Les mouvements et leur importance psychologique

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Les mouvements et leur importance psychologique


LES MOUVEMENTS


ET LEUR IMPORTANCE PSYCHOLOGIQUE

Ce n’est guère que depuis une vingtaine d’années que le rôle des mouvements dans la formation des états de conscience a commencé à attirer sérieusement l’attention. Si je ne me trompe, l’ancienne psychologie — celle qui a encore généralement cours chez nous — avait sur cette question des solutions assez simples. Pour elle, il existe deux sortes de mouvements : les uns, involontaires, dont l’étude appartient aux physiologistes ; les autres, volontaires, que nous avons conscience de produire. On n’en peut rien dire, sinon que quand « l’âme » commande, le corps obéit ; nous connaissons la cause et les effets, la conscience ne nous dit rien sur les moyens. En somme, c’était un abandon à peu près complet de toute étude sur cette question.

Les habitudes de l’ancienne école conduisaient naturellement à ce résultat. À mesure au contraire que l’esprit physiologique a pénétré dans la psychologie, imposant l’obligation d’étudier les faits seuls, mais dans leur totalité, sans séparer l’état de conscience de ses conditions organiques, toutes les fois qu’elles sont connues, l’étude des mouvements a pris l’importance qu’elle mérite. La vie psychique, comme l’ensemble des phénomènes nerveux auxquels elle est liée, forme un circuit qui part du monde extérieur pour y revenir. Ce circuit comprend, en gros, trois périodes : l’une de transmission du dehors au centre, une autre d’élaboration dans les centres, une dernière de transmission du centre au dehors. Cette dernière phase — celle de la réaction — a été oubliée par les anciens psychologues. Dans l’organisme, ils n’ont considéré que le côté sensitif, ils ont négligé le côté moteur. D’après eux, le corps, en tant qu’il se meut, est à l’égard de l’« âme » un étranger ou un serviteur. Thèse inadmissible : les faits démontrent au contraire qu’il est un coopérateur indispensable. Le mouvement est un élément de la vie psychique tout aussi bien que la sensation ou l’idée. La vie purement physiologique suppose une décomposition et une recomposition incessantes. Si la décomposition est empêchée, comme le font certains poisons, la vie s’arrête. De même, la vie psychique suppose la réaction motrice au même titre que la réceptivité sensitive. Supprimez les éléments moteurs, la vie psychique devient impossible ; modifiez-les, elle se modifie : c’est ce qui ressortira de cette courte étude.

Pour le psychologue qui ne se borne pas à interroger sa conscience, l’étude des mouvements n’est donc pas une curiosité et un épisode. Elle forme un chapitre de cette investigation qu’il doit poursuivre en partie double, sans jamais séparer les données du sens intime des données physiologiques. Si bizarre que le titre puisse paraître, il y a à faire une psychologie des mouvements, ou pour mieux dire une psychophysiologie : tâche ingrate et difficile, dont on peut à peine essayer une ébauche. Le sujet est trop peu exploré, les matériaux sont trop peu nombreux, les enseignements de la physiologie trop discutés, pour qu’on puisse espérer mieux. Une étude critique de tous les processus psychiques dans leurs rapports avec le mouvement, même réduite à ce qu’il est possible d’affirmer, demanderait un long travail, et nous n’avons pas l’intention de le tenter ici. Nous voudrions simplement en montrer l’importance par l’examen de quelques parties du sujet.

Au point de vue qui nous occupe, les mouvements peuvent être considérés de deux manières :

1o Comme faisant partie intégrante de certains états de conscience qui, sans eux, disparaissent ou changent de caractère ;

2o Comme résultant de certains états de conscience qu’ils traduisent au dehors et complètent.

I

Il est évident, même avant toute recherche, que le premier cas est le plus important, puisque, au lieu de nous montrer le mouvement du dehors et comme un fait de réaction, il nous le montre dans la conscience même, dans la nature intime du fait psychique ; cependant il a été le plus négligé. C’est par lui que nous devons commencer. Parcourons donc rapidement la série des états de conscience, en notant ce qui est propre aux mouvements.

Au plus bas degré, nous rencontrons les actes réflexes simples, ceux où l’excitation d’un nerf périphérique est suivie de mouvements peu complexes, comme dans la toux et l’éternument ; ou, mieux encore, ceux qui constituent le rythme incessant des fonctions fondamentales de la vie (mouvement du cœur, des organes respiratoires, etc.). Bien que, à l’état normal, l’action de tous ces mécanismes ne parvienne pas à la conscience, il est difficile, il est impossible d’admettre qu’ils ne jouent pas un rôle capital dans le sentiment général que nous avons de notre existence, sentiment très vague, qui cependant sert de base à tous les autres et qui ne devient inconscient que par l’habitude. « Non seulement les mouvements au sens ordinaire du mot, mais les mouvements des artères et des viscères sont représentés dans le cerveau. » Ainsi s’exprime l’un des physiologistes qui a le plus profondément étudié le sujet qui nous occupe[1]. Mais il est inutile d’insister sur un point où nous ne pourrions faire que des hypothèses plausibles. D’ailleurs, dans ces réflexes qui ne sont que la matière de la conscience, comment faire au juste la part de ce qui est dû à l’élément moteur ? Nous ferons seulement remarquer qu’ici, au début de notre recherche, — dans le réflexe, — tandis que l’excitation initiale est souvent mal connue, difficile à localiser, la période de la réaction est le moment le mieux connu, le plus frappant, le plus important. Les mouvements tiennent donc le premier rôle.

