Lettre *69, 1666 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 484-486).
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1666

* 69. — DE MESDAMES DE LA FAYETTE ET DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

(À Fresnes) 12e mars 1666[1].
DE MADAME DE LA FAYETTE.

Je suis si honteuse de ne vous avoir point écrit depuis que vous êtes parti, que je crois que je n’aurois jamais osé m’y hasarder, sans une belle occasion comme celle-ci, à l’abri des noms[2] qui sont de l’autre côté de cette lettre. J’espère que vous vous apercevrez du mien. Aussi bien il y en a un qui le suit assez Souvent. Mais apparemment, puisqu’il est question de Mlle de Sévigné, vous jugez bien que l’on ne parlera plus de moi, au moins sur ce propos ; car pour ne plus parler de moi, ce n’est pas chose possible à Fresnes et à l’hôtel de Nevers[3]. J’y suis le souffre-douleur, on s’y moque de moi incessamment. Si la douceur de Mme de Coulanges et de Mlle de Sévigné ne me consoloit un peu, je crois que je m’enfuirois dans le Nord[4].

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

Pour moi, je suis comme Mme de la Fayette : si j’avois encore été longtemps sans vous écrire, je crois que je vous aurois souhaité mort pour être défaite de vous : chi offende non perdona[5], comme vous savez. Cependant c’eût été grand dommage, car j’apprends que Votre Excellence fait autant de merveilles dans le Nord[6] qu’elle se fait aimer quand elle est à Fresnes. Je suis donc fort aise de vous écrire afin de ne vous plus souhaiter tant de mal. Nous sommes tous ici dans une compagnie choisie. Si vous y étiez, il n’y auroit rien à y désirer. J’ai causé ce matin deux heures avec Monsieur votre père[7]. Si vous saviez comme nous nous aimons, vous en seriez jaloux. Adieu, Monsieur l’ambassadeur. Si M. l’évêque de Munster[8] voit cette lettre, je serai bien aise qu’il sache que je vous aime de tout mon cœur.


  1. Lettre 69. — i. Dans l’ancienne copie que possède la bibliothèque de l’Arsenal, et d’où nous tirons cette lettre, la date est très-lisible. Au verso du second feuillet une autre main, ancienne aussi, a écrit 1er  mai 1666.
  2. Il paraît que d’autres personnes, peut-être les maîtres de Fresnes, M. et Mme du Plessis Guénégaud, et la Rochefoucauld, avaient écrit à Pompone dans la même lettre. Leurs billets n’ont pas été retrouvés.
  3. Dans la copie il n’y a que les initiales : « à Fr. et à l’h. de N. » De même en tête des billets on lit seulement Mme de la F. et Mme de S. Vers la fin du premier, il y a plutôt M. de C. (Coulanges) que Mme de C. ; cependant il peut rester quelque doute.
  4. Voyez la note 6.
  5. « Qui offense ne pardonne pas. »
  6. Arnauld de Pompone était rentré en grâce auprès du Roi. Il avait été nommé ambassadeur extraordinaire en Suède, et avait fait son entrée solennelle à Stockholm le 24 février 1666. Voyez les Mémoires de l’abbé Arnauld, son frère (tome XXXIV, p. 319).
  7. Dans la copie : M. votre P.
  8. Christophe-Bernard van Galen, prince-évêque de Munster, « homme féroce, dit le P. d’Avrigny (sous l’année 1655), et plus propre à porter le mousquet que la crosse et la mitre, » venait de faire une alliance avec l’Angleterre contre les Hollandais, et l’on pouvait craindre que ses troupes n’arrêtassent le courrier qui devait porter les dépêches.