Les plantes insectivores/17

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Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 464-503).

chapitre XVII.

utricularia.

Utricularia neglecta. — Conformation de la vessie. — Destination des différentes parties. — Nombre des animaux emprisonnés. — Mode de capture. Les vessies ne peuvent pas digérer les matières animales, mais elles absorbent les produits de leur décomposition. — Expériences sur l’absorption de certains liquides par les processus quadrifides. — Absorption par les glandes. — Résumé des observations sur l’absorption. — Développement des vessies. — Utricularia vulgaris. — Utricularia minor. — Utricularia clandestina.


J’ai été conduit à étudier les habitudes et la conformation des espèces de ce genre parce qu’elles appartiennent à la même famille naturelle que le Pinguicula, et surtout parce que M. Holland m’a affirmé que l’on trouve souvent des insectes aquatiques emprisonnés dans les vessies, et qu’il émet l’idée que la plante tire quelque nourriture de ces insectes[1]. Les plants que l’on m’a envoyés du New Forest, forêt dans le Hampshire, et de la Cornouailles sous le nom d’Utricularia vulgaris, et sur lesquels j’ai principalement expérimenté, ont été examinés par le Dr Hooker, qui est arrivé à la conclusion qu’ils appartiennent à une espèce anglaise très-rare l’Utricularia neglecta[2], Lehm. Subséquemment on m’a envoyé du Yorkshire le vrai Utricularia vulgaris.


Fig. 17. — Ulricularia neglecla.
Branche dont les feuilles divisées portent des vessies, grossie environ deux fois.
Depuis que j’ai écrit la rédaction de la description suivante, faites d’après mes propres observations et celles de mon fils Francis, le professeur Cohn a publié un important mémoire sur l’Ulricularia vulgarisaris[3] ; j’ai été fort heureux de trouver que mes observations concordent presque complètement avec celles de cet éminent naturaliste. Je vais publier ces observations telles qu’elles étaient écrites avant la publication du professeur Cohn ; mais je lui emprunterai de temps en temps quelques remarques.

Utricularia neglecta. — La fig. 17 représente l’aspect général d’une branche, grossie environ deux fois, avec ses feuilles pinnatifides qui portent des vessies. Les feuilles se bifurquent indéfiniment, ce qui fait qu’arrivée à sa croissance complète, une feuille comporte vingt ou trente pointes. Chaque pointe se termine par un piquant court et droit ; de légères entailles sur les côtés de la feuille portent des piquants semblables. On remarque sur les deux surfaces de la feuille un grand nombre de petites papilles couronnées de deux cellules hémisphériques étroitement en contact l’une avec l’autre. Ces plantes flottent près de la surface de l’eau ; elles sont entièrement dépourvues de racines, même pendant la première période de leur croissance[4], elles habitent ordinairement, comme plus d’un observateur l’a fait remarquer, des fossés remplis d’eau sale.

Les vessies constituent la partie la plus intéressante de la feuille. Il s’en trouve souvent deux ou trois sur la même feuille divisée, ordinairement près de la base ; toutefois j’en ai vu une isolée placée sur la tige. Les vessies sont supportées par un court pédicule. Complètement développées, elles ont près de 1/10 de pouce (2,54 millim.) de longueur. Elles sont translucides, verdâtres, et les parois se composent de deux couches de cellules. Les cellules extérieures sont polygonales et assez grandes ; mais dans les points où les angles se rencontrent, on trouve des cellules plus petites et arrondies. Ces dernières supportent de courtes projections coniques, surmontées par deux cellules hémisphériques apposées si étroitement l’une à l’autre qu’elles paraissent unies ; mais elles se séparent souvent un peu quand elles sont plongées dans certains liquides. Les papilles ainsi formées ressemblent exactement à celles qui sont placées à la surface des feuilles. Les papilles d’une même vessie ont une grosseur très-variable. Quelques-unes, surtout sur les vessies très-jeunes, sont elliptiques au lieu d’être circulaires. Les deux cellules terminales sont transparentes, mais elles doivent contenir beaucoup de matières en solution, s’il faut en juger d’après la quantité qui se coagule à la suite d’une immersion prolongée dans l’alcool ou dans l’éther.


Fig. 18. Utricularia neglecta.
Vessie considérablement grossie. c, col vu indistinctement à travers les parois.
Les vessies sont remplies d’eau. Ordinairement, mais pas toujours, elles contiennent des bulles d’air. Elles varient beaucoup en épaisseur, selon la quantité d’eau et d’air qu’elles contiennent ; mais elles sont toujours un peu comprimées. Au commencement de la croissance, la surface plate ou ventrale regarde l’axe ou la tige ; toutefois, les tiges qui les supportent doivent être douées d’une certaine faculté de mouvement, car, chez les plantes cultivées dans ma serre, la surface ventrale est ordinairement droite ou tournée obliquement vers le bas. Le révérend H.-M. Wilkinson a examiné des plantes à l’état sauvage et a trouvé que chez elles la surface ventrale est ordinairement disposée de la même façon, mais que souvent les valves des jeunes vessies sont tournées vers le haut.

La figure 18 représente l’aspect général d’une vessie, vue de côté, avec les appendices qui se trouvent du côté exposé à la vue. Le côté inférieur, relié à la tige, est presque plat, et c’est ce que j’ai appelé la surface ventrale. L’autre surface, ou surface dorsale, est convexe et se termine par deux longs appendices, composés de plusieurs rangées de cellules contenant de la chlorophylle ; elle porte, en outre, principalement à l’extérieur, six ou sept poils multicellulaires, longs et pointus. On peut, pour plus de commodité, appeler antennes ces prolongements de la vessie, car l’appareil entier ressemble assez bien (voir la fig. 17) à un crustacé entomostracé ; la tige courte représente la queue. Dans la figure 18, l’antenne la plus rapprochée est seule figurée. Au-dessous des deux antennes, l’extrémité de la vessie est légèrement tronquée, et c’est là que se trouve la partie la plus importante de tout l’organisme, c’est-à-dire l’entrée et la valve. De chaque côté de l’entrée se trouvent de trois à sept, mais rarement ce dernier nombre, longs poils multicellulaires qui se projettent vers l’extérieur ; la figure ne représente que quatre de ces poils. Ces poils, ainsi que ceux portés par l’antenne, forment une sorte de cône creux qui entoure l’entrée.

La valve est disposée en biais dans la cavité de la vessie ou de bas en haut, comme dans la figure 18. Elle est attachée de tous les côtés à la vessie, excepté par son bord postérieur ou son bord inférieur comme dans la figure 19 ; ce bord reste libre et forme un des côtés de l’orifice en fente qui conduit dans la vessie. Ce bord est à arêtes vives, minces et polies et repose sur le bord d’un collier qui s’enfonce profondément dans la vessie, comme on le voit dans la coupe longitudinale, figure 20, du collier de la valve. Il est aussi représenté en c, figure 18. Le bord de la valve ne peut donc s’ouvrir que de l’extérieur à l’intérieur. Comme la valve et le collier s’enfoncent dans la vessie, on trouve là un creux ou une dépression à la base duquel se trouve l’orifice en fente.

La valve est incolore, très-transparente, flexible et élastique. Elle est convexe dans une direction transversale, mais la figure 19 la représente aplatie, ce qui augmente sa largeur apparente. Elle se compose, selon Cohn, de deux couches de petites cellules qui forment la continuation des deux couches de plus grandes cellules constituant les parois de la vessie, dont elle est évidemment un prolongement. Deux paires de piquants pointus, transparents, à peu près aussi longs que la valve elle-même, partent d’un endroit situé près du bord postérieur libre (fig. 18) et se dirigent obliquement vers l’extérieur, dans la direction des antennes. On trouve aussi à la surface de la valve de nombreuses glandes ; je leur donne ce nom parce qu’elles ont la faculté d’absorber, bien que je doute qu’elles sécrètent jamais. On remarque trois sortes de ces glandes qui, jusqu’à un certain point, se confondent les unes avec les autres.


Fig. 19. — Utricularia neglecta.
Valve de la vessie, considérablement grossie.


Celles qui sont situées autour du bord antérieur de la valve (bord supérieur dans la fig. 19) sont très-nombreuses et très-rapprochées les unes des autres ; elles se composent d’une tête oblongue portée par un long pédicelle. Le pédicelle lui-même est fermé d’une cellule allongée, surmonté d’une cellule plus courte. Les glandes situées près du bord libre postérieur sont beaucoup plus grandes, bien moins nombreuses, presque sphériques, et elles surmontent des pédicelles courts ; la glande est formée par la confluence de deux cellules, dont la plus basse répond à la courte cellule supérieure des pédicelles des glandes oblongues. Les glandes de la troisième sorte sont allongées transversalement et surmontent des tiges très-courtes ; en conséquence, elles sont parallèles à la surface de la valve et situées tout près d’elle ; on peut les
Fig. 20. ― Utricularia neglecta.
Coupe verticale longitudinale à travers la partie ventrale de l’utricule ; on voit la valve et le collier. — v, valve ; toute la projection au-dessus de c forme le collier ; b, processus bifides ; s, surface ventrale de l’utricule.
appeler glandes à deux bras. Les cellules composant toutes ces glandes contiennent un noyau et sont revêtues d’une couche mince de protoplasma plus ou moins granuleux, ce qui constitue l’utricule primordiale de Mohl. Elles sont remplies d’un liquide qui doit contenir beaucoup de matières en solution, à en juger par la quantité qui se coagule après une longue immersion dans l’alcool ou dans l’éther. La dépression où se trouve la valve est aussi recouverte d’innombrables glandes ; celles situées sur les côtés ont des têtes oblongues et des pédicelles allongés et ressemblent absolument aux glandes situées sur les parties adjacentes de la valve.

