Lettre 384, 1674 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 412-414).
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1674

384. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ ET À MADAME DE GRIGNAN.

Cinq mois après que j’eus écrit ce billet (no 379, p. 404)), j’écrivis cette lettre à Mme de Sévigné, sur ce qu’on m’avoit mandé qu’elle avoit failli à mourir d’apoplexie.

À Chaseu, ce 16e août 1674.
à madame de sévigné.

J’ai appris que vous aviez été fort malade, ma chère cousine ; cela m’a mis en peine pour l’avenir, et m’a obligé de consulter votre mal[1] à un habile médecin de ce pays-ci. Il m’a dit que les femmes d’un bon tempérament comme vous, demeurées veuves de bonne heure,

et qui s’étoient un peu contraintes, étoient sujettes à des vapeurs. Cela m’a remis de l’appréhension que j’avois d’un plus grand mal ; car enfin, le remède étant entre vos mains, je ne pense pas que vous haïssiez assez la vie pour n’en pas user, ni que vous eussiez plus de peine à prendre un galant que du vin émétique. Vous devriez suivre mon conseil, ma chère cousine, et d’autant plus qu’il ne vous sauroit paroître intéressé ; car si vous aviez besoin de vous mettre dans les remèdes, étant, comme je suis, à cent lieues de vous, vraisemblablement ce ne seroit pas moi qui vous en servirois.

Raillerie à part, ma chère cousine, ayez soin de vous : faites-vous tirer du sang plus souvent que vous ne faites ; de quelque manière que ce soit, il n’importe, pourvu que vous viviez. Vous savez bien que j’ai dit[2] que vous étiez de ces gens qui ne devoient jamais mourir, comme il y en a qui ne devoient jamais naître. Faites votre devoir là-dessus ; vous ne sauriez faire un plus grand plaisir à Mme de Grignan et à moi. Mais à propos d’elle, trouvez bon que je lui dise deux mots[3].

à madame de grignan.

Comment vous portez-vous de votre grossesse[4], Madame, et du mal de Madame votre mère ? Voilà bien des incommodités à la fois. J’ai ouï dire que vous étiez déjà délivrée de l’une ; pour l’autre, j’espère que vous en sortirez bientôt heureusement. Voilà ce que c’est d’avoir des maris et des mères[5] ; si on n’avoit pas tout cela, on ne seroit pas exposée à tant de déplaisirs, mais d’un autre côté on n’auroit pas toutes les douceurs qu’on a. C’est là la vie : du bien, du mal ; celui-ci fait trouver l’autre meilleur. J’aurai plus de plaisir de vous revoir après quatre ou cinq mois d’absence, que si je ne vous avois pas quittée.


  1. Lettre 384. — 1. Dans le manuscrit de l’Institut : « Cela m’a mis en peine, et j’ai appréhendé pour vous une rechute. J’ai consulté votre mal, etc. »
  2. 2. Voyez la Notice, p. 325.
  3. 3. Dans la copie de lettres où nous prenons notre texte, on lit ici, entre les lignes, ces mots écrits d’une autre main que celle de Bussy : « Je vous envoie à toutes deux ma dernière lettre au Roi sur la prise du Comté (de Bourgogne). » Cette. lettre au Roi se trouve dans l’édition de 1697 des Lettres de Bussy, tome I, p. 145, et dans la Correspondance, tome II, p. 444-
  4. 4. Mme de Grignan accoucha le dimanche 9 septembre suivant d’une fille, qui devint Mme de Simiane. D’Hacqueville écrivait le 14 septembre 1674 à Mme de Guitaut : « On vous aura sans doute mandé que Mme de Grignan n’a pas mieux fait que vous ; elle accoucha dimanche fort heureusement d’une fille, que M. le cardinal de Retz nomma hier, avec Mme la princesse d’Harcourt, dont le mari est cousin germain de M. de Grignan, Françoise-Pauline. » — Elle fut baptisée le 13 septembre dans l’église Saint-Paul, comme le constatent les registres de cette paroisse.
  5. 5. Dans le manuscrit de l’Institut : « Et du mal de Mme de Sévigné. Voilà, etc. J’ai appris que vous étiez déjà délivrée de l’une, et que vous n’en aviez que quelques restes ; pour l’autre, etc. Voilà ce que coûtent les maris et les mères. »