Les bases de l’histoire d’Yamachiche/16

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C. O. Beauchemin et Fils (p. 183-213).


CHAPITRE XII.

LES ÉGLISES D’YAMACHICHE.


Avant la construction d’une église ou chapelle à Yamachiche, les premiers colons recevaient, de temps en temps, la visite de missionnaires. Le premier qui leur rendit ce service fut le récollet Siméon Dupont, missionnaire résidant aux Trois-Rivières. C’est lui qui baptisa à domicile les deux premiers enfants nés à Yamachiche, Étienne Gelinas (1704) et Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare (1705). Dans ce temps-là, les enfants nouveau-nés étaient généralement ondoyés et ensuite baptisés sous condition aux Trois-Rivières ou à la Rivière-du-Loup, où résidaient des missionnaires avant qu’il y en eût à Machiche. On a fait une exception pour les premiers nés.

Quoique dès le 3 mars 1705, le missionnaire Siméon Dupont ait dit, dans l’acte de baptême, avoir baptisé Jean-Baptiste Gelinas, en la paroisse d’Yamachiche, cette paroisse ne fut érigée civilement qu’en 1722, et dans le décret d’érection, il est dit qu’elle sera desservie par voie de mission, tant qu’il n’y aura pas assez d’habitants pour soutenir un curé résidant. Le missionnaire avait donc devancé l’Église et l’État en la nommant paroisse en 1705.

Dans le dénombrement de sa seigneurie d’Yamachiche, en 1723, Chs LeSieur dit que « l’église paroissiale, nommée Sainte-Anne, est construite sur les terres du domaine de feu Julien LeSieur, » co-seigneur du lieu. Elle avait trente pieds de long, en bois, pièces sur pièces, près de la grande rivière.

Une église en pierre fut construite à la même place en 1724, sous la direction du Père Augustin Quintal, récollet.

Le premier curé en titre de la paroisse fut M. Chefdeville. Cette église en pierre fut brûlée par le tonnerre en 1780. Cet accident fut suivi d’un malheur plus grand encore, c’est-à-dire d’une longue discorde parmi les paroissiens, au sujet d’un changement de site.

La paroisse avait cinq lieues de profondeur sur 2½ lieues de largeur. La vieille église incendiée se trouvait près de l’extrémité sud-est, près du lac Saint-Pierre. En construisant la nouvelle église paroissiale sur la petite rivière, à un mille et demi, ou à peu près, du premier site, on faisait un petit mouvement vers le centre de la paroisse. Dès que cette proposition fut soumise aux autorités, la lutte commença très ardente entre les deux groupes de population. Les gens de la grande rivière croyaient avoir des droits acquis, et ceux de la petite rivière croyaient que le bien public, le bien de la majorité exigeait que l’église fût bâtie chez eux.

Le terrain de la grande rivière donné par le seigneur Duchêne, ayant été déclaré impropre à la construction d’une église, deux habitants de la petite rivière, Charles Lacerte et Joseph Carbonneau, donnèrent à la fabrique d’Yamachiche, par contrat passé devant maître Badeaux, notaire des Trois-Rivières, le 21 août 1783, chacun la moitié du terrain appartenant encore anjourd’hui à cette fabrique, pour y bâtir l’église paroissiale. Il comprenait six arpents en superficie. Ce terrain fut accepté par l’autorité ecclésiastique, mais on eut recours à l’autorité civile pour faire manquer ce projet. Après avoir obtenu un jugement en leur faveur, le 4 août 1784, devant la cour siégeant à Montréal, les gens de la grande rivière furent deux fois condamnés par le conseil législatif de Québec, le 5 mars 1785, et le 5 novembre 1787. Grâce à la fermeté de l’évêque, appuyé de ces deux sentences civiles, la cause fut réglée de haute autorité en faveur de la petite rivière, sans aucun recours possible en faveur des opposants.

