Lettre 252, 1672 (Sévigné)

La bibliothèque libre.
◄  251
253  ►

1672

252. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi au soir, 26e février.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite pour M. de la Valette[1]. Tout m’est cher de ce qui vient de vous : je lui veux faire avoir Pellisson pour rapporteur, afin de voir s’il sait bien faire le maître des requêtes[2] ; je ne le puis croire, si je ne le vois.

Cette pauvre Madame[3] est toujours à l’agonie ; c’est une chose étrange que l’état où elle est. Mais tout est en émotion dans Paris. Le courrier d’Espagne est revenu : il dit que non-seulement la reine d’Espagne se tient au traité des Pyrénées, qui est de ne point accabler ses alliés ; mais qu’elle défendra les Hollandois de toute sa puissance : voilà donc la plus grande guerre du monde allumée ; et pourquoi ? C’est bien proprement les petits soufflets[4] : vous en souvient-il ? Nous allons attaquer la Flandre ; les Hollandois se joindront aux Espagnols ; Dieu nous garde des Suédois, des Anglois, des Allemands ! Je suis assommée de cette nouvelle. Je voudrois bien que quelque ange voulût descendre du ciel pour calmer tous les esprits, et faire la paix.

Notre Cardinal est toujours malade ; je lui rends de grands soins. Il vous aime toujours ; il compte que vous l’aimez aussi. L’affaire de Mme de Courcelles[5] réjouit

fort le parterre. Les charges de la Tournelle[6] sont enchéries depuis qu’elle doit être sur la sellette ; elle est plus belle que jamais. Elle boit, et mange, et rit, et ne se plaint que de n’avoir point encore trouvé d’amant à la Conciergerie.

Je vous éclaircirai un peu mieux l’affaire dont vous me parlâtes l’autre jour ; mais M. le comte de Guiche ni M. de Longueville n’en sont point, ce me semble : enfin je vous en instruirai. M. de Boufflers a tué un homme, après sa mort. Il étoit dans sa bière et en carrosse, on le menoit à une lieue de Boufflers pour l’enterrer, son curé étoit avec le corps. On verse ; la bière coupe le cou au pauvre curé[7]. Hier un homme versa en revenant de Saint-Germain ; il se creva le cœur, et mourut dans le carrosse.

Mme Scarron, qui soupe ici tous les soirs, et dont la compagnie est délicieuse, s’amuse et se joue avec votre fille. Elle la trouve jolie, et point du tout laide. Cette petite appeloit hier l’abbé Têtu son papa : il s’en défendit par de très-bonnes raisons, et nous le crûmes. Je vous embrasse, ma très-aimable. Je vous mandai tant de choses en dernier lieu, qu’il me semble que je n’ai rien à dire aujourd’hui ; je vous assure pourtant que je ne demeurerois pas court, si je voulois vous dire tous les sentiments que j’ai pour vous.



  1. Lettre 252. — 1. Peut-être Louis-Félix, marquis de la Valette, petit-fils naturel du duc d’Épernon, mort à soixante ans, lieutenant général des armées, en février 1695. Sa mère était Éléonore de Forbin de Souliers.
  2. 2. Pellisson avait acheté une charge de maître des requêtes en 1671.
  3. 3. Marguerite de Lorraine, seconde femme de Gaston, duc d’Orléans, morte le 3 avril suivant. (Note de Perrin.)
  4. 4. Voyez la lettre 151, p. 140.
  5. 5. Marie-Sidonia, fille de Joachim de Lenoncourt, marquis de Marolles, gouverneur de Thionville et lieutenant général des armées du Roi, et d’Isabelle-Claire-Eugénie de Cromberg. Elle avait épousé à seize ans, en 1666, Charles de Champlais, marquis de Courcelles, et par ce mariage elle était devenue la belle-sœur de Mme de la Baume. Veuve en 1678, elle mourut à trente-quatre ans en décembre 1685 ; elle s’était remariée à un officier de dragons. Sur les aventures de cette femme, sur le procès que lui intenta son mari en 1669, et qui ne fut définitivement jugé que le 5 janvier 1680, voyez le chapitre VI du tome IV de Walckenaer, et les Mémoires de la marquise de Courcelles, publiés par M. P. Pougin dans la Bibliothèque elzévirienne.
  6. La Tournelle était la chambre criminelle du parlement ; elle était composée moitié de conseillers de la grand’chambre, moitié de conseillers des enquêtes qui y entraient à tour de rôle.
  7. Cette aventure donna lieu à la fable de la Fontaine, qui a pour titre : le Curé et le Mort. (Note de Perrin.) — C’est la Fable XI du livre VII. Voyez la lettre du 17 février précédent et la note 26 de la lettre 255.