Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/25

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Depuis que les gouvernements, éclairés par les légistes, se sont affranchis des erreurs de l’Église et de ses exorbitantes prétentions sur la question du mariage et de ses empêchements, celle-ci ne cesse de gémir sur la perversité humaine, mais il suffit d’examiner quelles seraient les conséquences de l’acceptation de ses prétentions, pour voir d’un coup d’œil leur inadmissibilité radicale.

Il faudrait : 1o Réviser toutes les constitutions et la législation des états libres ;

2o Refondre les codes sur tout ce qui touche à la question du mariage ;

3o Enfin admettre le principe de l’inégalité des citoyens devant la loi civile.

Et tout cela pourquoi ? Parce que dans sa détermination de s’emparer de tout et de soumettre à l’Église le temporel comme le spirituel, le prêtre a voulu faire une question strictement religieuse de ce qui est une question essentiellement sociale et civile.

Sous le régime auquel l’Église voudrait faire revenir le monde, les attributions actuelles des cours civiles sur les questions matrimoniales passeraient nécessairement aux officialités, qu’il faudrait recréer puisque l’Église a eu la fantaisie de décider que « c’est un dogme de foi que les causes matrimoniales appartiennent aux juges ecclésiastiques ».

Or il est peut-être permis de prévoir que les officiaux du jour seraient tout aussi incompétents en loi, aussi avides et aussi rapaces que leurs prédécesseurs des siècles passés, qui ont laissé de si déplorables souvenirs.

Quant à refondre les codes au profit de l’Église les nations ne seront peut-être pas très disposées à retomber sous la férule ecclésiastique, si dure et si arrogante dans tous les temps.

Mais le pire côté d’un pareil retour au moyen âge serait que les catholiques ne jouiraient pas des mêmes droits que les autres citoyens. Tous ceux qui sont hors de l’Église — et qui ne s’en portent pas plus mal au point de vue de la moralité — seraient justiciables des seuls tribunaux, dont la protection serait déniée aux catholiques.

Mais même parmi ceux que l’on compte comme catholiques il y en a beaucoup qui ont cessé de croire ou de pratiquer et qui, quoique baptisés, ne voudraient pour rien au monde se soumettre au contrôle du prêtre. Va-t-on les obliger de l’accepter et les mettre en quelque sorte hors la loi parce qu’ils sont catholiques de nom sans l’être de fait ?

C’est évidemment là une impossibilité. On ne peut pas soumettre à la loi une partie des citoyens et en exempter l’autre. Ce serait introduire un principe anarchique dans le corps politique. Toute une classe de citoyens se moquerait de la loi. La haute compétence ecclésiastique ne voit aucun inconvénient à cela, mais les hommes qui comprennent l’organisation des sociétés politiques sont forcément d’un autre avis. Le prêtre, lui, ne voit, ne jure que par le principe de domination hiérarchique. Mais le législateur doit regarder au-delà de l’idée sectaire et il ne peut clairement livrer l’institution qui est la vraie base du corps social, et conséquemment de l’État qui en est l’expression, à un pouvoir que la constitution ne reconnaît pas.

De quel droit, par exemple, l’Église empêche-t-elle un catholique de se marier avec une protestante ou une israélite ? Si l’État sanctionnait ces singulières prétentions voilà de nombreux citoyens qui cesseraient d’être libres de se constituer une famille selon leurs goûts ou les situations particulières que leur font les circonstances. Comment la loi peut-elle admettre que la différence d’opinions religieuses soit un empêchement au mariage ? Elle ne s’occupe pas, ne peut pas s’occuper de la question de différence de culte car elle prendrait ainsi sur elle de décider qui est dans le vrai et qui est dans le faux, ce qui la conduirait, si elle était administrée par des fanatiques, à persécuter ceux qui pensent autrement qu’elle. La loi ne peut sous aucun prétexte s’arrêter aux considérations de salut des enfants dans l’autre monde, d’abord parce que l’Église ne peut pas lui garantir leur salut, en second lieu parce qu’elle se mettrait par là à la merci des ignorances du dernier vicaire de paroisse.[1]

Mais enfin il est vraiment temps que l’on cesse de regarder avec une défaveur quelconque celui qui ne pense pas comme nous en religion comme en quoi que ce soit. Il est temps que les hommes sensés fassent honte à l’Église de son étroit esprit d’exclusivisme, de la flétrissure inexcusable qu’elle continue d’infliger à ceux qui n’acceptent pas sa direction. Il est temps que l’autorité civile fasse comprendre au clergé qu’elle ne peut pas partager ses tendances sectaires et qu’elle peut encore moins les imposer à une partie de ses administrés. Il est temps que tous les hommes se considèrent comme frères à quelque culte qu’ils appartiennent. Il est temps que les catholiques cessent de regarder comme voués à l’enfer, et de mépriser en conséquence, ceux qui sont hors de leur église. Il serait temps surtout que la religion cessât d’être la plus féconde de toutes les causes de haine entre les hommes. Sans les sacerdoces il n’y aurait jamais eu de guerres religieuses. Toutes les religions ont du bon comme toutes ont du mauvais quand ceux qui les administrent ont l’esprit borné par le fanatisme. Dans ce cas, leur pire côté est l’esprit sectaire qu’elles inspirent toutes à leurs adeptes. Le véritable esprit religieux c’est l’amour des hommes, le bon vouloir envers tous. Ne faire de mal à personne et faire le plus de bien que l’on peut, voilà l’homme de bonne volonté par excellence. Mais les sacerdoces n’ont jamais su prêcher que la haine du dissident qu’il faut massacrer quand on est assez fort. C’est l’esprit laïque éclairé par la philosophie qui a rendu les sacerdoces impuissants, ne pouvant les rendre raisonnables et sensés.