Le 25 juin 1788, monseigneur J.-F. Hubert, évêque de Québec, dans un mandement adressé aux habitants de la grande et de la petite rivière d’Yamachiche, statue et ordonne ce qui suit :

« 1o Qu’à l’avenir il ne soit plus fait aucune mention de toutes les animosités qui ont désolé depuis sept ans votre paroisse, non plus que des péchés qui en ont été les suites malheureuses. À cette fin nous autorisons M. Griault, votre curé, à absoudre dans le tribunal de la pénitence les désobéissants de toutes leurs démarches irrégulières, soit qu’elles attaquent la religion, les commandements de l’Église ou le respect dû aux lois.

« 2o Que conformément aux deux sentences d’appel rendues dans l’honorable conseil législatif de Québec, l’une le 8 mars 1785, l’autre du 5 novembre dernier, on ne reconnaîtra désormais pour église paroissiale de Sainte-Anne d’Yamachiche que celle dont la place a été marquée, en 1784, à la petite rivière sur la terre du nommé Lacerte, et ou l’on a construit un presbytère nouveau et jeté les fondements d’une église.

« 5o Que le premier dimanche après la publication du présent mandement, l’on commence à faire l’office paroissial dans la chapelle du dit presbytère de la petite rivière.

« 4o Qu’il ne soit plus célébré aucun office public dans le presbytère de la grande rivière, qui désormais ne sera plus censé maison curiale. Nous permettons néanmoins à M. Griault d’y demeurer pour sa commodité et d’y célébrer la basse messe dans les jours de semaine jusqu’au premier d’octobre prochain, si mieux n’aime le dit curé transporter dès maintenant son domicile à la petite rivière, ce qui nous sera encore plus agréable.

« 5o Nous défendons à M. Griault d’inhumer davantage aucun corps dans le cimetière de la grande rivière, voulant que ce cimetière bien clos demeure en l’état où il est jusqu’à nouvel ordre de notre part… »

Voilà la pièce authentique qui donne la date précise de la prise de possession, par l’autorité diocésaine, du terrain occupé jusqu’à ce jour par l’église d’Yamachiche, depuis le 25 juin 1788, sur la petite rivière.

Un souvenir de reconnaissance doit rester gravé dans la mémoire des paroissiens de Ste-Anne d’Yamachiche pour les généreux donateurs de ce terrain, Charles Lacerte et Joseph Carbonneau, et surtout envers Mgr Hubert et son grand vicaire St-Onge, qui ont le plus souffert de cette discorde entre parents, entre catholiques, leurs ouailles à eux.

Plus l’animosité était grande plus il était pénible pour eux, qui avaient autant d’affection paternelle pour les uns que pour les autres, d’être obligés de condamner et de réprimander. Ils ne pouvaient avoir en vue que l’intérêt de l’Église, la justice pour tous, et le bien de la majorité des habitants déjà répandus sur plusieurs rangs, dans la profondeur des fiefs, comme Vide-Poche, les deux Acadies, le haut de la petite et de la grande rivière. Ils prévoyaient bien que Dumontier et le haut de Gatineau ne seraient pas longtemps sans avoir des défricheurs. Le site de la petite rivière était plus facile d’accès dans toutes les saisons de l’année, pour ces habitants du loin moins compromis dans la grande chicane ; ce site eut la préférence de ces pasteurs justes et équitables ; ils l’adoptèrent et le firent accepter par des mesures rigoureuses exigées par les circonstances.

La sagesse de ce choix devint évidente avant peu d’années ; les terres du Nord furent bientôt concédées et mises en culture, jusqu’à des distances de trois et quatre lieues de l’église, qui n’était plus assez grande pour l’accroissement de la population. Il a fallu tailler de nouvelles paroisses et bâtir des églises sur les limites desservies par le curé de Ste-Anne d’Yamachiche, St-Léon d’abord, puis St-Barnabé et St-Sévère.

