les leur entr’ouvre. Le premier a stipulé que le choix du maître appelé à donner les conférences de théologie naturelle ne serait soumis à aucune restriction confessionnelle ; il peut porter sur un anglican ou sur un presbytérien ; et rien même dans les volontés du testateur n’exclurait de cette chaire un israélite, un agnostique ou un musulman. Et quant au legs Gunning, c’est une maîtrise de conférences qui a été fondée à l’université d’Edimbourg en faveur d’un ministre ou d’un missionnaire qui s’est distingué par ses travaux d’archéologie, de philologie, de science sociale-ou de science naturelle. Cette donation témoigne de la préoccupation louable, mais trop rare chez nous, de ne pas laisser les membres du clergé national s’endormir dans la routine ou s’enfermer dans le cercle étroit des fonctions cléricales.

Enfin, par une dernière et heureuse innovation, le candidat au grade de maître ès arts est autorisé à se faire examiner sur des branches étrangères à sa faculté spéciale et qu’il aurait cultivées avec prédilection. Or, ce sont souvent les étudians ayant ainsi suivi les cours de deux facultés voisines qui remportent les prix ou obtiennent le diplôme d’honneur. Tant il est vrai qu’il y a une solidarité fondamentale entre les différentes facultés de notre entendement et que rien n’est plus funeste à sa croissance qu’une spécialisation prématurée ! En rendant ainsi les programmes d’études et les conditions d’examen aussi souples que possible, la Commission de la réforme des universités d’Écosse s’est inspirée de cette pensée si juste de Stuart Mill : « Une Université n’a pas pour objet de former d’habiles avocats, médecins, ou ingénieurs, mais des hommes capables et cultivés, car on est homme avant d’être avocat, médecin ou ingénieur. L’éducation fait d’un homme un bottier plus intelligent si c’est son métier, mais ce n’est pas en lui apprenant à faire des bottes[12]. » D’ailleurs les maîtres donnent eux-mêmes aux étudians l’exemple de cette largeur et ils n’ont garde, comme on va le voir, de limiter leurs travaux au seul domaine indiqué par le titre de leur chaire


IV

Nous avons dit, au début de cette étude, que l’Écosse était déjà réputée aux XVe et XVIe siècles pour ses professeurs de grec, de philosophie et de théologie : les Universités de France et plus tard les académies protestantes se les disputaient. Les Universités actuelles ont eu à cœur de soutenir cette vieille renommée et elles possèdent de nombreux hellénistes, philosophes et théologiens qui ne le cèdent en rien aux meilleurs des universités du continent.

Aujourd’hui l’hellénisme est représenté par trois ou quatre maîtres éminens. M. James Donaldson, le principal de l’université de Saint-André, outre une grammaire de grec moderne, a publié une Histoire de la littérature et de la doctrine chrétiennes avant le concile de Nicée et a dirigé une revue d’éducation appelée : The Museum. Son collègue d’Aberdeen, M. William D. Geddes, avant d’être principal de cette école, avait enseigné le grec pendant trent ans et ses recherches sur le problème des poèmes homériques, lui ont mérité le fauteuil de vice-président de la Société des études helléniques<ref> M. Geddes a publié, en outre, Flosculi græci boreales (1892) et Musa latina Aberdontensis (1892). 2 vol. /ref>. Il n’est pas d’ailleurs moins versé dans l’histoire de l’architecture sacrée, et son Mémoire sur le « plafond héraldique de Saint-Macaire » l’a mis au premier rang des archéologues de son pays. MM. Rutherford et William Butcher ne sont pas moins dignes d’être mentionnés : le premier, qui a pris ses grades à Saint-André, est l’auteur d’une Contribution à l’étude du dialecte attique, traduite en français, et dirige aujourd’hui l’école de Westminster ; le second a écrit des commentaires sur la poétique d’Aristote et des Essais sur quelques aspects du génie grec qui ont été fort prisés par un juge compétent[13].

On sait que James Mill (d’Édimbourg) avait enseigné si bien et sitôt le grec à son fils Stuart qu’à huit ans il était capable de lire Homère et Platon couramment.

