Lettre 417, 1675 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 516-518).
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1675

417 — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Deux mois après que j’eus écrit cette lettre (no 400, p. 455), j’écrivis celle-ci à Mme de Sévigné.
À Chaseu, ce 15e juillet 1675.

Il y a plus de quinze jours que je balance à vous écrire, Madame ; mais comme c’est sur un chapitre de tristesse, j’ai de la peine à m’y résoudre : je ne suis pas bon pour les consolations, je n’aime pas même à être consolé. C’est pour le départ de Mme de Grignan et pour la retraite du cardinal de Retz que je vous écris aujourd’hui. Vous savez bien, Madame, en un mot comme en mille, que je suis bien aise de votre joie[1], et fort fâché de vos chagrins ; mais n’en parlons plus, on ne sauroit trop tôt finir cette matière.

Comment vous portez-vous ? où êtes-vous ? et à quoi vous amusez-vous ? En attendant votre réponse, Madame, je vous dirai que je me prépare à faire le mariage de Mlle de Bussy à la fin d’août. Je vous demanderai votre procuration au premier jour, et je vous en enverrai le modèle. Cependant parlons de la guerre. Le Roi ne veut pas revenir sans avoir vu une bataille, et je crois qu’il en aura le plaisir, car le prince d’Orange le veut aussi, et Monsieur le Prince, Dieu sait combien[2] ! Il n’y aura point de combat général, à mon avis, entre M. de Turenne et M. de Montecuculi : l’un ne fera pas une assez fausse démarche devant l’autre pour l’obliger de hasarder une bataille ; mais M. de Turenne fera assez s’il empêche le passage du Rhin et la communication de Strasbourg aux Allemands, et je crois qu’il en viendra à bout[3].

Mandez-moi des nouvelles de la belle Madelonne[4] ; je vous assure que je l’aime bien, mais toujours moins que vous.


  1. Lettre 417 — 1. Dans le manuscrit de l’Institut : « de vos joies. »
  2. 2. Ce morceau est tout différent dans le manuscrit de l’Institut. On peut croire que Bussy l’avait développé après coup, pour flatter le Roi à qui il désirait faire lire ses Mémoires : « Vous savez, je crois, Madame, que le Roi vouloit défendre en personne les lignes de Limbourg, si le prince d’Orange se fût mis en devoir de le secourir. Ne trouvez-vous pas cela beau ? Pour moi, j’en suis charmé ; car enfin ce n’est point un Roi à qui l’on dispute sa couronne : c’est le seul amour de la gloire qui lui fait hasarder sa vie. »
  3. 3. « Et je crois qu’il y réussira, » (Manuscrit de l’Institut.)
  4. 4. Mme de Sévigné et Bussy appelaient souvent Mme de Grignan Madelonne. C’est sans doute une allusion à la belle Maguelonne, l’héroïne du joli roman de Pierre de Provence. Dans une de ses copies, qui appartient à la Bibliothèque impériale et dont nous nous servirons pour les lettres des années 1676 à 1686, Bussy, au lieu de Madelonne, écrit Maguelonne.