En 1835 la proclamation de lord Aylmer érigeant civilement la paroisse de St-Barnabé, en délimitait comme suit l’étendue :

« La dite paroisse devra comprendre le rang double appelé St-Joseph, dans le fief Gatineau, le village Bournival situé dans le même fief, et les premier, second et troisième rangs du township de Caxton, dans l’augmentation d’icelui, connu sous le nom de fief Frédéric, le tout comprenant une étendue de territoire environ huit milles de front sur environ cinq de profondeur. »

Le fief Frédéric n’était pas une augmentation du fief Gatineau, il était situé au-dessus de la profondeur du fief de Tonnancour ou de la Pointe-du-Lac, sur le même front et deux lieues de profondeur. Il était par conséquent voisin de Gatineau sur toute sa longueur, c’est-à-dire que le fief Gatineau, partant du lac St-Pierre, touchait du côté nord-est, au fief Tonnancour sur deux lieues de sa profondeur, ensuite, de là au fief Frédéric aussi sur deux lieues et se continuait une lieue plus haut que la limite nord de Frédéric. Le canton de Caxton devait commencer à cette limite nord de Frédéric et au nord-est de la prolongation de Gatineau. St-Barnabé peut bien avoir eu le canton de Caxton et partie du fief Frédéric dans ses limites, mais il ne faut pas les confondre, ou croire que c’est le même terrain sous deux noms différents.

Les trois paroisses du Nord, en partie formées du démembrement de celle de Ste-Anne d’Yamachiche, c’est-à-dire St-Léon-le-Grand, St-Sévère et St-Barnabé, étaient depuis des années organisées canoniquement, ayant des curés résidants percevant les dîmes et remplissant tous les devoirs de la cure, quand les commissaires civils nommés pour cette fin en prirent les délimitations pour leur érection civile, St-Barnabé en 1835, St-Léon-le-Grand en 1849, et St-Sévère, le 23 janvier 1850.

St-Léon prenait sur l’étendue d’Yamachiche, les parties du fief Grosbois et du fief Dumontier situées du côté nord-ouest de la grande rivière du Loup. St-Sévère prend l’autre partie du fief Dumontier au nord-est de la même rivière. St-Barnabé comprend le haut de Gatineau, partie de Caxton et du fief Frédéric, et la Visitation-de-la-Pointe-du-Lac empiète aussi sur le fief Gatineau.

Après ces retranchements, il fallut marquer officiellement les nouvelles limites de la paroisse Ste-Anne d’Yamachiche ; messieurs Pierre Défossès, Valère Guillet et Georges Badeaux, commissaires nommés pour cette fin, dressèrent un rapport à ce sujet, et le 3 juin 1852, Son Excellence lord Elgin et Kincardine, gouverneur général du Canada, lança sa proclamation d’érection nouvelle de cette paroisse avec les délimitations suivantes :

« Une étendue de territoire d’environ six milles de front par la profondeur qu’il peut y avoir entre le lac Saint-Pierre et les paroisses de Saint-Sévère et de Saint-Barnabé, bornée du côté nord-est par la paroisse de la Visitation-de-la-Pointe-du-Lac, érigée par un décret canonique en date du 20 septembre 1832 ; du côté sud-est par le lac Saint-Pierre ; du côté sud-ouest, partie par la seigneurie de Grandpré, et partie par la grande rivière du Loup ; et du côté nord-ouest par les paroisses Saint-Sévère et Saint-Barnabé. »

Ces limites sont encore les mêmes aujourd’hui, n’embrassant plus que les deux divisions du fief Grosbois, mais la partie donnée à Saint-Léon, à l’ouest de la grande rivière du Loup, et le bas du fief Gatineau, moins la partie incluse dans la paroisse de la Pointe-du-Lac.

Nous ne voulons pas entrer dans les détails de la grande chicane, M. l’abbé N. Caron les ayant suffisamment mis au jour dans son histoire d’Yamachiche de 1892, en publiant toutes les pièces importantes du procès émanant des autorités ecclésiastiques et civiles. Le changement de site d’une église paroissiale ne se fait jamais sans opposition et sans tiraillement dépassant toujours les bornes de la justice et de la calme raison. L’opposition d’Yamachiche paraît avoir surpassé les défauts de toutes les autres, et cependant, il n’y a pas eu d’apostasie bruyante et éclatante comme à Maskinongé, il y a peu d’années. C’était un désordre regrettable à tous les points de vue, mais finalement la prudence, la mansuétude et la fermeté de l’évêque en ont eu raison.

