Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité/Zénon d’Élée

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ZÉNON.

Zénon naquit à Élée. Apollodore, dans ses Chroniques, le dit issu de Pyrithus. Quelques uns lui donnent Parménide pour père; d’autres le font fils de Téleutagore par nature, et celui de Parménide par adoption. Timon parle de lui et de Mélisse en ces termes :

Celui qui possède les forces d’une double éloquence est à l’abri des atteintes de Zénon dont la critique n’épargne rien, et à couvert des contentions de Mélissus, qui, ayant peu de fausses idées, en a corrigé beaucoup.

Zénon étudia sous Parménide, qui le prit en amitié. Il était de haute taille, suivant la remarque de Platon dans le dialogue de Parménide, lequel, dans celui des Sophistes, lui donne le nom de Palamède d’Élée. Aristote lui fait gloire d’avoir inventé la dialectique, et attribue l’invention de la rhétorique à Empédocle. Au reste, Zénon s’est fort distingué, tant par sa capacité dans la philosophie, que par son habileté dans la politique. En effet, on a de lui des ouvrages pleins de jugement et d’érudition.

Héraclide, dans l’Abrégé de Satyrus, raconte que Zénon, résolu d’attenter à la vie du tyran Néarque, appelé par d’autres Diomédon, fut pris, et mis en lieu de sûreté; qu’interrogé sur ses complices et sur les armes qu’il avait assemblées à Lipara, il répondit, exprès pour montrer qu’il était abandonné et sans appui, que tous les amis du tyran étaient ses complices; qu’ensuite, en ayant nommé quelques uns, il déclara qu’il avait des choses à dire è l’oreille de Néarque, laquelle il saisit avec les dents, et ne lâcha que par les coups dont il fut percé; de sorte qu’il eut le même sort qu’Aristogiton, l’homicide d’un autre tyran.

Démétrius, dans ses Auteurs de même nom, prétend que Zénon arracha le nez à Néarque : et Antisthène, dans ses Successions, assure qu’après qu’il eut nommé ses complices, le tyran l’interrogea s’il y avait encore quelque coupable; qu’à cette demande, il répondit : Oui, c’est toi-même, qui es la peste de la ville; qu’ensuite il adressa ces paroles à ceux qui étaient présents : Je m’étonne de votre peu de courage, si, après ce qui m’arrive, vous continuez encore de porter le joug de la tyrannie; qu’enfin, s’étant mordu la langue en deux, il la cracha au visage du tyran; que ce spectacle anima tellement le peuple, qu’il se souleva contre Néarque, et l’assomma à coups de pierres. La plupart des auteurs s’accordent dans les circonstances de cet événement; mais Hermippe dit que Zénon fut jeté et mis en pièces dans un mortier. Cette opinion est celle que nous avons suivie dans ces vers sur le sort du philosophe :

Affligé de la déplorable oppression d’Élée la patrie, tu veux, courageux Zénon, en être le libérateur. Mais le tyran, qui échappe à ta main, te saisit de la sienne, et t’écrase, par un cruel genre de supplice, dans un mortier, à coups de pilon.

Zénon étant encore illustre à d’autres égards. Semblable à Héraclite, il avait l’ame si élevée, qu’il méprisait les grands. Il en donna des preuves en ce qu’il préféra, à la magnificence des Athéniens, Élée, sa patrie, chétive ville, autrefois appelée Hyelé, et colonie des Phocéens; mais recommandable pour la probité de ses habitants. Aussi allait-il peu à Athènes, se tenant chez lui la plupart du temps.

Il est le premier qui, dans le dispute, ait fait usage de l’argument connu sous le nom d’Achille, quoi qu’en puisse dire Phavorin, qui cite avant lui Parménide et plusieurs autres.

Il pensait qu’il y a plusieurs mondes et point de vide; que l’essence de toutes choses est composée de changements réciproques du chaud, du froid, du sec et de l’humide; que les hommes sont engendrés de la terre, et que l’ame est un mélange des éléments dont nous avons parlé, mais en telle proportion, qu’elle ne tient pas plus de l’un que de l’autre.

On raconte que, piqué au vif à l’occasion de quelques injures que l’on vomissait contre lui, quelqu’un l’ayant repris de sa colère, il répondit : Si je ne suis pas sensible aux invectives, le serai-je aux louanges?

En parlant de Zénon de Cittien, nous avons fait mention de huit personnes de même nom. Celui-ci florissait vers la soixante dix-neuvième olympiade.