Le col, que Cohn appelle le péristôme, est évidemment formé comme la valve par une projection intérieure des parois de la vessie. Les cellules qui forment la surface extérieure ou qui se trouvent en face de la valve ont des parois assez épaisses ; elles sont brunâtres, très-petites, très-nombreuses et très-allongées ; les cellules inférieures sont divisées en deux par des cloisons verticales. Le tout a un aspect élégant et compliqué. Les cellules qui forment la surface intérieure sont continues avec celles qui recouvrent toute la surface intérieure de la vessie. L’espace compris entre la surface intérieure et la surface extérieure se compose de tissu cellulaire grossier (fig. 20). La surface intérieure est complétement recouverte de processus bifides délicats que nous décrirons tout à l’heure. Le col est donc épais, et il est assez rigide pour conserver la même forme alors que la vessie contient plus ou moins d’air ou d’eau. Cette disposition est d’une grande importance pour la plante, car, autrement, la valve, mince et flexible, serait exposée à être tordue, et dans ce cas, ne pourrait plus agir convenablement.

En résumé, l’entrée dans la vessie, formée de la valve transparente avec ses quatre poils qui se projettent obliquement, ses glandes nombreuses et de formes différentes, entourée par le col qui porte des glandes à l’intérieur et des poils à l’extérieur, outre les poils portés par les antennes, présente au microscope un aspect extraordinairement compliqué.

Examinons actuellement la conformation intérieure de la vessie.
Fig. 21. — Utricularia neglecta.
Petite partie de l’intérieur de la vessie montrant les processus quadrifides considérablement grossie.
Examinée au microscope avec un oculaire modérément puissant, toute la surface intérieure, à l’exception de la valve, est recouverte d’une masse compacte de processus (voyez fig. 21). Chacun de ces processus se compose de quatre bras divergents, d’où leur nom de processus quadrifides. Ils surmontent les petites cellules angulaires, situées à la jonction des angles des plus grandes cellules qui forment l’intérieur de la vessie. La partie médiane de la surface supérieure de ces petites cellules est un peu bombée et se contracte ensuite en une tige très-courte et très-étroite qui porte quatre bras (fig. 22). De ces quatre bras deux sont plus longs, mais ne sont pas toujours de longueur absolument égale ; ils sont tournés obliquement vers l’intérieur et par conséquent vers l’extrémité postérieure de la vessie. Les deux autres bras sont beaucoup plus courts ; ils forment un angle beaucoup plus petit, c’est-à-dire qu’ils sont presque horizontaux et se dirigent vers l’extrémité antérieure de la vessie. Ces bras ne sont que modérément pointus ; ils se composent d’une membrane transparente très-mince, de sorte qu’on peut les
Fig. 22. — Utricularia neglecta.
Processus quadrifide considérablement grossi.
courber ou même les ployer dans toutes les directions sans les briser. Ils contiennent une couche très-délicate de protoplasma, de même d’ailleurs que la courte projection conique qu’ils surmontent. Ordinairement, mais pas toujours, chaque bras, contient un petit noyau légèrement brun, arrondi ou plus communément allongé, animé sans cesse de mouvements browniens. Ces noyaux changent lentement de position et parcourent les bras d’une extrémité à l’autre ; toutefois, ils se trouvent le plus ordinairement près de la base. Ces noyaux existent dans les processus quadrifides des jeunes vessies qui n’ont encore atteint que 1/3 environ de leur grosseur complète : ils ne ressemblent pas aux noyaux ordinaires ; je crois toutefois que ce sont des noyaux modifiés, car quand ils n’existent pas, j’ai pu parfois découvrir à leur place un amas délicat de matières entourant un point un peu plus foncé. En outre, les processus quadrifides de l’Utricularia montana contiennent des noyaux un peu plus grands et beaucoup plus régulièrement sphériques, mais du reste analogues, qui ressemblent beaucoup aux nuclei des cellules qui constituent les parois des vessies. Dans le cas présent, j’ai observé jusqu’à deux, trois, ou même plus de noyaux presque semblables dans un seul bras ; mais, comme nous le verrons bientôt, la présence de plus d’un noyau semble toujours se relier à l’absorption des matières en décomposition.

La paroi intérieure du col (voir la fig. 20) est recouverte de plusieurs rangées de processus rapprochés les uns des autres et qui ne diffèrent sous aucun rapport important des processus quadrifides, sauf toutefois en ce qu’ils n’ont que deux bras au lieu de quatre ; en outre, ces processus sont un peu plus étroits et plus délicats. Je les appellerai des processus bifides. Ils se projettent dans la vessie et se dirigent vers son extrémité postérieure. Les processus bifides et quadrifides sont sans doute homologues aux papilles placées à l’extérieur de la vessie et des feuilles, et nous allons voir qu’ils se développent sur des papilles fort analogues.

Fonction des différentes parties. — Occupons-nous des fonctions des différentes parties, maintenant que nous en avons fait une description un peu longue peut-être, mais nécessaire. Quelques auteurs ont supposé que les vessies servent à faire flotter la plante ; mais j’ai vu flotter parfaitement, grâce à l’air contenu dans les espaces intracellulaires, des branches qui ne portaient aucune vessie et d’autres auxquels je les avais enlevées. Les vessies qui contiennent des animaux morts contiennent aussi ordinairement des bulles d’air ; mais ces bulles n’ont pas pu être engendrées seulement par la décomposition des matières animales, car j’en ai observé souvent dans des vessies jeunes, propres et complètement vides ; d’autre part, j’ai vu de vieilles vessies contenant beaucoup de matière en décomposition qui néanmoins ne contenaient pas des bulles d’air.

La véritable fonction des vessies consiste à capturer des petits animaux aquatiques, ce qu’elles font sur une vaste échelle. Dans le premier lot de plantes, que j’ai reçu de la New Forest au commencement de juillet, la plupart des vessies, ayant atteint leur croissance parfaite, contenaient un certain nombre d’animaux ; dans un second lot, reçu au commencement d’août, la plupart des vessies étaient vides, mais on avait choisi ces plantes dans une eau très-pure. Mon fils a examiné dix-sept vessies du premier lot, qui toutes contenaient des animaux ; huit de ces vessies contenaient des crustacés entomostracés, trois des larves d’insectes, dont une encore vivante, les six autres des restes d’animaux si décomposés qu’il fut impossible de les déterminer. J’ouvris cinq vessies qui me semblaient bien pleines et je trouvai dans quatre d’entre elles cinq, huit et dix crustacés, et dans la cinquième une seule larve très-allongée. Dans cinq autres vessies, choisies au nombre de celles qui contenaient des restes d’animaux, mais qui ne me paraissaient pas très-pleines, je trouvai un, deux, quatre, deux et cinq crustacés. Cohn plaça un soir dans de l’eau contenant beaucoup de crustacés un plant d’Utricularia vulgaris, qui avait vécu jusque-là dans de l’eau presque pure ; le lendemain matin, la plupart des vessies contenaient plusieurs de ces animaux qui s’étaient laissés prendre et qui continuaient à nager dans l’intérieur de leur prison. Ils restèrent vivants quelques jours, puis ils périrent asphyxiés, après avoir absorbé, je crois, tout l’oxygène contenu dans l’eau. Cohn a aussi trouvé dans quelques vessies des vers d’eau douce. Dans tous les cas, les vessies contenant des débris en décomposition regorgeaient d’algues vivantes de beaucoup d’espèces, d’infusoires et d’autres organismes inférieurs qui évidemment vivaient là en parasites.

Les animaux pénètrent dans la vessie en repoussant à l’intérieur le bord libre postérieur de la valve ; or ce bord est très-élastique et se referme instantanément. Comme il est en outre très-mince et qu’il se colle étroitement contre le bord du col et que tous deux pénètrent à l’intérieur de la vessie (voir la coupe fig. 20), il doit être évidemment très-difficile à un insecte de ressortir quand il est une fois entré, et je suis persuadé qu’il ne parvient jamais à s’échapper. Pour montrer l’adaptation parfaite du bord contre le col, je puis ajouter que mon fils a trouvé un Daphnia dont une des antennes était restée fixée dans l’ouverture, et qui ne put se dégager pendant un jour tout entier. Dans trois ou quatre occasions, j’ai vu des larves longues et étroites, vivantes ou mortes, prises entre le coin de la valve et le col, et dont une moitié du corps était à l’intérieur de la vessie et l’autre moitié à l’extérieur.

