Les Saisons de la terre et dans les autres planètes

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LES
SAISONS SUR LA TERRE
ET
DANS LES AUTRES PLANÈTES

C’est une opinion maintenant généralement admise que notre siècle est éminemment positif et utilitaire, que les intérêts matériels de la grande société humaine des deux côtés de l’Océan-Atlantique préoccupent exclusivement le génie de l’homme, et que le mérite de chaque découverte doit être évalué en francs, en dollars ou en livres sterling. L’Orient lui-même, engourdi et dépeuplé par une fainéantise de plusieurs siècles, semble sortir de sa torpeur apathique et vouloir donner un démenti à cette conclusion de l’histoire, que la civilisation marche toujours vers l’Occident sans jamais rétrograder. La vapeur, les chemins de fer, l’électricité, les manufactures envahissent l’Asie par ses frontières du nord, de l’ouest et du midi, par la Russie, par l’Égypte, l’Inde anglaise, et bientôt sans doute ils l’envahiront par la Turquie et par la Chine. Le monde de 1956, ou, pour parler plus modestement, la terre de 1956 ne ressemblera guère à celle de 1856, pas plus que l’Europe d’aujourd’hui ne ressemble à l’Europe du milieu du siècle dernier. Cependant les penseurs, philosophes, théologiens et métaphysiciens, n’en ont pas moins poursuivi le cours de leurs spéculations intellectuelles, et, chose étonnante, dans nos vieilles sociétés européennes comme dans les états nés d’hier en Amérique, ils ont trouvé des oreilles attentives, avantage rare dans ce siècle préoccupé de tant d’intérêts divers. Il est donc bien certain, suivant une parole célèbre, que l’homme ne vit pas seulement de pain. Plusieurs opinions relatives à l’habitation future de l’homme dans d’autres séjours que celui de notre planète ont eu du retentissement dans le monde des idées. Ayant eu moi-même, en une circonstance récente, à improviser une conférence sur les saisons des diverses planètes de notre monde solaire, je fus étonné de voir que plusieurs de mes auditeurs semblaient trouver quelque attrait à des recherches sur ces planètes où les hommes pouvaient être transplantés un jour après leur vie terrestre. Les écrits de MM. Whewhell, David Brewster et Jean Reynaud étaient évidemment pour beaucoup dans la curiosité de ceux qui adoptaient avec faveur le sujet de cette conférence astronomique.

Mais, indépendamment de toute influence préexistante, rien n’est plus utile que de porter un regard d’ensemble sur les opérations de la nature, de s’élever au-dessus des idées étroites de ceux qui n’ont point perdu de vue leur clocher natal, pour étendre ses regards sur le pays et même sur la partie du monde qu’on habite. L’Europe, fière de sa population de deux cent cinquante millions d’hommes, avec sa puissance guerrière et intellectuelle, occupe la zone tempérée, et par les deux caps extrêmes de l’Espagne et de la Grèce, n’atteint même pas le 36e parallèle, laissant encore toute l’Afrique septentrionale et toute l’Égypte entre elle et la zone torride. Aussi, d’après la tendance naturelle qui nous porte à donner une importance exclusive à ce qui nous entoure, il nous semble toujours bizarre d’entendre parler des chaleurs intolérables de décembre et de janvier qu’éprouvent les habitans de l’autre hémisphère, au cap de Bonne-Espérance, dans l’Australie ou dans le Chili. Les froids de juillet et d’août dans les mêmes contrées ne nous paraissent pas moins étranges. Cependant, puisque les saisons sur la terre offrent déjà bien des circonstances extraordinaires, combien n’en trouverons-nous point, non pas en allant de notre pôle européen, asiatique et américain au pôle opposé, mais bien en allant de la région ardente — où la planète Mercure se meut sous les feux d’un soleil sept fois plus chaud qu’il ne l’est pour la terre — jusqu’aux confins du système solaire où Neptune occupe provisoirement la dernière place, recevant des rayons neuf cents fois plus froids que ceux qui sur notre globe et pour notre Europe font ces grandes divisions de l’année, le printemps, l’été, l’automne et l’hiver, dont les productions sont si capitales pour l’homme de nos climats, tandis que rien de semblable n’existe dans les latitudes intertropicales !

Toutes les planètes qui, comme la Terre, suivent leur marche circulaire autour du soleil, peuvent être divisées en deux catégories, l’une formée par quatre planètes de moyenne grosseur et voisines du soleil, savoir : Mercure, Vénus, la Terre ou Cybèle, et Mars. Plus loin du soleil, les quatre grosses planètes, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, occupent un espace dont les limites sont trente fois plus éloignées du soleil que la Terre. Entre Mars et Jupiter est un espace immense qui n’est occupé que par de minimes planètes dont j’ai donné la liste et les noms dans la Revue. Au 1er janvier de cette année 1856, il y en avait trente-sept observées, et ce nombre d’ici à quelques années sera encore grandement augmenté. Kepler, le chercheur des lois du monde, s’était déjà étonné, il y a deux siècles, qu’entre Mars et Jupiter il y eût une place vide. Depuis le 1er janvier 1801, les astronomes modernes ont peuplé cette place vide de nombreuses petites masses planétaires qui, suivant une expression connue, ne feraient pas même la monnaie d’une planète de grosseur moyenne comme Mars ou la Terre. Ce partage des planètes en moyennes voisines du soleil, en intermédiaires d’une petitesse extrême, et enfin en grosses planètes occupant la région la plus éloignée de l’astre central, a sans doute une cause physique. Lagrange a entrevu et M. Le Verrier a suivi encore plus loin ce résultat des lois du mouvement, savoir que dans la région qu’occupent ces nombreuses petites planètes, la condition des masses destinées à devenir ultérieurement des planètes était celle d’un mouvement instable, ce qui devait ou les soulever vers la région supérieure où prédomine Jupiter, ou bien les précipiter avec le reste de la matière chaotique vers le soleil. Suivant une expression parfaitement juste de M. Le Verrier, ce ne sont pas les petites planètes qui doivent nous sembler quelque chose d’étonnant ; ce sont les grosses, qui ont aggloméré, on ne sait comment, toute la matière qui était au-dessus et au-dessous d’elles.

