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Les trois chercheurs de pistes/13

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Bibliothèque à cinq cents (p. 53-55).

CHAPITRE XIII
SAUVÉS DES BUFFLES

On apercevait au loin comme une immense mer noire, et le bruit s’était augmenté au point de ressembler au grondement du tonnerre.

«  Vieux Rocher » monta derrière Munroe, et « Chat Rampant » donna le signal du départ.

Ils galopèrent ainsi vers la rangée d’arbres qui bordait le cours du ruisseau près duquel ils avaient campé tout récemment, et alors commença une course pour la vie. Ils avaient attendu trop longtemps pour échapper facilement au danger. Tout dépendait de la partie la plus rapprochée de l’immense troupeau, laquelle si elle se tenait en rangs compacts ne serait pas poussée par la pression près du ruisseau, et nos amis auraient la chance de se sauver.

« Vieux Rocher » dut éperonner souvent son cheval qui galopait difficilement avec sa double charge. Il suivait d’aussi près que possible la jeune Indienne, dont le cheval fougueux menaçait de s’emporter, et « Chat Rampant » fermait la marche.

La scène prenait un caractère aussi imposant que terrible.

L’immense plaine, aussi loin que l’œil pouvait porter, paraissait recouverte de buffles furieux et s’avançant tête baissée dans une masse compacte, leur galop inégal imprimant à tout le troupeau un mouvement qui ressemblait aux ondulations de la mer. Au tremblement violent du terrain se joignait un bruit assourdissant qui aurait étouffé le cri le plus perçant, et les buffles gagnaient toujours du terrain sur les fuyards.

Nos amis paraissaient voués à une mort horrible.

Un cheval fut-il tombé alors, son cavalier était perdu sans espoir.

Dans ce danger imminent, le chef Caddo seul conservait l’air de l’indifférence la plus parfaite ; son cheval aussi semblait être le seul des trois qui ne fût pas frappé de terreur, bien qu’il fût le plus exposé au péril.

Les buffles paraissaient augmenter de vitesse dans cette course vertigineuse, et ils approchaient toujours avec une rapidité effrayante.

« Vieux Rocher » excitait son cheval de la voix et poussait des cris qui n’avaient plus rien d’humain.

Soudain, ces cris se changèrent en vives acclamations.

Les cavaliers avaient atteint les grandes herbes et pénétraient dans le bois, pendant que les bisons, continuant leur course dans la plaine, passaient près d’eux comme un torrent, les yeux enflammés et brillant comme des chardons ardents.

«  Chat Rampant, » sans perdre de temps, épaula sa carabine et abattit d’un coup de feu une vache buffle qui courait sur le rebord du bois suivie de son veau, puis sautant à terre, il tint son couteau et enleva avec dextérité le pis de l’animal.

« Yeux d’Étoiles, » comprenant tous les mouvements de son chef, descendit de son mustang, au moment où le Caddo courait vers elle en disant :

— Tiens ! Lait pour petit. Sauvé, sûr.

— Hourra encore pour le Caddo ! s’écria « Vieux Rocher. » Ça sera un jour extraordinaire que celui où « Chat Rampant » sera embêté par quelque chose. On l’a échappé belle, mais faut voir si nous avons couru. J’crois ben qu’y serait bon de descendre un peu notre ami de la selle et d’lui parler d’affaires sérieuses. Il y a ben des choses à faire encore avant de pouvoir tirer Marion de leurs serres infernales. Nous avons fait que d’l’ouvrage d’enfant jusqu’à c’te heure, mais ça va changer. Y a un gros paquet de chevelures à prendre et de suite.

Ils assirent alors Munroe sur l’herbe et on lui baigna la tête avec de l’eau fraîche pendant que le vieil éclaireur lui faisait boire un peu d’eau-de-vie.

« Yeux d’Étoiles, » de son côté, versait du lait dans la bouche de l’enfant, qui l’avalait sans trop de difficulté. Elle baigna aussi avec du lait les membres brûlés du pauvre petit.