Les deux Racine de M. Faguet

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LES DEUX RACINE DE M. FAGUET




REPONSE DE M. MASSON-FORESTIER[1]




« Quiconque croira jamais avoir quelque chose d’un peu nouveau ou d’un peu particulier sur Racine n’aura pas le droit de le garder pour lui : il le devra à tous. » (SAINTE-BEUVE, Nouveaux Lundis.) Descendant de Racine, détenteur de certains documens, j’ai cru bon de publier mon livre, au moment où les Universités allemandes prétendent revendiquer ce prodigieux génie.

Je crois que le public acquerra la conviction : que Racine ne doit rien à Port-Royal, qu’il est très simple, — et plus beau que ne le disaient certains ; qu’il est bien Français.

D’ailleurs ne fallait-il pas commenter la découverte de ce beau portrait qui nous restitue, — enfin, — le visage saisissant de l’auteur de Phèdre ?

Ce « Racine ignoré, » s’il n’apporte rien de sérieux, que la critique fasse le silence sur lui ! S’il dit mal les choses, reprochez-lui son style ! S’il recèle des erreurs, rectifiez-les. Mais, semble-t-il, une seule question devrait dominer le débat : faut-il se féliciter de le voir apporter de nouveaux documens et de nouvelles idées ? À cette question, M. Lanson, malgré nombre de réserves sur l’ouvrage, a répondu : « D’abord, j’aime les livres de conviction fougueuse qui dérangent les opinions assises… Et je doute qu’aucun lecteur de ce livre, s’il réfléchit, hésite à retoucher un peu l’image qu’il se faisait auparavant de Racine.

« Nous avons la révélation d’un admirable portrait… Puis on a raison de nous rappeler qu’il y a chez Racine, comme chez tous les hommes, une hérédité… orientée de bonne heure par le milieu local et familial… Il est possible que les deux familles, qui s’installent à la Ferté-Milon à peu près en même temps, s’opposent par leur origine et par leur caractère : les Racine, race urbaine d’artisans et de gens de loi, réguliers, doux, têtus… ; les Sconin, famille de petits seigneurs ruraux, plus violens et plus désordonnés, ambitieux dans la dévotion, plus prélats que saints… »

Alors, qu’importe que l’auteur n’eût point tous les titres d’un docteur en Sorbonne ?… Et de quel droit lui reprocher de ne pas avoir, au fond de l’âme, une tendresse profonde pour Racine ? Voilà pourtant les deux gros griefs de M. Faguet.


* * *

Précisons ! J’écris à titre de descendant du poète, qualité que j’ai bien, mais à laquelle M. Faguet, — je ne sais de quel droit, — a cru pouvoir substituer celle de « romancier. » Comment ? c’est ici, à la Revue des Deux Mondes, que moi, son collaborateur durant dix ans (1893-1903), je suis obligé de justifier que je n’ai jamais écrit de romans, et seulement de rares et courts récits de la vie maritime, de la vie d’affaires ?

J’écris ce livre grâce à certains documens, grâce aussi au généreux concours de vieux raciniens qui m’ont fait don du fruit de leurs labeurs. Ainsi, je suis arrivé à cette conviction que les ennemis de Racine s’appellent son fils Louis et Port-Royal. L’idée que j’apporte, — et qui (la critique vient de le dire) se trouve en germe dans Brunetière, surtout dans Jules Lemaître, — est que Racine est tout en passions et tout en aspirations vers le beau. Je crois que c’est un beau païen, et il me semble que nul ne vit plus juste que Sarcey, le jour où il affirma que, chez Racine, sous la phrase, vivent des hommes qui ne sont ni de son siècle, ni de son pays, ni même chrétiens, — mais l’homme éternel.

Et, parce que je veux retirer Racine des caveaux de ce Port-Royal où Louis l’a enfoui, faire éclater à tous les yeux sa splendide beauté, on raconte que je veux qu’il inspire répulsion. Répulsion ? Mais pourquoi ? Dans quel but ?

Il n’est pas exact que j’aie dit que Racine fut un scélérat et un « apache. » Loin de là ! Même j’ai prouvé que Racine n’avait point sur la conscience les crimes dont il fut accusé. Mais… j’ai prévenu les lecteurs que ceux d’entre eux qui voulaient absolument voir en Racine un vertueux feraient bien de ne pas aller plus avant dans ce livre… Seulement, depuis quand les hauts génies de l’humanité sont-ils astreints à nous édifier par leur moralité ? Lamartine a déclaré que le génie tenait lieu de vertu !

Au surplus, voici les dernières pages du livre : cherchez-y l’apache que M. Faguet vous a annoncé.