Notons, en passant, que c’est ici qu’on peut voir clairement pourquoi l’étude des mouvements a été si légèrement traitée par l’ancienne psychologie et pourquoi elle a été reprise dans ces derniers temps. Les psychologues intérieurs, expliquant tout par « l’âme », avaient pour principe de ne pas s’occuper des conditions organiques et de n’étudier que des états de conscience tout formés et par conséquent très complexes. L’école adverse, au contraire, cherchant un fil conducteur dans la connaissance du système nerveux, apprend de la physiologie que le réflexe est le type unique qui se retrouve au fond des actions nerveuses les plus compliquées et les explique. C’est, en effet, une opinion universellement admise aujourd’hui que l’activité cérébrale, si élevée qu’elle soit, ne diffère pas quant à ses éléments constitutifs du simple réflexe spinal. Huxley, Maudsley et d’autres contemporains ne voient même dans l’état de conscience qu’un simple accompagnement, analogue à l’ombre qui suit le corps. Quoi qu’on puisse penser de cette dernière assertion, l’acte réflexe reste toujours le fait simple qui sert à expliquer les faits complexes ; et si tout état psychologique doit être rattaché à une action nerveuse, si toute action nerveuse se réduit à des réflexes, si tout réflexe se réduit à une transmission aux centres, à une modification centrale et à un mouvement, l’étude de l’élément moteur s’impose naturellement.

La valeur psychologique des actes réflexes simples est trop peu connue pour qu’on s’aventure à dogmatiser sur ce sujet ; mais, en descendant jusqu’à eux, nous avons eu l’avantage de bien poser la question, c’est-à-dire de l’embrasser dans sa totalité.

Ce qui vient d’être dit est applicable aux instincts qui ne sont que des réflexes, composés à divers degrés. « Tandis que, dans l’action réflexe simple, une seule impression est suivie d’une seule contraction ; tandis que, dans les formes les plus développées de l’action réflexe, une seule impression est suivie d’une combinaison de contractions ; dans celles que nous distinguons sous le nom d’instincts, une combinaison d’impressions produit une combinaison de contractions ; et dans la forme la plus élevée, dans l’instinct le plus complexe, il y a des coordinations qui tendent à la fois à diriger et à exécuter[2]. » On peut répéter ici ce qui a été dit plus haut : dans les actes instinctifs, comme dans les actes réflexes, l’excitation initiale est souvent très difficile à déterminer ; au contraire, la période de réaction est la mieux connue, la plus importante, la plus frappante. Dans l’instinct, le rôle principal est aux mouvements : supprimez-les en pensée, l’instinct disparaît ; car il est impossible de séparer l’impulsion de l’acte, la tendance du mouvement qui en est la transformation nécessaire. Il est même présumable que les formes les plus élevées de l’instinct, n’étant pas régies par un automatisme absolu et révélant chez l’animal la faculté de s’adapter à des conditions nouvelles, sont toujours accompagnées d’un certain degré de conscience. Il est présumable aussi que, dans ce cas, le mécanisme des mouvements ne s’exécute pas sans constituer un apport à cette conscience naissante ; mais nous ne voulons risquer aucune conjecture sur ce point.

Nous arrivons à un état vraiment psychique, puisqu’il est conscient, et où le mouvement joue le rôle essentiel : il s’agit des sensations musculaires. L’ancienne école s’en est bien peu occupée. À la vérité, Maine de Biran parle souvent du sentiment de l’effort, et il lui attribue une grande importance ; mais il se hâte d’en faire la base d’une métaphysique, de lui demander des révélations mystérieuses sur l’essence des choses et de sortir du domaine psychologique. La physiologie, qui ne se lance pas dans ces hautes questions, a étudié avec beaucoup de soin, dans ces dernières années, les sensations musculaires, à titre de simple fait. Elle a recherché les conditions qui nous permettent de connaître les variations d’état de nos muscles. Elle s’est demandé s’il y a réellement un sens musculaire ou une sensibilité musculaire, ou si ces états ne sont qu’un cas particulier de la sensibilité générale. Malgré les expériences et les observations cliniques, on ne peut pas dire que la question soit tranchée. Le seul exposé critique des doctrines adverses mériterait un article : ce n’est pas notre sujet. Toutefois l’importance psychologique du mouvement, comme élément de connaissance, n’apparaissant nulle part mieux qu’ici, on nous permettra d’y insister un peu[3].

