Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/40

La bibliothèque libre.

XL


Je viens de dire qu’il n’existait pas encore de jurisprudence ecclésiastique établie sur la question au VIIIe siècle. J’aurais pu dire jusqu’au onzième.

Le concile de Vannes, de 465, permet au mari d’une femme infidèle de se marier avec une femme chrétienne du vivant de l’autre. Saint Paul avait pourtant dit : — i Cor., VII, 14 — que « le mari fidèle devait garder sa femme infidèle », et vice versa. Mais le concile, probablement par suite de considérations locales ou de mœurs particulières, mit de côté l’enseignement de saint Paul.

Au VIe siècle, la formule du moine Marculfe démontre que le divorce était admis alors pour cause d’adultère.

Au VIIIe siècle le concile de Compiègne de 756 donne la même autorisation que le concile de Vannes. Il va même jusqu’à permettre à une femme forcée de vivre séparée d’un mari atteint de la lèpre de se marier avec un autre. Quatre ans auparavant le concile de Verberie de 752 décide qu’un mari qui a renvoyé sa femme pour avoir tenté de l’assassiner peut en épouser une autre. On voit que le concile adoptait ici une disposition de la loi de Justinien. Le même concile décide qu’un mari dont la femme refuse de le suivre en pays étranger peut en épouser une autre.

Le principe de l’indissolubilité absolue, posé par saint Augustin, recevait donc de nombreuses atteintes trois siècles après lui. Et on ne voit pas que la papauté ait blâmé ces conciles. Donc il n’y avait pas encore de jurisprudence uniforme et on se décidait d’après les circonstances, et dans certains cas selon le principe de justice que l’on a mis au panier dans les temps plus modernes.

Le pape Grégoire ii, canonisé, écrivant à saint Boniface en Allemagne, en 726, autorise aussi, comme les conciles de Verberie et de Compiègne quelques années plus tard, celui qui a une femme incapable de cohabitation d’en prendre une autre, à condition de faire vivre la première. Les conciles de Verberie et de Compiègne se sont donc réglés en partie sur la décision de Grégoire ii. On voit combien de temps il a fallu à l’Église infaillible pour découvrir la volonté de Dieu sur la question de l’indissolubilité.

Trois siècles plus tard, en 1031, c’est-à-dire 43 ans avant Grégoire VII, un concile de Bourges permet encore, malgré saint Augustin, le divorce pour cause d’adultère, mais le prohibe rigoureusement pour toute autre raison. On a donc eu pendant longtemps dans l’Église des hommes qui respectaient l’enseignement de Jésus.

Mais la papauté finit par faire prévaloir les idées du docteur de la grâce sur celle de Jésus. Elle permettait pourtant la répudiation aux princes. Quelques capitulaires de Charlemagne prouvent qu’elle était alors assez habituelle, et même la polygamie pas très rare. Charlemagne avait plusieurs femmes, en répudie une, et l’Église ne souffle mot. Il était trop fort pour qu’elle osât parler. D’ailleurs le pape espérait recevoir de lui un royaume. Comment parler haut en pareille situation ? L’Église réservait ses foudres pour les imbéciles successeurs du grand empereur.

Elle a autorisé une quinzaine de rois de France à répudier leurs femmes.

Cette tolérance de l’Église pour les princes qui répudiaient leur femme montre combien peu on envisageait ces questions d’un point de vue rationnel. La répudiation était bien autrement immorale que le divorce accordé en justice, puisque le mari se faisait ainsi juge et partie. Or l’Église l’a non seulement tolérée pendant assez longtemps chez quelques hommes puissants, mais elle a fini par les y obliger en arguant de la nullité des mariages. Ainsi, elle prétendait que le roi Robert le Pieux et la reine Berthe, qui n’étaient cousins qu’au septième degré et avaient été parrain et marraine ensemble avant leur mariage, ne pouvaient, pour ces deux raisons, contracter un mariage régulier. C’était tout simplement de la pire arrogance ecclésiastique ; et pour d’aussi absurdes raisons le pape mit le royaume en interdit et força par là le roi à répudier sa femme, qu’il aimait, pour en prendre une autre qu’il n’aimait pas. Jamais la papauté n’a été plus effrontée dans l’erreur et l’arrogance puisqu’elle punissait les innocents — les sujets — pour le coupable à ses yeux. Maintenant était-il vraiment coupable ? Évidemment non puisque ses prétendues fautes d’alors ne seraient plus fautes aujourd’hui.

Ce n’est vraiment qu’au onzième siècle que les princes se soumirent généralement aux prescriptions de l’Église sur les questions matrimoniales.

Tout ce que nous venons de voir prouve qu’il est très inexact de dire que la religion proscrit le divorce. C’est la papauté qui a fait accepter cette fausse assertion dans les temps d’ignorance, et qui décrétait en même temps des causes de nullité ridicules, quelquefois immorales, et conséquemment bien plus réprouvées par la religion qu’un divorce motivé sur de bonnes raisons. Si la papauté refuse le divorce à Philippe-Auguste au commencement du xiiie siècle, parce qu’il résistait aux intolérables exactions qu’elle exerçait dans la chrétienté, elle l’accorde précisément au même temps au misérable Jean sans Terre parce qu’il lui fait une soumission abjecte sous un prétexte honteux. Et elle refuse le divorce à Philippe-Auguste après l’avoir accordé sous de risibles subterfuges à son père Louis VII. Un siècle plus tard, elle accorde encore le divorce à Charles IV.

Enfin, au commencement du XVIe siècle, elle accorde le divorce à Louis xii sous prétexte de non consommation du mariage. Et la preuve sans réplique de cette non consommation, c’était que le roi affirmait très sérieusement qu’il n’avait jamais ôté sa chemise quand il avait partagé le lit de la reine ! Le chaste Jules ii a-t-il vraiment regardé cette charmante preuve comme péremptoire ?

Celui qui étudie le fonctionnement du système des nullités ne tarde pas à se convaincre que dans huit cas sur dix il n’a fait que sanctionner des immoralités. Le véritable résultat du système était de permettre aux hommes puissants de satisfaire leurs passions ou leur cupidité en payant bien l’Église. Ayant rejeté le divorce, seul moyen rationnel et légitime de rompre un mariage quand des raisons majeures l’exigent, l’Église prenait un détour pour le permettre en fait, tout en maintenant ses ordonnances contre. Dans l’immense majorité des cas ce sont les libertins qui invoquent l’une ou l’autre cause de nullité pour abandonner leur femme et leurs enfants. Et l’Église, qui y trouvait une très importante source de revenus, consentait sous les moindres prétextes — comme l’affirme son saint Pierre de Blois. — Pour se faire des revenus elle plongeait sans sourciller dans le déshonneur, et souvent la misère, des centaines de femmes et d’enfants. Ce sont des auteurs ecclésiastiques qui admettent ou prouvent ces iniquités ecclésiastiques.