« En terminant, montrons que ce prodigieux génie, — difficile à pénétrer tant il est loin de notre douce mentalité française, — dirigea sa vie avec un art infini.

« Il a trois adversaires : le public, la Cour, le Roi.

« Le public, c’est Paris, dont le « cerveau a changé depuis Corneille » (J. Lemaître), Paris, assez routinier, délicat, répugnant aux violences ; un sceptique souriant qui, ’ s’amusant de riens bien présentés, a peine à s’éprendre de qualités fortes, même les gouaille s’il les rencontre.

« La Cour, avec ces gentilshommes qui, hier encore, étaient à l’action, est remplie d’êtres sanguins, passionnés pour ce qui touche leur orgueil. Les luttes d’âme d’un être humain ne les intéressent qu’à proportion de son rang.

« Le Roi, c’est lui, lui surtout, qu’il faut gagner. La naissance est beaucoup, la faveur davantage. Elle peut tout. Il faut donc que Racine lance à Paris une œuvre que le Roi voudra connaître, et où, tout de suite, il flairera en l’auteur un complaisant précieux… De plus, le Roi, en littérature, voudrait un genre nouveau qu’on croirait inspiré par lui et différent de celui, démodé déjà, qu’a fait triompher le vieux Corneille.

« Eh bien, pour gagner le monarque, Racine ne fera jamais agir que des personnages du plus haut rang, justifiant ainsi, sans qu’il y paraisse, toutes les fantaisies d’êtres revêtus de la dignité souveraine.

« Pour les grands, il marquera que tout doit plier devant des considérations de rang. Il magnifiera des diamans de sa poésie un simple préjugé de caste. Les beaux animaux, « fauves de ménagerie » (J. Lemaître) qu’il mettra à la scène, n’auront ainsi, pour conscience, qu’une extrême « sensibilité » à leur rang.

« Quant au public, pour lui, — qui, seul, est très français, — il y aura, éparse sur l’œuvre une subtile douceur, une tendre réserve : « Ah ! qu’en termes galans ces choses-là sont dites ! » Seuls, parmi les spectateurs, ceux-là seront, quand même, heurtés qui auront surpris le furtif geste, — atroce souvent, — ajouté en secret au texte, et qui va restituer à l’acte toute sa sauvage animalité. Mais ceux qui ignorent que Racine n’est pas tout entier dans son texte, peuvent s’y méprendre.

« En sorte que, si Racine, vraiment, n’a jamais cherché que l’art, il devient très facile à comprendre ; et l’unique sentiment que nous lui devons garder est celui d’une infinie gratitude. »

Alors, quel crime ai-je pu commettre si Racine n’a rien perdu de sa pureté esthétique et semble beaucoup plus simple ?

Qu’il y ait, en un aussi gros livre, des détails erronés, mais c’est humain ! Indiquez-les-moi, et la prochaine édition les aura rectifiés.


* * *

Mais oui, monsieur Faguet, il y a encore des écrivains qui rectifient leurs erreurs !

À ce propos, est-ce que vous ne m’auriez pas fait expier, l’autre jour, la maladresse avec laquelle, il y a douze ans, je vous signalai, candidement, une grosse erreur dans votre Flaubert ?…

Vous commenciez par la description des parens de l’écrivain que vous disiez très différens l’un de l’autre : sang normand et sang champenois.

La mère étant normande, vous l’aperçûtes sous les traits mêmes de Flaubert : forte stature, les yeux bleus, les cheveux blonds, un caractère véhément. Le génie de Flaubert, c’était sa mère et les ancêtres Scandinaves de celle-ci : tous Vikings. (Vous l’avez dit, page 6.)

Hélas ! trois fois hélas !… Bientôt une petite lettre vous arrivait de Rouen, écrite par quelqu’un… que je sais… Flaubert et sa mère ne se ressemblaient en rien. En revanche, Gustave était le portrait vivant de son père, — tout Champenois que fût ce père. Vous m’avez d’abord remercié, — pour la forme. Pour la forme aussi, vous m’avez dit que vous alliez rectifier chez l’éditeur. Mais certaine remarque amère de votre lettre sur les innéités différentes, source d’ennui pour la critique, me laissa rêveur…

Eh bien ! en 1911 vous n’avez pas encore rectifié ; et la douce et brune Mme Flaubert mère, toujours, symbolise, dans votre livre, les farouches Vikings à moustache blonde ! Vous vous en êtes tiré en décrétant que, désormais, les grands hommes qui s’aviseraient de se présenter avec un père et une mère très différens, seraient déclarés neutres, et leur âme qualifiée d’« âme du premier venu. »

Comme vous aviez déjà portraituré Chénier, Dumas père, Balzac, Heredia, Flaubert, Maupassant, ils ont, eux, gardé une innéité ; mais le pauvre Racine arrivant bon dernier en 1910 vous lui avez dit des choses pénibles : « Vous êtes neutre, Racine… Vous avez l’âme du premier venu (p. 917). »


* * *

Après Racine, ce fut mon tour.