Entre le grec et la philosophie le lien s’aperçoit facilement ; il faut connaître la langue de Platon, d’Aristote ou de Philon pour faire un sérieux apprentissage de la philosophie. Cela ne suffit pas, il est vrai ; mais à cette connaissance, les Écossais joignent un esprit méditatif, de la sagacité, de la logique qui les préparent admirablement à cette étude. Le pays de Hume et de Hamilton, de Reid et de Dugald-Stewart n’a pas cessé d’enfanter des psychologues de valeur. Au premier rang, il faut placer Alexandre Bain, né en 1818 à Aberdeen, d’une famille d’artisans et qui, à force de patience et de génie, a fait mentir le proverbe : « Nul n’est prophète dans son pays. » Après avoir enseigné à Glasgow et exercé les fonctions d’examinateur à l’Université de Londres, il a été appelé à Aberdeen à la chaire de logique et de littérature anglaise et deux fois élu recteur de l’Université. Bien qu’il se rattache, comme James et Stuart Mill, qu’il a beaucoup étudié, à la tradition de l’école écossaise, par sa psychologie expérimentale, Bain l’a radicalement modifiée en y introduisant la méthode des sciences naturelles. Quel ami de la philosophie n’a lu ses pénétrantes études sur les émotions et la volonté, sur le caractère et sur la science de l’éducation ?

Le Rev. John Caird est actuellement principal de l’Université de Glasgow, après avoir été pasteur à Édimbourg. Il a donné, en 1814, à l’ouverture de la session d’hiver des cours de Glasgow, une leçon sur l’unité des sciences, qui témoigne d’une grande variété de connaissances et d’une profondeur de dialectique et il a publié, en 1881, une Introduction à la philosophie de la religion, qui le met de pair avec les penseurs les plus originaux de France ou d’Allemagne. M. Robert Flint, professeur de la Faculté de théologie d’Édimbourg, ne s’est pas non plus renfermé dans cette branche spéciale : ses deux volumes sur la philosophie de l’histoire de France et sur la philosophie de l’histoire d’Allemagne ont été lus par tous ceux qu’intéresse le côté philosophique des événemens ; ils ont été traduits en français et lui ont valu d’être élu membre correspondant de notre Académie des sciences morales et politiques. M. Laurie, professeur de pédagogie, a pris bon rang parmi les philosophes, par ses deux ouvrages intitulés : Metaphysica nova et vetusta et son Ethique de la raison, MM. Andrew Seth, à Edimbourg. W. Knight et D. Ritchie, à Saint-André continuent dignement la tradition de l’école écossaise.

MM. H. Drummond, et M. A. Lang forment la transition de la philosophie à la théologie. Le premier, professeur au collège de l’Église libre de Glasgow, après avoir exploré les Montagnes Rocheuses, l’Afrique du Sud et poussé jusqu’en Australie, a écrit la Loi naturelle dans le monde spirituel (1883). Dans cet ouvrage, qui a été traduit dans toutes les langues de l’Europe, ce penseur, hardi jusqu’à risquer de se perdre sur les frontières inconnues des deux sphères, a essayé de prouver que le monde moral obéit aux mêmes lois que la nature physique. Son discours sur « la plus grande chose du monde » a pour objet de dégager la fin essentielle du christianisme qui est l’amour[14]. M. André Lang, titulaire de la conférence Gifford, à l’Université de Saint-André, est un esprit mieux équilibré, plus positif, mais non moins original. Lui aussi a commencé par de fortes études grecques[15], puis il s’est adonné avec passion à l’étude du folk-lore, qui a produit pour lui deux résultats féconds. Elle a éveillé en lui la faculté poétique et excité son intérêt pour les questions de philosophie religieuse. L’introduction de son livre sur Mythes et cultes (1884) est une œuvre magistrale, et le classe parmi les dignes continuateurs des travaux de Max Müller et d’Albert Réville sur l’origine des religions.

