Lettre de Saint-Évremond à la duchesse Mazarin (« Milord Devonshire a dit à Brunet… »)

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LXXXIX. Billet à la duchesse Mazarin, 1698.


BILLET À LA MÊME.
(1698.)

Milord Devonshire a dit à Brunet, qu’il voudroit bien avoir l’honneur de prendre congé de vous, avant que d’aller à sa maison de campagne ; qu’il savoit bien qu’on vous avoit voulu donner de méchantes impressions de lui, qu’il n’a point méritées. Ma maxime est de n’être pas content de beaucoup de choses, et de n’en témoigner rien. C’est se livrer à son ennemi que de le menacer, ou s’en faire de ceux qui ne le voudroient pas être, quand on leur fait voir du mécontentement. Dieu rejette les tièdes : mais le monde les doit souffrir. Milord Devonshire ne se seroit pas laissé manger le ventre par un renard, comme le jeune Lacédémonien, sans parler. Il n’y a pas de constance ; mais il n’y auroit pas eu grand crime à parler : on lui auroit pardonné, et je crois que vous pardonnerez à milord Devonshire. Votre résolution est bonne, de vouloir vivre sans dettes et commodément. L’argent et le mérite ne sont pas choses incompatibles. Quand ils seroient mal ensemble, c’est une chose digne de vous que de les concilier. Vous avez le dernier, dans sa perfection : je souhaite que la fortune vous donne l’autre. Personne n’en feroit un si bon usage.

Je vous envoie un livre nouveau des Amours de Henri le Grand1, très-bien écrit et très-agréable. Si l’auteur n’y avoit pas mis toute entière la Confession de Monsieur de Sancy, sous le titre de Manifeste du Roi sur son divorce, je l’estimerois beaucoup.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Saint-Évremond ne donne point ici le titre exact du livre, qui est : les Amours de Henri IV, avec ses lettres, etc. Amsterd., 1695, pet. in-8. Voy. Brunet, t. I, p. 242.