Les invisibles de Paris (Aimard)/I/IX

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Roy et Geffroy (p. 108-117).
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IX

OÙ RATON TAQUINE BERTRAND

— Cré coquin ! dit avec admiration Mouchette à la Cigale, qui rentrait de son pas tranquille dans la chambre, cré coquin ! vous pouvez vous vanter d’avoir une rude pince, vous !

— Tiens ! tu ne me tutoies plus, moucheron ?

— C’est vrai ! je suis cruche…

Et le petit, tournant autour du colosse comme un connaisseur ou un maquignon tourne autour du cheval qu’il veut examiner sur toutes ses coutures avant de l’acheter :

— Nom d’une pipe ! comme c’est établi ! Le beau travail ! Mes compliments à tes père et mère !

— Ah ! pas de bêtises ! moucheron ! touchons pas à ça !

— Et du cœur par-dessus le marché !

Il retroussait la manche droite de sa blouse tout en parlant, et il en sortait un bras maigre et long.

— Que que tu fais donc ?

Mais Mouchette, sans lui répondre, retroussa également la manche droite du bourgeron de la Cigale et mit à nu un bras formidable, monstrueux assemblage de muscles saillants comme des cordes à puits et de nerfs d’acier enchevêtrés les uns dans les autres.

— A-t-il des idées ! tu veux nous tatouer le biceps ?

— Non, je veux piger fit l’enfant, en plaçant son bras à côté de celui du géant.

Celui-ci se mit à rire, mais il se prêta à sa fantaisie.

— C’est assez drôle tout de même ! répliqua Mouchette, qui ne riait pas. Une allumette et un mât de cocagne, pas vrai ?

— Dame ! le fait est que tu ne pèses pas lourd.

— Eh bien ! ma vieille, souviens-toi de ce que je te dis : le jour où ceci, — il montrait son poignet et sa main droite, — s’en prendra à cela, — et il montra la poigne énorme de la Cigale, — ceci brisera cela comme un goulot de bouteille.

— Vrai ? répondit l’autre, qui s’amusait de l’air sérieux du gamin. Et comment t’y prendrais-tu, Moumouche ?

— Ainsi, fit Mouchette.

Et plus rapide que l’éclair, il se glissa, passa entre les jambes du colosse solidement arcbouté, et lui bondissant à califourchon sur les épaules, il lui posa sur le crâne la gueule béante d’un revolver à six coups.

— En v’là de la gymnastique ! dit la Cigale, qui ne tourna même pas la tête du côté du voyou. Faudrait voir à ne pas jouer avec les armes à feu, tu pourrais te blesser, petit.

Mouchette dégringola du haut de son perchoir et se retrouva en un instant sur ses jambes :

— T’es un rude mâle, sais-tu, la Cigale ?

— Je le sais.

— Si j’ai jamais besoin d’un coup de main, je peux-t’y compter sur toi ?

— Pour le bien, toujours.

— Je laisse le mal à Coquillard. Je suis le fils de la Pacline… c’est-à-dire son fils… enfin, je mange son pain, et je ne veux pas gagner le mien plus malhonnêtement qu’elle, la pauvre femme.

— Alors, pourquoi portes-tu des outils à six bouches, comme celui-là, dans ton portefeuille ?

— C’est un cadeau qu’on m’a fait.

— Qui ça ?

— Une riche Anglaise dont j’ai retrouvé le king’s charles. Je lui rapporte son caniche, elle pleure de joie dans mon sein et m’offre de l’argent. « Merci bien, que je lui fais, je reçois rien des femmes. — Aoh ! portant, jé volé récompenser vô. » Il y avait ce joujou sur la cheminée. Je lui dis : « Eh ben ! ma bonne dame, donnez-moi ce machin-là. — Le revolver de milord Blackword, jé donné à vô tôt de même. »

— Et ça t’a servi ?

— À rien, mais l’avenir est à Dieu, et le revolver est à moi. — C’est égal. — La morale de la chose, la v’là : Il n’y a pas de poigne grosse comme la tienne qui soit plus forte qu’une de ces petites balles pointues.

— Savoir. J’en ai reçu pas mal, de balles dans ma carcasse, et je suis encore bon du poignet. Mais ce n’est pas tout ça… ce n’est pas de ça qu’il s’agit.