Quant à la théologie, les Écossais y ont excellé de tous temps, comme le prouvent les docteurs cités en tête de cet article, auxquels il faudrait ajouter, pour le XVIe siècle, les noms de John Knox, d’André Melvil et de John Cameron. Cette vieille renommée a été soutenue de nos jours par les travaux de M. Will Robertson Smith, l’éminent professeur d’hébreu à Aberdeen, qui a eu le périlleux honneur d’être l’objet d’un procès d’hérésie de la part du synode de l’Église libre d’Écosse, et de MM. John Caird, Donaldson et R. Flint, déjà mentionnés dans la section de philosophie. On ne saurait passer sous silence les ouvrages de MM. A.-B. Bruce et Story, à Glasgow ; de M. Allan Menzies, à Saint-André. Le premier, qui est professeur au collège théologique de l’Église libre d’Écosse (fondé en 1843), a publié des livres sur les paraboles de Jésus-Christ, sur l’éducation des douze apôtres et sur l’apologétique, qui ont atteint cinq et six éditions et ont fait de lui un auteur classique de la théologie. M. Menzies, professeur de critique biblique, s’est fait connaître par des études originales sur la religion nationale (1881) et sur l’histoire de la religion (1895). Mentionnons enfin les écrits de M. William Mitchell Ramsay qui, bien que professeur d’humanités, a publié des ouvrages sur l’Église dans l’empire romain (1853), Saint Paul le voyageur (1895) et les Cités et Évêchés de Phrygie (1895).

Les Universités écossaises ne se sont pas contentées de se maintenir au premier rang dans la philosophie morale ou religieuse et dans ce qu’on appelait jadis « les arts libéraux ». Se pénétrant de cette maxime, qui est aussi vraie des corps enseignans que des professeurs individuellement, que « qui n’avance pas recule », elles se sont efforcées d’étendre le champ de leurs études, soit en ajoutant des facultés aux anciennes, soit en faisant pousser des branches nouvelles sur les vieux rameaux de l’arbre de la science.

Nous ne savons si la Faculté de musique d’Edimbourg donnera d’aussi brillans résultats que celle de Dublin[16], ni si la Faculté de médecine établie à Saint-André recevra par l’affiliation du collège de Dundee une impulsion féconde[17]. Mais, un fait certain, c’est que la culture de l’hellénisme. a conduit les Écossais à l’étude des langues orientales, d’une part, et de l’autre, à celle des langues indo-européennes et de la langue celtique. MM. Kennedy et Mac Kinnon à Edimbourg, feu Robertson Smith, à Aberdeen, John Robertson, à Glasgow, sont des philologues éminens, mais leur illustration à tous a été éclipsée par la gloire de John Muir (mort à Edimbourg, en 1882). Tous les savans d’Asie et d’Europe ont admiré ses judicieuses observations sur la méthode à suivre par les missionnaires chrétiens auprès des brahmanistes et des bouddhistes. Son grand ouvrage sur les coutumes et les religions[18] des multiples races, qui peuplent l’Hindoustan, fait autorité. Ce qu’on ne sait pas assez, c’est que Muir était aussi généreux que jaloux de la grandeur scientifique de son pays ; il a légué à l’université d’Édimbourg un capital de 100 000 francs destiné à la fondation d’une chaire de sanscrit et de philologie comparée.

Tandis que l’hellénisme s’épanouissait ainsi du côté de l’Orient aryen ou de l’Occident celtique, la philosophie enfantait deux filles : l’économie politique et la science de l’éducation.

La première, qui doit ses lois fondamentales à Adam Smith et ses développemens à Stuart Mill, est une science à beaucoup d’égards anglo-écossaise : il n’a fallu rien de moins que le génie de l’Écossais et l’esprit positif de l’Anglais pour la tirer de l’empirisme et l’élever au rang d’une science. L’économie politique est enseignée aujourd’hui à Glasgow ou à Édimbourg, par M. Will. Smart et par M. Nicholson qui marchent dignement sur les traces de leurs devanciers. Le programme des cours, à l’Université d’Édimbourg, recommande comme manuel (text-book) aux étudians les « Principes d’économie politique » de Stuart Mill, mais en se référant aux initiateurs, Adam Smith et Ricardo et en signalant les travaux des économistes contemporains : Bagehot, Jevons et Sidgwick. Notons comme exemple de ces traits d’union entre les Facultés, que nous signalions plus haut, le droit commercial, qui est rattaché à l’économie politique et participe donc à la Faculté des lettres et au droit.