Cependant, afin de faire connaître le tribunal civil qui a jugé la cause du litige entre les habitants d’Yamachiche à propos de ce changement de site, nous traduisons du registre de la cour d’appel les entrées suivantes :



Deux jugements favorables au choix de l’évêque.

Mardi, 1er mars 1785.


Présents,

L’honorable Henry Hamilton, Esq., Lieutenant-gouverneur, Président ; Hugh Finlay, George Pawnall, Fleury Caldwell, Edward Harrison, J. G. D. Delery, Paul R. de St. Ours, John Collins, Conrad Gugy, François Baby, Adam Mabane, Picoté de Bellestre, Samuel Holland, Esqr.


Joseph Carbonneau et

François Lavergne,
Appelants.


Les habitants de

Yamachiche,
Répondants.


La cour ayant examiné le record et les procédures aussi bien que le jugement rendu dans cette cause, et ayant parfaitement compris les raisons de l’appel et les réponses qu’on y a faites, et entendu les allégations des parties par leurs avocats respectifs ; il est décidé que le jugement de la cour des plaids communs soit renversé, et en rendant le jugement que la cour inférieure aurait dû donner en premier lieu, il est aussi décidé que l’église en question de la paroisse d’Yamachiche soit construite sur un certain lot de terre appartenant à un nommé Lacoste (il faudrait dire Lacerte) désigné par le grand-vicaire dans son décret du 6 mars 1784, avec l’approbation de son supérieur ; et que les matériaux de construction pour la dite église soient transportés du lieu où ils sont maintenant au dit terrain, aux frais de tous les habitants de la dite paroisse ; il est de plus considéré juste que les frais de la poursuite soient également partagés entre les dites parties, tant ceux encourus devant la cour inférieure que ceux de la poursuite en appel.

Voici l’état des voix sur la proposition de ce jugement :

Pour confirmer le jugement de la cour inférieure, M. Finlay a voté seul.

Pour le renverser ont voté :

MM. Holland, Baby, de St. Ours,
Caldwell, Bellestre, Gugy,
Delery, Pawnall, Mabane,
Collins, Harrison,
et le lieutenant-gouverneur, 12.

MM. Gugy, Collins, Harrison et Finlay se sont opposés à la division des frais, et Mabane s’est retiré du banc.

Les parties se trouvant en désaccord, il fut résolu, sur motion de M. Gray, agissant pour le solliciteur général, que cette cause soit entendue, mardi prochain.

Ajourné à mardi, le 8 mars courant.

Adam Lymburner, Mathew
Lymburner et autres pour
les appelants.
Jenkin Williams, Esq.,
solliciteur général, pour les
répondants.
Lundi, 5 novembre 1787.

Présents, par suite d’un ajournement :

L’honorable William Smith, Esq., juge en chef, Président, Hugli Finlay, George Pawnall, François Baby, Edward Harrison, William Grant, Comte Dupré, J. G. C. Delery,

Joseph Carbonneau et autres
syndics nommés pour surveiller
la construction de
l’église paroissiale d’Yamachiche,
et François Lavergne
et autres marguilliers
élus pour la dite paroisse,
Appelants
et
Pierre Duchêne, alias LeSieur
et autres,
Répondants.

Cette cause est soumise pour audition.

Le record et la procédure de la cour inférieure sont lus, ainsi que les raisons de l’appel et les réponses à y-celles.

Les avocats des parties firent valoir leurs arguments sur lesquels le jugement suivant fut prononcé :

Les parties ayant été pleinement entendues, il est, après délibération de cette cour, adjugé que le jugement de la cour inférieure soit renversé avec frais en faveur des appelants, à être taxés par l’un des juges de cette cour.

La législature seule ayant, en vertu du statut communément nommé l’acte de Québec, l’autorité de diviser les paroisses et de prélever des fonds, dans les cas contestés, relativement à la construction et à la réparation des édifices du culte religieux dans icelle.

N. B. MM. Delery et Dupré se sont retirés avant que ce jugement fût prononcé.

Ajourné au 1er lundi après la fin du terme de la cour du Banc du Boi.


Voilà tout ce que contient le registre de la cour d’appel, au sujet de cette grande affaire d’Yamachiche.