Je m’expliquai difficilement, je l’avoue, que des animaux aussi petits et aussi faibles que ceux capturés la plupart du temps pussent parvenir à pénétrer dans la vessie ; aussi je fis un assez grand nombre d’expériences pour arriver à savoir comment ils pouvaient y parvenir. Le bord libre de la valve se ploie si aisément qu’on ne ressent aucune résistance quand on veut insérer dans la vessie une aiguille ou un poil mince. Un cheveu humain délié, fixé à un manche et coupé de façon à avoir environ 1/4 de pouce de longueur au delà du manche, pénètre avec quelque difficulté ; un morceau plus long cède au lieu d’entrer. Dans trois occasions je plaçai sur des valves, plongées dans l’eau, des parcelles très-petites de verre bleu, de façon à pouvoir les distinguer facilement ; en essayant de les déplacer un peu avec une aiguille, ces parcelles disparurent si soudainement, que ne comprenant pas ce qui était arrivé, je pensai qu’elles étaient tombées au fond de l’eau ; mais en examinant les vessies, je les trouvai à l’intérieur. La même chose arriva à mon fils, qui plaça des petits cubes de buis vert, ayant environ 1/60 de pouce (0,423 de millim.) de côté sur quelques valves ; par trois fois, alors qu’il plaçait ces cubes sur la valve ou qu’il essayait de les transporter doucement à un autre endroit, la valve s’ouvrit soudainement et les cubes se trouvèrent emprisonnés. Il plaça alors d’autres morceaux de bois semblables sur d’autres valves et les déplaça pendant quelque temps, mais ils ne pénétrèrent pas à l’intérieur. Je plaçai aussi des parcelles de verre bleu sur trois valves et des morceaux extrêmement petits de plomb sur deux autres valves ; au bout d’une heure ou deux, aucun de ces morceaux n’avait pénétré à l’intérieur ; mais au bout de deux à cinq heures, tous étaient emprisonnés. Une des parcelles de verre consistait en un éclat assez long dont une des extrémités reposait obliquement sur la valve ; au bout de quelques heures, ce morceau était pris entre la valve et le collet complètement entouré, sauf à un des angles où un petit espace était ouvert, la moitié de l’éclat de verre ayant pénétré dans la vessie et l’autre moitié restant au dehors. Cet éclat de verre était fixé si solidement dans sa position, tout comme la larve dont j’ai parlé plus haut, qu’il ne se dégagea pas quand j’arrachai la vessie de la branche et que je la secouai. Mon fils plaça aussi sur trois valves des petits cubes de buis vert ayant environ 1/65 de pouce (0,391 de millim.) de côté et juste assez lourds pour tomber au fond de l’eau. Au bout de dix-neuf heures trente minutes, ces morceaux de buis reposaient encore sur les valves ; mais au bout de vingt-deux heures trente minutes, l’un d’eux avait pénétré à l’intérieur. Je puis ajouter ici que j’ai trouvé un grain de sable dans une vessie appartenant à une plante à l’état sauvage, et trois grains dans un autre vessie ; ces grains ont dû tomber par accident sur les valves et pénétrer ensuite à l’intérieur, comme l’ont fait les parcelles de verre.

L’inflexion lente de la valve sous le poids des parcelles de verre et même sous le poids des cubes de buis, bien que ces derniers soient, en grande partie, soutenus par l’eau, est, je crois, analogue à la lente inflexion des substances colloïdes. Par exemple, je plaçai des parcelles de verre sur divers points de bandes étroites de gélatine humide, et ces bandes finirent par céder et par se courber, mais avec une extrême lenteur. Il est beaucoup plus difficile de comprendre comment il se fait qu’une valve s’ouvre soudainement quand on meut doucement une parcelle d’un point à l’autre de la valve. Je pensai d’abord que les valves sont douées d’une certaine irritabilité ; pour m’en assurer, je chatouillai la surface de plusieurs avec une aiguille ou avec un pinceau de poil de chameau, de façon à imiter autant que possible le mouvement des petits crustacés ; mais la valve ne s’ouvrit pas. Avant de chatouiller les valves, je plaçai les vessies dans de l’eau portée à une température variant entre 80° et 130° F. (26°,6 à 50°,4 centig.) et je les y laissai séjourner pendant quelque temps ; car, à en juger par l’analogie, ce traitement aurait dû rendre les valves plus sensibles à l’irritation ou aurait dû provoquer un mouvement ; toutefois, aucun effet ne fut produit. Nous pouvons donc conclure que les animaux pénètrent dans les vessies en s’ouvrant de force un passage à travers l’orifice et que leur tête agit comme un coin. Mais je suis surpris que des animalcules aussi petits et aussi faibles que ceux qui sont souvent capturés, comme, par exemple, le Nauplius d’un crustacé et un tardigrade soient assez forts pour agir de cette façon, surtout quand je pense qu’il est difficile de faire pénétrer l’extrémité d’un morceau de cheveu ayant 1/4 de pouce de longueur. Néanmoins il est évident que des animaux très-petits et très-faibles pénètrent dans les vessies, et Mme Treat de New-Jersey, plus heureuse que la plupart des observateurs, a souvent assisté à l’entrée des petits animaux dans les vessies de l’Ulricularia clandestina[5]. Elle a vu un tardigrade circuler lentement autour de la vessie, comme s’il cherchait à se rendre compte de ce qu’il voyait ; il entra enfin dans la dépression où se trouve la valve et pénétra facilement à l’intérieur. Elle a pu observer la capture de divers crustacés très-petits. « Le Cypris, dit-elle, est très-prudent, toutefois il est souvent capturé. Il se place à l’entrée d’une vessie, hésite un instant, puis s’éloigne ; un autre vient tout auprès de la valve, pénètre même dans la dépression, puis se retire comme s’il était effrayé. Un troisième, plus étourdi, ouvre la porte et entre : mais il n’est pas plutôt à l’intérieur qu’il manifeste quelque inquiétude, il rentre ses pattes et ses antennes et se renferme dans sa coquille. Les larves, probablement celles du Cousin qui circulent près de la valve, heurtent la plupart du temps de la tête l’entrée de la prison d’où elles ne peuvent plus sortir. Quelquefois il s’écoule trois ou quatre heures avant qu’une grosse larve ne soit avalée, et chaque fois que j’ai assisté à ce spectacle, je n’ai pu m’empêcher de penser à ce qui se passe quand un petit serpent se met en tête d’avaler une grosse grenouille. » Toutefois, comme la valve ne paraît nullement irritable, le mouvement en avant de la larve doit être dû aux efforts de cette dernière.

Il est difficile de comprendre ce qui peut inciter tant de petits animaux, crustacés se nourrissant d’animaux et de végétaux, vers, tardigrades, et larves diverses à pénétrer dans les vessies. Mme Treat affirme que les larves qui y pénètrent, se nourrissent de végétaux et qu’elles semblent aimer tout particulièrement les longs poils qui entourent la valve ; mais ce goût n’explique pas l’entrée dans la vessie des crustacés qui se nourrissent d’animaux. Peut-être les petits animaux aquatiques essayent-ils ordinairement de pénétrer dans toutes les petites crevasses, comme celle qui se trouve entre la valve et le col, espérant y trouver des aliments ou un abri. Il n’est pas probable que la transparence remarquable de la valve soit une circonstance accidentelle, et le point lumineux ainsi formé peut servir de fanal. Les longs poils disposés autour de l’entrée remplissent apparemment le même but. Je serais disposé à croire qu’il en est ainsi parce que les vessies de quelques espèces épiphytiques et marécageuses de l’Utricularia, qui vivent enfouies soit au milieu d’une masse de végétation, soit dans la boue, ne possèdent pas ces poils autour de l’entrée, poils qui, dans ces conditions, ne pourraient servir de fanal. Néanmoins, ces espèces épiphytiques et marécageuses possèdent, tout comme les espèces aquatiques, deux paires de poils qui partent de la surface de la valve ; elles servent probablement à empêcher les animaux trop gros d’essayer d’entrer dans la vessie, entrée qui aurait pour résultat de dégrader l’orifice.

Il est impossible de douter que la plante n’ait été spécialement adaptée pour capturer des animaux, si l’on considère que, placées dans des circonstances favorables, la plupart des vessies parviennent à capturer une proie, et nous avons vu que, dans un cas, j’ai trouvé jusqu’à dix crustacés dans l’une d’elles ; que la valve est admirablement disposée pour permettre aux animaux d’entrer et pour les empêcher de sortir ; et que l’intérieur de la vessie présente une conformation si singulière, recouverte qu’elle est d’innombrables processus bifides et quadrifides. D’après l’analogie de l’Utricularia avec le Pinguicula, qui appartient à la même famille, je m’attendais naturellement à ce que les vessies digérassent leur proie ; mais tel n’est pas le cas, car elles ne possèdent aucune glande disposée pour sécréter le liquide convenable. Néanmoins, dans le but de déterminer si les vessies possèdent la faculté digestive, je poussai à l’intérieur des vessies de plantes vigoureuses des petits fragments de viande rôtie, trois petits cubes d’albumine et trois de cartilage. Je les laissai de un à trois jours et demi à l’intérieur des vessies que j’ouvris ensuite ; mais aucune des substances que je viens d’indiquer ne montrait le moindre signe de digestion, les angles du cube étant aussi nets qu’ils l’étaient auparavant. Je fis ces recherches après toutes celles auxquelles je m’étais livré sur le Drosera, sur la Dionée, sur le Drosophyllum et sur le Pinguicula ; j’étais donc très-familier avec l’aspect de ces substances quand elles commencent à ressentir les premiers effets de la digestion ou que la digestion est presque complète. Nous pouvons donc conclure que l’Ulricularia ne peut pas digérer les animaux qu’il capture ordinairement.

Dans la plupart des vessies les animaux capturés sont décomposés, au point qu’ils forment une masse pulpeuse brun pâle, et leurs revêtements chitineux deviennent si mous qu’ils tombent en morceaux au moindre attouchement. Le pigment noir des yeux est de toutes les parties celle qui semble le mieux se conserver. On trouve souvent les membres, les mâchoires, etc., séparés du reste du corps ; j’attribue ce résultat à la lutte des animaux récemment capturés pour sortir de leur prison. J’ai souvent été surpris de la petite proportion des animaux capturés conservant encore leur forme avec la masse de ceux qui sont complètement décomposés. Mme Treat remarque au sujet des larves dont nous avons déjà parlé, que « moins de deux jours après la capture d’une grosse larve, le contenu liquide de la vessie prend un aspect nuageux ou boueux, et devient souvent si dense qu’on ne peut plus distinguer la forme de l’animal ». Cette remarque nous autorise à penser que les vessies sécrètent quelque ferment qui active la décomposition. Il n’y a là rien d’improbable si l’on se rappelle que la viande plongée pendant dix minutes dans de l’eau mélangée au suc laiteux du papayer, devient très-molle et se putréfie presque immédiatement, comme l’a fait remarquer Browne dans son Histoire naturelle de la Jamaïque.