La pédagogie est également fille de la philosophie morale. Quoique le berceau de cette science se trouve en Suisse ou en Allemagne, elle s’est bientôt acclimatée en Écosse. On sait que l’Écossais André Bell (1832) fut un des plus ardens propagateurs de la méthode d’enseignement mutuel en Angleterre et de là en toute l’Europe. Actuellement, MM. S. S. Laurie, à Édimbourg et Meicklejohn, à Saint-Andrew, ont conquis une réputation méritée ; le premier par son livre sur l’Origine des Universités au moyen âge, ses contributions aux revues d’éducation et son Historical survey of pre-christian education (Londres, 1895) ; le deuxième par sa vie d’André Bell et la biographie du professeur Hodgson.

Ne semblerait-il pas que cette série d’humanistes, de philosophes et de pédagogues, tous éminens, et plusieurs même illustres, ait épuisé la sève d’un petit pays, grand comme trois départemens français ? Or, il n’en est rien, et il est encore trois disciplines sur lesquelles les maîtres de ces universités ont jeté un lustre éclatant : le droit, la médecine et les sciences naturelles.

Le droit est enseigné avec succès à Édimbourg, qui de tout temps avait été renommé par ses jurisconsultes. Tout le monde sait la place considérable qu’ils tiennent dans les romans de Walter Scott. De notre temps, les professeurs Lorimer et Muirhead se sont fait connaître par deux ouvrages de valeur, le premier sur les Institutes et le second sur le Droit civil des Romains. Les vieilles coutumes d’Écosse ont aussi fait l’objet de travaux approfondis de M. Rankine.

On mentionne déjà au XVIIe siècle des médecins écossais qui ont exercé avec succès la médecine en France ; tel ce Marc Duncan, principal du collège de Saumur sous Louis XIV qui, seul à peu près parmi ses confrères, reconnut le vrai mal dont souffraient les Ursulines de Loudun et qui eut le courage — il en fallait en ce temps-là — de publier un mémoire, dans lequel il s’inscrivait en faux contre la possession démoniaque. Les médecins actuels ne sont pas dégénérés de leurs devanciers, et, dans l’art de guérir, Édimbourg et Glasgow se partagent les palmes de la célébrité. La première peut citer son doyen, M. Th. Fraser, qui s’est acquis une grande réputation par ses recherches sur les poisons ; M. Rutherford ; et sir William Turner, qui professe l’anatomie depuis trente ans, et a contribué pour sa large part au Journal d’anatomie et de physiologie d’Édimbourg comme pour ses recherches physiologiques. La seconde possède comme professeur MM. Mac Kendrik, l’éminent physiologiste ; Gairdner, dont les avis font autorité en matière d’épidémies et d’hygiène publique ; M. Ferguson, historien de la chimie ; et surtout Mac Kwen, le chirurgien qui s’est rendu célèbre par ses opérations dans le cas de lésions du cerveau ou de la moelle épinière, qui a inventé une méthode très répandue pour le redressement des jambes difformes ou la transplantation des os[19].