Nous avons conscience, à titre de sensation spéciale, de la contraction de nos muscles volontaires. L’effort pour soulever un poids ou pour tout autre but, le mouvement de nos membres, la marche, la fatigue, l’état de repos même, ont un certain aspect psychologique qui consiste à nous faire connaître la force et l’étendue de nos mouvements. Souvent, la localisation de ces sensations dans certains muscles est très précise ; ainsi, après une longue marche, surtout en descendant, la sensation de fatigue est localisée, au jugement des anatomistes, dans le jambier antérieur et le triceps crural. Mais comment l’intensité et la portée de la contraction musculaire sont-elles connues par la conscience ? On sait que les muscles sont peu sensibles, sauf aux excitations électriques. Le contact, la section agissant directement sur les muscles (il ne s’agit pas de la peau, dont la sensibilité est très-vive) ne donnent lieu qu’à une sensation obscure. Quel est donc le mécanisme anatomique et physiologique par lequel les variations d’état dans les muscles parviennent à la conscience ? C’est sur ce point que porte la discussion.

Ceux qui rejettent absolument tout sens musculaire (Trousseau, Schiff, etc.) soutiennent que, la contraction d’un muscle entraînant pour les parties voisines des changements de forme ou de tension, les phénomènes dits de sensibilité musculaire sont dus à des froissements ou des tiraillements de la peau, des surfaces articulaires, des ligaments, des tendons, et que par conséquent il n’existe pas pour les muscles une sensibilité spéciale. Cette thèse ne paraît plus guère admise actuellement.

D’autres (J. Müller, Ludwig, Bain, Wundt, Bernhardt, etc.) soutiennent que la sensation musculaire est un phénomène d’innervation centrale. Pour eux, le siège ou plutôt le point de départ des sensations de mouvement ne serait pas dans les muscles eux-mêmes, mais dans les cellules nerveuses motrices de l’axe cérébro-spinal. « La sensibilité qui accompagne les mouvements musculaires, dit Bain, coïncide avec le courant centrifuge de l’énergie nerveuse et ne résulte pas, comme dans les cas de sensation pure, d’une transmission par les nerfs centripètes ou sensitifs. » Les partisans de cette théorie s’appuient sur ce fait « que nous n’avons pas seulement la sensation d’un mouvement réellement exécuté, mais même celle d’un mouvement simplement voulu, et que par conséquent la sensation de mouvement paraît liée directement à l’innervation motrice. » Bernhardt, qui a soutenu le plus récemment cette thèse, tout en reconnaissant, avec les auteurs dont il a été question en premier lieu, le rôle que jouent les articulations, les tendons, etc., considère le « sens de la force » (Kraftsinn) comme une fonction psychique, comme un fait d’innervation centrale. Pour l’établir, il a imaginé une expérience dont voici le résumé. Il détermine en quelle mesure on peut reconnaître des différences de poids à l’aide de la jambe placée d’une certaine façon. Puis, par la faradisation, il produit la contraction des muscles de la jambe : dans ce cas, où la volonté n’intervient plus, on constate qu’il est plus difficile de reconnaître la différence entre les poids successivement soulevés[4]. Toutefois, cette expérience est loin d’être concluante : elle a même soulevé beaucoup d’objections.

L’hypothèse d’une sensibilité musculaire spéciale, c’est-à-dire d’origine périphérique et non centrale, soutenue par Bell, Weber, Cl. Bernard, Brown-Séquard, etc., a reçu dans ces derniers temps un très fort appui, grâce aux recherches de Carl Sachs. Ces recherches, confirmées par celles de quelques autres physiologistes, établissent que les filets nerveux qui se distribuent dans les muscles ne sont pas tous moteurs ; mais que quelques-uns sont centripètes ou sensitifs. Pour le démontrer, Sachs isole complètement un muscle de telle façon qu’il ne soit plus en rapport avec le reste du corps que par le moyen du nerf qui l’anime, et il constate que, dans le muscle ainsi isolé, on peut produire des réflexes. De plus, pour bien faire voir que le réflexe est le résultat de la contraction du muscle et non de l’excitation directe des nerfs sensitifs, il emploie un réactif (l’ammoniaque) qui n’agit que sur le tissu musculaire[5]. Il en vient à cette conclusion que le sens musculaire résulte de la pression mécanique que la fibre musculaire primitive exerce sur le réseau nerveux qui l’enveloppe, au moment où, par l’effet de la contraction, elle change de forme et de volume.

Tel est, en résumé, l’état de la question. On peut en conclure que « le sens musculaire dépend d’impressions centripètes dérivant de la contraction des muscles, soit seules, soit jointes aux impressions venant de la peau, des ligaments et des articulations, pendant l’acte de la contraction. » Au reste, quelque opinion qu’on adopte, il reste toujours certain, à titre de fait, qu’il existe des sensations musculaires, que nous en avons conscience et qu’elles ont pour objet, pour matière, des mouvements. Or l’importance psychologique de cet ordre de phénomènes apparaît d’elle-même.

Négligeons pour le moment le rôle que jouent les sensations musculaires dans l’acte de la vision et du toucher actif. Négligeons également ces sensations à peine conscientes qui viennent de la tonicité des muscles[6] et qui contribuent à la connaissance vague que nous avons du fonctionnement de nos organes. Ces exclusions faites, il reste certain que nous devons aux sensations musculaires la connaissance de l’état de nos muscles, de leur position, de leurs déplacements, de leur effort, des poids soulevés, de la résistance. C’est le sens musculaire qui nous rend compte à chaque instant de la position de notre corps dans son ensemble, de la position relative des membres, du tronc et de la tête. Chaque fois que nous changeons d’attitude, nous recevons une somme de sensations dont les effets sont de la plus haute importance pour la station et la marche. La valeur psychologique de toutes ces notions n’a pas besoin d’être démontrée. À la vérité, on peut dire que le mouvement musculaire n’est pas connu directement sous forme de mouvement ; que pour entrer dans la conscience, pour devenir un objet de connaissance il doit subir une transformation ; en d’autres termes et pour parler le langage physiologique, il doit, dans l’hypothèse de Carl Sachs, être envoyé par des nerfs sensitifs au sensorium. Mais, en cela, il ne diffère essentiellement d’aucun autre ordre de sensations, toutes n’étant en définitive que le résultat d’une transformation de mouvements.