Il y a donc lieu de chercher quelles sont les saisons de quarante-cinq planètes, dont quatre grosses, quatre moyennes, et trente-sept d’une dimension minime.

Les quatre moyennes ne sont pas à beaucoup près, d’égale grosseur. La Terre et Vénus sont presque pareilles en tout, sauf l’avantage d’une lune que possède notre Cybèle. Mercure et Mars sont beaucoup plus petits ; Mercure n’est en volume que le seizième, et Mars le septième de la Terre et de Vénus. D’autre part, Jupiter est quatorze cents fois plus gros que la Terre, Saturne sept ou huit cents fois, Uranus quatre-vingts fois, et enfin Neptune cent fois. Avec de telles disproportions de dimensions et de distances à l’astre échauffant, on doit s’attendre à de grandes variétés de saisons, puisqu’avec le même soleil toute l’année l’Europe a l’hiver et l’été, qui ne se ressemblent guère. Que sera-ce si l’on compare entre eux Neptune et Mercure, celui-ci ayant un soleil six mille fois plus chaud que Neptune ?

Pour étudier les saisons des planètes du monde solaire, nous les partagerons en trois classes, celles qui, comme Saturne et Mars, ont des saisons analogues à celles de la Terre, celles qui, comme Uranus, Mercure et Vénus, ont des saisons et des climats excessifs. Enfin nous mettrons à part l’immense Jupiter, qui, avec son printemps perpétuel, n’a pour ainsi dire point de saisons. Ses divers climats sont invariables pendant tout le cours de son année, qui est en durée douze fois plus longue que la nôtre.

En appliquant d’abord à notre globe, pour être plus intelligible, les questions que nous allons faire à l’astronomie sur les autres planètes, figurons-nous la Terre accomplissant en un an sa course autour du soleil, et revenant à la même position après avoir présenté successivement ses deux pôles aux rayons de l’astre de la lumière et de la chaleur. Si nous partons du printemps, nous avons d’abord dans nos régions tempérées des jours et des nuits de douze heures, puis le jour gagne en durée et la nuit se raccourcit ; puis, à Paris du moins, les jours sont de seize heures, et la nuit de huit seulement. Pendant cette saison, qui est le printemps, les neiges qui ont recouvert une grande partie des continens septentrionaux disparaissent pour faire place à une active végétation ; les arbres se couvrent de verdure, et les plantes que l’hiver a fait périr renaissent de leurs graines pour rivaliser de feuillage avec les végétaux permanens ; les fleurs, les graines, les rejetons, assurent la reproduction des espèces, et les espèces sociales, tant les plantes que les arbres, envahissent le sol dans les localités non soumises à l’homme par le seul bénéfice de la force d’association. C’est ainsi que nous observons d’immenses forêts de pins, de chênes et de hêtres, et des plaines sans bornes couvertes exclusivement de chardons, de trèfle et de bruyères. Une des plus curieuses conséquences de la marche bien observée des saisons, c’est que les riches moissons qui alimentent en Europe le quart du genre humain sont, quant à leur cause, dues à l’hiver tout autant qu’au printemps, qui développe les céréales, et à l’été, qui les mûrit. En effet, si le blé n’était pas astreint à périr dans l’hiver, si ce n’était pas, suivant l’expression des botanistes, une plante annuelle, elle ne monterait pas en épis et ne produirait pas les utiles récoltes qui, depuis Cérès et Triptolème, ont assuré l’alimentation des populations nombreuses de l’Europe, et même ont donné naissance à ces populations. Pour se convaincre de cette vérité, il n’y a qu’à descendre plus au midi, dans l’Afrique, dans l’Asie et dans l’Amérique. Dès que l’on arrive dans un climat où l’hiver ne tue point nécessairement les céréales, la plante devient vivace comme l’herbe l’est chez nous ; elle se propage de rejetons, reste constamment verte, et ne fait ni épis ni grain. Là, ce sont d’autres végétaux, comme le millet, le maïs, le doura et diverses racines, qui donnent les fécules nutritives. Cet effet du climat est surtout frappant dans les contrées équatoriales qui, comme le Pérou, présentent de grands plateaux dont l’élévation abaisse la température, et où le blé monte en épis et donne des moissons, tandis que cela n’arrive jamais dans les plaines inférieures. L’organisme de la plante, par un inconcevable miracle, semble pressentir la nécessité de passer par l’état de graine pour ne pas périr complétement pendant la saison rigoureuse. J’ai remarqué qu’une cause analogue produit des récoltes de céréales dans une localité intertropicale, dans l’île de la Jamaïque : là toutes les parties de l’île qui ont une saison sèche, c’est-à-dire une saison où toutes les plantes meurent de sécheresse, ont du blé ; car cette plante, par le même pressentiment organique que nous avons déjà indiqué, se hâte de monter en graine et de fructifier aux approches de la saison qui doit la dessécher. Au reste c’est une expérience que tous ceux qui ont un jardin peuvent faire pendant l’été, car pour bien des légumes, si on cesse de les arroser abondamment on les voit en quelques jours perdre leurs qualités alimentaires pour prendre une tige ligneuse et arriver promptement à la maturation de leurs semences.

À la fin du printemps et au commencement de l’été, le soleil, qui s’est avancé vers le nord, fait pulluler dans notre hémisphère et jusqu’auprès du pôle toutes les espèces animales, comme il fait naître et se développer les espèces végétales. Quadrupèdes, oiseaux, poissons, amphibies, insectes, mollusques, animaux microscopiques, peuplent les terres et les mers septentrionales, soit par naissance locale, soit par immigration. À voir dans ces régions le nombre et la taille des êtres vivans, on peut douter que pour la totalité l’équateur puisse rivaliser avec le cercle polaire. Sans compter l’ours, le renard, le lièvre, le bœuf sauvage, quelles myriades d’oiseaux de mer et de rivages ! quelle masse vivante que ces bancs migratoires de harengs qui viennent sur nos côtes enrichir nos pêcheries et celles de l’Europe septentrionale !



… Ubi Scandia dives
Halecas totum mittit piscosa per orbem.


On sait que les Hollandais ont élevé une statue à celui qui le premier trouva l’art de conserver en masse ces utiles poissons, ces alecas ou halecas dont les Romains n’avaient su tirer qu’un condiment analogue à nos sauces d’anchois, ou plutôt à celles de l’Angleterre.