Enfin, c’est sur les sciences naturelles que les Écossais ont de nos jours jeté le plus vif éclat. Mac Intosh, professeur d’histoire naturelle à Saint-André, a fait de belles recherches sur la pisciculture et présidé à la création dans cette ville d’un laboratoire d’études sous-marines. Mais le nom de M. W. Ramsay, ancien tuteur-adjoint de la chaire de chimie à Glasgow, nommé ensuite à Londres, égale aujourd’hui celui des plus illustres chimistes du Royaume-Uni par sa découverte de l’argon (février 1895). On sait qu’à la suite de longues et minutieuses recherches sur l’azote atmosphérique, faites de concert avec lord Raleigh, il est parvenu à isoler un troisième gaz constitutif de l’air, qui avait échappé à toutes les investigations d’un Lavoisier et d’un Cavendish. De leur côté, MM. Guthrie Tait et James Geikie, à Édimbourg, et sir William Thomson, à Glasgow, s’illustraient par leurs travaux en physique et en géologie. Il faut citer du premier des Conférences sur quelques-uns des progrès de la physique (1887) et sur le « monde invisible » ; et du second ses écrits sur la période glaciaire. Enfin, qui n’a entendu parler du troisième, anobli par la reine Victoria, sous le titre de lord Kelvin, et dont le jubilé de cinquante ans de professorat fut célébré l’an dernier avec le concours des délégués accourus des cinq parties du monde ? Nous ne saurions mieux faire, pour montrer combien ces hommages étaient mérités, que de citer un extrait de l’adresse que nous fûmes chargés de lui remettre au nom de l’Université de Paris (24-25 juin 1896) : « Curieux des grandes lois de la nature et des principes de la philosophie naturelle, vous avez toujours cherché à remonter, dans l’explication des phénomènes physiques, aussi haut que peut atteindre l’intelligence humaine.

« Une partie importante de votre œuvre théorique est consacrée à des spéculations, mais, dans les hardiesses de votre génie, vous ne perdez pas de que la réalité, et vous construisez d’ingénieux modèles mécaniques pour expliquer vos hypothèses… La même méthode se trouve dans votre Traité de philosophie naturelle, œuvre magistrale, la plus suggestive qui ait été écrite en ce siècle sur la mécanique générale.

« La physique vous doit des découvertes de premier ordre. Grâce à vos travaux, la thermodynamique sert de lien aux divers chapitres de la physique autrefois isolés. La notion du travail, appliquée aux phénomènes électriques, a engendré des systèmes cohérens d’unités absolues ; les recherches que vous avez faites, inspirées ou dirigées, ont permis de réaliser un système d’unités aujourd’hui universellement adopté. En calculant l’énergie de la décharge d’un condensateur, vous avez démontré a priori les oscillations électriques, étudiées depuis par Hertz et, sur ce point comme sur quelques autres, vous vous êtes rencontré avec votre illustre ami Helmholtz. Enfin, la télégraphie transatlantique vous doit la vie ; impraticable à ses débuts, elle a reçu de vous tout ce qui lui manquait, théorie et appareils. »

Voilà une esquisse bien réduite de l’organisation, des programmes d’étude et des illustrations des Universités d’Écosse. Si imparfaite qu’elle soit, — car les limites prescrites à notre sujet nous ont empêché de parler du XVIIe et de la fin du XVIIIe siècle, qui ont été les époques les plus brillantes de leur histoire, — on pourra juger, je l’espère, de leur caractère propre, de leur vitalité et de l’étonnante variété de leurs travaux. Nées en des âges très différens, l’Université d’Édimbourg et ses sœurs aînées sont arrivées aujourd’hui, non pas à se ressembler entièrement, du moins à adopter une forme de gouvernement et des programmes d’étude similaires. Comme leurs voisins du sud, les Écossais ont su conserver une partie des institutions scolaires du moyen âge, mais en les adaptant aux exigences des temps modernes, et se conformer à des méthodes rigoureusement scientifiques. Trois ou quatre traits, si je ne me trompe, distinguent leurs Universités de celles d’Oxford et de Cambridge : une organisation plus démocratique, plus de facilités offertes aux étudians ou aux gradués pauvres pour continuer leurs travaux ; les cours et les diplômes plus largement accessibles aux femmes ; enfin, plus d’élasticité dans le cadre des chaires ou le programme des examens. Mais, par un côté fâcheux, elles se ressemblent toutes : les mêmes privilèges sont accordés à la religion d’État, qu’elle s’appelle épiscopale ou presbytérienne, et de même qu’en Angleterre, les dissidens y sont exclus des chaires des Facultés de théologie.

