Lettre *412, 1675 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 500-501).
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1675

*412. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GUITAUT.

À Paris, 28e juin.

Vous m’avez écrit de Lyon la plus obligeante petite lettre du monde. Pour récompense, je vous assure que j’ai pris un grand intérêt à votre voyage[1], et que j’ai bien pensé à Mme de Guitaut, et sur la terre et sur le Rhône, et à ses frayeurs, et à son état, et plus encore à la tendresse qui lui a fait entreprendre ce voyage, et au courage qu’elle a eu de l’exécuter. Tout de bon, cela est héroïque, on ne peut trop l’admirer : je crois même qu’on doit s’en tenir là, et lui laisser l’honneur de n’être point imitée. Je souhaite que la suite soit heureuse, et je l’espère ; car enfin on accouche partout, et la Providence ne se dérange point.

Vous avez eu Madame de Toscane[2]. Je vous conjure par votre amitié et par ma servitude d’Époisse[3], de m’écrire quelquefois un mot dans les grands événements : par exemple trois lignes quand votre chère épouse sera accouchée. Je mérite cette petite distinction par l’intérêt que j’y prends.

Je n’ai pas vécu depuis six semaines. L’adieu de ma fille m’a désolée, et celui du cardinal de Retz m’a achevée. Il y a des circonstances dans ces deux séparations, qui m’ont assommée.

Je laisse à M. d’Hacqueville à vous mander les ponts sur le Mein[4] ; pour moi, je vous assure en gros que le Roi sera toujours triomphant partout : son bonheur fait retirer M. de Lorraine et le prince d’Orange ; il donne les coudées[5] franches à M. de Turenne, qui étoit un peu oppressé ; enfin son étoile suffit à tout.

Adieu, Monsieur ; adieu, Madame ; je vous honore tous deux très-parfaitement.

M. de Rabutin Chantal.

Suscription : Pour Monsieur le comte de Guitaut.



  1. Lettre 412 (revue sur l’autographe). — 1. Le comte de Guitaut se rendait avec sa femme aux îles Sainte-Marguerite, dont il était gouverneur ; la comtesse y accoucha peu de temps après son arrivée : voyez la lettre du 21 septembre suivant.
  2. 2. La Grande-Duchesse arriva à Paris le même jour que le Roi de l’armée, c’est-à-dire le 21 juillet ; elle s’était arrêtée à Lyon, ou le parlement de Dombes lui vint faire compliment et d’où elle écrivit à sa sœur. Voyez les Mémoires de Mademoiselle. tome IV, p. 377 et 520.
  3. 3. On se rappelle que Bourbilly, la terre de Mme de Sévigné, relevait de celle d’Epoisse.
  4. 4. C’est-à-dire le détail des opérations militaires. Allusion à certaines relations de la campagne de 1673 que le comte de Guitaut recevait en Bourgogne lors du séjour de Mme de Sévigné. Voyez les lettres du 10, du 20 et du 23 novembre 1673. p. 269, 282 et 284.
  5. 5. On peut, en voyant l’autographe, hésiter entre des et les coudées.