Les filles de Loth et autres poèmes érotiques/05

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Examen subi par Mademoiselle Flora
Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Texte établi par Bernard, Edmond Dardenne, Imprimerie de la Genèse (Sodome) (p. 31-41).

Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Bandeau de début de chapitre
Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Bandeau de début de chapitre

EXAMEN
SUBI par MADEMOISELLE FLORA

à l’effet d’obtenir son diplôme de putain et d’être admise
au bordel de Madame Lebrun, 68 bis, rue de Richelieu.


Dix-sept ans, des yeux noirs et fendus en amande,
Avec des cheveux blonds, une bouche un peu grande.
Sans doute exprès et pour laisser voir en riant
Un brillant chapelet de perles d’Orient :
Un sein rose, arrondi, ferme à ne pas le croire,
Un cul dur comme un marbre et plus blanc que l’ivoire,
Un con si mignonnet qu’il semblait que jamais
Même au vit d’un enfant il pût donner accès !

Tel est en raccourci l’image ravissante
De Flora la putain qu’on croirait innocente
Et vierge, tant ses yeux rayonnent de candeur,
Tant tout en elle exhale un parfum de pudeur,
Et qui vient cependant, loin d’être encor novice,
Ayant fait dès longtemps ses débuts dans le vice,
Sans avoir peur, sans être émue un seul instant,
Et comme devinant un succès éclatant,
Passer cet examen aux fatales épreuves
Pour lequel la Lebrun demande tant de preuves,
Dont il faut nettement, sans hésitations,
Résoudre ex abrupto toutes les questions,
Pour acquérir le droit de voir couler sa vie
Dans ce charmant bordel que toute fille envie,
D’y vendre au poids de l’or toutes les voluptés,
Et des charmes souvent qu’on n’a pas achetés.

À midi, dans la salle en ce but préparée,
De toutes ses putains la Lebrun entourée,
Assise gravement sur un moelleux sofa,
Tenant sur ses genoux un énorme angora,
Donne l’ordre de faire entrer la néophyte.

La jeune fille fut aussitôt introduite.

Un simple peignoir blanc, à peine retenu,
Laissait entièrement ses épaules à nu,
Et sa gorge charmante, au lieu d’être enfermée
En un affreux corset qui l’aurait déformée,
Montrant à découvert ses deux globes polis,
Se tenait d’elle-même et sans faire aucun pli.

Elle était ravissante !… Aussi, dans cette salle,
Où pas une en beauté ne se croit de rivale,
Chacune, malgré soi, sentant ce qu’elle vaut,
Au lieu de l’admirer lui découvre un défaut :
L’une de ses cheveux critique la nuance
Et prétend hautement qu’ils frisent la garance ;
L’autre dit que sa gorge a l’air d’un mou de veau,
Et toutes sont d’accord que ce n’est qu’un chameau !

Flora, sans s’inquiéter de leurs criailleries.
D’un geste réfuta leurs sottes railleries,
Et jusques au nombril retroussant son peignoir,
Leur montra qu’étant blonde elle avait le poil noir.
Nulle autre ne fit voir une beauté pareille !…
Prises au trébuchet, toutes baissant l’oreille.
Ne purent rien trouver contre un tel argument
Et gardèrent alors un silence prudent.

La Lebrun, qu’amusait beaucoup cette aventure,
Pour sa nouvelle fille en tira bon augure :
— Petite, lui dit-elle, allons, viens te placer
Sur ce tabouret-là : je m’en vais commencer.
Pour être admise ici, sais-tu bien, ma chérie,
Qu’il faut être très forte en polissonnerie ?…
Que pour vendre l’amour il ne nous suffit pas
D’avoir de jolis yeux, d’avoir de frais appas,
Une gorge bien ferme et des fesses bien blanches ?…
Une croupe soignée, un beau cul et des hanches ?…
Qu’il faut de tous ces dons savoir bien se servir,
Savoir les employer à donner du plaisir
À ceux qui dans nos bras cherchent la jouissance,
Ensemble ou l’un d’eux seul, selon la circonstance,

Surtout selon l’argent donné par le miché ?…
Qu’il faut promettre avant d’enlever son corset,
Et ne jamais l’ôter, à moins pourtant que l’homme
Ne se laisse tenter et ne triple la somme ?…
Mais au lieu d’examen je fais une leçon ;
Assez comme cela… Sais-tu d’abord quel nom
Donner à l’instrument par où le mâle pisse
Et par lequel aussi lui vient la chaude-pisse ?

