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Lettre de Rimbaud à Georges Izambard - 12 juillet 1871

La bibliothèque libre.
Correspondance : Arthur Rimbaud à Georges Izambard - 12 juillet 1871année 5, numéros 78 à 84 (p. 750).

Charleville, 12 juillet 1871.

Cher Monsieur,

Vous prenez des bains de mer. Vous avez été en bateau… Luboyard — c’est loin, vous n’en voulez plus, je vous jalouse, moi qui étouffe ici.

Puis, je m’embête ineffablement et je ne puis vraiment rien porter sur le papier.

Je veux pourtant vous demander quelque chose : une dette énorme, —

chez un libraire — est venue fondre sur moi, qui n’ai pas le moindre rond de colonne en poche. Il faut revendre des livres : or vous devez vous rappeler qu’en septembre, étant venu pour moi tenter d’avachir un cœur de mère endurci, vous emportâtes, sur mon conseil, plusieurs volumes, cinq ou six qu’en août, à votre intention j’avais apportés chez vous.

Eh bien ! tenez-vous à Florise, de Banville, aux Exilés du même ? Moi qui ai besoin de rétrocéder des bouquins à mon libraire, je serais bien content de ravoir ces deux volumes ; j’ai d’autres Banville chez moi, joints aux vôtres, ils composeraient une —collection, et les collections s’acceptent bien mieux que des volumes isolés.

N’avez-vous pas les Couleuvres ? [1] Je placerais cela comme du neuf ! Tenez-vous aux Nuits Persanes ? [2] Un titre qui peut affrioler, même parmi les bouquins d’occasion. Tenez-vous à ce volume de Pontmartin ? Il existe des littérateurs par ici qui rachèteraient cette prose. Tenez-vous aux Glaneuses [3] ? Les collégiens d’Ardennes pourraient débourser trois francs, pour bricoler dans ces azurs-là ; je saurais démontrer à mon crocodile que l’achat d’une telle collection donnerait de portentenx bénéfices. Je ferais rutiler les titres inaperçus [4]. Je réponds de me découvrir une audace avachissante dans ce brocantage.

Si vous saviez quelle position ma mère peut et veut me faire avec ma dette de 35 fr. 25, vous n’hésiteriez pas à m’abandonner ces bouquins ! Vous m’enverriez ce ballot chez M. Deverrière, 95, sous les Allées, lequel est prévenu de la chose et l’attend. Je vous rembourserais le prix du transport, et je vous serais superabondé de gratitude.

Si vous avez des imprimés inconvenants dans une bibliothèque de professeur et que vous vous en aperceviez ne vous gênez pas, mais vite ; je vous en prie, on me presse.

Cordialement et merci d’avance.

A. RIMBAUD.

P. S. — J’ai vu une lettre de vous à M. Deverrière.

  1. Veuillot.
  2. Armand Renaud.
  3. de Paul Demeny.
  4. Commerçant !