— Comment, monsieur, de ce neutre, vous prétendez faire un beau tigre !… Eh bien ! je vais en dégoûter le lecteur, de votre tigre. Je vais lui raconter que vous répétez cent fois : « Racine est un tigre. »

Or je ne l’avais pas dit une seule fois, — mais je louais Leconte de Liste de l’avoir dit, et Jules Lemaître d’en avoir été bien près (avec son « Racine féroce »).

Ah ! Jules Lemaître, comme il connaît Racine !… Il sait que Phèdre (acte IV, sc. 6), folle d’amour pour cet Hippolyte qui l’épouvante, dit : « Hippolyte… ce tigre ! (Monsieur Faguet, je vous en prie, lisez Phèdre ! )

Cent tigres !… C’est bien encombrant, et je cherchais à me défaire de cette ménagerie, quand un délicieux article paru au Figaro, sous la signature de Mme Gérard d’Houville, m’a fait prendre patience. En voici quelques bribes : « Mais l’avions-nous attendu, le livre de M. Masson-Forestier sur Racine, pour trouver de la férocité à ce poète incomparable ?

« Anatole France et Leconte de Lisle lui en avaient toujours trouvé : Jules Lemaître se méfiait… Moi… j’ai compris qu’il était terrible… divinement !… Et tendre aussi. Rien ne va mieux avec la douceur et la tendresse que la plus perfide férocité.

« Ah !… Racine, la cruauté de son imagination et son cœur est la cruauté même de l’amour, et il semble n’avoir écrit qu’avec des flèches.

« Vous êtes-vous amusés à lire, l’une après l’autre, les deux Bérénice ?… Racine, c’est peut-être là que se livre le plus son âme vindicative. Il aime voir souffrir… Corneille aboie rudement, comme un brave chien, contre l’amour traître ; Racine, avec la grâce redoutable des tigres, l’atteint en quelques bonds sournois, se joue de sa faiblesse, et, tout vivant, le dévore[2] ! »


* * *

Après Racine, après moi, ce fut le tour d’une grande dame russe, qui acquit une réputation de graphologue émérite, le jour où, s’installant de longs mois à Weimar, elle eut scruté l’écriture de Goethe à tous les âges. Sait-on que, aux yeux de nombre d’Allemands, Gœthe semble aujourd’hui fixé sous les traits mêmes du portrait que la baronne de Ungern-Sternberg en a tracé ? (M. Faguet a démoli ce nom ! )

Eh bien ! un diplomate français lui fit parvenir une des lettres que je possède, la lettre du Manchon, écrite par Racine lors de sa sortie d’Harcourt. — Qu’est ce jeune homme ? La réponse fut extrêmement curieuse. Ne voulant pas l’insérer dans mon texte, je la reléguai en un coin du livre. M. Faguet, — qui, paraît-il, préside un groupe de graphologues sorbonniens, — étudia avec eux, non la lettre même, mais le cliché imprimé de la photographie que le livre a reproduit. Alors, lutte de graphologues ! On dirait que, comme les augures, ils ne se peuvent regarder sans rire… Toujours est-il que le portrait de Racine par la section de graphologues de la Sorbonne est bien piquant.

Ce portrait rival éreinte le portrait de la grande dame russe. Et savez-vous ce qu’il lui reproche ? De n’avoir pas vu en Racine les magnifiques qualités que ses œuvres révélèrent… plus tard ! M. Faguet a cru que c’était là l’écriture de Racine homme fait. C’était d’un collégien !

Mais là où M. Faguet est le plus savoureux, c’est comme psychologue. Lui et son groupe, à certains aspects de l’écriture de Racine, déclarent qu’il est caustique, mais n’a pas l’esprit de contradiction. Or le dictionnaire d’Hatzfeld nous montre que tout homme caustique est, par cela même, un contradicteur ironique et agressif.

Maintenant, M. Faguet m’accuse d’altérer les textes, — pas en Racine : en Faguet !

