Lettre de Saint-Évremond à la duchesse Mazarin (« Si vous avez eu dessein de reconnoître… »)

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LXIV. Billet à la duchesse Mazarin.


BILLET À LA MÊME.

Si vous avez eu dessein de reconnoître combien vous êtes nécessaire au monde, vous pouvez satisfaire votre curiosité, dans votre petite absence. Il y a un Concetto espagnol, que je vous appliquerois, si je ne haïssois trop le style figuré. Quand le soleil s’éclipse, dit l’auteur du Concetto, c’est pour faire connoître au monde combien il est difficile de se passer de lui. Votre éclipse fait sentir aux milords Montaigu, Godolphin, Arran et autres, la difficulté qu’il y a de vivre, sans votre lumière. Je défie tous les Espagnols et tous les Italiens de pousser plus loin une figure. Tout est triste à Londres, depuis que vous n’y êtes plus. Il n’en est pas de même à Chelsey, où votre philosophie vous fait goûter la retraite, assez délicieusement. Ménagez la tristesse de vos amis par des intervalles de présence.

Sur les ailes du temps la tristesse s’envole.

Montrez-vous de temps en temps, ou du moins laissez-vous voir à Chelsey. Tuyo hasta la muerte.