D’ailleurs, que la putréfaction des animaux emprisonnés soit activée ou non, il n’en est pas moins certain que les processus bifides ou quadrifides absorbent des substances provenant de ces animaux. La nature très-délicate de la membrane qui constitue ces processus, leur surface considérable, grâce à leur nombre infini dans tout l’intérieur de la vessie, sont des circonstances qui favorisent au plus haut degré l’absorption. J’ai ouvert plusieurs vessies parfaitement propres et qui n’avaient jamais capturé un animal ; or en me servant d’un objectif n° 8 de Hartnack, je n’ai rien pu distinguer dans le revêtement protoplasmique informe et si délicat des bras qu’un petit point jaunâtre ou un nucleus modifié. On trouve parfois deux ou même trois points semblables dans un seul bras ; mais, dans ce cas, on peut remarquer en même temps dans la vessie des traces de matières en décomposition. D’autre part, les processus présentent un aspect tout différent dans les vessies qui contiennent soit un gros animal en décomposition, soit plusieurs petits animaux putréfiés. J’ai examiné avec soin six vessies, dont l’une contenait une longue larve enroulée, une autre un seul gros crustacé entomostracé, et les autres de deux à cinq petits crustacés, tous en décomposition. Un grand nombre des processus quadrifides de ces six vessies renfermait des masses de substance transparente, souvent jaunâtre, plus ou moins confluente, sphérique ou ayant une forme irrégulière. Toutefois, quelques-uns des processus ne contenaient que des matières granuleuses fines, dont les particules étaient si petites qu’il était impossible de déterminer parfaitement leur forme avec un objectif n° 8 de Hartnack. La couche délicate de protoplasma qui garnit les parois des bras se trouvait, dans quelques cas, un peu écartée des parois. Dans trois occasions les petites masses de matière que je viens de décrire ont été observées et dessinées à de courts intervalles de temps ; or il est certain qu’elles changent de position relativement l’une à l’autre et relativement aux parois des bras. Les masses séparées se réunissent parfois pour se séparer encore. Une petite masse isolée émet souvent des projections qui s’en séparent au bout de quelque temps. En conséquence, il est impossible de douter que ces masses ne se composent de protoplasma. J’ai examiné avec tout autant de soin beaucoup de vessies parfaitement propres, et je n’ai jamais remarqué chez elles un aspect semblable ; nous sommes donc autorisés à conclure que le protoplasma, dans les cas que je viens de citer, a été engendré par l’absorption de matières azotées, provenant d’animaux en décomposition. Dans deux ou trois autres vessies, qui paraissaient d’abord parfaitement propres, j’ai fini par découvrir quelques processus dont les bras renfermaient des matières brunâtres, ce qui prouve que la vessie avait capturé quelque petit animal qui s’était putréfié ; dans ce cas, les bras de ces processus contenaient quelques masses agrégées plus ou moins sphériques ; les processus dans les autres parties de la vessie étaient vides et transparents. D’autre part, je dois ajouter que les processus étaient complétement vides dans trois vessies contenant des crustacés morts. Il se peut que les animaux dans ce cas ne soient pas encore arrivés à un degré suffisant de putréfaction ou qu’il ne se soit pas passé assez de temps pour la génération du protoplasma ou pour son absorption subséquente et son transport à d’autres parties de la plante ; c’est là la seule explication que je puisse donner de ce fait. On verra bientôt que, dans trois ou quatre autres espèces d’Utricularia, les processus quadrifides qui se trouvent en contact avec des animaux en décomposition contiennent aussi des masses agrégées de protoplasma.

Absorption de certains liquides par les processus quadrifides et bifides. — J’entrepris ces expériences pour m’assurer si certains liquides qui me semblaient convenables provoquent chez les processus les mêmes effets que l’absorption de matières animales en décomposition. Je dois remarquer que ces expériences sont très-difficiles à faire ; en effet, il ne suffit pas de placer une branche de la plante dans le liquide, car la valve ferme si parfaitement que le liquide ne pénètre pas dans la vessie. J’ai essayé d’introduire des soies dans l’orifice, mais dans la plupart des cas elles ont été enveloppées si complètement par le bord flexible de la valve, que le liquide n’a pas pénétré dans la vessie ; les expériences faites de cette façon sont donc si douteuses qu’il est inutile d’en indiquer les résultats. Le meilleur moyen, sans contredit, est de pratiquer une ouverture dans la vessie ; mais je n’ai songé à employer ce moyen qu’alors qu’il était trop tard, sauf dans un ou deux cas. En outre, on ne saurait affirmer positivement qu’une vessie, quelque transparente qu’elle soit, ne contient pas quelque petit animal arrivé à demi-putréfaction. En conséquence, pour faire la plupart de mes expériences, j’ai coupé les utricules longitudinalement en deux ; j’ai commencé par examiner les processus quadrifides en me servant d’un objectif n° 8 de Hartnack, puis, après cet examen, j’ai versé quelques gouttes du liquide sur la vessie placée sur le chariot du microscope, et je l’ai examinée à certains intervalles en me servant du même grossissement.

J’ai d’abord étudié de la façon que je viens de décrire, pour servir de contrôle à mes expériences, quatre vessies, plongées dans une solution contenant 1 partie de gomme arabique pour 218 parties d’eau et deux autres vessies plongées dans une solution contenant 1 partie de sucre pour 237 parties d’eau ; au bout de vingt et une heures je n’ai pu apercevoir aucun changement dans les processus quadrifides ou bifides soumis à ce traitement. Je traitai alors de la même façon quatre vessies avec une solution contenant 1 partie d’azotate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau et je les examinai au bout de vingt et une heures. Deux processus quadrifides me parurent alors pleins de matière granuleuse très-fine et la couche de protoplasma ou utricule primordial s’était un peu séparée des parois. Dans la troisième vessie les processus quadrifides contenaient des granules distinctement visibles et l’utricule primordial s’était un peu séparé des parois au bout de huit heures seulement. Dans la quatrième vessie le protoplasma contenu dans la plupart des processus formait çà et là des petits points jaunâtres irréguliers et, à en juger par la gradation que j’ai pu remarquer dans ce cas et dans quelques autres, ces points jaunâtres semblent amener la formation des gros granules libres que j’ai remarqués dans quelques-uns des processus. Je perçai d’autres vessies qui, autant que j’en ai pu juger, n’avaient jamais capturé aucun animal et je les laissai séjourner dans la même solution pendant dix-sept heures ; les processus quadrifides contenaient alors des matières granuleuses très-fines.

Je coupai en deux une vessie, je l’examinai et je déposai sur elle une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau. Au bout de huit heures trente minutes les processus quadrifides contenaient un assez grand nombre de granules et l’utricule primordial s’était quelque peu séparé des parois ; au bout de vingt-trois heures les processus quadrifides et bifides contenaient beaucoup de sphères de matières hyalines et je pus compter jusqu’à vingt-quatre sphères semblables assez grosses dans un seul bras. Je traitai par la solution de carbonate d’ammoniaque deux vessies coupées en deux qui avaient antérieurement séjourné pendant vingt et une heures dans la solution de gomme (1 partie de gomme pour 218 parties d’eau) sans être affectées ; les processus quadrifides de ces deux vessies se trouvaient modifiés d’une façon à peu près analogue à celle que je viens de décrire, chez l’un au bout de neuf heures seulement, chez l’autre au bout de vingt-quatre heures. Je perçai et je plongeai dans la solution deux vessies qui me parurent n’avoir jamais capturé aucune proie ; j’examinai les processus quadrifides de l’une au bout de dix-sept heures et je les trouvai légèrement opaques ; les processus quadrifides de l’autre, examinés au bout de quarante-cinq heures, présentaient des modifications assez importantes, les utricules primordiaux s’étaient plus ou moins séparés des parois, et des taches jaunâtres semblables à celles dues à l’action de l’azotate d’ammoniaque s’étaient formées en plusieurs endroits. Je plongeai dans la même solution aussi bien que dans une solution plus faible, c’est-à-dire une solution contenant une partie d’azotate pour 1750 parties d’eau, plusieurs vessies non percées ; au bout de deux jours, les processus quadrifides étaient devenus plus ou moins opaques et ils contenaient des matières granuleuses ; toutefois, je ne saurais dire si la solution avait pénétré par l’orifice ou si elle avait été absorbée du dehors par la paroi de la vessie.

Je traitai deux vessies coupées en deux avec une solution contenant 1 partie d’urée pour 248 parties d’eau ; mais en employant cette solution j’oubliai que je l’avais gardée pendant plusieurs jours dans une chambre chaude et que probablement elle contenait de l’ammoniaque ; quoi qu’il en soit, les processus quadrifides furent affectés au bout de vingt et une heures comme si j’avais employé une solution de carbonate d’ammoniaque ; en effet, l’utricule primordial s’était épaissi en certains endroits et formait des taches qui semblaient disposées à se diviser en granules séparés. Je traitai trois autres vessies coupées en deux avec une solution fraîche d’urée préparée dans les mêmes proportions ; au bout de vingt et une heures les processus quadrifides étaient beaucoup moins affectés que dans le cas précédent ; toutefois, le protoplasma dans quelques-uns des bras, s’était un peu séparé des parois et dans d’autres il s’était divisé en deux sacs presque symétriques.

Après avoir examiné avec soin trois vessies coupées en deux, je les traitai par une infusion de viande crue très-putride et sentant très-mauvais. Au bout de vingt-trois heures les processus quadrifides et bifides des trois vessies regorgeaient de petites masses sphériques hyalines et, chez beaucoup, le protoplasma s’était un peu séparé des parois. Je traitai aussi trois vessies avec une infusion fraîche de viande crue ; à ma grande surprise, les processus quadrifides de l’une me parurent au bout de vingt-trois heures remplis de matières granuleuses fines, le protoplasma s’était quelque peu séparé des parois et contenait des points jaunâtres ; l’infusion fraîche avait donc agi de la même façon que l’infusion putride ou que les sels d’ammoniaque. Quelques processus quadrifides de la deuxième vessie présentèrent les mêmes résultats bien qu’à un degré moindre ; ceux de la troisième vessie ne furent pas du tout affectés.

