Les heures de Paphos, contes moraux/04

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(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-22).
Le Baton de Pommade
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-21
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-21

Le Baton de Pommade.



Jean Lisidor riche bourgeois,
Tenoit sa fille en esclavage ;
Et quoi qu’on l’eût en mariage
Demandé plus de trente fois,
Toûjours il éloignait l’affaire,
Dans la crainte de se défaire
De son argent, qu’il aimait fort.
Rosette n’était pas d’accord
Sur ce point avec le bonhomme.
Des Songes creux, et chagrinants,
Venoient souvent troubler son somme ;
Chose croyable à dix neuf ans,
Nature alors est agissante,
Un Cavalier nommé Lindor
Assés près de chés Lisidor
Tenait une maison brillante.
D’un amour timide et discret,
Il aimait Rosette en secret :
Et lors qu’avec sa gouvernante
A l’Eglise Rosette allait,

Lindor aussitot la suivait ;
Et goûtait de loin, sans esclandre,
Tout le plaisir que l’on peut prendre
Par la jouissance des yeux.
Mais le cœur n’en était pas mieux.
L’ame ainsi pleine de fumée,
Il apprend par la Renommée
Que Lisidor congédiait
Marton, égrillarde Soubrette,
Femme de chambre de Rosette,
Que d’intrigue l’on soupçonnoit.
Las de poursuivre une chimère
Le gaillard conçoit le dessein
De remplacer la chambrière.
Il était libre. Il fait sous main
Répandre le bruit dans la Ville
Qu’afin, de devenir habile,
Il va dans le pays lointain ;
Prend des habits de Demoiselle,
Sort de chés lui de grand matin,
Suivi d’un serviteur fidelle

Qui seul avoit le mot du guet,
Et qui portait un gros paquet
Plein de tout l’attirail femelle ;
Il se présente au vieux bourgeois,
Dont il fixe bientôt le choix
En demandant très petit gage.
Des lors on la juge bien sage.
(Car il faut dire elle à présent)
Et près de sa fille à l’instant
Le pere introduit Léonore,
C’était le nom qu’il avait pris.
Quel tumulte dans ses esprits,
Quand près de celle qu’il adore
Il se voit ainsi renfermé !
Mais n’étant pas trop assuré
Comment elle prendrait la chose,
Il sut modérer ses désirs ;
Et grace à la métamorphose
Goûter de tranquille plaisirs.
Bientôt il eut de sa maîtresse
Gagné la plus vive amitié.

Enfin il fut initié
Dans les moÿens qu’avec adresse,
Pour se soulager au besoin
Employait la tendre Rosette.
Un jour qu’il en était témoin,
Et que Madame à sa toilette
Pendant qu’on tressait son chignon,
Faisait usage d’un flacon ;
Léonore sous sa jaquette
Ne pouvant plus se contenir,
Cede à la force du désir ;
Met dans les cheveux de la belle
La tête de son instrument ;
Et bientôt épanche sur elle
Un jus épais et bouillonnant.
Qu’elle eau ? dit Rosette en colere ;
— Que faites vous — votre chignon.
C’est de la Pommade en Baton
Que j’y mettais — mais d’ordinaire
Il n’est pas chaud — je le sçais bien :
Mais aujourd’hui pour mieux le faire
Je l’ai fait fondre dans ma main.