— De quoi alors ?

— J’ai à causer un brin avec toi, petit.

— Vas-y carrément, je t’écoute.

— Oui, mais là, sérieusement.

— Ça va être embêtant… Attends un peu que je me leste…

Mouchette chercha la bouteille, mais il se souvint que le gourdin de Coquillard l’avait brisée et en avait répandu le contenu sur le plancher, qui s’était empressé de la boire jusqu’à la dernière goutte.

— Gueusard de Coquillard ! fit-il. Veux-tu que je descende chez le pharmacien ?

— Chez le pharmacien ?

— C’est comme ça que maman Pacline appelle le liquoriste.

— Non. T’as assez bu, et tant mieux s’il ne reste plus d’eau-de-vie, la Pacline en jeûnera ce soir. Une fois, par hasard, ça ne lui fera pas de mal.

— Le plus souvent qu’elle s’en privera. La mère a sa bibliothèque de réserve. Je sais où c’est, mais je n’y touche jamais, c’est sacré pour moi.

— Il y a l’étoffe d’un bon gars en toi, fit le colosse en lui donnant un petit coup sur la joue. Je l’ai toujours pensé.

— Bigre ! s’écria Mouchette, dont la joue était devenue rouge sous la caresse de son redoutable ami. Pas tant de moelleux dans les articulations, ou je te parle à distance.

— Voyons, es-tu capable de…

— Je suis capable de tout, quand je veux.

— Tâche de le vouloir un peu, hein ? Tu me feras plaisir, la chose est grave.

— Va ton train, Nicolas. De quoi s’agit-il ?

— De ta mère, gamin.

— Hein ! tu dis ? fit Mouchette, dont la bouche grimaça une émotion pénible, mais qui, se sentant observé par le regard perçant de la Cigale, parvint promptement à prendre le dessus.

— Je dis : de ta mère.

— De maman Pacline ?

— Non.

— Ah ! tu sais ?… Eh bien ! oui, mon pauvre vieux, repartit l’enfant, qui cherchait à cacher sa douleur sous un masque de cynisme, c’est comme ça. Ma mère, ma vraie mère, connais pas. Je suis un enfant du pavé, moi. Eh ! mâtin, c’te bonne Pacline, qui était alors réveilleuse à la halle, m’a ramassé, vers les quatre heures, sur un tas d’épluchures de choux, de carottes et de poireaux où on m’avait couché bien douillettement.

— Qui ?

— Ah ! si tu le sais, tu me rendras service de me l’apprendre. J’étais à moitié mort de faim et de froid ; je pleurais que c’en était une bénédiction, et je criais comme un beau diable, tout ça à l’âge de deux ans.

— Tonnerre ! fit la Cigale, il y a donc des âmes assez dures pour…

— Il y en a, mais en revanche il s’en trouve d’assez bonnes qui rétablissent l’équilibre dans les plateaux de la balance.

— Alors la Pacline t’a ramassé ?

— Faut croire que, puisque me voilà. J’étais gentil à cette époque-là.

— Ah ! bah !

— Merci bien ! La brave femme eut pitié de moi et de mes grimaces.

— T’en faisais déjà ?

— Alors, nous ne parlons pas sérieusement. Je veux bien, dit Mouchette, qui s’arrêta, blessé dans son amour-propre de conteur.

— J’ai tort. File ton nœud.

— Après m’avoir fourré sur son éventaire. Dans ce temps-là, elle étalait sa marchandise sous ses avant-scènes, au lieu de la traîner dans son cabriolet. Elle me fit faire le tour des Halles. Cristi ! quelle fête de baisers, de morceaux de sucre, de gros sous, de poissons frais et de légumes nouveaux ! Toutes les dames de la Halle déclarèrent qu’on ne pouvait rien voir de plus intéressant que moi. Je devins une bonne affaire pour la mère Pacline. Elle me ramenait de temps à autre sur le carré des Halles, et comme j’allais, je venais, et que je bourdonnais toujours, on m’a appelé Mouchette.

— Comprends pas.

— Petite mouche.

— Ah ! bon !

— V’là comment maman Pacline est devenue ma mère. Je ne l’ai plus quittée depuis ce matin-là, et je m’en trouve bien pour elle et pour moi.