L’importance psychologique du sens musculaire, et par conséquent des mouvements, ressort également des cas morbides. Certains malades, privés de ce sens, dès qu’ils cessent de voir leurs membres, n’ont plus conscience de leur position ni même de leur existence ; ils ignorent s’ils sont en état d’extension ou de flexion ; ils les croient dénués de pesanteur[7]. Cet affaiblissement de la sensibilité musculaire n’est pas très rare chez les mélancoliques et les hypochondriaques. Dans d’autres cas aussi instructifs, c’est le contraire qui se produit : le sens musculaire conserve son intégrité au milieu de l’anesthésie générale. « Ainsi, les hystériques ne perdent que rarement le sens musculaire, et, alors que toutes les autres sensibilités tactiles ou affectives sont abolies, elles ont conservé la faculté de coudre, de tricoter, d’écrire, mouvements qui exigent des sensations très parfaites et très complexes[8]. »

Nous avons insisté sur le sens musculaire, parce qu’il nous plaçait au centre même de notre sujet. Nulle part, le rôle psychologique des mouvements n’est plus important, ni plus facile à montrer. En traitant des perceptions, c’est de lui que nous allons encore nous occuper.

Il n’y a rien à dire du goût ni de l’odorat. Quant à l’ouïe, la seule détermination dans l’espace que nous lui devions, c’est la direction (la distance des objets sonores nous est révélée par d’autres sens). Cette connaissance est due à l’action combinée des deux oreilles, qui donnent des perceptions inégales, suivant que le son se produit à droite ou à gauche. Il est difficile, sans un mouvement de la tête, de dire si un son qui se dirige droit vers nous vient du devant ou du derrière. C’est ce qu’ont établi les expériences de Gellé. À l’aide de son tube inter-auriculaire, il supprime toute influence des mouvements de la tête et des vibrations du pavillon de l’oreille sur la perception du son ; dans ces conditions, l’orientation auditive est totalement supprimée. Le rôle des mouvements est mis ainsi hors de doute. Toutefois, leur étude, sous cette forme, ne rentre pas dans notre sujet, car nous avons à les considérer ici comme éléments et non comme moyens de connaissance, comme faisant partie d’un état psychique et non comme l’aidant à se former.

Nous ne les rencontrons sous cette forme que dans les perceptions de la vue et du toucher. Pour ces deux sens, il suffit de rappeler ce qui a été dit ici même à propos du débat des nativistes et des empiriques (Revue Philosophique, tome VI, p. 130).

Pour le toucher, les mouvements jouent un double rôle. Ils ne sont pas seulement un moyen précieux de varier et de multiplier les contacts ; ils sont par eux-mêmes une source de connaissances, parce qu’ils sont la source d’états psychiques qui constituent une véritable conscience musculaire. Chaque mouvement a sa modalité propre, suivant la nature des muscles mis en jeu, suivant la direction du mouvement (flexion, extension, rotation, etc.), suivant sa durée, son intensité, suivant le degré d’effort et la résistance. L’expérience nous apprend que toutes ces nuances sont transmises à la conscience et qu’elles servent de base à la localisation des perceptions. Le « sens du lieu », le Ortsinn, est en bonne partie un effet des mouvements. Pour comprendre le rôle psychologique qu’ils jouent dans ce cas, il suffit de rappeler que, d’après les empiriques, l’état de conscience qui accompagne certains modes de mouvement musculaire est l’origine de nos perceptions de longueur, hauteur, largeur, forme, position, direction, c’est-à-dire de toutes les déterminations de l’espace.