Ces expériences prouvent clairement que les processus bifides et quadrifides ont la faculté d’absorber le carbonate et l’azotate d’ammoniaque, ainsi que certaines matières qu’ils extraient d’une infusion putride de viande. J’ai choisi pour mes essais les sels d’ammoniaque, parce qu’ils sont rapidement engendrés par la décomposition des matières animales en présence de l’air et de l’eau, et que très-certainement ils doivent se produire à l’intérieur des vessies qui ont capturé des animaux. L’effet produit sur les processus par les sels d’ammoniaque et par une infusion putride de viande crue ne diffère de l’effet produit par la décomposition des animaux capturés naturellement qu’en ce que les masses agrégées de protoplasma ont, dans ce dernier cas, un volume plus considérable. Toutefois, il est probable que les granules et les petites sphères hyalines produites par les solutions se grouperaient en masses plus considérables au bout d’un certain laps de temps. Nous avons vu que le premier effet produit par une faible solution de carbonate d’ammoniaque sur le contenu des cellules du Drosera est la production de granules très-petits qui se groupent ensuite en masses plus volumineuses plus ou moins arrondies ; nous avons vu, en outre, que les granules contenus dans la couche de protoplasma qui circule le long des parois des cellules finissent par se réunir à ces masses. Les changements de cette nature sont cependant beaucoup plus rapides chez le Drosera que chez l’Utricularia. Les vessies n’ayant pas la faculté de digérer l’albumine, le cartilage ou la viande rôtie, j’ai été surpris de voir que, au moins dans un cas, elles avaient absorbé certaines matières provenant d’une infusion fraîche de viande crue. J’ai été surpris aussi, d’après ce que nous allons voir relativement aux glandes qui entourent l’orifice, qu’une solution fraîche d’urée n’ait produit qu’un effet insignifiant sur les processus quadrifides.

Ces processus quadrifides se développent sur des papilles qui ressemblent beaucoup à celles qui revêtent l’extérieur des vessies et la surface des feuilles. Or, les deux cellules hémisphériques qui surmontent ces dernières papilles et qui, à l’état naturel, sont complétement transparentes, absorbent aussi le carbonate et l’azotate d’ammoniaque. En effet, après une immersion de vingt-trois heures dans des solutions contenant 1 partie de ces sels pour 437 parties d’eau, leurs utricules primordiaux s’étaient quelque peu ratatinés ; ils avaient pris une teinte brun pâle et étaient parfois devenus granuleux. J’ai observé les mêmes résultats, après une immersion qui a duré près de trois jours, d’une branche entière dans une solution contenant 1 partie de carbonate pour 1750 parties d’eau. Les grains de chlorophylle contenus dans les cellules des feuilles de cette branche s’agrégèrent aussi en beaucoup d’endroits en petites masses vertes, reliées souvent les unes aux autres par des fils extrêmement fins.

Absorption de certains liquides par les glandes placées sur la valve et sur le col. — Les glandes placées autour de l’orifice des vessies encore jeunes ou que l’on a laissé séjourner longtemps dans de l’eau assez pure sont incolores, et leurs utricules primordiaux ne sont que légèrement ou nullement granuleux. Mais la plupart des glandes avaient une teinte brunâtre pâle chez le plus grand nombre des plantes que j’ai observées à l’état sauvage (on sait que ces plantes croissent ordinairement dans de l’eau très-sale, et chez celles que j’ai conservées dans l’eau sale d’un aquarium ; en outre, chez ces plantes, les utricules primordiaux sont plus ou moins ratatinés, quelquefois rompus, et le liquide qu’ils contiennent est souvent grossièrement granuleux ou agrégé en petites masses. Or, je ne puis douter que cet état des glandes soit dû à ce qu’elles ont absorbé certaines matières qui se trouvent dans l’eau ; en effet, comme nous allons le voir, les mêmes résultats se produisent à la suite d’une immersion de quelques heures dans diverses solutions. Il est peu probable d’ailleurs que cette absorption soit inutile à la plante, car elle se produit presque universellement chez les plantes à l’état sauvage, sauf toutefois chez celles qui habitent de l’eau très-pure.

Les glandes situées immédiatement auprès de l’orifice sur la valve et sur le col ont des pédicelles courts, tandis que les glandes plus éloignées ont des pédicelles beaucoup plus longs et qui se dirigent vers l’intérieur. Les glandes sont donc bien placées pour être baignées par le liquide qui sort de la vessie par l’orifice. D’ailleurs la valve ferme si parfaitement, s’il faut en juger par les résultats qu’a produits l’immersion dans diverses solutions de vessies non endommagées, qu’il est très-douteux que des liquides putrides s’échappent ordinairement de la vessie. Mais il ne faut pas oublier qu’une vessie capture ordinairement plusieurs animaux, et que chaque fois qu’un nouvel animal pénètre à l’intérieur, une certaine quantité d’eau chargée de matières en putréfaction doit s’échapper et baigner les glandes. En outre, j’ai observé bien des fois que si l’on appuie doucement sur des vessies qui contiennent de l’air, des bulles très-petites s’échappent par l’orifice ; enfin, si l’on dépose une vessie sur du papier buvard et qu’on la presse doucement, on s’aperçoit qu’il s’échappe un peu d’eau. Dans ce dernier cas, dès que la pression cesse, l’air pénètre dans la vessie, qui reprend sa forme accoutumée. Si l’on replace alors cette vessie sous l’eau et qu’on la presse doucement, on voit s’échapper des petites bulles d’air par l’orifice seul, ce qui prouve que les parois de la vessie n’ont pas été rompues. Je rapporte ce dernier fait parce que Cohn cite une affirmation de Treviranus, d’après laquelle on ne peut faire sortir de l’air d’une vessie sans la rompre. Nous pouvons donc conclure que, quand il se forme de l’air dans une vessie déjà pleine d’eau, une petite quantité d’eau s’échappe lentement par l’orifice. On ne peut donc douter que les nombreuses glandes entourant l’orifice ne soient adaptées de façon à absorber des matières contenues dans l’eau putréfiée, eau qui s’échappe quelquefois des vessies qui contiennent des animaux en décomposition.

J’expérimentai diverses solutions sur les glandes afin de prouver ces conclusions. Je me servis des solutions d’ammoniaque comme je l’avais fait pour les processus quadrifides parce que ces sels sont engendrés par la décomposition finale des matières animales plongées dans l’eau. Malheureusement on ne peut examiner les glandes avec soin tant qu’elles restent attachées aux vessies. Je me décidai donc à couper le sommet des vessies de façon à enlever la valve, le col et les antennes et j’observai l’état des glandes ; je les arrosai ensuite avec les solutions pendant qu’elles se trouvaient sur le chariot du microscope ; au bout d’un certain temps, je les examinai avec le grossissement dont je m’étais déjà servi, c’est-à-dire un objectif n° 8 de Hartnack. Toutes les expériences suivantes ont été faites dans ces conditions.

Comme moyen de contrôle j’employai d’abord des solutions contenant, les unes 1 partie de sucre blanc et les autres 1 partie de gomme pour 18 parties d’eau afin de m’assurer si ces solutions produisaient quelque changement dans les glandes. Il était indispensable aussi de s’assurer si les glandes étaient affectées par la section que j’étais obligé de faire du sommet des vessies ; j’expérimentai dans ce but sur quatre vessies ; j’observai l’une deux heures trente minutes après la section et les trois autres vingt-trois heures après la section, mais je ne pus découvrir aucun changement prononcé dans les glandes d’aucune d’elles.

J’arrosai avec une solution de carbonate d’ammoniaque contenant 1 partie de sel pour 218 parties d’eau deux sommets de vessies portant des glandes tout à fait incolores ; au bout de cinq minutes les utricules primordiaux de la plupart des glandes s’étaient quelque peu contractés ; il s’était formé aussi dans les glandes des points et des amas et elles avaient pris une teinte brun pâle. Je les observai de nouveau au bout d’une heure trente minutes et la plupart des glandes présentaient alors un aspect quelque peu différent. Je traitai le sommet d’une troisième vessie avec une solution plus faible de carbonate d’ammoniaque, c’est-à-dire avec une solution contenant 1 partie de sel pour 437 parties d’eau ; au bout d’une heure les glandes étaient devenues brun pâle et contenaient de nombreux granules.

J’arrosai quatre sommets de vessies avec une solution contenant 1 partie d’ammoniaque pour 437 parties d’eau. J’examinai l’une au bout de quinze minutes et les glandes me parurent affectées ; au bout de une heure dix minutes un changement plus considérable s’était produit, car les utricules primordiaux de la plupart des glandes s’étaient quelque peu contractés et contenaient beaucoup de granules. Dans le second spécimen les utricules primordiaux s’étaient au bout de deux heures considérablement contractés et étaient devenus brunâtres. J’observai des effets semblables chez les deux autres spécimens, bien que je n’aie observé ces derniers qu’au bout de vingt et une heures. Les nuclei de beaucoup de glandes semblèrent avoir augmenté de volume. Je coupai et j’examinai cinq vessies sur une branche que j’avais conservée longtemps dans de l’eau assez propre ; les glandes étaient à peine modifiées. Je plongeai le reste de cette branche dans la solution d’azotate et l’y laissai vingt et une heures ; au bout de ce temps j’examinai deux vessies dont toutes les glandes étaient devenues brunâtres et leurs utricules primordiaux quelque peu contractés contenaient des granules très-fins.