Tout en se livrant à quelques interruptions inévitables dans une nature aussi peu primesautière, la Cigale avait prêté la plus sérieuse attention aux paroles du gamin.

— Ce que tu me racontes là me fait du bien au cœur, dit-il. Je suis bien content de m’assurer que c’est une bonne et brave femme.

— Un cœur d’or, tout bonnement.

— Oui, mais…

— Mais quoi ?

— Elle a un défaut.

— Un défaut ! maman Pacline ! Je voudrais bien faire sa connaissance, s’écria Mouchette avec animation.

— Oh ! chacun a les siens, répliqua philosophiquement le colosse. Moi-même, je ne suis pas parfait.

— Tu m’étonnes !

— Ta parole ?

— D’onze heures. Ne rions plus et raconte-moi quel est le défaut de cette chère maman. Je l’en corrigerai.

— Elle aime un peu trop à boire.

— Et après ?

— C’est tout.

— Pas possible, fit le gamin, et tu l’attaques pour ça !

— Dame ! quand elle boit elle s’enivre.

— Quand elle s’enivre elle s’endort et tout est réglé. Ah ben ! le plus souvent que je lui reprocherai sa boisson, à c’te pauvre chérie, c’est sa seule consolation en ce bas monde. Il paraît qu’elle a eu des malheurs dans son jeune temps.

— À ton aise. Où est-elle maintenant ?

— Elle n’est pas rentrée, mais elle ne tardera pas.

— Tu ne sais pas où elle va ?

— Tu me prends pour Coquillard, mon petit vieux !

— Tu ne veux pas me répondre. Alors il faut que je l’attende ici.

— Attendons. Ça ne changera rien à notre position sociale.

— Je peux allumer Bébelle ?

— Qui ça, Bébelle ?

— Ma pipe.

— Pourvu que tu n’abîmes pas les tentures, dit Mouchette en riant sec.

— Non, mais c’est qu’il y a des femmes qui n’aiment pas ce parfum-là.

La Cigale tira un brûle-gueule de sa poche, le bourra, l’alluma, le vissa entre ses dents et se mit à le fumer en silence.

Au bout de quelques instants, Mouchette, que cela ennuyait de ne pas se sentir remuer et pour qui remuer c’était vivre, dit au géant :

— T’as plus rien à me demander ?

— Non, plus rien, répondit l’autre entre deux bouffées de fumée qui le firent disparaître momentanément.

— Alors je vais m’étendre sur mon lit de sangle. Tu attendras la mère tout seul.

Et il se dirigea vers l’autre pièce.

La Cigale fit un geste de désappointement, qui ne fut pas aperçu par le petit ; puis, prenant son courage à deux mains et affectant l’attitude la plus indifférente.

— Tu t’es amusé, hier, môme ? lui dit-il.

— Comme tous les jours.

— Qu’éque t’as fait ?

— Des bêtises.

— Et après ?

— Je me suis promené depuis la Madeleine, jusqu’à la Bastille et vice Versailles.

— Tu parles bien, toi. Alors, tu te promènes le jour ?

— Comme un omnibus complet.

— Mais la nuit ?

— Ah ! la nuit… fit le gamin en se grattant l’occiput… la nuit, voilà, je… dors.

— Tu me blagues. Tu n’as pas dormi cette nuit, je le sais.

— Ça se voit donc ?

— À tes yeux, oui.

— Alors, j’avoue.

— Quoi ?

— Dame ! tu sais, ma vieille, il ne fait pas très clair.

— Je m’en doute.

— De sorte que je me suis perdu de vue moi-même.

— Ah !

— Et que je n’ai pas pu me retrouver avant ce matin, répondit le gamin d’un air goguenard.

— Tu as donc la vue bien mauvaise, à c’t’ heure ?

— Une infamie. Je n’ peux pas tant seulement suivre mon nez dans ses circonvolutions.

— Dis donc, Moumouche, si je te coiffais… fit le colosse en allongeant sa large main toute grande ouverte.

— Tu humilies ma casquette, répondit le petit sans bouger.

— D’une bonne beigne, continua l’autre.

— Pourquoi faire ?

— Pour te faire souvenir que la nuit dernière était claire comme un jour de printemps.