On remarquera que M. Conrad Gugy, seigneur de Grosbois-Ouest, était sur le banc des juges, le 1er mars 1785, quand le premier jugement fut rendu. Il est permis de croire que sa connaissance des lieux et son influence personnelle ont pesé d’un grand poids dans la balance de la justice, en faveur de la petite rivière.

Il est probable que c’est la dernière fois que M. Gugy a pris place à ce tribunal, étant mort au commencement de janvier 1786. Nous n’avons pas vu son nom dans le registre après le 1er mars 1785.

L’abandon de leurs sièges par MM. Delery et Dupré, avant que ce dernier jugement fût prononcé, était peut-être motivé par la déclaration de la fin, affirmant que la législature seule a le droit de diviser les paroisses et d’autoriser le prélèvement de fonds pour la réparation et la construction des églises. Au moins M. Delery avait voté pour le transport de l’église à la petite rivière, le 1er mars 1785.

Depuis ce temps, la paroisse d’Yamachiche a pris rang parmi les plus paisibles, les plus dévoués aux intérêts de l’Église, les plus fidèles à sanctifier les dimanches et fêtes d’obligation, à suivre attentivement les prescriptions et recommandations des Supérieurs ecclésiastiques. Les paroissiens qui le pouvaient, se plaisaient à contribuer à la décoration de l’église et des autels à toutes les grandes fêtes de l’année, et à faire honorer de toutes manières la sainte et puissante patronne d’Yamachiche, la bonne sainte Anne. Elle était mise au nombre des plus florissantes paroisses au nord du St-Laurent.

Quand Mgr J.-N. Provencher fut nommé évêque de Juliopolis en 1820, pour aller fonder, l’église du Nord-Ouest (à la Rivière-Rouge), il était tout à fait sans moyens. Il reçut ses bulles, les mit sous clef, et avant de se faire consacrer, il desservit la paroisse d’Yamachiche comme curé durant les années 1821-22, pour employer les revenus de cette cure à la fondation de son diocèse. Ainsi les habitants d’Yamachiche ont contribué les premiers à l’établissement du diocèse de St-Boniface de Manitoba. C’est un honneur et un bien dont ils ont droit de se glorifier autant que d’avoir eu pour curé, pendant deux années, un évêque incognito d’une aussi grande, belle et sainte renommée. C’est peut-être assez pour faire oublier et pardonner toutes les chicaneries du passé. En effet, Dieu semble avoir prodigué ses bénédictions à cette paroisse par la succession de ses curés, qui n’ont pas eu de peine à maintenir le bon accord et l’esprit de foi dans la population. Comment la foi pourrait-elle diminuer dans une paroisse dont sainte Anne est la patronne et ou elle manifeste si souvent sa puissance et sa bonté en répandant les grâces qu’elle reçoit de Dieu sur des pèlerins malades ou infirmes prosternés devant sa statue pour implorer sa protection ? Que de guérisons étonnantes ont été enregistrées, et que d’autres grâces moins étonnantes peut-être mais non moins réelles, ont été obtenues par l’intercession de cette Grande Thaumaturge.

Résumons cet article ;

Avant l’érection civile de la paroisse, il y avait sur le domaine seigneurial à la grande rivière, une église en bois dédiée à sainte Anne de trente pieds de longueur.

Nous n’avons pas la date précise de l’érection de cette première église en bois, mais on peut croire qu’elle a été construite après 1715. Elle était sur le domaine du co-seigneur Julien LeSieur, et celui-ci étant mort en 1715, fut inhumé à la Rivière-du-Loup.

Si le cimetière et l’église Ste-Anne avaient existé dans ce temps-là, on aurait sans doute conservé ses restes dans son propre fief, sur son domaine.

En 1724 une église construite en pierre sur le même local, fut ouverte au culte comme église paroissiale de Ste-Anne d’Yamachiche. Elle était alors sous la direction du Père Augustin Quintal. Cette église fut détruite par la foudre en 1780.

Pendant les sept années de discorde dont nous venons de parler, le service divin se faisait à la grande rivière, dans une chapelle temporaire fermée par autorité en 1788.