De même pour la vue. Les mouvements du corps, de la tête, des muscles oculaires servent de moyens pour apprécier la direction, la distance, la grandeur des objets perçus. Mais les sensations musculaires par elles-mêmes entrent à titre d’éléments dans la perception visuelle. Les physiologistes, dans ces derniers temps, ont montré que les sensations de mouvement servent beaucoup à expliquer la formation du champ optique. D’ailleurs, les sensations de couleur, qui sont l’objet propre et immédiat de la vue, ne nous donnent la perception de l’étendue que parce qu’à la longue elles sont devenues pour nous représentatives des sensations tactiles et musculaires que nous pourrions avoir en touchant l’objet coloré. Ce résultat d’une association d’expériences sans nombre ne doit pas nous faire oublier l’état primitif, le rôle que les sensations musculaires ont joué à l’origine, avant d’être remplacées par leurs substituts[9], les impressions de couleur. « On pense généralement, dit Hughlings Jackson, que le processus anatomo-physiologique qui se produit quand nous avons des idées visuelles des objets est purement sensoriel. Cependant, par un processus sensoriel, nous ne pouvons connaître que les propriétés secondaires des corps, ou, comme Herbert Spencer les appelle, dynamiques. Pour avoir l’idée des propriétés primaires ou statiques (grandeur et forme), le mouvement est absolument nécessaire. Pour ceux qui n’ont pas réfléchi sur la question, cela peut sembler un simple non-sens de dire que le processus anatomo-physiologique à l’aide duquel nous obtenons l’idée visuelle de la forme d’un objet est un processus moteur. Il semble si clair que la forme d’un objet consiste en sa simple impression sur la rétine, expansion sensorielle qui est en relation immédiate avec les centres supérieurs du cerveau. Et pourtant il est vraiment inutile de prouver qu’ici la chose essentielle est le mouvement. Comme le dit Spencer dans sa Psychologie, la perception de tout attribut statique d’un corps se résout en perceptions de positions relatives qui sont acquises par le mouvement… Et ailleurs : Les mouvements des yeux, nécessaires pour mettre les éléments sensitifs de la rétine en contact successif avec les différentes parties de l’image, étant eux-mêmes connus par la conscience, deviennent des éléments (components) de la perception. » (Ouvrage cité, p. 31, 32.)

Cette remarque nous conduit à un autre groupe d’états psychiques : les idées. Laissant de côté toute théorie, on peut dire que ce terme désigne ou bien des images, ou bien des abstractions, c’est-à-dire des extraits, fixés par des signes, par des mots. Quel rôle joue ici le mouvement ?

Si, lorsque nous voyons « réellement » un objet, le mouvement est un élément essentiel, ne doit-il pas jouer le même rôle quand nous voyons l’objet « idéalement » ? Quand nous pensons à un objet absent, dans notre réminiscence il y a nécessairement une vue idéale de sa forme comme de sa couleur. « Il s’ensuit qu’il doit y avoir un élément moteur aussi bien qu’un élément sensoriel dans le substratum anatomique dont la faible décharge correspond à ce que nous appelons penser à un objet. Cette notion peut paraître singulière. Quoi de commun, dira-t-on, entre un mouvement et une idée, l’un étant un processus physique, l’autre un processus mental ? Je le répète, le mouvement entre comme élément, non dans les idées, mais dans le substratum anatomique des idées[10]. » Nous dirons à notre tour : Puisque le mouvement, fait physique, entre dans la conscience, c’est-à-dire devient psychique (par une transformation dont nous ignorons et dont il ne nous importe pas de connaître la nature), et entre comme élément dans ce tout complexe qui constitue une perception, le même élément psychique doit se retrouver aussi dans les images qui, n’étant que des perceptions affaiblies, supposent les mêmes conditions anatomo-physiologiques, les mêmes conditions psychologiques. L’idée d’une boule, par exemple, n’est-elle pas la résultante d’impressions de surface et d’ajustements musculaires particuliers ? On peut donc conclure que le groupe des idées visuelles et tactiles tout au moins — et ce groupe contient les principaux matériaux de nos connaissances — implique des éléments moteurs.

Restent les idées générales et abstraites, parmi lesquelles il faut distinguer deux classes : 1o  celles qui sont assez simples pour se former sans l’aide du langage : elles existent chez les animaux supérieurs comme chez l’homme ; 2o  celles qui sont trop complexes pour se former et se fixer sans les mots.

Il serait trop conjectural de vouloir déterminer le rôle des éléments moteurs dans les idées générales de la première espèce. La connaissance de leurs conditions physiologiques est insuffisante, et l’analyse idéologique n’y parviendrait pas. — Il n’en est pas de même pour les idées abstraites de l’ordre le plus élevé. Elles sont liées au mot, et le mot, soit réellement articulé, soit simplement remémoré, est un fait physio-psychologique où le mouvement entre comme élément essentiel. Nous pouvons donc nous y arrêter un peu, puisque nous voyons ici le mouvement pénétrer dans l’une des opérations supérieures de l’activité mentale. Sans nous inquiéter des maladies du langage ni de ce qu’elles pourraient fournir à une étude plus approfondie, examinons simplement le mot comme état de conscience ; par lui, nous saisirons le rôle des mouvements dans la formation des idées.

Il y a sur ce point une intéressante discussion de Bain et de Bastian, peu connue en France et qui nous semble cependant épuiser le sujet[11]. Pour Bain, le mot, considéré comme état psychique (tel qu’il existe dans la conscience, quand nous pensons ou lisons tout bas), « nous revient dans la mémoire en partie sous forme d’impressions auditives, en partie sous forme d’articulations : à cela s’ajoute dans le langage écrit des signes visibles, laissant après eux des souvenirs visuels. Il y a de la sorte deux éléments sensitifs et un élément moteur ; il y aurait enfin un autre élément moteur si nous comptons l’acte même d’écrire. »

Pour Bastian, au contraire, « dans la pensée qui se sert du langage, le souvenir des impressions auditives est tout ; celui des articulations n’est rien. » Il soutient d’ailleurs, comme le fait remarquer son contradicteur, cette thèse plus générale : « que, dans la pensée, nos idées fournies par les sens propres (perception de la vue, de l’ouïe, du toucher, etc.) jouent seules un rôle ; tandis que nos idées musculaires de résistance, de mouvement, etc., n’en jouent aucun. » C’est, on le voit, le fond même de notre sujet qui est débattu ici à propos d’un cas particulier.