Près des deux causeurs se trouvaient deux gobelets et une bouteille de trois-six.

— C’est vrai qu’il y avait une lune à se mirer dedans.

— Tu vois ! Il ne s’agit que de s’entendre.

— Alors, si ce n’est pas mes yeux, c’est ma mémoire qui est malade.

— Faudra la faire soigner.

— J’y penserai.

— Assez causé ! fit le géant avec impatience.

— Faut se taire, à présent ?

— On t’a vu vers les onze heures du côté de la barrière Fontainebleau.

— J’y vais quelquefois.

— On t’y a vu hier.

— Ah ! eh ben ! c’est que j’y étais, et après je n’y étais plus.

— Après ? Tu te promenais du côté des Invalides.

— Sabre de bois ! la trotte est bonne.

— Oh ! t’as des jambes de quinze lieues à la nuit, quand ça te passe par la boule.

Mouchette ne répondit pas. Il réfléchissait.

La Cigale attendit quelques instants, et le prenant par le bras :

— Tu m’entends ? Faut me répondre.

— Ah ! ça, ma jolie Cigale, fit le gamin sortant de son mutisme, qui est-ce qui te renseigne si bien, toi ?

— Personne. Je m’intéresse à mes amis et camaraux, et comme tu en es un, il me semble tout naturel de m’intéresser à ton sort.

— Alors, je n’ai plus à m’occuper de moi-même, ricana Mouchette, tu veilles sur moi depuis le matin jusqu’au soir.

— Quand ça se trouve.

— Et depuis le soir jusqu’au matin ?

— Quand c’est nécessaire.

— Merci. Quelle bonne balançoire !

— Tu doutes de mon amitié pour toi, petit ?

— Je ne dis pas… Mais seulement, de même que je flâne pour flâner, toi, ma vieille…

Il s’arrêta.

— Moi, va donc !

— Toi, c’est pour autre chose. Voilà tout.

— Où est le mal ?

— Je ne suis pas sorcier, sans ça…

— Voyons, petiot, sois franc, d’autant plus que tu n’as pas à cacher ce que tu as fait cette nuit.

— Qui est-ce qui se cache ? Je ne mets pas de faux nez, mais je n’aime pas raconter mes affaires…

— Ou te vanter de tes belles actions…

— Zim ! boum ! zin ! la ! la ! zim ! boum ! fit Mouchette en imitant l’orchestre d’une troupe de saltimbanques.

— Il n’en est pas moins vrai que tu as sauvé un homme, sur les deux heures du matin.

— Oh ! un homme… la moitié d’un homme… Nous étions deux à le repêcher. Et puis, qui vous a appris ça ?

— Toi, mon gamin.

— Elle est encore rupe, celle-là.

— Tu l’as raconté tout à l’heure à ce serin de Coquillard.

— Tiens ! t’écoutes aussi aux portes ?

— C’est le seul moyen que j’aie trouvé pour bien entendre, et puis, je suis entré pour ne pas en entendre davantage.

— Oui, fit l’enfant, d’autant plus que je ne voulais plus rien dire du tout.

— Il y a un peu de vrai… fit la Cigale en riant sous cape.

— Monsieur la Cigale, madame la Cigale, mademoiselle la Cigale, répondit Mouchette en gonflant ses maigres joues et en se donnant les inflexions de voix les plus variées et les plus comiques, il me paraît que votre honorable famille fait un drôle de métier.

— On est débardeur à Bercy, oui.

— Hum ! tu me fais l’effet de débarder de drôles de marchandises, mon petit père.

— Quand ça se rencontre, tout de même. Et c’est un homme cossu que t’as retiré du bouillon ? dit la Cigale, rompant les chiens.

— Il en avait l’encolure.

— Est-il mort ?

— Je ne crois pas.

— A-t-on l’espoir de le sauver ?

— Je n’en sais rien.

— Son nom, son adresse, les connais-tu ?

— Ni vu ni connu, je t’embrouille.

— Cependant, on l’a transporté quelque part.

— Il y a des chances, à moins qu’on ne l’ait replongé dans la rivière.

— Alors tu ne veux rien me dire ?

— V’là une heure que nous causons.

— V’là la première fois que j’entends dire ça.

— Ça t’intéresse donc un peu, beaucoup, passionnément, cette noyade ?