Je n’ai pas encore fini avec la vitalité du Nord, je n’ai pas nommé les morses et les phoques qui vivent en abondance jusqu’au 80e parallèle sur les plages et les glaces du Spitzberg, et constituent des amphibies énormes et pleins d’énergie. Enfin c’est encore vers les deux pôles de la terre que les baleines et autres cétacés font leur principale résidence. Lacépède fait la remarque qu’on a vu des baleines de 100 mètres de long, et par suite, si l’on dressait un de ces cétacés contre les tours de Notre-Dame, qui ont plus de 60 mètres, il les dépasserait encore de 30 ou 40 mètres. Il est certains animaux qui croissent toute leur vie. Au reste, l’amiral Smyth, non moins excellent naturaliste qu’astronome distingué, met en doute qu’aucun être vivant dans l’eau meure de sa mort naturelle. Par leur frai, par leurs œufs, par leurs petits, par leurs adultes, par leurs individus en âge de maturité, les poissons semblent faits pour alimenter toutes les classes d’animaux, y compris même la leur. Dans les romans de chevalerie de nos pères, on peut définir un géant un être fait pour être tué par un chevalier errant ; dans la nature, on peut définir un poisson « un animal destiné à être dévoré par un autre animal. » Souvent sur les bords de l’Océan, sur des points peu fréquentés, j’ai observé avec étonnement à l’approche de la tempête les oiseaux du rivage, agités d’une espèce d’activité fiévreuse, courir çà et là en appelant évidemment l’agitation des flots, non pas, comme le dit Virgile, dans le désir de se baigner,

Et studio incassùm videas gestire lavandi,


désir que rien ne les empêche de satisfaire, mais bien dans l’espoir impatient de voir les lames qui accostent le rivage leur jeter une proie assurée. C’est un pronostic de tempête des plus sûrs que cette agitation des oiseaux de rivage qui se précipitent vers la mer quand les flots vont être soulevés par le vent ou même par la marée ordinaire.

Si nous suivons le soleil dans sa marche rétrograde vers le sud, nous voyons la chaleur de la saison baisser avec la hauteur du soleil à midi, les jours de douze heures reparaître, puis l’automne finissant avec des jours de huit heures et des nuits de seize heures, et enfin l’hiver, dont les jours sont de même grandeur que ceux d’automne, mais qui, succédant à une saison froide, est pour cette raison encore plus froid que l’automne, de même que l’été, dont les jours sont semblables à ceux du printemps, est bien plus chaud que celui-ci, parce qu’il verse ses rayons sur une terre déjà échauffée.

Je ne partage point l’heureuse disposition d’esprit de ceux qui ont le bonheur ou, si l’on veut, la passion de l’admiration dans la nature. S’ils trouvent merveilleux que la subsistance de certains oiseaux ait été assurée aux dépens des poissons, ils devraient blâmer la partialité qui a désigné ceux-ci comme victimes obligées des premiers. À cela on répond qu’autrement les poissons seraient en trop grand nombre. D’accord ; mais, quoi qu’il en soit de ces spéculations métaphysiques, je remarquerai dans la production des saisons et des climats planétaires combien est simple le mécanisme par lequel se produisent ces grands effets. Puisque tout dépend de ce que le soleil éclaire plus ou moins notre hémisphère ou l’hémisphère opposé, il est évident que toute disposition qui rapprochera le soleil successivement de l’un ou de l’autre pôle d’une planète produira ce que nous observons annuellement. Pour vérifier cela, prenez une boule qui tourne sur deux pointes ou pivots, comme les globes géographiques appelés sphères, et présentez-la à une lampe à une certaine distance. La moitié éclairée aura le jour, et l’autre la nuit. En faisant tourner le globe entre ses pivots, le jour et la nuit se succéderont sur ce globe comme sur la terre, et si on le fait tourner autour de la lampe, le temps qui sera employé à en faire le tour sera analogue à l’année, comme le temps que le globe met à tourner sur lui-même est analogue au jour, mais ce qui fait les saisons, ce sera la position des deux pivots sur lesquels tourne le globe. En effet, tout le monde voit bien que si ces pivots sont à égale distance du corps éclairant et situés l’un au-dessus, l’autre au-dessous et symétriquement, le globe en tournant présentera toujours les mêmes points à la lumière, n’importe dans quelle position il soit à l’entour de la flamme. Il n’en sera plus de même si les deux pivots offrent une ligne inclinée et de biais par rapport au point éclairant et à la route circulaire que suit le globe autour de ce point. En effet il est évident qu’alors ce sera tantôt l’un, tantôt l’autre des pôles ou pivots qui sera illuminé, tandis que l’opposé sera dans l’ombre, et que par rapport à chaque point du globe le corps lumineux paraîtra s’avancer au-dessus de lui, quand il arrivera à illuminer de plus en plus le pôle placé de son côté, tandis qu’il s’abaissera de plus en plus quand, d’après la position contraire, les rayons du foyer de lumière se porteront vers le pôle opposé. Une pomme, une orange, une bille de billard pincée entre le pouce et le doigt du milieu et promenée circulairement autour d’une lampe posée sur un guéridon ou sur une table ronde, montreront convenablement tous ces effets, pourvu que les doigts qui retiennent le petit globe ne soient pas l’un au-dessus de l’autre, et que les points d’appui offrent une ligne inclinée. Dans ces conditions, on verra successivement l’illumination atteindre les deux points ou pôles où portent les doigts. On complétera l’analogie en faisant tourner le petit globe sur lui-même à chaque point de la marche circulaire dont la durée représentera l’année, de même que celle de la rotation du globe sur lui-même et entre les doigts de l’expérimentateur représentera la durée du jour.

Si dans cette expérience on ne plaçait pas le petit globe obliquement, alors il se présenterait toujours de la même manière au centre lumineux : c’est ce qui a lieu pour l’immense planète Jupiter, dont la grosseur égale quatorze cents fois celle de la Terre, mais qui, n’étant pas aussi compacte que notre globe, n’est guère que trois cent cinquante fois aussi massive. Ainsi, en supposant des balances d’une dimension suffisante, il ne faudrait que trois cent cinquante masses égales à celle de la Terre pour équilibrer Jupiter. Quelles saisons, quels climats cette énorme planète peut-elle avoir ?

