Les heures de Paphos, contes moraux/08

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(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-46).
Damon Urseline
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-45
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-45

Damon Urseline



Auprès d’un couvent d’Urselines,
Demeurait un bon garnement ;
Qui dans le jardin des béguines
Voyait de son appartement
Quoique fort jeune, il était riche
Et de l’argent n’était pas chiche.
D’autant qu’il avait le bonheur
D’avoir enterré pere et mere ;
Et de plus d’être légataire
D’un sien parent, grand amasseur
Qui s’endormant pour le grand somme
Légua ses écus au jeune homme.
Maître de son bien, et de soi
Il vivait, heureux comme un Roi :
Il était à la fleur de l’âge,
Bien fait, assez beau de visage,
Et n’ayant de barbe au menton
Que comme en avait Apollon.
D’ailleurs, vigoureux comme un diable,
Et de plaisirs insatiable.
Souvent au jardin des Nonains,
A l’heure de la promenade,
Fixant ses regards libertins ;
Il en recevait mainte œillade.
Une, surtout l’avait frappé.
C’était une jeune beauté,
Victime de l’atrocité
D’une mere injuste et cruelle ;
Qui n’ayant d’autre enfant qu’elle ;

Veuve, et sur le déclin des ans,
En dépit de ses cheveux blancs,
D’un jeune homme était amoureuse
Il est mainte Religieuse,
Qui n’ont d’autre vocation.
Un jour que sans attention,
Sœur Luce avait tourné la vüe
Vers la fenêtre de Damon ;
Elle se sentit toute émue,
De son côté notre luron
Sent glisser au fond de son ame
Ardent désir, brûlante flame.
A Sœur Luce il parle des yeux
Elle lui répond de son mieux.
Mais tout le fruit de ce langage,
C’est de s’enflammer davantage,
Et d’irriter de vains désirs.
Après quinze jours de soupirs,
De mutuelle intelligence,
De muette correspondance ;
Damon prend enfin le parti
De s’introduire au Monastére
Au moyen du tour que voici :
Il feint de partir pour sa terre
Et de n’emmener qu’un Valet
(Que comme on croit il interesse)
Puis en Demoiselle se met :
Et Lafleur en vieille Comtesse.
Toutes deux vont droit au Couvent :
Demandent Madame l’Abbesse.
Lafleur lui donne force argent ;

Disant, je vous donne ma fille,
Ayés en soin — elle est gentille,
Vous voulés donc vivre avec nous ?
Dit en nazonnant la béguine.
— Ah ! c’est mon espoir le plus doux !
— Effet de la grace divine !
Venés, mon cœur… Lafleur s’enva :
Et dès le jour même, l’on donna
Le Voile blanc à la novice.
Le soir au sortir de l’office,
On va promener au jardin.
Feignant de craindre le serain,
Damon, maintenant Sœur Roupette,
Va s’asseoir avec Sœur Lucette
Dessous un berceau de jasmin ;
Lui decouvre son imposture.
On se fâche ; mais la nature
L’eclairant sur ses intérêts ;
On finit par signer la paix.
Enfin depuis cette journée,
Des doux plaisirs de l’hyménée
Nos deux amants embéguinés
Jouissaient avec trop d’aisance ;
Pour qu’ils ne fûssent chagrinés
Par quelque miserable chance.
Environ quinze jours avant
Que Damon entrât au couvent ;
La vieille Mere Sacristine
Avait surpris Sœur Joséphine ;
Qui dans sa chambre, en tapinois,
Employait le manche de bois

Du Goupillon de leur Eglise,
A… ce qu’il n’est besoin qu’on dise.
La coupable fut en prison :
Et depuis ce tems, la maison
Était encore scandalisée.
Un jour que la troupe voilée
Défilait en sortant du Chœur ;
Damon se trouvait en humeur ;
Et l’on voyait sous la jaquette
De la masculine Nonette,
Quelque chose qui relevait :
Alte là, dit la Sacristine,
Qui l’une après l’autre observait.
Je tiens encore une mutine.
Sœur Roupette à le Goupillon ;
Je le vois sous son Cotillon.
— Mon dieu non — Je ne suis pas dupe :
Allons relevés votre jupe :
Elle la retrousse, et soudain
Se sent mouiller toute la main.
— Voyés, encor plein d’eau benite…
Damon de se sauver bien vîte.
De gagner les murs du bosquet
Qui dans son jardin répondait ;
Puis de rire de l’aventure.
Laissant les Nones en postures
D’essuyer ce qu’il leur laissait ;
Tandis que Sœur Lucette jure
Du Goupillon qu’il emportait.