J’arrosai avec quelques gouttes d’une solution mélangée d’azotate et de phosphate d’ammoniaque, contenant chacune 1 partie de sel pour 437 parties d’eau, le sommet d’une autre vessie dont les glandes se trouvaient dans une très-bonne condition. Au bout de deux heures, quelques glandes étaient devenues brunâtres. Au bout de huit heures presque toutes les glandes oblongues étaient brunes et beaucoup plus opaques qu’auparavant ; les utricules primordiaux s’étaient quelque peu contractés et contenaient des matières granuleuses agrégées. Les glandes sphériques étaient encore blanches, mais leurs utricules s’étaient divisés en trois ou quatre petites sphères hyalines outre une masse agrégée au milieu de la base. Ces petites sphères changèrent de forme au bout de quelques heures et quelques-unes d’entre elles disparurent. Le lendemain matin, au bout de vingt-trois heures trente minutes, toutes les sphères avaient disparu et les glandes étaient devenues brunes ; leurs utricules formaient alors une masse globulaire qui occupait le centre. Les utricules des glandes oblongues s’étaient fort peu contractés, mais leur contenu était quelque peu agrégé. Enfin, je traitai avec la même solution le sommet d’une vessie qui était restée pendant vingt et une heures dans une solution contenant 1 partie de sucre pour 218 parties d’eau sans être affectée ; sous l’influence de la solution mélangée d’azotate et de phosphate d’ammoniaque les glandes devinrent brunes au bout de huit heures trente minutes et leurs utricules primordiaux se ratatinèrent quelque peu.

J’arrosai quatre sommets de vessies avec une infusion putride de viande crue. Je n’observai pendant quelques heures aucun changement dans les glandes, mais au bout de vingt-quatre heures la plupart d’entre elles étaient devenues brunâtres et plus opaques, et plus granuleuses qu’elles ne l’étaient auparavant. Les nuclei de ces spécimens ainsi que ceux des sommets de vessies arrosés avec les sels d’ammoniaque semblaient avoir augmenté en volume et en solidité ; toutefois je ne les mesurai pas. J’arrosai aussi cinq sommets avec une infusion fraîche de viande crue ; trois de ces sommets ne furent pas du tout affectés au bout de vingt-quatre heures, mais les glandes des deux autres semblaient être devenues plus granuleuses. J’arrosai avec la solution mélangée d’azotate et de phosphate d’ammoniaque un des sommets qui n’avait pas été affecté par l’infusion fraîche de viande crue ; au bout de vingt-cinq minutes seulement, les glandes contenaient de quatre à douze granules et, au bout d’un nouveau laps de temps de six heures, leurs utricules primordiaux s’étaient considérablement contractés.

J’examinai avec soin le sommet d’une vessie ; toutes les glandes étaient incolores et leurs utricules primordiaux n’étaient pas du tout contractés ; cependant beaucoup de glandes oblongues contenaient des granules qu’il était à peine possible de distinguer avec un objectif n° 8 de Hartnack. J’arrosai alors cette partie de vessie avec quelques gouttes d’une solution contenant 1 partie d’urée pour 218 parties d’eau. Au bout de deux heures vingt-cinq minutes, les glandes sphériques étaient encore incolores ; les glandes oblongues et à deux bras avaient au contraire pris une teinte brunâtre, leurs utricules primordiaux s’étaient très-contractés et quelques-uns contenaient des granules distinctement visibles. Au bout de neuf heures quelques glandes sphériques étaient devenues brunâtres ; les glandes oblongues se modifièrent encore plus, mais elles contenaient moins de granules séparés ; d’autre part leurs nuclei paraissaient plus grands comme s’ils avaient absorbé les granules. Au bout de vingt-trois heures, toutes les glandes étaient devenues brunes, leurs utricules primordiaux étaient très-contractés et presque tous rompus.

J’expérimentai alors sur une vessie qui avait été déjà quelque peu affectée par l’eau environnante ; en effet, les utricules primordiaux des glandes sphériques étaient légèrement contractés, bien que les glandes elles-mêmes fussent incolores ; et les utricules primordiaux des glandes oblongues devenues brunâtres étaient très-notablement mais très-irrégulièrement contractés. J’arrosai le sommet de la vessie avec la solution d’urée et au bout de neuf heures il était peu affecté ; au bout de vingt-trois heures les glandes sphériques avaient pris une teinte plus foncée et leurs utricules étaient plus contractés. Un grand nombre des autres glandes étaient encore plus brunes et leurs utricules s’étaient contractés en petites masses irrégulières.

Je traitai avec la même solution d’urée le sommet de deux autres vessies dont les glandes étaient incolores et les utricules primordiaux à l’état normal. Au bout de cinq heures, beaucoup de glandes avaient pris une légère teinte brune et leurs utricules s’étaient légèrement contractés. Au bout de vingt heures quarante minutes, quelques glandes étaient devenues tout à fait brunes et contenaient des masses irrégulièrement agrégées ; d’autres étaient encore incolores, bien que leurs utricules se fussent contractés ; toutefois le plus grand nombre n’était pas très-affecté. Cette expérience nous prouve que les glandes d’une même vessie sont souvent affectées très-inégalement, cas qui se rencontre fréquemment chez les plantes à l’état sauvage. Je traitai deux autres sommets de vessies avec une solution d’urée que j’avais conservée pendant plusieurs jours dans une chambre chaude ; j’examinai les glandes au bout de vingt et une heures, mais je ne pus découvrir chez elles aucune altération.

Je préparai une solution plus faible contenant 1 partie d’urée pour 437 parties d’eau. J’expérimentai avec cette solution sur les sommets de six vessies que j’avais examinées avec beaucoup de soin avant de les soumettre à son action. Je réexaminai le premier sommet au bout de huit heures trente minutes ; les glandes y compris les glandes sphériques étaient devenues brunes ; les utricules primordiaux de la plupart des glandes oblongues étaient très rétrécis et renfermaient des granules. Avant d’être soumis à la solution, le second sommet avait été quelque peu affecté par l’eau qui l’entourait, car les glandes sphériques n’avaient pas un aspect absolument uniforme et quelques glandes oblongues étaient brunes avec leurs utricules primordiaux contractés. Les glandes oblongues incolores avant d’être soumises à l’action de la solution devinrent brunes au bout de trois heures douze minutes, et leurs utricules primordiaux se contractèrent légèrement. Les glandes sphériques ne devinrent pas brunes, mais l’aspect de leur contenu sembla se modifier et, au bout de vingt-trois heures, me parut encore plus changé et plus granuleux. La plupart des glandes oblongues étaient alors d’un brun foncé, mais leurs utricules primordiaux s’étaient peu contractés. J’examinai les quatre autres sommets au bout de trois heures trente minutes, de quatre heures et de neuf heures ; il nous suffira d’indiquer brièvement les modifications qui s’étaient opérées chez eux. Les glandes sphériques n’étaient pas devenues brunes, mais quelques-unes d’entre elles contenaient des granules extrêmement fins. La plupart des glandes oblongues étaient devenues brunes ; les utricules primordiaux de ces glandes ainsi que ceux des glandes qui étaient restées incolores s’étaient plus ou moins contractés, et quelques-uns renfermaient des petites masses de matières agrégées.

Résumé des observations sur l’absorption. — Les faits que nous venons de relater ne nous permettent pas de douter que les glandes à formes diverses qui se trouvent sur la valve et autour du col n’aient la faculté d’absorber les matières contenues dans les faibles solutions de certains sels d’ammoniaque et d’urée et dans une infusion putride de viande crue. Le professeur Cohn croit que ces glandes sécrètent des matières visqueuses, mais je n’ai pu observer aucune trace d’une action semblable, si ce n’est toutefois après l’immersion dans l’alcool ; alors on peut voir quelquefois des lignes extrêmement fines rayonner à leur surface. L’absorption affecte les glandes de plusieurs façons ; souvent les glandes prennent une teinte brune ; parfois elles contiennent des granules très-fins, des grains ayant un volume modéré ou des petites masses irrégulièrement agrégées ; parfois les nuclei semblent augmenter de volume ; les utricules primordiaux se contractent ordinairement plus ou moins et se rompent quelquefois. On remarque des changements analogues dans les glandes des plantes qui croissent et prospèrent dans l’eau trouble. Les glandes sphériques sont ordinairement affectées d’autre façon que les glandes oblongues et à deux bras. Les premières prennent plus rarement la teinte brune et cèdent plus lentement à l’action exercée sur elles. Nous pouvons donc conclure que les fonctions naturelles de ces glandes diffèrent quelque peu. Il est un point qu’il importe de noter, c’est l’inégalité de l’action exercée sur les glandes des vessies poussant sur une même branche et même sur les glandes d’une même espèce sur une même vessie par l’eau trouble dans laquelle croissent les plantes et par les solutions que j’ai employées. Dans le premier cas, je suppose que cette inégalité provient soit de petits courants qui apportent des matières, à quelques glandes sans en apporter à d’autres, soit de différences inconnues dans leur constitution. Quand une solution affecte différemment les glandes d’une même vessie, nous pouvons soupçonner que quelques-unes de ces glandes ont précédemment absorbé une petite quantité de matières contenues dans l’eau où séjournait la vessie. Quoi qu’il en soit, nous avons vu que les glandes sur une même feuille de Drosera sont quelquefois très-inégalement affectées, surtout quand on les expose à l’action de certaines vapeurs.

Si l’on arrose avec quelque solution active des glandes qui ont déjà pris une teinte brune et dont les utricules primordiaux sont contractés, l’action ne s’exerce que légèrement et lentement sur ces glandes. Toutefois, si une glande ne contient que quelques granules grossiers, cela n’empêche pas la solution d’agir. Rien ne m’a jamais autorisé à penser que les glandes qui ont été fortement affectées par l’absorption d’une matière quelle qu’elle soit puissent recouvrer leur aspect incolore primitif, leur condition homogène et la faculté d’absorber de nouveau.