D’abord il n’y a point là, à proprement parler, de saisons, puisque le soleil ne varie point d’aspect et ne va point, comme pour la Terre, tantôt en s’éloignant vers le pôle opposé à une localité, tantôt en se rapprochant du pôle voisin. Comme la planète cependant, dans son année, qui dure autant que douze de nos années terrestres, ne reste pas strictement à la même distance du soleil, il peut y avoir quelque variation dans la force de la lumière qu’elle reçoit de cet astre. Ainsi, pour la Terre, le soleil est un peu plus près de nous au mois de décembre qu’en juillet, et les rayons solaires, pris à la même hauteur au-dessus de l’horizon dans les deux cas, sont inégalement chauds ; ils sont plus forts d’environ un quinzième l’hiver que l’été. Cependant la Terre dans son ensemble ne reçoit pas plus de chaleur dans une saison que dans l’autre, car si le soleil est plus chaud pendant l’hiver, par compensation cette saison dure moins que l’été. On peut en dire autant de l’hiver comparé au printemps. Quand il y a pour une saison avantage dans la force échauffante de l’astre plus voisin, il y a compensation exacte par une durée plus grande de l’autre saison qu’on lui compare. Ceci est une déduction mathématique et infaillible. Les auteurs anglais, qui ont tant écrit sur la théologie naturelle, ne paraissent pas avoir connu cette belle loi, qui leur aurait servi à plaider ce qu’ils appellent le dessin dans la nature, c’est-à-dire l’intention ou le fait exprès. Si nous joignons à la faiblesse des variations de l’échauffement solaire dans Jupiter cette circonstance, que les rayons de cet astre y sont vingt-sept fois moins chauds qu’ils ne le sont à la distance où nous nous en trouvons sur la Terre, on jugera qu’il n’y a guère de variations thermométriques à la surface de cette vaste planète, et comme de plus les jours et les nuits n’y sont que de cinq de nos heures, le refroidissement de la nuit et réchauffement du jour y sont très limités. Pour nous autres habitans de la Terre, quelle différence entre ce qui se passe chez nous et ce qui a lieu sur cette planète, la reine du système planétaire ! Combien les grands phénomènes de notre nature terrestre, les saisons, les climats, le soleil, l’année, le jour et la nuit, perdent de leur importance aux yeux de ceux qui voient la nature opérer tout différemment dans une autre planète, laquelle est tant de centaines de fois plus grosse que la Terre, avec une année qui dure douze fois plus, un soleil vingt-sept fois moins ardent, un printemps perpétuel, et des jours et des nuits de cinq de nos heures seulement ! Il est fâcheux que Voltaire, qui tournait en dérision notre globe parce qu’il se présentait au soleil de biais et gauchement, n’ait point considéré les climats de Jupiter, qui présente toujours son équateur au soleil sans aucun biais ; je ne sais s’il eût été complétement satisfait. Cependant on aurait pu lui faire remarquer que le ridicule qu’il jette sur notre pauvre planète, qui suivant lui n’est pas tout à fait les Petites-Maisons de l’univers, mais qui en approche, est moins fondé qu’il ne semble l’admettre, car cette position gauche qu’il critique est précisément ce qui porte la vie chaque année aux deux pôles opposés. Sans cela, nos blés, qui demandent 2,000 degrés de chaleur accumulée pendant un nombre suffisant de jours, ne pourraient guère mûrir en Europe avec la température du commencement du printemps, c’est-à-dire celle du 21 mars. Quant à la vigne, il n’y faudrait pas penser. L’orge, moins exigeante que le blé et qui ne demande que 1,200 degrés de chaleur, ne croîtrait pas à l’extrême nord de l’Europe, comme elle le fait aujourd’hui pendant les rapides étés de ces tristes contrées. En un mot, il est très difficile que ce qui est n’ait pas une raison d’être, et quoique la variété de la nature dans les diverses planètes doive un peu embarrasser les metteurs en œuvre des causes finales universelles, il est dans chaque cas tant d’effets coordonnés à une même cause, et qui en dérivent immédiatement, qu’il est fort difficile de juger ou la convenance ou la non-convenance de ce qui est établi. Au siècle de Voltaire, où les millionnaires se croyaient obligés de se connaître en littérature et ne traitaient pas encore les hommes d’état et les hommes de lettres famillionnairement, suivant l’heureuse expression de M. Henri Heine, un fermier-général demandait à Fréron des conseils sur l’art de juger les œuvres littéraires : « Dites toujours que c’est mauvais, lui répondit le rude critique ; c’est un moyen assuré d’avoir presque toujours raison. » On peut admettre la théorie contraire pour ce qui s’observe dans les opérations de la nature. Admettre que ce qui est a de bonnes raisons d’être, c’est s’appuyer sur une probabilité qui approche bien près de la certitude ; seulement ce qui a été fait dans une planète pour certaines raisons peut avoir été fait différemment dans une autre pour d’autres raisons non moins bonnes dans cet autre monde. Sempre bene.

J’ai toujours remarqué que ceux qui m’adressaient des questions sur les mondes planétaires étaient inquiets pour les planètes supérieures et très éloignées du soleil du peu de chaleur que doivent avoir là les rayons de notre Phébus terrestre. Ce mot grec qui caractérise le soleil par le mot de brillant, d’éclatant, d’ardent, de lumineux par excellence, paraît un peu exagéré pour une planète comme Jupiter, où il est vingt-sept fois moins brillant que pour nous. Il l’est, avons-nous dit, cent fois moins pour Saturne, quatre cents fois moins pour Uranus, et neuf cents fois moins pour Neptune. Quelle délicatesse ne faudrait-il donc point admettre dans les organismes vivans de ces planètes pour y rendre les rayons solaires efficaces ? Voici ce que je réponds à cette question, en laissant du reste au questionneur toute liberté de juger lui-même d’après les faits, ou d’examiner toute autre solution qu’il lui plaira d’imaginer.