Les offices publics commencèrent alors à être célébrés à la petite rivière, aussi dans une chapelle temporaire attenant au presbytère nouvellement construit, en attendant la construction de l’église en pierre dont les fondations étaient déjà jetées à l’endroit précis où se trouve aujourd’hui le cimetière. Cette seconde église en pierre subit, vers 1830, une restauration considérable pour sa solidité et son embellissement, avec une addition de deux tours qui lui donnaient un aspect plus imposant. Elle fut habillée de neuf presque complètement et resta en usage jusqu’en 1873, quand elle fut jugée trop vieille pour le service, et remplacée par la nouvelle église, chef-d’œuvre de M. le curé Dorion, dont les goûts artistiques étaient d’un ordre supérieur en fait de peinture et d’architecture. Elle fut encore utile à la paroisse, avant sa démolition complète. M. l’abbé Caron nous permettra sans doute d’emprunter à son histoire d’Yamachiche le récit de ce fait et de quelques autres qui le suivent :

« On était entré dans la nouvelle église le 18 janvier 1873, et l’ancienne, privée de ses tours, dépouillée de ses autels, allait rester triste et silencieuse. Un malheur lui donna l’occasion d’être utile.

« La veille de Noël de l’an 1872, entre trois et quatre heures de l’après-midi, par un froid de 26 degrés de Réaumur, le feu prit accidentellement à l’école des Frères, et l’édifice fut entièrement consumé. On sauva ce que l’on put des meubles, des livres et du linge ; mais beaucoup d’effets furent dévorés par les flammes, en même temps que l’édifice. Le tocsin annonça la funeste nouvelle ; on accourut de toute part. Les élèves dont les parents n’étaient pas éloignés retournèrent immédiatement dans leurs familles ; les autres furent reçus dans différentes maisons du village ; les Frères trouvèrent un asile au presbytère.

« Que faire après un pareil malheur ? Fallait-il laisser les élèves se disperser aux quatre vents du ciel ? Monsieur le curé ne voulut pas qu’il en fût ainsi ; il fit élever une cloison dans la vieille église, et transforma le chœur et les transepts en école. Ne semble-t-il pas voir ici une véritable aïeule, qui, après avoir été tout dans la famille, voit une autre plus jeune et plus forte prendre sa place, et ne pouvant plus remplir les devoirs importants d’autrefois, réduit ses fonctions à prendre soin des petits enfants. L’ancienne église ne pouvait plus recevoir les foules dans ses nefs, elle recevait avec amour sous ses vieilles voûtes les jeunes enfants de la paroisse.

« Par les soins actifs du Dr L.-L. L. Desaulniers, l’école des Frères sortit bientôt de ses ruines et put recevoir les élèves à l’automne de 1873. On a beaucoup remarqué que cet accident fut comme un signal de progrès pour l’école d’Yamachiche. Afin de répondre au nombre toujours croissant des élèves, on fut obligé d’ajouter des ailes au premier bâtiment, et l’école devint ainsi le bel et grand édifice que l’on voit aujourd’hui.

« M. Dorion avait d’autres projets en tête, et ces projets, le temps paraissait enfin venu de les mettre à exécution. Les sœurs de la Providence étaient venues fonder à Yamachiche, en 1871, un hospice ou elles recevaient les orphelins, les vieillards et les infirmes. Cet hospice avait été doté par feu madame Charland, seigneuresse de Grosbois, et par madame Pierre Pellerin, qui a pris sa pension chez les sœurs elles-mêmes. On avait commencé l’œuvre d’une manière bien humble, en se plaçant dans une petite maison en bois, demeure de madame Pellerin. Cette maison était confortable pour un particulier, mais n’avait pas du tout les proportions d’un hospice. Il fallait donc élever aux sœurs de la Providence une maison plus vaste, et il fallait aussi leur trouver un terrain convenable. De là les divers projets de M. Dorion.