— Couci, couça.

— Tu connais mon noyé ?

— Non, mais je voudrais le connaître.

— Pourquoi faire ?

— Pour le connaître. Si jamais t’es dans l’embarras, si c’est un homme bien posé, je lui demanderai sa protection pour toi.

— T’es un vrai ami, toi, fit le gamin, en ayant l’air d’essuyer une larme.

Le colosse se mordit les lèvres. Il comprit qu’il faisait fausse route, et qu’en continuant de la sorte, Mouchette, fin et rusé, ne se laisserait pas aller à la moindre confidence.

Il se décida à faire preuve d’une demi-franchise.

— Une personne… que je n’ai pas besoin de nommer.

— Pardine !

— M’avait chargé de prendre des renseignements à ce sujet-là. Comprends-tu ?

— Je comprends que tu voulais m’extirper les lézards de mes jolies narines, mon bonhomme.

— Suis-je ton ami ? Es-tu le mien ?

— Il n’y a qu’entre amis qu’on se fait des canailleries. Il n’y a que les camarades qui vous blousent. Tu me prends donc pour un imbécile ?

— Sois franc, on t’a recommandé la discrétion la plus profonde ?

— Sois franc aussi toi, la Cigale.

— Je ne mens jamais.

— Dis-moi le nom de ton curieux et je te colle le nom et l’adresse de mon noyé.

— Tu la sais donc ?

— Je la trouverai.

— Mon petit Moumouche, dit le géant d’un ton caressant.

— Mon vieux Gagale, répondit le voyou d’une voix pleine de chatteries et de traînaillements.

— T’a-t-on payé pour te taire ?

— T’a-t-on payé pour me questionner ?

— Ah ! t’es vicieux pour ton âge.

— T’es bien innocent pour le tien.

— Enfin… voyons… il n’y a pas moyen de savoir… On t’a recommandé le silence sous peine de la vie ?

— J’obéis jamais à la menace. Si on m’avait menacé, il y a plus d’une heure que t’en saurais autant que moi.

— On t’a donc supplié ?

— Ah ! zut ! à la fin… Personne ne m’a rien recommandé, personne ne s’est mis à mes genoux ; une fois ma récompense touchée, on m’a planté là comme un caillou, ce qui m’a humilié et…

— Et…

— Et, ajouta Mouchette, ça m’a fait les suivre sans qu’ils se doutent le moins du monde que je les suivais.

— Ah ! tu les as suivis ! tu vois.

— Pardine ! puisque je te le dis… Mais c’est tout ce que je te dirai.

— Allons, il faut en prendre son parti… fit la Cigale, qui soupira, tout en pensant à part lui : — Petit mâtin, je te ferai parler avant vingt-quatre heures.

— La séance est levée, hein ! mon président ?

— Il le faut bien. J’entends la Pacline.

— Oui, fit Mouchette en se précipitant, c’est elle qui se casse le cou dans l’escayer… Puis, s’arrêtant sur le seuil : T’as quelque chose à lui demander ?

— Qu’est-ce que ça te fait ? répondit la Cigale, tu refuses de t’épancher dans le sein d’un ami, je n’ai pas besoin de te raconter mes affaires.

— Fameux ! la Cigale qui fait son nez !

— Je ne fais pas mon nez, mais je suis vexé, dit le géant avec bonhomie.

— C’est tout de même.

— Non ; à preuve que je ne t’en veux pas, je vas te donner…

— Quoi ? fit le gamin, qui tendit la main.

— Un bon conseil.

— Ah ! répondit Mouchette, qui retira sa main, je tiens de cette marchandise-là aussi. Elle n’est pas chère.

— Méfie-toi de Coquillard, c’est une mauvaise pratique.

— Ce n’est pas lui qui me fera danser sans violon, et ce n’est pas à moi qu’il doit en vouloir le plus.

— Oh ! moi, je le crains peu ! répliqua le colosse en riant de son rire tranquille.

— Ni moi non plus, dit Mouchette. Merci tout de même, mon Cigale ; t’es un bon zigue et je te pardonne ta curiosité.

— V’là maman Pacline, fit la Cigale ; plus un mot là-dessus.

La porte s’ouvrit.

La Pacline entra.