La sensation du froid et de la chaleur n’est que relative. Dans les environs de Paris et dans l’Europe moyenne, où le thermomètre peut varier entre des extrêmes distans de 50 à 60 degrés centigrades, des variations de 5 à 6 degrés ne nous sont guère sensibles, mais les Européens qui arrivent dans les régions intertropicales, comme au Brésil, aux Antilles, dans l’Inde, s’habituent tellement à cette température constante, qu’en peu d’années les plus petites variations de chaleur leur deviennent insupportables, et qu’il n’y a point pour eux assez de manteaux et de fourrures pour les en préserver. Les habitans de la zone torride semblent, par leurs amples vêtemens, avoir pour but de se préserver de toute participation à la température extérieure d’après le proverbe espagnol, que ce qui préserve du froid préserve tout aussi bien de la chaleur. Nos sens ne jugent et ne sont impressionnés que par comparaison et par contraste. La source qui nous paraît froide l’été nous paraît chaude l’hiver. Il en est de même des eaux et des lieux peu accessibles aux variations thermiques des saisons. Les Latins et les Grecs avaient déjà très bien noté ces effets organiques. Pour ne pas remonter si haut, je citerai une observation de notre savant voyageur français, M. Antoine d’Abbadie. Étant en Abyssinie, il voulut se plonger dans un bain qui lui parut tellement froid, et lui causa une sensation tellement douloureuse, qu’il ne put y rester. Curieux de voir à quel degré était ce malencontreux bain froid, il y plongea le thermomètre. C’était une température à cuire un Européen non acclimaté sur les bords du Nil supérieur. On sait que le naïf La Fontaine, après une discussion sur le feu de l’enfer, prétendait que les damnés s’y acclimateraient si bien qu’ils seraient là comme le poisson dans l’eau, et dans les publications récentes des œuvres astronomiques de M. Arago, on trouve que si une comète emportait la terre à une immense distance du soleil, la vie pourrait bien s’y conserver malgré les grandes variations de chaleur qu’éprouverait notre terre. À part l’impossibilité qu’il y a de voir une fourmi entraîner un éléphant ou une baleine, comment croire que nos organismes pourraient supporter de pareilles épreuves ? Pour faire succéder la vie au dépeuplement dans les champs qui entourent Paris, il suffit de 10 à 12 petits degrés centigrades ; 30 ou 40 degrés suffisent pour tout dessécher dans le midi de la France : comment donc admettre que, sans périr, la nature vivante de notre planète pût supporter de tels extrêmes de chaleur et de froid ? Car dans leur plus grand éloignement du soleil, les comètes ne doivent avoir que la température des espaces célestes, c’est-à-dire quelque chose comme 80 ou 100 degrés de froid, tandis que près du soleil certaines comètes, celle de 1843 par exemple, reçoivent des rayons du soleil cinq ou six millions de fois plus chauds qu’ils ne le sont quand ils arrivent à notre terre.

Une cause de réchauffement peu mentionnée jusqu’ici dans les livres d’astronomie et de géologie, c’est l’atmosphère même des planètes. Dans le cas de Jupiter, nous ne pouvons douter que cette atmosphère n’existe. Les bandes obscures que nous voyons sur son disque et qui suivent la direction de nos vents alisés sont évidemment des phénomènes d’atmosphère, puisque ces bandes disparaissent quelquefois, et qu’il s’y montre des taches momentanées indiquant des perturbations ou des orages analogues à ceux de notre atmosphère. C’est une curieuse propriété de la lumière que celle qui explique l’influence que peut avoir une atmosphère pour aider les rayons solaires à échauffer une planète, et notre terre comme toute autre.

Cette propriété consiste en ce que les rayons du soleil, après avoir traversé l’air, une vitre ou un corps transparent quelconque, perdent la faculté de retraverser ce même corps transparent pour retourner vers les espaces célestes. C’est par un procédé fondé sur cette loi physique, non expliquée jusqu’ici, que les jardiniers accélèrent au printemps la végétation des plantes délicates en les recouvrant d’une cloche en verre qui admet les rayons solaires, mais ne les laisse ensuite s’échapper qu’avec beaucoup de difficulté. Si le jardinier met deux ou trois cloches l’une sur l’autre, il fait invariablement cuire la plante ainsi recouverte, et même dans les jours sereins de mars et d’avril il est souvent obligé de relever un des bords de la cloche de verre pour que la plante ne souffre pas du soleil de midi. Au moyen d’un appareil composé d’une boîte noircie en dedans et de plusieurs glaces superposées, Saussure a pu porter de l’eau à l’ébullition, et dans son séjour au cap de Bonne-Espérance dans les jours brûlans de la fin de décembre, sir John Herschel a pu faire cuire un bœuf à la mode de grandeur très raisonnable au moyen de deux boîtes noircies placées l’une dans l’autre et garnies chacune d’une seule vitre, sans aucune autre cause de chaleur que les rayons solaires qui venaient s’engouffrer sans retour possible dans cette espèce de souricière. Il y eut de quoi régaler toute sa nombreuse famille et les invités à cette cuisine opérée avec un fourneau d’un si nouveau genre. Cette même loi nous explique le froid qui règne sur les hautes montagnes. C’est que là les couches d’air, étant moins compactes et en moindre nombre, n’opposent pas au retour des rayons vers l’espace céleste le même obstacle que l’atmosphère entière quand les rayons sont arrivés dans la plaine. C’est un cas analogue à celui où, au lieu de deux vitres, on n’en met qu’une sur une capacité que l’on veut échauffer par l’absorption des rayons du soleil. Nos vitres de fenêtre produisent le même effet, et même dans les appartemens non habités déterminent une grande élévation de température quand elles sont exposées au midi. En visitant l’été les salles des vieux châteaux abandonnés, on peut remarquer que celles qui ont conservé leurs vitres ont quelquefois par un beau soleil une chaleur insupportable.

Il suffit donc d’attribuer à une planète une atmosphère plus ou moins épaisse pour augmenter ou diminuer la chaleur à sa surface. C’est probablement un effet de ce genre qui a eu lieu pour la Terre dans les époques qui ont précédé la nôtre, et où tout indique qu’une atmosphère moins légère et moins pure, contenant surtout une grande quantité de gaz acide carbonique, recevait et gardait en plus grande quantité les rayons du soleil. Dans les lieux profonds comme le bassin de la Mer-Morte, qui est à 400 mètres au-dessous du niveau de l’Océan, on éprouve par l’action des rayons solaires une chaleur formidable. J’avouerai cependant que, malgré toutes les atmosphères du monde et malgré les grands succès de nos sociétés d’acclimatation tant pour les poissons que pour les animaux domestiques, je ne me figure pas facilement une acclimatation des organismes terrestres, non pas seulement dans le cas de la comète d’Arago, mais même dans la planète Neptune avec un soleil qui est neuf cents fois moins chaud que sur la Terre.