FLORA

L’académicien dit ; mon vit ; le médecin ;
Ma verge ; le curé : mon membre ; une putain :
La queue ; il est nommé pine par la lorette ;
Un chose ou bien cela, par une femme honnête ;
Jacques, par le farceur ; braqmard, par l’étudiant ;
La bibite au petit, par la bonne d’enfant ;
Le jeune homme puceau l’appelle son affaire ;
L’ouvrier, son outil ; la grosse cuisinière,
Une courte ; il devient dard avec le pioupiou,
Mais si vous entendez : Mon nœud ! c’est le voyou !

LA LEBRUN

Parfaitement, la chose est très bien expliquée
Et par personne ici ne sera critiquée.
Peux-tu me dire aussi tous les différents noms
Que l’on donne parfois aux deux brimborions
Qui sont pendus après ?…

FLORA

J’essaierai. Les arsouilles,
Si vous les embêtez, vous répondent : Mes couilles !
L’apprenti carabin dit, en se rengorgeant :
Ça, c’est un testicule ! Un banquier, un agent

De change, un financier, disent qu’ils ont des bourses ;
Un vieux passionné les appelle les sources
D’où jaillit à flots blancs la sève du plaisir

Que rarement, hélas ! il parvient à saisir !
Le troupier, mes roustons ; le cocher, mes roupettes ;
Le marchand de coco, mes gourdes ; les grisettes,
Des machines

LA LEBRUN

Très bien, petite. Sur le con
Je ne te ferai pas la moindre question ;
Tu connais cet objet. — Puis la langue française
Est encore aujourd’hui si pauvre et si niaise
Qu’elle n’a vraiment pas deux termes pour nommer
Ce petit trou mignon qui sait si bien charmer,
Source de volupté si douce et si suave,
Et duquel, bien souvent, l’homme devient esclave !
Et maintenant, voyons si tu sais bien comment
Des deux sexes on peut nommer l’accouplement.

FLORA

Tout le monde à peu près, putain ou femme honnête,
Ministre ou chiffonnier, marquise ou bien grisette.
Dit faire ça ; piner est le mot des maçons ;
Monter chez une fille en lui disant : Oursons !
Est une expression commune, saugrenue,
Propre aux palefreniers ! La femme entretenue
Dit ; Aimons ! Le commis se plaît à rouscailler.
Le terme que les vieux préfèrent employer
Est enfiler ; aux champs, le paysan bourrique.
Je vais tirer mon coup, ma crampe, ou bien ma chique,
Dit le futur Gerbier, et l’homme marié
Baise, tout simplement, quand il peut, sa moitié.

LA LEBRUN

Connais-tu de baiser les diverses manières ?

FLORA

Toutes, ce serait trop ! mais les plus ordinaires,
C’est ventre contre ventre et la femme dessous ;
Celle-là satisfait à peu près tous les goûts ;
Celui dont la pine est mollasse, filandreuse,
Et lente à décharger fout à la paresseuse.
En levrette est encore un moyen fort joli,
Quand on a sous son ventre un cul ferme et poli ;
C’est pour faire un enfant une bonne recette
Qui fut, dit-on, donnée à Marie-Antoinette ;
Louis Seize, enchanté, tellement en usa
Que depuis autrement jamais il ne baisa.
Mais, je dois l’avouer, par-dessus toute chose,
Je préfère en amour une certaine pose ;
Le mâle sur le dos sous la femme est placé,
Son corps est fortement avec l’autre enlacé ;
La femme, d’une main, lui pelote la couille,
L’autre, dans mille endroits en tous sens le chatouille
L’homme, de sa main droite, ou lui fait postillon,
Ou la glisse en dessous et lui branle le con ;
La gauche, autour du cou bien doucement passée,
Taquine le bouton de la gorge agacée ;
Il admire du cul les bonds impétueux,
Qui s’élève, semblable aux flots tumultueux,
Redescend aussitôt pour s’élever encore,
Alimente et nourrit le feu qui le dévore !…
Les membres sont mêlés, les souffles confondus,
Les deux corps en un seul semblent s’être fondus…