« Pour le terrain, voici ce qu’il méditait : il possédait de l’autre côté de la rivière une pointe de terre qui s’avançait considérablement vers le village, tout à côté du cimetière. Il voulut la relier au terrain de l’église, en détournant la rivière de son ancien lit et en coupant la pointe de terre. Cette œuvre fut exécutée, mais on y trouva des difficultés qu’on ne soupçonnait pas. Quant à l’ancien lit de la rivière, il n’y en a qu’une partie de remplie. On ne le remplira complètement qu’avec le temps, car c’est une entreprise très coûteuse.

« La construction de l’asile de la Providence occupa longtemps M. Dorion. Il fit lui-même tous les plans de l’extérieur et de l’intérieur, et il inventa pour les murs un nouveau mode de construction en planche et béton. Il voulut prendre un brevet d’inventeur, mais il apprit avec étonnement qu’il avait été devancé et qu’un autre possédait déjà ce brevet. Alors il imagina un autre mode et obtint son brevet.

« Les murs de la vieille église furent démolis ; une partie de la pierre servit aux fondations de l’hospice, et les débris de mortier furent jetés dans l’ancien lit de la rivière. Quant à la couverture, comme elle était en fer-blanc d’une qualité qu’on ne peut plus se procurer aujourd’hui, M. Dorion voulut la conserver à tout prix : il la fit enlever par grandes travées et placer sur l’hospice. C’est pour cela que vous trouverez sur cet édifice un toit si aigu et si élevé. L’extérieur et l’intérieur de l’hospice d’Yamachiche sont d’une forme étrange qu’on ne trouve nulle part ailleurs. M. Dorion a voulu, dans cette construction, concilier deux choses qui paraissent se repousser : avoir des salles spacieuses et n’être jamais obligé de marcher beaucoup pour se transporter d’une salle à l’autre. Nous croyons qu’il a réussi à concilier ces deux choses. »

M. Dorion avait l’avantage d’avoir dans sa paroisse des constructeurs habiles et de grande expérience pour exécuter ses plans, les messieurs Héroux, bien et favorablement connus dans tout le Canada et aux États-Unis.

Pour les lecteurs de 25 à 30 ans ce que nous venons de dire est déjà de l’histoire ancienne, tandis que, pour nous, le souvenir de la chère vieille église de M. Dumoulin est encore tout frais dans notre mémoire. M. Dumoulin avait installé dans sa paroisse, près de l’église et de son presbytère, deux institutions enseignantes, les Frères des écoles chrétiennes et les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal. Toutes les deux ont produit tout le bien qu’en attendait cet ami de l’instruction et de l’éducation.

Le couvent d’Yamachiche a déjà fourni un contingent considérable de bons sujets à la maison mère. Plusieurs des sœurs venues de ce couvent sont déjà mises au nombre des anciennes. M. Dorion, tout en favorisant le développement de ces deux maisons, en installa une troisième, les sœurs de la Providence vouées au service des malades, des infirmes, des vieillards, etc., œuvre de sainte charité.

Ces institutions importantes autour de la remarquable église, donnent à Yamachiche l’apparence d’une opulente petite ville.

Nous terminons par la liste des


desservants et curés en charge depuis l’érection de la paroisse.


Chérubin Deniau
Récollet
1722
Augustin Quintal
Rec"llet.
1724
Salvien Boucher
Rec"llet.
1728
Jean-Baptiste Lajus
Rec"llet.
1734
Mathurin Gasnault
Ptre SS.
1734
Jean Matis
Rec"llet.
1735
Chas Pocqueleau
Récollet
1735
Jacques Chefdeville
1er curé en charge
1741 à 1778
Pierre St-Onge, V. G., Trois-Rivières, et Dominique Petrimoulx, ptre, de la Rivière-du-Loup
1778
Laurent-Jos Bertrand
curé----
1779-86
J.-B. Griault
cu"-----
1786-88
Thomas Kimber
cu"-----
1788-1801
Chs Écuyer
cu"-----
1801-20
Noël-Laurent Amiot
cu"-----
1820
Jos.-Norbert Provencher, alors évêque de Juliopolis
1820-22
Pierre Viau
curé----
1822-25
Sévère-Nicolas Dumoulin
cu"-----
1825-53
Chs Écuyer
cu"-----
1853-89
J.-B. Comeau
cu"-----
1889


Avant qu’il y eût des notaires résidant dans les campagnes, paroisses ou villages, les curés ou missionnaires étaient autorisés à rédiger les contrats de mariage. Ils les remettaient aussitôt que possible entre les mains d’un notaire de la ville la plus proche, qui leur donnait la confirmation en les déposant comme minute dans son greffe.