Or, depuis quelques années, ces Universités d’Écosse, se souvenant des relations qu’elles ont entretenues jadis avec l’Alma mater de Paris, se tournent de nouveau vers nous, comme étant les représentans les plus autorisés de la civilisation latine. Elles nous ont envoyé l’an dernier quarante délégués, pour renouer les liens avec l’antique Sorbonne. Elles nous demandent de décerner, aux étudians qui fréquentent chez nous, un diplôme qui, sans leur donner aucune prérogative civile en France, atteste leurs connaissances acquises dans telle ou telle branche[20]. C’est aussi ce que nous demandent les Américains des États-Unis du Nord. Des comités se sont fondés à Édimbourg, sous la présidence de lord Reay, à Paris, sous celle de M. Casimir-Perier, à Washington, sous celle de l’astronome Newcomb, pour négocier avec le directeur de notre enseignement supérieur et avec le comité de patronage des étudians étrangers. Des avocats, des publicistes au premier rang desquels il n’est que juste de mentionner MM. Geddes, Gordon et le professeur Sarolea (d’Édimbourg), M. Paul Melon et M. Barclay, avocat à Paris, agitent l’opinion publique en Écosse, en France. Une revue franco-écossaise a déjà été fondée pour publier les travaux des maîtres des deux pays. L’accueil si hospitalier et les brillantes fêtes que l’Université et la municipalité d’Édimbourg, l’Université, de Saint-André et les magistrats de Stirling ont organisés, en juillet 1897, en faveur des délégués des universités françaises, ont confirmé cette entente cordiale. Et sans doute, après ce premier élan, le mouvement ne peut que grandir et s’étendre à l’Angleterre, aux pays slaves et scandinaves, à l’Amérique du Sud.

Pourrions-nous rester insensibles à ces appels ? Pourrions-nous ne pas répondre à cet élan des nations jeunes, chez qui le génie de la race et un intérêt supérieur de l’éducation nationale déterminent ces aspirations vers la France ? Pour ma part, je ne le pense pas. Plusieurs motifs doivent nous porter à répondre favorablement à ces avances.

Et d’abord, l’intérêt bien entendu de nos Universités, reconstituées et non pas encore émancipées, mais en voie de se libérer de la longue tutelle de l’État. Ce qui a fait la force et le renom de nos Studia generalia de l’ancien régime jusqu’au XVIe siècle, c’est qu’ils étaient libéralement ouverts aux étudians de toute nation, de toute race ; ils avaient un caractère cosmopolite et catholique, dans le sens laïque du mot ; et c’est au contact de cette élite de la jeunesse européenne que l’esprit français s’est affiné ; que la substance s’en est enrichie d’élémens féconds ; que le génie de la France a enfin peut-être pris cette tendance humanitaire, cette préoccupation des causes d’intérêt universel, qui sont devenues un des traits distinctifs de notre caractère national.

Il serait bon de reprendre cette tradition et, au lieu de hérisser d’obstacles l’entrée de nos Universités, d’en ouvrir largement les portes. Mais, il y a plus, nos étudians à leur tour auraient profit, pendant la préparation de leur licence, à aller passer un semestre ou deux en Écosse. Outre les connaissances qu’ils acquerraient à l’école de maîtres comme ceux que nous avons cités, ils prendraient, chez leurs camarades de là-bas, des habitudes d’initiative, d’observation méthodique, de discipline morale, de respect pour la religion (self-control), que les jeunes Écossais possèdent à un degré supérieur et qui ne seraient pas inutiles à notre jeunesse.

Enfin et surtout, nous avons à cela un intérêt politique. La France, pour toute sorte de raisons, a besoin de se refaire une clientèle, — non pas artistique, grâce à la supériorité de nos peintres et sculpteurs, elle ne l’a jamais perdue, — mais littéraire et scientifique. Il importe à son rôle dans le monde des écrivains et des savans, à son rang dans la sphère de l’intelligence, comme disent les Russes, qu’elle contribue à l’éducation de la jeunesse studieuse des pays amis et surtout des pays où l’élément celtique est encore agissant au fond de l’âme de la nation. À tous ces points de vue, il est désirable que nous resserrions les liens scolaires avec les Universités de l’Écosse, notre plus ancienne alliée en Europe, et avec celles d’Amérique. Agir dans ce sens, ce ne sera pas seulement reprendre une vieille tradition française, ce sera préparer à la France un avenir de grandeur intellectuelle et contribuer au progrès de la civilisation.