L’argumentation de Bain nous paraît sans réplique. Pour montrer que c’est principalement sur les idées articulées que repose l’acquisition du langage, il considère l’enfant qui apprend une leçon sans qu’il lui soit permis de parler à haute voix. Que fait-il ? Il lit sans doute des yeux la phrase à apprendre, mais il la répète ensuite en l’articulant tout bas, à demi. L’homme fait, qui lit silencieusement, accompagne chaque perception visuelle d’un mouvement secret d’articulation. « Mais interrogeons tous notre conscience sur ce fait de penser au moyen du langage. Prenons le souvenir d’une série très familière d’émissions vocales, de l’alphabet, par exemple. De quoi avons-nous surtout conscience dans ce cas ? D’une série d’idées d’articulations. Il se peut qu’il y ait là-dessous une série d’idées de sons ; il se peut que ces idées de sons soient le fond même et la trame de toutes ces associations ; mais il en serait ainsi, que nous ne saurions l’apercevoir et que cela ne pourrait être prouvé qu’indirectement. La même remarque s’appliquerait à d’autres cas où le langage est au service d’une opération très simple, par exemple aux opérations arithmétiques faites de tête. Lorsque nous cherchons, sans aucun secours matériel, une somme, une différence, un produit ; lorsque nous énonçons que six et sept font treize, que cinq fois neuf font quarante-cinq, etc., nous avons directement conscience d’un travail d’articulation. Les articulations sept et six sont immédiatement suivies de cette autre articulation treize. »

II

Nous venons de montrer que le mouvement entre dans la plupart de nos états de conscience comme élément constitutif ; que les perceptions, les images et les idées le supposent ; que, s’il était supprimé, ces états disparaîtraient ou du moins prendraient une autre forme que notre conscience actuelle ne nous permet pas d’imaginer. Il nous resterait à examiner le rôle des mouvements dans les sentiments et les volitions. En vue d’une recherche complète, il y aurait à déterminer tout d’abord — ce qui n’a pas été fait jusqu’ici, croyons-nous — si, indépendamment des mouvements qui les expriment et les traduisent, les divers groupes de sentiments impliquent des éléments moteurs, à titre de parties intégrantes, comme le font les sensations et les images. Nous ne l’essayerons pas dans cette courte étude, et même, en ce qui concerne les mouvements comme résultant de certains états de conscience, nous ne voulons indiquer que quelques points.

De tout temps, on a noté la relation intime qui unit les sentiments et les volitions aux mouvements. Toutefois, l’ancienne psychologie, par suite de ses habitudes et de sa méthode, a toujours eu une tendance à considérer les phénomènes moteurs comme un acte extérieur, comme un résultat, une conséquence, mais d’une nature étrangère. Dès que le mouvement commence, la tâche du psychologue finit. C’est une étude qu’il passe à d’autres, qui relève de la physiologie, et, lorsqu’il l’a signalée en général comme un cas d’influence de l’« âme » sur le corps, il croit n’avoir plus à s’en occuper. L’ancienne psychologie se contente de dire « que dans certains cas l’idée ou le sentiment produit un mouvement », formule qui est suffisante pour la langue courante, mais qui dans un traité scientifique est inexacte et cache une fausse conception. Ce serait en effet chose merveilleuse, comme le dit justement Hughlings Jackson, que ce changement total et soudain de fonction. Une idée telle que les spiritualistes la définissent, produisant subitement un jeu de muscles, ne serait guère moins qu’un miracle.

Au contraire, si au lieu de considérer les faits psychiques à cet état d’abstraction, dissociés de leurs antécédents et de leurs conséquents, on les considère sous leur forme concrète, c’est-à-dire dans leur totalité, la question change. Les phénomènes moteurs apparaissent non plus comme un élément étranger, mais comme un moment du processus psychique, comme une phase de l’évolution totale. Seule la méthode psycho-physiologique conduit à une bonne position du problème, en montrant qu’à la base de la vie mentale, partout et toujours, il y a des mouvements. En effet, la condition de toute activité psychique est l’existence d’un système nerveux, et le type de l’action nerveuse, — il est oiseux de le répéter, — c’est l’acte réflexe avec ses trois moments constitutifs. Quelque complexe que soit l’organisation nerveuse, dans sa structure anatomique ou dans son dynamisme physiologique, le mécanisme fondamental ne change pas ; il consiste, de son origine à sa fin, en une transmission de mouvement. Il est impossible que le mouvement communiqué aux centres ne se restitue pas au dehors sous quelque forme. Rien d’étonnant donc si tout état psychique est une tendance[12], s’il est suivi d’un mouvement : c’est la loi ; et ce sont les cas contraires — s’il en existe — qui auraient besoin d’être expliqués.

