Lettre *291, 1672 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 129-130).
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1672

*291. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN[1].

La proposition de m’envoyer un billet de votre main[2] est une belle chose : il ne tiendroit qu’à moi, ma bonne, de m’en offenser. Vous le feriez bien, si vous étiez en ma place. Je vous prie aussi de ne point monter aux nues ni me contraindre sur certaines choses. Laissez-moi la liberté de faire quelquefois ce que je veux ; je souffre assez toute ma vie en ne vous donnant pas ce que je voudrois. Quand j’ai rangé de certaines choses, c’est me blesser le cœur que de s’y opposer si vivement ; il y a sur cela une hauteur qui déplaît et qui n’est point tendre. Je ne vous donne pas souvent sujet de vous fâcher ; mais laissez-moi du moins la liberté de croire que je pourrois contenter mes desirs là-dessus, si j’étois assez heureuse pour le pouvoir faire.

Vous ne me faites point connoître si les avis que je vous donne quelquefois sur votre dépense vous déplaisent ou non ; vous deviez m’en dire un mot. En attendant je vous dirai, ma bonne, que j’admire que, M. de Grignan et vous n’aimant point la Porte, lui vous servant très-mal, il ait reçu une fois cinquante louis, qu’il ait été sur le point de s’en aller et que vous n’ayez pas été ravie de vous en défaire. Quel bizarre raccommodement ! À quoi vous sert-il ? Quelle foiblesse ! Vous avez Pommier qui vous donne la main, et l’autre vous morgue et gagne votre argent au jeu[3] : où aviez-vous mis votre bon esprit ?

Je crois, ma bonne, que l’amitié que j’ai pour vous et l’intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, vous doit faire recevoir agréablement ce que je vous dis. Mandez-moi si je me trompe.


  1. Lettre 291 (revue sur l’autographe). — 1. En rapprochant cette lettre ou plutôt cette fin de lettre des passages auxquels nous renvoyons, on ne peut guère douter qu’elle ne soit de 1672, qu’elle n’ait été écrite après les lettres du 6 et du 27 avril, et avant celle du 11 juillet. — Voyez sur la Porte les lettres du 6 et du 27 avril précédents, p. 8 et 42, et du 11 juillet suivant, p. 147 ; sur l’envoi d’un présent (du collier de perles ? de l’éventail ?), tome II, p. 523 et 528, lettre du 9 mars, et plus haut, p. 5, 14 et 117, lettres du 6 avril et du 20 juin 1672 ; sur le désir qu’exprime Mme de Sévigné d’apprendre comment sont reçus à Grignan les avis qu’elle donne quelquefois, la lettre du 6 avril, p. 8.
  2. 2. Peut-être est-ce encore de ce même prêt d’argent fait par la mère à la fille, qu’il est question dans la lettre du 7 août 1675.
  3. 3. On ne peut s’expliquer que par une faute de copiste pourquoi ces deux mots « au jeu », assez lisiblement écrits par Mme de Sévigné, ont été remplacés dans les éditions par « assez mal ».