G. Bonet-Maury.
  1. V. Shakspeare : Henry V, act. I, scène 2. But there’s a saying very old and true :
    « If that you will France win.
    Then with Scotland first begin. »
  2. Le collège des Écossais, fondé en 1325 par David évêque de Moray, fut reconstruit par R. Barelay, principal, rue des Fossés-Saint-Victor (1639). La chapelle, achevée seulement en 1672, existe encore dans l’institution Chevalier, actuellement rue du Cardinal-Lemoine.
  3. Estienne Perlin, Description des royaumes d’Écosse et d’Angleterre ; Paris, 1558, in-8o.
  4. La devise, dans les armes de la ville d’Aberdeen, est française : Bon accord, et vient, parait-il, d’un mot de passe qui fut donné en 1308 aux bourgeois, lors d’une prise d’armes contre l’Angleterre.
  5. Dans les collèges, les domestiques s’appelaient garciones au lieu de boys et les étudians de première année à Aberdeen s’appellent encore aujourd’hui les bejeant, qui vient de notre mot béjeaune'.
  6. Le conseil général d’Édimbourg compte actuellement 7 891 membres inscrits, celui de Glascow 4 812 environ : celui d’Aberdeen 3 600 : Saint-André 1 500.
  7. L’Université de Saint-André a pour chancelier G. Douglas Campbell élu en 1851 ; Aberdeen, le duc de Richmond et Gordon : Glasgow, le comte de Stair ; Edimbourg, M. James Balfour, le ministre d’État actuel.
  8. Sur cette somme, Saint-André reçoit £ 10 800 = 270 000 francs, Aberdeen, £ 14 400 = 360 000 francs ; Édimbourg, £ 25 920 = 648 000 francs et Glasgow £ 20 880 = 522 000 francs.
  9. Sur ce nombre 22 sont inscrites au cours de littérature française et de philologie romane.
  10. Cet examen porte sur l’anglais, le grec ou le latin, les mathématiques, l’une des langues suivantes : grec ou latin (si elle n’a pas été déjà choisie, français, allemand, italien.
  11. Langues classiques, philosophie morale, mathématiques, langues sémitiques, langues de l’Inde, langue et histoire anglaises, langues modernes, histoire.
  12. Stuart Mill, Inaugural address delivered at the opening of the University Saint-Andrew, London, 1867.
  13. Voir l’article d’Alfred Croiset, dans la Revue française : d’Edimbourg, mars 1897.
  14. Drummond vient de mourir prématurément.
  15. Il a publié, en collaboration avec M. W. Butcher d’Édimbourg. Une traduction de l’Odyssée. Son ouvrage intitulé : Cultes et mythes a été traduit en français par M. L. Marillier.
  16. Elle ne comptait en 1896-1897 que cinq étudians inscrits.
  17. Le marquis de Bute, qui est recteur de Saint-André, lui a fait donation de 10 000 £, à charge de commencer la bâtisse d’une nouvelle école de médecine ; mais on a refusé sa donation, de peur sans doute qu’elle ne lui permit d’exercer son influence dans le sens catholique. Il a, en revanche, fait voter par la Cour de l’Université la création de deux nouvelles conférences de grec moderne et de physiologie.
  18. Original sanskrit texts on the original history of the people of India, their religion and institution. Londres, 1880,6 vol.
  19. V. Ostéotomie, recherches sur l’étiologie et la pathologie de l’ankylose, des jambes courbées et autres déformations osseuses des membres inférieurs, — Édimbourg, — 1880, qui a été traduit en toutes les langues de l’Europe.
  20. Le doctorat d’université, accessible aux étrangers, vient d’être adopté par le Conseil supérieur de l’instruction publique.