Voici son accusation. Ayant aux mains une lettre de lui du 1er mai 1909, où il me parle du portrait, du fameux portrait de Langres, je rêvais de faire dire à un grand écrivain comme lui que ce portrait amènerait une révolution dans Racine ; j’ai donc altéré le texte de M. Faguet, et (alors que son opinion était très calme) je lui fais dire : « Ce portrait contient peut-être une révolution dans Racine. » Eh bien, monsieur, me dit-il, vous altérez mon texte ! »

La plaisanterie est un peu forte !… Dans sa lettre, M. Faguet se déclare prêt à voir le portrait !… Et voilà la lettre où j’altère l’opinion de M. Faguet sur ce portrait qu’il n’a pas vu !

Il est choqué aussi du mot dans… Dans n’est pas français en ce sens !… Si vous voulez, monsieur Faguet ! mais allez donc dire cela à J.-J. Weiss, qui souhaite « de nouveaux chemins dans Racine ; » allez le dire aussi à Voltaire, auteur d’une lettre du 7 décembre 1772, où ce dans figure !


* * *

Et voici que, mis ainsi en appétit, M. Faguet va prendre des libertés telles que je suis obligé de les signaler, — même à ses confrères de l’Académie.

J’avais applaudi à une idée de Sarcey sur Andromaque, laquelle, très simple comme tout héros de Racine, n’a qu’une passion, — son fils. Elle se doit toute à son fils. Elle ne veut pas se remarier, à cause de cela, et non à cause de la passion (qui la dévorerait encore) pour son pauvre Hector.

Eh bien, afin de me rendre ridicule (Si ce n’est pas pour cela, qu’on me dise pourquoi ! ) M. Faguet met dans ma bouche l’idée de Sarcey, mais transformée ainsi :

Texte véritable de « Racine ignoré » (p. 353).

« Nous n’avons pas chez Andromaque d’actes tels que, pour nous devenir intelligibles, ils exigent de n’être motivés QUE par une passion pour son « cher défunt. »

Texte altéré (p. 910 de l’article de la Revue des Deux Mondes).

« Nous n’avons pas chez Andromaque d’actes tels que…

ils exigent de n’être motivés que par LA COMPASSION pour son cher défunt. »
* * *

Les débris de « Autour d’un Racine ignoré » jonchent le sol. Que va faire M. Faguet ?…

Vous croyez qu’il va dire que, puisque ce livre ne change rien en Racine, vous devez continuer à chercher le vrai Racine dans tel auteur connu, comme Jules Lemaître ? Non.

Croyez-vous alors qu’il va rappeler qu’il a déjà beaucoup écrit à propos de Racine, de sorte que ses livres, à la rigueur, pourraient vous suffire ?… Pas du tout. Il dit qu’il va construire un Racine. Comment construire un Racine ?… Il n’en avait donc pas encore ?

Si !… Mais… il en prend… un second ! Et vous allez voir quelles nuances il y a entre les deux Racine de M. Faguet !

N° 1. (Ouvrages antérieurs de M. Faguet.)

Racine est si difficile qu’une vie entière passée au théâtre (M. Faguet est l’une des rares personnes ayant passé sa vie au théâtre) suffit à peine pour arriver à le comprendre. (Voyez l’apostrophe à Sarcey ; Propos littéraires.)

En 1677 (Phèdre) Racine, obéissant à des scrupules religieux, qu’il devait à Port-Royal, cédant sous le poids du remords de ses pièces coupables, quitta le théâtre et se convertit. (Voyez les ouvrages classiques de M. Faguet et son XVIIe siècle.)

N° 2. (La Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1910.) Racine est simple. Racine est même extrêmement simple… Racine a l’âme du premier venu.

En 1677 (Phèdre) Racine que Port-Royal n’inspirait pas, qui ne ressentait aucun remords, ne se convertit pas. Il écouta son intérêt en quittant le théâtre.

Monsieur Faguet ! deux questions : 1° Pourquoi ce Racine n° 2 est-il juste le contraire du Racine n° t que votre éditeur livre encore chaque jour aux lycéens et au public ?… 2° Pourquoi ce Racine n° 2 est-il identique en tous points à celui (de mon livre) que vous venez de briser en morceaux ?

Et que l’on ne croie pas que vous étiez en train d’évoluer, et que nous nous sommes rencontrés, par hasard, — car voici un fait significatif :

Il y a quelques mois, un professeur connu publia sur Renan un livre qui trouvait Renan faible historien et faible critique. Il citait comme exemples la Vie de Jésus et certaine vision de Racine.