Nous publions ici l’un de ces actes fait par M. Chefdeville, missionnaire. C’était le premier prêtre résidant à Yamachiche, préparant au mariage Jean-Baptiste Bellemare, le second enfant baptisé dans cette paroisse le 3 mars 1705.


Conventions matrimoniales entre Jean-Baptiste Gelinas-Bellemare et Marie-Françoise LeSieur Desaulniers.

Par devant nous prêtre missionnaire, faisant les fonctions curiales en la paroisse de Ste-Anne de Machiche, soussigné, sont comparus en leurs personnes Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare, fils de feu Jean-Baptiste Gelinas et de Marie-Jeanne Boissonneau, ses père et mère, de la paroisse de Ste-Anne d’Yamachiche, d’une part, et Marie-Françoise LeSieur, fille de Jean-Baptiste LeSieur et d’Élisabeth Rivard, ses père et mère, aussi de la même paroisse de Machiche, d’autre part ; lesquels Jean-Baptiste Bellemare et Marie-Françoise LeSieur Desaunier, avec le consentement chacun de leurs parents, ont fait, en présence des témoins cy-bas nommés, les conventions de mariage qui ensuivent ; c’est à scavoir que le dit Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare promet de son plein gré, franche et libre volonté, sans nulle contrainte prendre pour sa femme et légitime épouse Marie-Françoise LeSieur, et, réciproquement, la dite Françoise LeSieur promet prendre de son bon gré et volonté, sans nulle contrainte, le dit Jean-Baptiste Bellemare, pour son légitime époux, pour être un et communs en tous biens meubles et immeubles, acquêts, conquets généralement quelconques ; et pour la bonne amitié qu’ils se portent l’un à l’autre, et qu’ils espèrent, Dieu aidant, continuer toute leur vie, ils se sont fait et font en cas de mort, par les présentes entre vifs donation égale et réciproque de tous les biens, meubles et immeubles, tant de propres que d’acquêts et conquets, qui se trouveront être et appartenir au premier mourant d’eux, ce acceptant, au jour de son décès, pour d’y-ceux jouir, faire et disposer par le survivant, sans être troublé ny inquiété par les parents du premier mourant, pour quelque raison que ce soit ; le préciput sera réciproque de la somme de cent cinquante livres, et le douaire dont la dite future épouse est avantagée par son dit futur époux est de la somme de trois cent livres, qui sera pris sur le plus solide du bien, jusqu’à ce qu’il soit remply, supposé que les meubles ne suffisent pas. En foi de quoi nous avons signé les présentes, n’y ayant point de notaire sur les lieux pour en passer acte, en forme de confirmation par devant notaire au premier jour de commodité ; fait et passé à Machiche, le vingt-deuxième jour de may, mil sept cent quarante-six, présence de Julien Rivard, témoin pour le garçon, de Jacques Bourgainville, fils, aussi témoin du garçon, et de Jean-Baptiste LeMaitre, témoin de la fille, et de Charles Bellemare aussi témoin de l’épouse, lesquels ont déclaré ne sçavoir signer, de ce enquis suivant l’Ordonnance ; ainsi signé à la minute.

Chefdeville, prêtre.

« Déposé, étude du notaire, par Jean-Baptiste Gelinas déposant en présence de François Duchesney et Pierre Rigaut, huissier au conseil Supérieur de Québec ; témoins résidant à Maskinongé, aux Trois Rivières, étude du notaire soussigné, le dix-huit juin, mil sept cent quarante-six, avant midy, et ont les dits témoins signé avec le dit notaire, le déposant ayant déclaré ne sçavoir signer, de ce enquis, lecture faite suivant l’Ordonnance. »

(Signé)xxxxxxx Duchesnay,
Rigault,
Pillard, Notaire Royal.