Après la planète Jupiter et son printemps perpétuel viennent les planètes Saturne et Mars, qui, comme la Terre, voient le soleil se balancer dans le ciel d’un pôle à l’autre, donnant les saisons chaudes à l’hémisphère voisin du pôle dont il se rapproche, et les saisons froides à l’hémisphère opposé. Les saisons sont un peu plus marquées dans Saturne que dans Mars d’après l’obliquité de la ligne de ses pôles, et ces mêmes saisons sont un peu plus prononcées dans Mars que sur la Terre. Nous ferons pour Saturne la même observation que pour Jupiter : d’abord le soleil y doit être bien faible, puisqu’il est cent fois moins fort que chez nous, et ensuite, comme la planète tourne sur elle-même en dix heures et demie, les jours et les nuits y ont peu de durée et s’y succèdent très rapidement. Quant à l’année, elle y est de trente de nos ans. Pour ne plus revenir sur ces longues années, nous dirons tout de suite que pour Uranus, l’année est d’un peu plus de quatre-vingts ans, et que pour Neptune, elle est d’un siècle et demi. Ainsi un centenaire dans Neptune aurait vécu quinze mille ans !

Je n’ai rien à dire sur les saisons de cette dernière planète, qu’on ne peut observer que difficilement avec les détails convenables à cause de sa grande distance. La marche de son satellite indiquera approximativement sa rotation et l’inclinaison de la ligne de ses pôles. Je n’ai aucun souvenir que ce sujet ait été traité par quelque observateur. Il est toujours permis de dire avec Socrate : Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, pourvu qu’aucun autre ne puisse dire qu’il sait quelque chose de plus.

Je prie incidemment le lecteur de vouloir bien me permettre de lui faire remarquer la puissance des symboles mathématiques et combien est vraie cette assertion de Pythagore, que les nombres gouvernent le monde. Un cosmographe s’épuisera à énumérer tout ce que les saisons de la Terre ou de Mars offrent de particulier ; il montrera les deux régions polaires de ces planètes tour à tour couvertes de neige et tour à tour rendues à la végétation et à la vie. Il dira la longueur des jours pour chaque latitude et la durée de chaque saison avec chaque climatologie. Le mathématicien n’a besoin, pour dire tout cela, que d’un seul nombre. Ainsi, quand à côté du nom de la troisième planète à partir du soleil, la Terre, il a inscrit l’angle 23 degrés 27 minutes et demie, tout est dans ce nombre, saisons, climats, longueur des jours, aspects célestes, végétation, vie animale, sans compter les marées et bien d’autres influences que le génie de l’homme n’a point encore découvertes.

La Terre se trouvant placée dans les espaces célestes entre Vénus et Mars, ce sont ces deux planètes voisines qui nous intéressent le plus par leurs analogies ou leurs contrastes avec notre globe. Or, pour les saisons, rien de plus analogue aux saisons de notre Cybèle que les saisons de Mars. C’est en deux ans environ que s’accomplit sa révolution autour du soleil, analogue à notre année. Le jour de Mars est à peu près comme le nôtre, puisqu’il est de 24 heures 37 minutes. Seulement la planète est beaucoup plus petite que la Terre, dont elle n’est que le septième ou le huitième en masse et en volume. J’ai déjà dit et redit dans la Revue que l’on voyait dans l’hiver la neige couvrir le pôle nord de Mars et s’étendre sur les régions polaires, comme on l’observe sur la Terre, et que quand le soleil arrive vers chaque pôle, la fusion de la neige laisse un espace gris et sans doute boueux entre la partie où n’arrive pas la neige et celle où les glaces polaires sont permanentes. Ces glaces polaires sont elles-mêmes un obstacle à la mesure exacte des dimensions de la planète, car comme elles forment un point d’un grand éclat et d’une vive blancheur, elles font paraître la planète plus épaisse dans ce sens qu’elle ne l’est réellement, à peu près comme le croissant de la nouvelle lune parait déborder le disque obscur qui s’observe au moyen du reflet de la Terre, lequel porte le nom de lumière cendrée. J’ai moi-même été témoin des mesures que prenait Arago des dimensions de cette planète avec un appareil d’une force insuffisante ; mais son coup d’œil d’aigle lui faisait obtenir des déterminations d’une telle concordance, qu’avec des grossissemens dix fois plus grands un observateur ordinaire n’eût pas été plus sûr de son résultat. Il faut l’avoir vu à l’œuvre pour comprendre tout ce qu’une organisation si privilégiée pouvait tirer des instrumens.

Tout le monde sait que la zone torride s’étend entre les deux points extrêmes qui ont au solstice le soleil précisément au-dessus de leur tête, et où, suivant l’expression de Lucain, les arbres cessent d’avoir une ombre à midi. Il serait plus juste de dire que c’est un bâton qui, à cette époque de l’année et à cette heure du jour, n’a point d’ombre du tout. Sur notre terre, cette zone torride n’occupe pas tout à fait la moitié de la surface du globe, car il faudrait qu’au lieu de s’arrêter à Syène, à la frontière sud de L’Égypte, elle s’avançât jusqu’au Caire ou plutôt jusqu’à la grande pyramide. Je ne sais si on a remarqué avant moi que les Égyptiens avaient placé ce gigantesque monument exactement sur le parallèle qui partage en deux parties l’hémisphère nord, en sorte que du parallèle de la grande pyramide au pôle il y a juste la même superficie que de ce parallèle à l’équateur. C’est une curieuse coïncidence, et qui ne peut être fortuite. Une des importantes conséquences que l’on en déduit, c’est que depuis quarante siècles les latitudes terrestres n’ont point sensiblement changé, car il est évident que les constructeurs de cette pyramide ont voulu la placer juste à 30 degrés de latitude, où elle est encore, partageant en deux parties égales notre hémisphère.