Dans la Vie de Jésus, Renan avait qualifié preuves des demi-preuves. M. Faguet prit à partie le professeur (V. Revue, 1er mars 1910, Un réquisitoire contre Renan) : « Eh bien, monsieur, le talent de l’historien, dit très bien Renan, est de faire un ensemble vrai avec des faits QUI NE LE SONT QU’A DEMI. » ( ! )

Pour Racine, M. X… se plaignait que Renan le vît compliqué et multiple, alors que Racine est simple. M. Faguet de dire : « L’extrême simplicité de Racine !… Qui trompe-t-on ici, ou qui veut-on tromper ?… Simple !… A d’autres ! »

Et cependant, ici même, le 15 décembre 1910, M. Faguet, après avoir piétiné un livre qui s’attache à montrer la simplicité de Racine, dira : « — Racine… ? Eh… mon Dieu ! JE LE TROUVE très simple, extrêmement simple ! »

M. Faguet, qui trompe-t-on ici, où qui veut-on tromper ?


* * *

Selon lui, j’aurais dit de Racine : « Il fit un horrible mariage avec une idiote. » Or, si le lecteur veut bien se reporter page 421, il trouvera : « Racine épousa une femme dépourvue de talens de société, ne sachant rien, mais aimant son mari. »

Brunetière a émis cette opinion que la sensibilité dans la littérature et les mœurs au XVIIIe siècle est bien plus marquée qu’au xvii0. Je reproduis, en citant l’auteur, cette pensée presque banale. M. Faguet fond sur moi : « Vous oubliez M. Vincent ! » — Mon Dieu, monsieur Faguet, soit !… Brunetière oublia le grand littérateur qu’est M. Vincent !


* * *

Au fond de cette querelle qu’y a-t-il ? Est-ce vraiment Racine qu’on défend ?

Ne serait-ce point, plutôt, qu’on pressent vaguement que Racine va changer, — comme ont changé, depuis huit ans, Rabelais, Montaigne, La Bruyère, Fénelon et Pascal ? Alors… alors on retouche discrètement ce qu’on avait écrit… Voilà pourquoi l’attaque prend une allure si personnelle ; pourquoi elle vise bien plus l’auteur du livre nouveau sur Racine que le nouveau Racine évoqué par lui. Voilà pourquoi tant de morceaux de ce nouveau Racine se retrouvent, — comme par hasard, — chez les uns et chez les autres.

Eh bien ! prenez ce qui se trouve à votre goût, messieurs, — mais ne prenez plus rien à Brunetière !

Or, demain on s’apercevra que sa principale découverte en Racine, celle dont on l’a tant raillé jadis, était un trait de génie. Oui, Racine utilise, il ne crée pas. Ses chefs-d’œuvre sont justement celles de ses pièces où il a le plus utilisé et des auteurs anciens et des contemporains, qui avaient manqué leur tragédie : je le montrerai dans un prochain livre où je parlerai des sources d’ « Athalie. »

On verra apparaître, alors, un mystère du moyen âge joué à La Ferté-Milon par une troupe où figuraient des évêques (La Ferté n’était qu’un grand monastère ! ) puis en 1658 une tragédie de collège, Athalia, jouée à Paris, tandis que Racine était collégien à Harcourt.

Au surplus, bientôt il n’y aura plus à chercher Racine. Bientôt, cet homme, — si bien caché qu’il n’avait même pas de visage, — apparaîtra dans le splendide portrait de Langres : le Racine de Phèdre, un être cruellement beau, ravagé, douloureux. Il captivera alors tous les regards. Chacun interrogera cette image. Beaucoup sauront la pénétrer… Ce jour-là, Racine cessera d’être la propriété de quelques-uns.


MASSON-FORESTIER.


Je ne rentrerai pas dans ce débat qui n’a jamais beaucoup intéressé le public et qui ne l’intéresse plus du tout. Je n’entrerai pas, surtout, dans la discussion du présent article de M. Masson-Forestier, où j’avoue que, par ma faute certainement, la suite des idées m’échappe un peu. Je me contenterai, quand mon article sur Racine ignoré sera recueilli en volume, de le faire suivre du présent article de M. Masson-Forestier. Ce sera mon geste d’impartialité, où les méchans verront, bien à tort, une petite vengeance.


EMILE FAGUET.

  1. M. Masson-Forestier ayant invoqué la loi qui lui donne le droit de réponse à l’article de M. Faguet sur son livre : Racine ignoré, nous nous voyons obligés de reproduire sa réponse telle qu’il nous l’a envoyée. Nous l’avons communiquée à M. Faguet qui l’a fait suivre de quelques lignes.
  2. Bientôt je publierai le blason que s’était un jour composé Racine : deux tigres ! Et, dans son Esther, que de tigres !…