Le foutre à flots brûlants de la pine s’élance !…
C’est une volupté, c’est une jouissance
Qu’on éprouve et ressent, sans pouvoir l’exprimer…
On ne voit, n’entend rien… on vient de se pâmer !

LA LEBRUN

Quelle est pour le plaisir l’heure la plus propice ?

FLORA

Selon moi, c’est le soir. Dès que le sacrifice
Se trouve consommé, l’on se tourne le dos,
Et sur vos fronts Morphée effeuillant ses pavots,
Pendant que la veilleuse agonise dans l’urne,
On peut faire à deux nez un superbe nocturne !
Pour le coup du matin j’ai de l’aversion,
Et je ne m’y soumets qu’avec répulsion :
Le lit est imprégné de cette sueur moite
Qui fait toujours trouver large la plus étroite,
Car du con qu’elle baigne elle amollit le bord
Et, sans rien ressentir, le vit entre et ressort ;
Puis, lorsqu’on a dormi, l’haleine est si mauvaise
Que pour faire une langue on n’est pas à son aise ;
Enfin, beaucoup sont pris de ce désagrément
Qui frappait le matin sur mon dernier amant :
S’il bandait, de pisser c’est qu’il avait envie,
Et sa queue en était tellement engourdie
Qu’il ne déchargeait pas… S’il venait à pisser
Et qu’ensuite il voulût encore recommencer,
J’avais beau patiner sa couille renfrognée,
Lui faire avec cinq doigts la patte d’araignée,
Sa pine, peu sensible à mes soins superflus,
Demeurait flasque et molle et ne rebandait plus.

LA LEBRUN

Je suis de ton avis ; aussi lorsque ma motte,
Qui n’est plus aujourd’hui qu’une vieille marmotte,
Rayonnait de fraîcheur, de sève et de santé,
Et que mon clitoris, par tous étant fêté,
Aurait pu faire au tien beaucoup de concurrence,
Au soir, j’ai, comme toi, donné la préférence.
J’ai longtemps exercé ; mais j’ai vu rarement
Une putain sachant branler parfaitement :
As-tu fait là-dessus une étude profonde
Et te sens-tu de force à contenter ton monde ?

FLORA

Je l’espère… et pourtant si j’ai reçu du ciel
Ce talent admirable et providentiel,
— Car on peut devenir une bonne fouteuse,
Mais on ne devient pas, il faut naître branleuse ! —
Toutefois la pratique et l’art et le travail
M’ont nécessairement appris plus d’un détail
Dont je sais à propos faire un très bel usage,
Selon l’individu, surtout selon son âge.
Mais, pour faire jouir, j’ai d’ailleurs un moyen
Qui jusques à ce jour m’a réussi très bien :
Du vit dans mes deux mains je fais rouler la tête
Vite et fort ; par instant tout à fait je m’arrête…
Quand la pine se gonfle et que le foutre est prêt,
En pressant le canal j’en modère le jet ;
Je bouche quelquefois tout à coup la soupape,
Et par petits filets seulement il s’échappe…
Et ce manège-là, plusieurs fois répété,
Au suprême degré porte la volupté.

LA LEBRUN

Au moyen de la langue as-tu parfois d’un chibre,
Sans le secours des mains, fait roidir chaque fibre.
Et rien qu’en lui pompant l’extrémité du gland,
Fait jaillit de son tronc un foutre ruisselant ?

FLORA

J’ai souvent à ce jeu prêté mon ministère,
J’en connais les secrets, les ruses, le mystère…
Cependant, en suçant, il est bon que la main
Joue autour des roustons un air de clavecin,
Et lorsque du plaisir est arrivé le terme,
Dans ma bouche je sais conserver tout le sperme.

