Lettre 226, 1671 (Sévigné)

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1671

226. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 6e décembre.

Ces dernières lettres ne m’étoient pas moins nécessaires pour mon repos, que celles que je reçus il y a huit jours. Ce fut une joie si parfaite pour moi que celle de votre heureux accouchement, que ne pouvant demeurer en cet état, je me tourmentai des accidents qui peuvent arriver après. Il me falloit donc ces secondes lettres, et les voilà, ma fille, telles que je pouvois les souhaiter. Vous avez eu la colique ; vous avez eu la fièvre de votre lait ; mais vous voilà quitte de tout. Votre fils a été trois heures sans pisser, à ce que me dit le Coadjuteur ; vous étiez déjà tout épouvantée : ah ! vraiment, vous voilà bien plaisante avec votre amour maternel : quelle folie ! est-ce qu’on aime cela ? Il est blond, c’est ce qui vous charme ; vous aimez les blondins : voilà qui est bien honnête. M. de Grignan fait fort bien d’en être jaloux : vous le quittez, dit-il, pour le premier venu ; c’est pour le dernier venu qu’il veut dire. Enfin ce garçon-là fera bien des jaloux. Le Coadjuteur m’écrit des détails dignes de M. Chais ou de Mme Robinet[1]. Il me semble que vous jouez aux petits soufflets avec le Coadjuteur, n’est-il point vrai ? Je souhaite que ma présence ne vous redonne point son amitié ; c’est un bonheur pour vous que je serai bien aise de trouver tout établi.

Approchez, Monsieur le secrétaire[2] : vous riez de ma devise ; vous dites qu’elle est dans tous les livres, je le crois ; un habile homme pourtant sur cette matière ne l’a point trouvée[3] ; mais enfin je n’ai point cru l’avoir faite ; je conviens que d’autres l’ont imaginée ; mais avouez du moins qu’on ne peut vous l’appliquer sans vous faire plaisir.

Pour moi, ma chère enfant, n’ayant plus d’inquiétude sur votre compte, je pars dans trois jours. Je ne recevrai plus ici de vos lettres ; j’en aurai à Malicorne. Je ne puis assez vous remercier des petites lignes que vous mettez dans les lettres de ces Grignans.


Et vous, mon cher Comte, je vous plains ; je vois bien que vous n’êtes plus rien auprès de ce petit blondin. Voilà qui remettra la blancheur[4] dans votre maison, qui par malheur s’en étoit un peu éloignée ; mais cependant je vous demande pardon de la comparaison du hibou : il est vrai qu’elle est choquante ; mais j’étois outrée de la préférence que vous faisiez hautement d’une grive à ma fille : si vous vous en repentez, je m’en repentirai aussi. J’ai bien envie de savoir des nouvelles de votre Assemblée ; je voudrois bien que vous y pussiez faire l’affaire du Roi et la vôtre : il seroit fâcheux qu’elle se séparât sans rien conclure. Monsieur de Marseille m’accable de son amitié, et me rend compte de son démêlé avec le Coadjuteur, et de la santé de ma fille. Il a couru à Paris ce démêlé ; on me le mande, comme si je n’avois aucun commerce en Provence : hélas ! c’est mon vrai pays.

Adieu, mon très-cher, et vous, brave Adhémar, et vous, ma très-chère et très-aimable accouchée. Il faut que je vous dise, comme Barillon me disoit un jour : « Ceux qui vous aiment plus que moi vous aiment trop. » Quand on est si loin, on ne fait quasi rien, on ne dit quasi rien, qui ne soit hors de sa place. On pleure quand il faut rire ; on rit quand on devroit pleurer ; on craint pour les jeunes chirurgiens de soixante-quatre ans[5] : enfin, ma fille, ce sont les contre-temps de l’éloignement. J’y joins l’ignorance de la Provence, que je ne connois point. Vous avez un avantage qui vous empêche de me faire rire : c’est que vous connoissez ce pays-ci. Tout cela m’oblige de me rapprocher de vous, et d’aller ensuite en Provence afin de m’instruire.

Mme de Richelieu est assez bien placée ; si Mme Scarron y a contribué, elle est digne d’envie : sa joie[6] est la plus solide qu’on puisse avoir en ce monde. On me mande que Vardes revient[7].


  1. Lettre 226. — 1. Accoucheur et sage-femme célèbres à Paris en ce temps-là.
  2. 2. M. d’Adhémar. (Note de Perrin.)
  3. 3. Voyez plus haut, p. 412 et p. 423.
  4. 4. Dans l’une des deux éditions de 1754, on lit balance, au lieu de blancheur.
  5. 5. Voyez la lettre 219, p. 415.
  6. 6. La joie de pouvoir témoigner sa reconnaissance. Voyez les notes de la lettre 131, p. 50.
  7. 7. Comme on l’a déjà dit, il ne fut rappelé qu’en 1683.