Les vitraux du Moyen âge et de la Renaissance dans la région lyonnaise/1.02.4

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Quatrième Vitrail. — La Rédemption.

Le vitrail qui occupe la place d’honneur au centre de l’abside est de beaucoup le plus intéressant de l’ensemble. Comme les autres, il est composé de sept médaillons principaux, résumant l’œuvre de la Rédemption du monde depuis l’Annonciation jusqu’à l’Ascension. Chacun des médaillons est accompagné de deux sujets rectangulaires plus réduits, inscrits dans les rinceaux de la bordure, et représentant des scènes de l’Ancien Testament ou des animaux symboliques, destinés à développer la scène centrale et à en donner la signification mystique. Tout ce symbolisme a été longtemps décrit et discuté ; aujourd’hui, il est parfaitement connu et éclairci[1]. Il ne sera donc pas nécessaire de s’y étendre outre mesure.

À la suite de malencontreuses transpositions dans l’ordre des sujets, lors de la restauration exécutée par Thibaud en 1844, nous avons, comme d’autres, été induit en erreur, pour l’interprétation de quelques sujets et, en particulier, du deuxième médaillon central, pris pour la Visitation tandis que, en réalité, il n’est que le complément de l’Ascension et devrait être placé dans le haut ; du vitrail, dans l’un des deux médaillons au-dessous du Christ.

M. E. Mâle a définitivement élucidé cette question qui ne saurait maintenant être-discutée. Comment se fait-il donc que, lors des nouvelles restaurations exécutées aux hais de l’État en 1904, on se soit contenté de refaire toute la mise en plomb en replaçant aveuglément les panneaux dans le même ordre, alors qu’il suffisait de transposer quelques sujets pour rendre à la verrière sa disposition primitive avec son enseignement lumineux et rationnel ? Il est vrai que ces travaux de restauration furent exécutés par adjudication, au rabais, avec une précipitation sans exemple, puisque toute la remise en plomb des sept verrières, offrant une surface de plus de soixante-dix mètres carrés, a été achevée en moins de trois mois. Dans de telles conditions, on s’explique qu’il était difficile de se livrer aux recherches nécessaires[2].

Isaïe                                             Fig. 25. — L’annonciation                                             La Licorne

En négligeant intentionnellement l’ordre actuel, nous décrirons ce vitrail tel qu’il a été conçu, tel qu’il a été relevé par le P. Martin avant la restauration de 1844 et tel qu’il sera rétabli, nous n’en doutons pas ; il est inadmissible, en effet, que pareille bévue soit tolérée indéfiniment par l’administration compétente[3].

1o L’Annonciation (fig. 25) : à droite, une jeune fille tenant une fleur à la main est assise sur la licorne, symbole bien connu de l’Incarnation de Notre-Seigneur dans le sein de la Vierge Marie, symbole qu’Honorius d’Autun avait déjà au dix-septième siècle emprunté aux Bestiaires. À gauche, le prophète Isaïe déroule une banderole sur laquelle est inscrit le texte annonçant la conception de Marie : ecce virgo (concipiet). La scène principale figure l’Annonciation. La Vierge, vêtue d’une longue robe verte, est assise et file la pourpre pour le voile du temple. L’influence orientale est manifeste. En Orient, les Annonciations nous montrent toujours la Vierge surprise dans des travaux domestiques, tandis qu’en Occident elle est représentée en prière ou avec un livre ouvert sur un pupitre

Fig. 26. — Le buisson ardent
L’ange porte à la main gauche un sceptre fleuronné, insigne de l’autorité divine, comme dans les miniatures et les mosaïques de l’Orient et de l’Italie byzantine.
Fig. 27. — La Toison de Gédéon

2o La Nativité, accompagnée de ses deux symboles, le Buisson ardent de Moise (fig. 26) et la Toison de Gédéon (fig. 27), qui ont ici évidemment le même sens mystique que dans l’Office de la Vierge. Comme dans les miniatures byzantines, la Vierge est étendue sur une sorte de lit richement décoré de rinceaux.

3o Le Crucifiement (fig. 28) et, dans la bordure, le Sacrifice d’Abraham (fig. 29) et le Serpent d’Airain de Moïse (fig. 30), qui sont le commentaire mystique du Calvaire.
vitraux de l’abside
La Rédemption    xiiie siècle    Disposition primitive des sujets.
Fig. 29. — Le sacrifice d’Abraham
4° La Résurrection, que complètent les deux figures symboliques de Jonas vomi par la baleine après être resté trois jours dans ses flancs (fig. 31.), et du lion ressuscitant ses lionceaux. Saint Épiphane, dans son Physiologus, et, après lui, tous les Bestiaires accordent au lion la vertu de rappeler à la vie ses lionceaux mort-nés depuis trois jours en soufflant sur eux (fig. 32).
Fig. 30. — Le Serpent d’airain
Fig. 28. — Le Crucifiement

L’origine de cette légende remonte à Aristote et à Pline l’Ancien, et les Pères de l’Église n’ont fait que s’en inspirer en lui donnant un sens symbolique. Dans le sujet central, les saintes Femmes portant les aromates s’approchent du tombeau surmonté d’une coupole, semblable à celles qu’on retrouve sur les ivoires byzantins.