On peut objecter, à la vérité, que le deuxième moment (passage dans les centres nerveux) est celui qui intéresse particulièrement la psychologie, puisque, d’après l’opinion généralement admise, c’est à ce moment que correspond la conscience. Mais cette remarque n’a qu’une valeur relative. La conscience n’est pas une entité, c’est un état qui accompagne certains processus nerveux et qui, suivant les circonstances, paraît ou disparaît. Le troisième moment (centrifuge) est souvent accompagné de conscience. Diverses formes de notre activité sont conscientes ; d’autres ne le sont pas. La même forme peut successivement l’être et ne plus l’être. Par la répétition et l’habitude, des actes conscients d’abord deviennent automatiques. Peut-être même des actes, aujourd’hui inconscients dans l’individu, ont été conscients à l’origine de l’espèce ; mais l’hérédité, qui est une habitude spécifique, les a fixés.

Le dernier fond de la vie psychique est donc mouvement autant que sensation. Aussi les psychologues, pénétrés de l’esprit nouveau, inclinent à donner à ce fait de la corrélation intime du mouvement et de l’idée l’attention qu’il mérite. « Nous sentons à chaque instant, dit Bain, combien il est aisé de convertir les idées en actions… Si l’idée tend à produire le fait, c’est que l’idée est déjà le fait sous une forme plus faible. Penser, c’est se retenir de parler ou d’agir. » Taine, dans sa dernière édition de l’Intelligence, insiste encore plus fortement : « Dès qu’une image reste quelques instants en pleine lumière, un événement singulier se produit. Tout de suite, elle se transforme en impulsion, en action, en expression, par suite en contraction musculaire… Plus on imagine nettement et fortement une action, plus on est sur le point de la faire. Dans les naturels imaginatifs, l’idée d’un geste entraîne ce geste. » En un mot, on peut dire « que, quand l’image devient très lumineuse, elle se change en impulsion motrice. » On peut donc supposer que, s’il y a dans l’écorce cérébrale des points où l’image devient particulièrement claire, ces points se rencontrent là où les extrémités terminales de l’appareil intellectuel s’abouchent avec les extrémités initiales de l’appareil moteur. « D’innombrables courants intellectuels cheminent ainsi dans notre intelligence et notre cerveau, sans que nous en ayons conscience, et ordinairement ils n’apparaissent à la conscience qu’au moment où, devenant moteurs, ils entrent dans un autre lit[13]. »

Dans la voie indiquée par ces auteurs, il reste beaucoup à faire, quoique Darwin dans son livre Sur l’expression des émotions et Bain dans sa classification des émotions simples en neuf groupes aient étudié les mouvements dans leurs rapports avec les passions. D’un autre côté, les recherches récentes des anatomistes et des physiologistes sur les centres psycho-moteurs n’ont pas encore suffisamment attiré l’attention des psychologues : il serait utile qu’un travail critique en déterminât la portée.

Mais l’étude des mouvements considérés comme facteurs de la vie mentale ne doit pas être prise seulement par son côté positif. Il y aurait aussi les côtés négatifs du problème à examiner. L’acte psychique sous sa forme pleine et entière, c’est-à-dire normale, correspond au processus nerveux (transmission, élaboration centrale, mouvement), et cependant il est loin de se présenter toujours sous une forme aussi simple.

Il y a des cas où le premier moment fait défaut : le point de départ paraît être dans une activité spontanée des centres qui est suivie d’un mouvement. Il faudrait rechercher en quoi consiste cette prétendue activité spontanée et s’il y a lieu de l’admettre[14].

Il y a des cas (et ceci est notre sujet même) où le troisième moment fait défaut : l’impression transformée en état de conscience ne paraît pas restituée au dehors sous forme de mouvement. Il y aurait lieu de rechercher ce qu’il faut penser de cette apparence : on verrait que l’action centrifuge se traduit par quelques modifications, ou que sa suppression supposée n’est qu’un retard.

Enfin il y a des cas où le deuxième moment semble se produire seul, sans antécédents ni conséquents (réflexion, méditation, raisonnement abstrait). L’étude de ce troisième cas suppose l’examen préliminaire des deux autres et trouverait en eux sa solution.

Si, de cette étude faite en détail, avec les données que la psychologie et la physiologie fournissent actuellement, on pouvait conclure, comme cela est probable, que tout état de conscience, quel qu’il soit, tend à produire des mouvements, en raison directe de son intensité, et inversement que tout état de conscience, quel qu’il soit, perd de son intensité en raison directe du mouvement qu’il produit, on serait ainsi conduit à quelques vues générales sur le mécanisme de la conscience.

Pour le moment, ce qui ressort des considérations précédentes, c’est que le mouvement et la sensation sont l’étoffe dont la vie mentale est faite. Cette thèse correspond en psychologie à celle que Laycock et Carpenter ont soutenue les premiers en physiologie et qui a été exprimée sous cette forme : « Les hémisphères cérébraux consistent en arrangements nerveux propres à coordonner les impressions et les mouvements ; en d’autres termes, l’unité de composition de ce centre nerveux est sensori-motrice, et le substratum de toute activité mentale, ce sont les processus sensori-moteurs. » Leur doctrine ne s’est pas imposée d’emblée ; il s’est écoulé des années avant qu’on en ait vu la portée et déduit les conséquences. Même aujourd’hui, beaucoup de physiologistes semblent admettre implicitement que le substratum de « l’âme » se compose simplement des nerfs afférents avec leurs centres. Il n’est donc pas étonnant que la même conception domine dans la psychologie courante.