Mais il y a une question bien autrement importante que celle des mariages mixtes à propos desquels l’Église montre tant de déraison. Nous verrons plus loin que l’Église ne reconnaissant pas le mariage juif ou protestant, elle permet à l’un des conjoints appartenant à l’un de ces cultes, de se marier du vivant de l’autre conjoint, s’il se convertit au catholicisme ! Voilà donc en fait le concubinage et le divorce directement autorisés par cette Église qui les proscrit, et une évidente immoralité sanctionnée par cette Église infaillible sur les mœurs ! N’est-ce pas renversant ? La loi civile peut-elle permettre au pape ou aux évêques de briser le lien conjugal — sacré par lui-même, dit Léon XIII — briser les familles, et rendre bâtards des enfants nés en légitime mariage hors du catholicisme, parce que l’Église a la fantaisie de prétendre que la vérité n’existe que chez elle ? Poser de pareilles questions c’est les résoudre. Il n’y a que le prêtre qui ne comprenne pas que les prétentions de son Église sont exorbitantes, anti-chrétiennes, immorales en principe et surtout impraticables en fait. Mais on lui fausse de bonne heure l’esprit sur toutes les questions de droit naturel et il soutient les plus triomphantes absurdités en les attribuant respectueusement au Saint-Esprit ! Il faut bien que la loi civile le mette à la raison.

  1. En 1741 — c’est-à-dire sous Benoit XIV, un pape éclairé et tolérant, fait si rare dans la série — faculté a été donnée à deux personnes professant le protestantisme et le catholicisme de se marier ensemble aux conditions suivantes :

    1o La partie protestante s’engage à ne pas empêcher la partie catholique de pratiquer sa religion ;

    2o Les enfants des deux sexes devront être élevés dans le catholicisme ;

    3o La partie catholique fera tous ses efforts pour convertir la partie protestante.

    Que la première condition soit parfaitement raisonnable, admis puisqu’on oblige une partie de respecter la conscience de l’autre partie. Mais l’Église veut toujours tout prendre sans jamais rien donner. Aussi, tout en exigeant le respect de la conscience de la femme, par exemple, si elle est la partie catholique, elle défend bien à cette femme de respecter la conscience de son mari puisqu’il ne mérite que l’anathème comme protestant.

    En conséquence elle ne permet à la fille catholique de se marier à un protestant que si tous les enfants sont catholiques. Les sentiments de celui-ci ne signifient rien dans l’affaire vu que le droit de l’Église prime celui du père sur son enfant. C’est toujours le principe : « Je ne ferai pas pour vous ce que j’exige de vous. » Le Faites à autrui… est parfait en morale,

    mais criminel en religion. Voilà ce que la théologie fait des intelligences.

    Enfin, l’Église impose une condition qui va souvent, très souvent constituer le mari et la femme en état permanent d’hostilité et de guerre sourde. La femme doit faire tous ses efforts pour convertir son mari. Le concile de Bordeaux de 1850 se sert de l’expression « employer tous les moyens ». C’est un devoir de conscience. De là, de la part d’une femme un peu bornée, dirigée par un confesseur fanatique, et par là même borné lui aussi, toutes sortes de petites ruses féminines, de petites observations sournoises, de suggestions sans avoir l’air d’y toucher, puis de représentations aigres-douces, de supplications et quelquefois de larmes parce qu’un Dieu infiniment juste va damner ce mari même s’il est un parfait honnête homme ! Et, sous la poussée du confesseur, ces petites manœuvres continueront jusqu’à ce que cet homme prenne sa femme en grippe et finisse par se faire un second ménage où on le laissera tranquille. Voilà souvent le résultat de ce fanatisme inepte qui regarde l’indépendance de la conscience comme un crime devant Dieu. Des faits de ce genre sont parvenus à la connaissance personnelle de l’auteur, ont eu lieu dans sa propre famille.

    Des femmes qui sont excellentes épouses et excellentes mères de famille, mais poussées par un confesseur qui ne songe qu’à une victoire de la religion, tourmentent leur mari jusqu’à la persécution de tous les instants, pour sauver son âme. L’enfer finit par être dans la maison et c’est la religion qui l’y fait entrer. Eh bien ! c’est là une fausse conception de la morale religieuse et elle est due à l’esprit théologique qui se résume toujours dans l’esprit sectaire et non dans l’esprit chrétien. Le confesseur fait entrer la guerre dans la maison mais sa théologie lui enseigne qu’il ne fait que son devoir en troublant la paix d’une famille et en y semant la répulsion au lieu de l’attachement.