Lettre de Chapelle à sa maîtresse

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Lettre de Chapelle à sa maîtresse
Chapelle


LETTRE À SA MAITRESSE
En lui envoyant un pâté de lièvre.

Cruelle princesse, qui fais
Que tous les jours je me retranche
Les longs dîners de la Croix Blanche
Et les charmants soirs du Marais,
Qu’absent tu me tourmentes ! Mais
J’en aurai bientôt ma revanche.
Sache que déjà je me plais
À voir mon cœur, gros de regrets,
Me reprocher le long obstacle,
Qu’impitoyablement tu mets
À tous mes soins et leurs progrès.
Que n’a pu sur moi ce spectacle,
Qui m’a fait cent rivaux tous frais,
Et gens dont, à moins d’un miracle,
Nous ne nous sauverons jamais !
Sache encor qu’un certain oracle,
Et des plus sûrs et des plus vrais,
M’a promis que bois et forêts1
Vont remettre sur le pinacle
Ma raison et mon âme en paix.
Il est vrai qu’il y joint après
Un Thériaque ou Thériacle2,
Qu’on tient l’un des plus grands secrets,
Mesdames, contre vos attraits.

Or cet Oracle consulté,
Dont j’ai déjà tant profité,
C’est Manicamp, belle inhumaine,
Qui terriblement me promène
Contre ton inhumanité,
Jurant qu’ainsi bien agité
Et bien courant la pretantaine
Par les buissons et par la plaine,
J’oublierai ta méchanceté.
Tu connoîtras la vérité
Et combien je suis en haleine
De campagne et de liberté,
Quand le messager de Touraine
Te portera le gros pâté,
Qui m’a, sans te mentir, coûté
Bien du tourment et de la peine.
C’est ce qui fera sa bonté :
Car de l’animal tourmenté
Provient la bonté souveraine ;
Outre que le drôle encroûté
Avoit la plus grasse bedaine
Dont nous ayons jamais tâté.
L’adresse, au reste, en est certaine ;
Le tout est bien étiqueté ;
Et c’est de bonne volonté
Que, pour m’aider contre ta haine,
Un marquis, plein d’honnêteté,
Prétend qu’il te soit présenté
Pour cette Saint-Martin prochaine ;
Ou bien de coups quelque douzaine
Paiera la témérité
De quiconque l’aura porté,
Si, dans la fin de la semaine,
Ton reçu ne nous est coté.

Faites-en donc bien bonne chère.
Surtout qu’il vous serve d’essai,
Et, s’il a le bien de vous plaire,
Ayez là dessus le cœur gai,
Vous n’en manquerez, ma foi, guère,
Puisque, outre la chasse ordinaire,
Notre cher ami Le Boulai,
Que vous savez et que je sai
Être votre humble tributaire,
Aura de quoi vous satisfaire
En pâtés, et pas plus méchants :
Car il a quatre bonnes filles ;
C’est, en mots assez approchants,
Quatre levrettes fort gentilles,
Qui battent fort souvent aux champs,
Et devant qui les meilleurs drilles
Des lièvres et les mieux marchants
Ont peine à sauver leurs guenilles,
Et se tirer d’entre leurs dents.
Tout me manque, jusqu’au bon sens.
Adieu. Cachez bien ces vétilles,
Ou les montrez à peu de gens.



1. La chasse.

2. Le vin.