Or c’est à peu près vers la moitié de l’hémisphère de Mars que le soleil arrive au solstice, et si les habitans y ont construit une pareille pyramide, elle doit avoir le soleil au-dessus d’elle au plus grand jour de ce côté de l’équateur. Dans Mars, la zone torride occupe la moitié de la planète, tandis que sur notre terre elle n’en possède qu’un peu plus des trois huitièmes. Dans chaque hémisphère de Mars, la zone torride occupe 30 degrés de latitude, la zone tempérée 30 degrés, et la zone glaciale 30 autres degrés. La première de ces zones occupant à elle seule autant d’espace superficiel que les deux autres réunies, Mars offre une teinte rougeâtre que l’on a attribuée à la couleur de ses terrains, colorés en rouge par l’oxyde de fer ; d’autres ont voulu y voir une végétation de plantes de cette couleur. Dans ce cas, sa couleur serait variable avec les saisons de la planète, ce qui n’a point encore été observé. Le soleil pour Mars est environ deux fois moins chaud que pour la Terre, et par suite, c’est de toutes les planètes celle dont les influences solaires se rapprochent le plus de la Terre ; car Vénus, qui a le soleil deux fois plus chaud que la Terre, diffère d’une unité entière, dans la chaleur qu’elle reçoit, de la chaleur que reçoit la Terre, tandis que Mars n’en diffère que d’une demi-unité.

Uranus, Vénus et Mercure font une catégorie à part pour les saisons. Dans chacune de ces planètes, le soleil s’avance tellement près des pôles, qu’il ne laisse aucune place à une zone tempérée. Mettant de côté Uranus, où les rayons du soleil sont quatre cents fois plus faibles que sur la Terre, et Mercure, qui fait sa révolution analogue à notre année en 88 jours avec un soleil sept fois plus brûlant que le nôtre, et des jours de 24 heures 5 minutes, il nous reste à voir ce que la théorie et l’observation donnent pour les saisons et les climats de cette belle planète, ingens sidus, comme dit Pline.

Les diverses mesures de l’inclinaison de l’axe de Vénus ne sont guère susceptibles de précision, mais toutes s’accordent à nous montrer qu’à chaque solstice le soleil de quatre mois en quatre mois passe du voisinage d’un pôle à celui du pôle opposé. On trouve dans l’Astronomie de M. Arago que le soleil arrive jusqu’à 15 degrés de chaque pôle de Vénus, tandis que les observations du père de Vico à Rome, dans une localité unique pour la transparence de l’air, donnent au moins 23 ou 25 degrés pour cette distance. Si l’on compare donc Vénus à notre terre et que l’on mette cette dernière à sa place, on verra que le soleil arrive au moins jusqu’au parallèle qui sur notre terre marque le cercle polaire. Arrivé là, il éclaire et échauffe le pôle de Vénus avec les feux d’un soleil double du nôtre en force, à peu près aussi voisin du pôle que l’est le soleil de notre tête aux plus longs jours de l’été, et de plus qui ne se couche jamais. M. de Humboldt a observé qu’à La Havane, au solstice, le soleil, suspendu sur la tête des habitans pendant plusieurs jours, produit une chaleur supérieure à celle de l’équateur même. Or les circonstances qui accompagnent le solstice dans Vénus sont encore bien plus favorables à l’échauffement de son pôle que ne le sont pour La Havane le soleil tropical de la fin de juillet, puisque pour le pôle de Vénus le soleil ne se couche point.

Il résultera de toutes ces circonstances les saisons et les climats les plus bizarres et les plus excessifs que l’on puisse imaginer. D’abord point de zone tempérée, puisque le soleil arrivera tout près du pôle à chaque solstice. Il fera pour chacun de ces points une saison des pluies comme on en observe sur la Terre, et les glaces et la neige n’auront point le temps de se former au pôle, dont le soleil n’est absent que pendant quatre mois, c’est-à-dire pendant la moitié de l’année de cette planète, qui dure huit mois en tout. Les agitations des vents, des pluies et des orages doivent surpasser tout ce qu’on peut imaginer sur la terre, et les pôles de la planète doivent se montrer de face à la Terre dans sa révolution autour du soleil. Ce ne peut donc être que rarement qu’une atmosphère aussi agitée doit laisser apercevoir les continens et les mers qui sont à la surface de Vénus, dont les jours d’ailleurs ont à peu près la même durée que les nôtres, savoir 23 heures 21 minutes. Tout nous indique donc que les saisons de cette planète ne ressemblent point à celles de la Terre et de Mars, mais que son atmosphère et ses mers subissent une continuelle évaporation et une continuelle précipitation de pluies torrentielles avec des nuages qui ne laissent que rarement apercevoir le noyau géographique de la planète. Il reste à comparer minutieusement ces données théoriques à l’observation.

Que dire des jours et des saisons des trente-sept petites planètes que l’année 1855 nous a laissées en finissant ? Certainement peu de chose. La seule détermination accessible semble devoir être la durée de leur jour. En effet, on a remarqué dans plusieurs de ces minimes fragmens de la création un éclat variable qui provient sans aucun doute de ce qu’elles nous tournent divers côtés inégalement brillans. L’intervalle entre deux éclats ou deux états obscurs de la planète nous donnera donc le temps de la révolution ou le jour de ces pygmées planétaires. Pour faire mieux comprendre cette idée, imaginons un observateur placé dans Jupiter ou dans Mars, et observant de là notre terre pendant plusieurs jours consécutifs. Il est évident que, quand il aura de son côté la partie continentale de la Terre, savoir l’Asie, l’Afrique et l’Europe, notre planète lui paraîtra beaucoup plus illuminée que quand il recevra le reflet de l’Océan-Pacifique, dont les eaux renvoient bien moins de lumière que la terre sèche. Ce que je dis là n’est point une spéculation hasardée. Tout le monde sait que vers la nouvelle lune et après le dernier quartier, époques où le croissant de la lune est très aigu et très étroit, on aperçoit le reste du disque de la lune éclairé d’une faible lueur provenant du reflet de la terre. Or, ce reflet, quand le croissant mince apparaît à l’orient avant le lever du soleil, en vieille lune, est beaucoup plus prononcé que quand ce croissant paraît le soir suspendu sur l’horizon occidental. C’est que, dans le premier cas, où le croissant est à l’orient, il reçoit le reflet de l’hémisphère oriental, qui est bien plus riche en terres que l’hémisphère occidental avec les plaines liquides de l’Atlantique et du Pacifique et le peu de terre de l’Amérique équatoriale. On attribue ordinairement cette théorie à Galilée, mais je n’ai pu la trouver dans ses œuvres.