La nature des solutions que j’ai employées me fait penser que les glandes absorbent l’azote ; mais ni moi, ni mon fils, nous n’avons jamais vu le contenu modifié, brunâtre, plus ou moins contracté ou agrégé des glandes oblongues, subir les changements spontanés de forme qui caractérisent le protoplasma. D’autre part, le contenu des grosses glandes sphériques se sépare souvent en petits globules hyalins ou en masses irrégulières, qui changent très-lentement de forme et finissent par s’agglomérer pour former une masse centrale très-contractée. Quelle que puisse être la nature du contenu des diverses espèces de glandes, après qu’elles ont subi l’action de l’eau trouble ou d’une des solutions azotées, il est probable que les matières ainsi engendrées constituent un avantage pour la plante et finissent par être transportées dans d’autres parties.

Les glandes semblent absorber plus rapidement que ne le font les processus bifides et quadrifides. Or, d’après l’hypothèse que nous venons de soutenir, c’est-à-dire qu’elles absorbent des substances contenues dans l’eau putréfiée qui sort de temps en temps des vessies, elles doivent agir plus rapidement que les processus ; ces derniers, en effet, restent toujours en contact avec les animaux capturés en décomposition.

En résumé, nous pouvons conclure des expériences et des observations, qui précèdent que les vessies n’ont pas la faculté de digérer les matières animales, bien que les processus quadrifides semblent être quelque peu affectés par une infusion fraîche de viande crue. Il est certain, d’autre part, que les processus situés à l’intérieur des vessies et que les glandes situées à l’extérieur absorbent certaines substances contenues dans les sels d’ammoniaque, dans une infusion putride de viande crue et dans l’urée. Une solution d’urée semble agir plus énergiquement sur les glandes que sur les processus, et une infusion de viande crue moins énergiquement sur les premières que sur les seconds. Le cas de l’urée est tout particulièrement intéressant, parce que nous avons vu qu’elle n’a aucune action sur le Drosera, dont les feuilles sont adaptées de façon à digérer des substances animales fraîches. Mais le fait le plus important de tous est que, dans l’espèce dont nous nous occupons et dans les espèces suivantes, les processus bifides et quadrifides des vessies renfermant des matières en décomposition contiennent ordinairement des petites masses de protoplasma, animées de mouvements spontanés, tandis que ces masses n’existent pas dans les vessies, qui ne contiennent pas de semblables matières[6].

Développement des vessies. — J’ai passé beaucoup de temps, aidé par mon fils, à élucider ce sujet, mais sans grand succès. Nos observations ont été faites sur l’Utricularia neglecta et principalement sur l’Utricularia vulgaris, qui possède des vessies au moins deux fois aussi grandes. Au commencement de l’automne, les tiges se terminent par de gros bourgeons qui tombent au fond de l’eau et ne végètent pas pendant l’hiver. Les jeunes feuilles formant ces bourgeons portent des vessies arrivées à diverses phases de leur développement. Quand les vessies de l’Utricularia vulgaris ont environ 1/100 de pouce (0,254 de millim.) de diamètre ou 1/200 de pouce (0,127 de millim.) chez l’Utricularia neglecta, ils sont circulaires et portent un orifice transversal étroit, presque fermé, conduisant dans un espace rempli d’eau ; d’ailleurs, les vessies sont creuses [7] longtemps avant d’être arrivées à un développement de 1/100 de pouce (0,254 de millim.) en diamètre. Les orifices sont tournés vers l’intérieur ou vers l’axe de la plante. Pendant cette phase primitive, les vessies sont aplaties dans le plan de l’orifice et, par conséquent, à angle droit avec l’aplatissement des vessies bien développées. Extérieurement elles sont recouvertes de papilles de différentes grosseurs, dont beaucoup ont une forme
Fig. 23. — Utricularia vulgaris
Coupe longitudinale d’une jeune vessie ayant 1/100 de pouce (0,254 de millim.) de longueur, mais dont l’orifice est trop ouvert.
elliptique. Un faisceau de vaisseaux, formé de cellules simples allongées, constitue la courte tige qui les porte et se divise à la base de la vessie. Une des branches de ce faisceau s’étend jusqu’au milieu de la surface dorsale, et l’autre jusqu’au milieu de la face ventrale. Chez les vessies complétement développées, le faisceau ventral se divise immédiatement au-dessous du col et les deux branches se prolongent de chaque côté jusqu’auprès du point où les coins de la valve s’unissent avec le col ; mais on ne peut pas apercevoir ces branches dans les vessies très-jeunes.

La figure 23 représente une coupe très-exacte suivant le plan médian d’une vessie d’Utricularia vulgaris ayant 1/100. de pouce de diamètre, à travers le pédicelle et au milieu des antennes naissantes. Cette vessie était très-molle et la valve se séparait du col plus qu’il n’arrive d’ordinaire ; nous l’avons représentée dans cet état. Or, nous voyons clairement que la valve et le col sont des prolongements reployés des parois de la vessie. Même à ce moment du développement primitif on peut apercevoir des glandes sur la valve ; nous décrirons tout à l’heure l’état des processus quadrifides. À cette période les antennes consistent en petites projections cellulaires qui ne paraissent pas dans la figure 23, car elles ne se trouvent pas dans le plan médian ; ces projections portent bientôt des rudiments de soies. Dans cinq cas, les jeunes antennes n’avaient pas une longueur tout à fait égale ; or, ce fait s’explique facilement, si l’on suppose, comme je le crois, que ces antennes représentent deux divisions de la feuille partant des extrémités de la vessie ; car, autant que j’ai pu m’en assurer, les divisions chez les vraies feuilles très-jeunes ne sont jamais rigoureusement en face l’une de l’autre. Elles doivent donc se développer l’une après l’autre et il doit en être de même des deux antennes.

À un âge beaucoup plus tendre, alors que les vessies à demi formées n’ont que 1/300 de pouce (0, 0846 de millim.) de diamètre ou à peine plus, elles présentent un aspect tout différent. La figure 24 représente une de ces jeunes vessies, située au côté gauche de la feuille. Les jeunes feuilles, pendant cette phase de leur développement, ont de larges segments aplatis, et leurs divisions futures sont représentées par des proéminences, dont l’une est indiquée au côté droit de la figure. Or, dans un grand nombre de spécimens qu’a examinés mon fils, les jeunes vessies semblent formées par le reploiement oblique de l’apex et d’un bord portant une proéminence contre le bord opposé. Le trou circulaire situé entre la pointe et la proéminence repliées semble se contracter en un orifice étroit où se développeront la valve et le col ; la vessie elle-même sera formée par la confluence des bords opposés du reste de la feuille. Mais il y a de fortes objections contre cette hypothèse, car il faut supposer, dans ce cas, que la valve et le col se développent asymétriquement sur les côtés de l’apex et de la proéminence. En outre, les faisceaux de tissu vasculaire doivent se disposer en lignes qui ne tiennent aucun compte de la forme originelle de la feuille. Or, jusqu’à ce qu’on ait pu prouver qu’il existe des gradations entre ce premier état et une vessie jeune et parfaite, le cas doit rester douteux.


Fig. 24. — Utricularia vulgaris.
Jeune feuille provenant d’un bourgeon d’hiver. À gauche, on voit une vessie dans sa première phase de développement.
Les processus bifides et quadrifides formant une des plus grandes particularités du genre, j’ai observé avec soin leur développement dans l’Utricularia neglecta. Dans les vessies qui ont environ 1/100 de pouce de diamètre, la surface intérieure est émaillée de papilles sortant de cellules placées à la jonction de cellules plus grandes. Ces papilles consistent en une protubérance conique délicate qui se rétrécit pour former une tige très-courte, surmontée par deux petites cellules. Ces papilles, sauf qu’elles sont plus petites et un peu plus proéminentes, occupent la même position relative que celles qui se trouvent à l’extérieur des vessies et à la surface des feuilles et ressemblent beaucoup à ces dernières. Les deux cellules terminales des papilles s’allongent d’abord beaucoup dans une ligne parallèle à la surface intérieure de la vessie ; ensuite chacune d’elle est divisée par une cloison longitudinale. Bientôt après, les deux demi-cellules ainsi formées se séparent l’une de l’autre et constituent quatre cellules ou un processus quadrifide naissant. Comme les deux nouvelles cellules n’ont pas la place de se développer en largeur dans leur plan originel, elles se glissent en partie l’une sous l’autre. Leur mode de croissance change alors et leurs côtés extérieurs continuent à se développer aux lieu et place de leur base. Les deux cellules inférieures qui se sont placées en partie au-dessous des deux cellules supérieures constituent les bras les plus longs et les plus verticaux du processus, tandis que les deux cellules supérieures constituent les deux bras les plus courts et les plus horizontaux ; ces quatre bras réunis forment un processus quadrifide parfait. On peut voir encore à la base des processus les plus longs une trace de la division primitive des deux cellules au sommet des papilles. Le développement des processus quadrifides est facilement arrêté. J’ai vu une vessie ayant 1/50 de pouce de longueur qui ne contenait qu’une papille primordiale ; j’ai vu aussi une vessie ayant atteint à peu près la moitié de son développement, chez laquelle les processus quadrifides se trouvaient encore dans les premières phases de leur développement.