LA LEBRUN

Dans mon bordel souvent il vient beaucoup de vieux,
— Ce sont ceux-là d’ailleurs qui nous payent le mieux ;
Sais-tu par quel moyen, petite, on les amuse
Et de quelle façon à leur égard on use ?

FLORA

Le vieux plus que le jeune aime à polissonner.
Parfois il lui suffit de voir, de patiner,
De poser sur la motte une brûlante lèvre :
Il satisfait ainsi son amoureuse fièvre.
Mais souvent, par malheur, tous ces attouchements,
L’aspect de ces appas jeunes, frais et charmants,
Ces formes en tous sens trop longtemps regardées,
Dans son crâne embrasé font germer des idées.
C’est en ce moment-là, pour le mettre en état
Et pouvoir arriver à quelque résultat,
Qu’il faut de son métier connaître les roueries
Et n’être pas novice en polissonneries.

Dans les bordels soignés, il est un instrument
Qui pour un pareil cas sert admirablement.
Ce sont tout simplement de très fortes ficelles
Qu’on lui noue en passant par-dessous les aisselles ;
On le tient quelque temps suspendu dans les airs…
Alors, pour l’exciter et lui roidir les nerfs,
Tantôt on fait glisser sur ses couilles pendantes
De la plume de paon les barbes irritantes,
Tantôt, avec le doigt, fourré profondément,
On cherche à stimuler les chairs du fondement ;
Des pieds on lui chatouille artistement la plante ;
On fait une omelette et, dès qu’elle est brûlante,
On l’applique aussitôt sur son vieux cul ridé…
Si son vit impuissant n’a pas encore bandé
Malgré tous les moyens qui lui viennent en aide,
Comme à tous les grands maux il faut un grand remède,
On saisit le paquet de verges à deux mains,
On fustige le vieux sur la chute des reins…
La douleur qu’il éprouve est quelquefois bien grande…
Mais il ne se plaint pas : il est heureux… il bande !
On le décroche alors, on le met sur un lit…
Pendant longtemps encore on lui branle le vit…
À force d’agiter cet antique viscère,
On en tire à la fin quelques gouttes d’eau claire.
Il est vrai que le corps, par mille excès usé,
Demeure anéanti, moulu, rompu, brisé ;
Qu’il est sans voix, sans souffle, et qu’un bon rhumatisme
Est fort souvent, hélas ! le prix de son cynisme ;
Mais lorsque nous avons rempli notre devoir
Et fait de notre mieux, nous n’avons pas à voir
De quel mauvais côté se tourne la médaille…
Qu’on amène un sapin et que le vieux s’en aille !

LA LEBRUN

Je ne t’ennuierai plus que d’une question :
Connais-tu bien les goûts de chaque nation ?

FLORA

L’Allemand ne fait rien… Il vient, regarde, paye,
En or, et quand il s’est fait rendre sa monnaie,
S’en va fort satisfait… Le Suédois, dit-on.
Aime qu’on lui taquine un peu le hanneton ;
Le Russe gamahuche et l’Italien encule ;
L’Anglais, même au bordel, stupide, ridicule,
Fait laver quatre fois le con de la putain,
Puis quand il est bien sûr, en y mettant la main
Et le nez, que la place est bien propre et bien nette,
Sans mot dire il se fait secouer la houlette
L’Espagnol amoureux se fait pomper le dard ;
En aisselle, en tétons, le Turc met son braqmard ;
Le Français, plus adroit, plus fécond en pensées,
N’a pas à cet égard de routes bien tracées :
Selon l’âge, l’époque et selon ses désirs,
Il sait habilement varier ses plaisirs ;
Mais quand parfois il trouve une motte bien fraîche,
Ce qu’il aime avant tout c’est faire tête-bêche !

LA LEBRUN

Je suis contente… Après un pareil examen,
Tu me feras honneur et profit. Dès demain
Je ferai demander ta carte à la police
Et tu pourras alors commencer ton service.
La Lebrun tint parole… et du bordel, depuis,
Flora fait les beaux jours, — surtout les belles nuits.