Voilà donc ce que nous savons jusqu’ici d’un peu positif sur les saisons des planètes concitoyennes de la Terre dans l’empire du soleil. La variété n’y manque pas, comme on voit, et les installateurs d’êtres vivans ont beau jeu pour exercer leur imagination dans un si grand nombre de mondes si diversement partagés pour la chaleur, la lumière, la durée des jours et des ans, enfin pour tout ce qui constitue chez nous les saisons et les climats et les produits de la vie animale et végétale. Une seule chose pourrait empêcher d’admettre des habitans vivans dans les planètes éloignées du soleil : c’est le peu de chaleur de cet astre dans ces prodigieuses distances ; mais sans recourir à des organismes particuliers (ce que la nature du reste paraît facilement pouvoir faire pour des localités exceptionnelles), ne voyons-nous pas la vie subsister près des pôles de la Terre, au Spitzberg, par exemple, où l’on ne peut guère compter sur l’influence du soleil, qui peut à peine fondre l’été une partie des eaux congelées pendant l’hiver ? N’avons-nous pas vu les puits artésiens forés en Égypte ramener avec les eaux souterraines des poissons pour lesquels le soleil et ses rayons étaient mille fois plus étrangers qu’aux habitans de Neptune ? Plusieurs autres eaux souterraines, et notamment celles de la Carniole et de Laybach, ne nous offrent-elles pas des poissons et même des oiseaux pêcheurs vivant sous terre ? Pour prescrire des limites à la faculté productive des organismes vitaux, tant pour les animaux que pour les plantes, il faudrait savoir ce que c’est que la vie ; or c’est ce que nous ignorons complétement. N’a-t-on pas vu au commencement de ce siècle toutes les lois d’Aristote sur l’organisation animale échouer devant les bizarres habitans de la terre et des eaux dans l’Australie ? N’y a-t-on pas trouvé des quadrupèdes couverts de poils et ayant un bec au lieu d’une mâchoire armée de dents, de grands animaux dont les petits ne venaient au monde ni par le moyen des œufs ni par enfantement d’êtres nés viables ? Je ne parle pas des belles organisations gigantesques qui ont disparu de notre terre, ni des races que l’homme a détruites à jamais, quand il a occupé les localités entières où vivaient ces races. Malheureusement, pour l’honneur de l’humanité, on peut compter parmi ces exterminations plusieurs races d’hommes, comme celles qui occupaient les îles Canaries ou bien Saint-Domingue et Cuba. En général la nature ne s’arrête que devant une impossibilité physique absolue, et jusque-là elle réalise tout. Une fois que l’on est bien convaincu de cette vérité, que les rayons du soleil ne sont pas indispensable à la vie, on trouvera toujours à une profondeur suffisante dans chaque planète la chaleur d’origine qui pourra s’accommoder aux exigences de bien des organismes végétaux et animaux.

Les notions astronomiques et physiques qui servent de base à cette étude sur les saisons des planètes solaires sont de celles que les observateurs, préoccupés principalement des lois du mouvement de ces planètes, ont presque entièrement négligées. L’astronomie physique exige en effet des télescopes très puissans, une dextérité spéciale dans le maniement de ces grands instrumens et une assiduité constante à saisir toutes les heures favorables à la vue des phénomènes, malgré les caprices météorologiques de l’atmosphère et la présence souvent gênante de l’illumination lunaire quand on observe de très faibles objets. Parmi ceux qui ont eu le courage de créer des télescopes gigantesques et de s’en servir, on peut citer William Herschel et lord Rosse, quoique ce dernier ait encore peu fait pour l’astronomie planétaire. Qu’il me soit permis de répéter ici, après Laplace, qu’un télescope de grandeur moyenne comme ceux de sir John Herschel, ou comme ceux de trois pieds anglais qu’on se propose d’expédier bientôt au cap de Bonne-Espérance, étant transporté dans les montagnes de l’équateur ou même sur nos Alpes ou sur nos Pyrénées, au-dessus des couches vaporeuses de l’air des plaines, nous montrerait sur la constitution physique de la lune et des planètes mille particularités qui nous seront à jamais insaisissables dans le fond de l’atmosphère épaisse où nous sommes relégués ordinairement. Toutes les questions qui se rapportent aux jours et aux atmosphères des planètes, à l’état de leur surface, pourraient obtenir une solution, et d’autres points non moins importans, savoir l’existence d’une planète plus près du soleil que Mercure, celle d’un satellite de Vénus, aussi bien que la détermination exacte du nombre de ceux qui circulent autour de Saturne, d’Uranus et de Neptune. Je ne parle pas des comètes, des nébuleuses de la voie lactée, de la lumière zodiacale, et de bien d’autres sujets de recherches.

La conclusion naturelle de ce qui précède serait un tableau des habitans de ces planètes dont nous avons indiqué les climats et les saisons. Ce n’est pas tout de bâtir une maison, il faut encore la peupler. Or les notions positives sur les habitans des planètes autres que la Terre sont de celles que probablement on ne pourra jamais obtenir de la science observatrice. Le champ reste donc ouvert aux spéculations métaphysiques, théologiques ou philosophiques, et il n’est pas besoin d’études très profondes dans les sciences pour se lancer dans cette voie. Il suffit que les créations de l’imagination ne blessent aucun des faits constatés par l’observation. On peut du reste affirmer que dans aucune planète, excepté peut-être dans Mars, l’organisme humain ne pourrait continuer à vivre. Les habitans de ces planètes doués ou non d’intelligence ne sont donc point des hommes. Que sont-ils, que peuvent-ils être ? À toutes ces questions, si l’on ne veut pas sortir des limites de la science des faits, de la vraie science positive, il n’y a qu’une réponse à faire : il faut savoir ignorer !


Babinet, de l’Institut.