Autant que j’ai pu m’en assurer, les processus bifides se développent de la même façon que les processus quadrifides, sauf toutefois que les deux cellules terminales primaires ne se divisent jamais et augmentent seulement en longueur. Les glandes situées sur la valve et sur le col apparaissent à une époque si primitive que je n’ai pas pu observer leur développement ; toutefois, il est raisonnable de supposer qu’elles proviennent de papilles semblables à celles qui se trouvent sur l’extérieur de la vessie, mais dont les cellules terminales ne se divisent pas en deux. Les deux segments constituant les pédicelles des glandes représentent probablement la protubérance conique et la courte tige des processus bifides et quadrifides. Le fait que chez l’Utricularia amethystina les glandes s’étendent sur toute la surface ventrale de la vessie jusque près de la tige, me confirme dans l’opinion que les glandes se développent de papilles ressemblant à celles qui se trouvent à l’extérieur des vessies utriculaires.

UTRICULARIA VULGARIS.

Le Dr Hooker m’a envoyé des plantes vivantes du Yorkshire. Cette espèce diffère de la précédente en ce que les tiges et les feuilles sont plus épaisses et plus grossières ; leurs divisions forment les unes avec les autres des angles plus aigus ; les entailles sur les feuilles portent trois ou quatre soies courtes au lieu d’une ; et les vessies sont deux fois aussi grosses, car elles ont environ 1/5 de pouce (5 millim. 08) de diamètre. Sous tous les rapports essentiels, les vessies de cette espèce ressemblent à celles de l’Utricularia neglecta ; toutefois, les côtés du péristome sont peut-être un peu plus proéminents et portent toujours, autant que j’ai pu le voir, sept ou huit longs poils multicellulaires. Chaque antenne se termine par onze longs poils, y compris le couple terminal. J’ai examiné cinq vessies contenant des animaux de plusieurs espèces. La première contenait cinq Cypris, un gros copépode et un Diaptomus ; la deuxième contenait quatre Cypris ; la troisième, un seul crustacé assez gros ; la quatrième, six crustacés ; et la cinquième, dix. Mon fils a examiné les processus quadrifides d’une vessie contenant les restes de deux crustacés, et a trouvé quelques-uns d’entre eux pleins de masses de matière sphérique ou irrégulière, animées de mouvements et qui s’agglomérait. Ces masses se composent donc de protoplasma.

UTRICULARIA MINOR.

M. John Price a eu l’obligeance de m’envoyer du Cheshire cette espèce fort rare. Ses feuilles et ses vessies sont beaucoup plus petites que celles de l’Utricularia neglecta. Les feuilles portent des poils plus courts et moins nombreux ; les vessies sont plus globulaires. Les antennes, au lieu de se projeter en avant des vessies, sont enroulées sur la valve et armées de douze à quatorze poils multicellulaires très-longs, disposés ordinairement par couples. Ces poils, ainsi que sept ou huit autres poils très-longs, placés de chaque côté du péristome, forment une sorte de filet tendu au-dessus de l’entrée, qui doit empêcher les animaux, sauf les très-petits, de pénétrer dans la vessie. La valve et le col ont la même structure essentielle que dans les deux espèces précédentes, mais les glandes ne sont pas tout à fait aussi nombreuses ; les glandes oblongues sont un peu plus allongées, tandis que les glandes bifides le sont un peu moins. Les quatre poils qui partent obliquement du bord inférieur de la valve sont courts. Il est parfaitement clair que ces poils ne sont si courts, comparativement à ceux qui se trouvent sur la valve des espèces précédentes, dans l’hypothèse que j’ai émise, et d’après laquelle ces poils servent à empêcher les animaux trop gros de pénétrer dans la vessie, au risque de l’endommager, que parce que la valve, dans l’espèce qui nous occupe, est déjà protégée jusqu’à un certain point par les antennes recourbées et par les poils latéraux. Les processus bifides de l’espèce qui nous occupe ressemblent à ceux des espèces précédentes ; mais les processus quadrifides représentés par la figure 25 diffèrent en ce que les quatre bras se dirigent du même côté ; les deux bras les plus longs se trouvent au milieu, et les deux bras plus courts de chaque côté.
Fig. 25.
Utricularia minor.
Processus quadrifides très-grossis.
Les plantes qui m’ont été envoyées avaient été recueillies au milieu de juillet. J’ai examiné le contenu de cinq vessies qui, à en juger par leur opacité, devaient être pleines de proies différentes. La première ne contenait pas moins de vingt-quatre petits crustacés d’eau douce, la plupart consistant en coquillages vides ou ne contenant que quelques gouttes d’une substance huileuse rouge ; la deuxième en contenait vingt ; la troisième, quinze ; la quatrième, dix, mais quelques-uns étaient un peu plus gros qu’à l’ordinaire ; la cinquième, qui semblait absolument pleine, n’en contenait que sept, mais cinq étaient d’une grosseur extraordinaire. À en juger par le contenu de ces cinq vessies, l’Utricularia minor capture exclusivement des crustacés d’eau douce, dont la plupart semblent appartenir à des espèces distinctes de celles trouvées dans les vessies des deux espèces précédentes. Dans une vessie, les processus quadrifides en contact avec une masse en décomposition renfermaient de nombreuses sphères de matières granuleuses qui changeaient lentement de forme et de position.

UTRICULARIA CLANDESTINA.

Cette espèce de l’Amérique du Nord, aquatique comme les trois précédentes, a été décrite par Mme Treat de New-Jersey, dont nous avons eu maintes fois occasion de citer les excellentes observations. Je n’ai pas encore vu une description bien complète faite par elle de la structure de la vessie, mais elle paraît recouverte comme les autres de processus quadrifides. On a trouvé dans les vessies un grand nombre d’animaux capturés : au nombre de ces animaux se trouvaient des crustacés, mais la plupart du temps des larves délicates et allongées. Je suppose que c’étaient des Culicidæ. « Sur quelques tiges, dit Mme Treat, neuf vessies sur dix contenaient ces larves ou leurs restes. » Les larves « vivaient encore de vingt-quatre à trente-six heures après leur emprisonnement », puis elles périssaient.


  1. Quart. Mag. of the Nat. Hist. Soc. High Wycombe, juillet 1868, p. 5. Delpino, Ult. Osservaz. sulla Dicogamia, etc., 1868-69, p. 16. dit aussi que Crouan a trouvé (1858) des crustacés à l’intérieur des vessies de l’Utricularia vulgaris.
  2. Je suis aussi fort reconnaissant au révérend H. M. Wilkinson, de Bistern, qui m’a envoyé plusieurs beaux plants de cette espèce provenant du New Forest. M. Ralfs a été aussi assez bon pour m’envoyer des plantes vivantes de la même espèce trouvées près de Penzance dans le Cornouailles.
  3. Beiträge Zur Biologie der Pflanzen, Drittes Heft, 1875.
  4. Je conclus que tel est le cas d’après un dessin d’une petite plante donnée par le docteur Warming, dans son mémoire Bidrag til Kundskaben om Lentibulariaceœ from the Videnskabelige Meddelelser, Copenhague 1874, no 3-7, p. 33-58.
  5. New-York Tribune, reproduit dans le Gardener’s Chron., 1875, p. 303.
  6. M. J. Duval-Jouve a constaté que les feuilles d’un verticille d’Aldrovandia et les ascidies d’une feuille d’Utricularia qui, tandis que les autres restent fraîches, prennent la coloration indice de leur mort prochaine, sont précisément celles qui contiennent les restes d’un animalcule. Ce fait et cet autre que les premières feuilles des Utricularia et des Aldrovandia sont dépourvues d’appareil de capture et que cependant les jeunes pousses ont un développement très-rapide, et enfin les observations de MM. Canby, Tait et Éd. Morren, avaient porté d’abord ce botaniste à penser que la capture, la sécrétion d’un liquide dissolvant et peut-être l’absorption ne constituaient point une fonction normale aboutissant à un résultat profitable, mais qu’au contraire la présence de l’insecte déterminait par irritation une sécrétion surabondante avec issue fatale à l’organe. (Revue des Sciences naturelles, V ; septembre 1876.) Mais M. J. Duval-Jouve s’est bientôt rappelé qu’un assez grand nombre d’organes, simples ou très-composés, périssent aussitôt après avoir rempli la fonction par laquelle ils concourent au
  7. développement de l’individu ou à la conservation de l’espèce. Les exodermies radicellaires (Poils radicaux ; Succiatori de Gasparrini) et même toute la zone corticale des racines des Monocotylédones, se flétrissent et tombent après avoir puisé dans le sol les substances azotées et autres nécessaires à la plante (op. cit. p. 213) ; les organes protecteurs, sépales et pétales, ceux de la fécondation, étamines, stigmates et styles, les tiges entières des plantes herbacées vivaces se flétrissent et tombent aussitôt qu’elles ont fonctionné. En conséquence, il n’y a rien d’anormal à ce que les limbes-piéges de l’Aldrovandia et les ascidies des Utricularia se flétrissent et meurent aussitôt que par leur fonction elles ont concouru à l’entretien de la plante, c’est-à-dire après que les délicates membranes de leurs exodermies ont, comme celles des exodermies radicellaires, sécrété d’abord un suc acide capable de dissoudre des substances azotées que l’eau ne dissout pas et ensuite absorbé ces substances nutritives. La carnivorité serait ainsi un fait commun aux radicelles de la plupart des plantes et aux feuilles de quelques-unes seulement.
    Resterait à voir encore, comme l’indique M. J. Duval-Jouve, si le protoplasma des exodermies radicellaires subit après l’absorption les modifications qui ont été constatées dans les exodermies des feuilles carnivores.
    Le même auteur mentionne aussi dans son article précité que de nombreux pucerons sont capturés et tués aux sommets du Sonchus asper, et ce, parce que la piqûre de ces petits animaux fait sortir une gouttelette de suc laiteux, devenant visqueux par évaporation, et dans lequel s’engluent les ailes ou les pattes de l’insecte, sans qu’il y ait lieu de voir dans la succession de ces faits aucun principe de finalité.
    Ch. M.