Le rôle des mouvements est cependant trop important pour avoir été totalement méconnu. La doctrine de la « faculté motrice », soutenue principalement chez nous par Garnier et M. Bouillier, est, si je la comprends bien, une revendication en faveur du groupe oublié des phénomènes moteurs. Le caractère de haute généralité que ces auteurs attribuent à leur faculté montre qu’ils en ont bien vu toute l’importance. Mais leur défiance à l’égard de la physiologie et leur méthode métaphysique les a conduits à supposer une « faculté de l’âme », c’est-à-dire une entité, là où il n’y a qu’une loi générale de l’activité nerveuse. Actuellement, que l’hypothèse des facultés est délaissée, et qu’en psychologie l’étude des faits et de leurs rapports tend à prévaloir, la question doit être prise d’une autre manière. Elle offre une ample matière aux recherches : les remarques qui précèdent n’ont d’autre prétention que de les susciter.

Th. Ribot.

  1. Hughlings Jackson, Clinical and physiological Researches on the nervous System. IOn the localization of movements in the Brain, p. 18.
  2. Herbert Spencer, Principes de psychologie, t. I, p. 194.
  3. La bibliographie des travaux consacrés au sens musculaire serait très longue ; nous nous bornerons à indiquer les principaux. Ch. Bell et plus tard Gerdy ont attiré les premiers l’attention sur l’existence de ce sens. — Voir : Trousseau, Clinique, t. II, ch. lx. — Bain, Les sens et l’intelligence, 1re  part., ch. iii. — Wundt, Menschen und Thierseele, Physiologische Psychologie, p. 163, et Lehrbuch der Physiologie des Menschen, 4e  édit., 1878, p. 600. — Ferrier, The Functions of the Brain, p. 74-76. — Les deux importants mémoires de Bernhardt et de Sachs cités ci-après.
  4. Pour les détails, voir le mémoire de Bernhardt : Zur Lehre von Muskelsinn, dans Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 1872.
  5. Carl Sachs emploie aussi la méthode wallérienne, c’est-à-dire l’étude de la dégénération des nerfs séparés de leurs centres trophiques, qui le conduit au même résultat. Son travail, publié dans Reichert u. du Bois-Reymond’s Archiv, 1874, a pour titre Physiologische u. anatomische Untersuch, über die sensiblen Nerven der Muskeln. — Ajoutons que G.-H. Lewes, dans un article publié dans Brain et analysé ici (tome VI, p. 63), tout en acceptant les conclusions de Sachs, adopte une opinion éclectique qui fait la part à l’innervation centrale, aux sensations cutanées, etc.
  6. Sans parler des sphincters, les muscles sont dans un état de contraction légère qu’on appelle tonicité : elle a pour cause une incitation permanente de la moelle, qui est elle-même de nature réflexe.
  7. « J’ai vu, dit Briquet (Traité de l’hystérie), une jeune fille dont toute la peau et tous les muscles étaient anesthésiés… Obligée de rester au lit toute la journée à cause de la faiblesse de la contractilité des muscles, elle ne pouvait se servir de ses mains qu’à l’aide de la vue, qui était en quelque sorte le seul sens qui gouvernait tout. L’insensibilité de ses membres était si profonde qu’en lui bandant les yeux on pouvait l’enlever de son lit, sans qu’elle eût la moindre idée de ce qui s’était passé. Elle comparait la sensation qu’elle éprouvait ordinairement à ce que devrait éprouver une personne suspendue en l’air par un ballon. » Le sentiment de « ravissement » dont parlent beaucoup d’extatiques est attribué par certains auteurs à une paralysie du sens musculaire.
  8. Richet, Recherches cliniques et expérimentales sur la sensibilité, p. 225.
  9. Pour éviter les redites, nous nous permettrons de renvoyer à notre Psychologie allemande contemporaine, ch. V et ch. VII, § 4, où la question est traitée en détail.
  10. Hughlings Jackson : Ouvrage cité, p. 33.
  11. Elle est contenue dans deux articles de Charlton Bastian publiés dans la Fortnightly Review, 1er  janvier 1869 ; dans le Medical and chir. Review, janvier et avril 1869, et dans la réponse de Bain (Fortnightly Review, avril 1869). Il est impossible d’analyser cette longue discussion. Ceux qui auront recours aux textes seront pleinement édifiés sur la question. On peut consulter aussi en faveur de la thèse de Bain : Carpenter, Principles of mental Physiology, p. 84, et un mémoire de Ferrier dans le West Riding medical Reports, t. III, p. 76, trad. en français par M. Duret, sous ce titre : Recherches expérimentales sur la physiologie et la pathologie cérébrales, p. 68.
  12. Nous entendons par tendance la simple continuation du mouvement, sans prêter à ce mot aucun sens mystique, comme on l’a fait si souvent.
  13. Bain, The Senses and the Intellect., 2e  partie, ch. I, p. 8. — Taine, De l’intelligence, 3e  édit., t. I, p. 482.
  14. On trouvera dans le nouveau livre de Herzen : Il moto psichico e la coscienza, p. 38, une excellente discussion sur la prétendue spontanéité des centres nerveux et une critique approfondie de la thèse de Bain sur ce sujet.