Les trois derniers sujets sont consacrés au mystère de l’Ascension.

Fig. 31. — Jonas et la Baleine
5° Au centre, la Vierge Marie montre à saint Jean l’ascension au ciel de son divin Fils (fig. 33). À droite, dans la bordure, l’aigle symbolique apprenant à ses aiglons à fixer le soleil et à voler vers lui (fig. 34). À gauche, l’oiseau étrange dénommé par les Bestiaires « Charadrius » ou « Kladrius » (fig. 35). Cet animal avait la
Fig. 32. — Le Lion et ses Lionceaux
propriété de reconnaître si un malade était en danger de mort et, en ce cas, d’absorber sa maladie en tournant la tête vers lui et en s’envolent ensuite dans les rayons du soleil. La légende de ces deux oiseaux est également empruntée aux Bestiaires moralisés et figure seule, comme le fait si judicieusement observer M. E. Mâle, dans le sermon d’Honorius d’Autun du jour de l’Ascension.

6o Dans le médaillon central, plusieurs apôtres contemplent Jésus montant au ciel. À droite et à gauche, deux anges debout tiennent des banderoles, sur lesquelles on lit : Viri galilæi, quid statis aspicientes in cælum ?

7o Dans un nimbe amandaire soutenu par deux anges, le Christ porte sa croix triomphale et bénit de la main droite. Dans la bordure, deux anges à mi-corps sont en adoration.

Fig. 33. — La Vierge et les Apôtres assistent à l’Ascension

Tel est cet ensemble qui s’enchaînait de façon si logique et si claire avant que la scène du cinquième rang transposée au deuxième ne fût prise pour la Visitation qui, d’ailleurs, ne saurait trouver place dans un enseignement moral aussi étroitement résumé. Il en résulte que l’ordre des sujets latéraux est interverti et que la plupart n’ont plus leur signification primitive. Tels sont le Sacrifice d’Abraham et le Kladrius en regard de la Nativité, le Buisson ardent, la Toison de Gédéon en regard du sujet pris pour la Visitation.

M. Émile Mâle, dans son magistral ouvrage sur l’Art religieux en France, étudiant notre vitrail, fut le premier à découvrir qu’il n’était que la traduction littérale de l’un des sermons d’Honorius d’Autun, extrait de son Speculum Ecclesiæ, écrit au commencement du douzième siècle, mais encore très répandu au treizième. « Dans chacun de ces sermons, écrits pour les principales fêtes de l’année, il (Honorius) commence par faire connaître le grand événement de la vie du Sauveur que l’Église commémore en ce jour, puis il cherche, dans l’Ancien Testament, les faits qu’on en peut rapprocher et qui en sont les figures ; enfin, il

Fig. 34. — L’Aigle
demande des symboles à la nature elle-même et s’efforce de retrouver, jusque dans les mœurs des animaux, l’ombre de la vie et de la mort de Jésus-Christ[4]. »

C’est bien là exactement la méthode adoptée et suivie par l’auteur du vitrail de la Rédemption, et le moindre doute ne saurait subsister sur la nécessité de rétablir l’ordre primitif des sujets avec l’intention symbolique que le treizième siècle avait su leur donner.

Fig. 35. — La Calandre

  1. PP. Cahier et Martin, Vitraux peints de Saint-Étienne de Bourges, Paris. 1842-1844. planche détude VIII. — F. de Lastyrie, Histoire de la peinture sur verre, p. 208. — L. Bégule. Monographie de la Cathédrale de Lyon, Lyon. 1880, in-fol. — E. Mâle, l’Art religieux du treizième siècle en France, Paris. 1902.
  2. Consulter, au sujet des restaurations des vitraux de la cathédrale de Lyon, l’article très documenté de M. G. Mougeot : « la Verrière de la Rédemption à Saint-Jean ; Histoire d’une restauration », dans la Revue d’Histoire de Lyon, mai-juin : 902. ainsi que la virulente notice de M. le vicomte d’Hennezel : « Une réparation de vitraux en 1904 » (Bulletin de la Société littéraire de Lyon, p. 80, 1904).
  3. Notre dessin d’ensemble du vitrail (planche hors texte) rétablit les sujets dans leur ordre rationnel. Le médaillon, pris si longtemps pour une Annonciation, est devenu l’un des deux sujets complémentaires de l’Ascension. Le P. Martin, dans l’une des planches d’étude des vitraux de Bourges, l’a présenté immédiatement au-dessous du Christ, bien que cet emplacement semble mieux convenir au deuxième sujet.
  4. E. Mâle, l’Art religieux du treizième siècle en France, p. 57.