Lettre de Saint-Évremond au marquis de Saissac, pour la duchesse Mazarin

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LXXI. Lettre au marquis de Saissac, au nom de Mme Mazarin.


LETTRE À MONSIEUR LE MARQUIS DE SAISSAC, AU NOM
DE MADAME LA DUCHESSE MAZARIN.
(1696.)

Il faut commencer ma lettre par des remercîments, et vous dire en peu de paroles, que je vous suis extrêmement obligée du soin que vous prenez de mes intérêts. Cela mérite bien que je vous déclare avec franchise les véritables sentiments que j’ai sur mon retour : j’ai les mêmes que j’ai toujours eus ; c’est de pouvoir payer mes dettes, pour avoir la liberté de sortir d’Angleterre. Voilà mes intentions pour le retour. Si vous aviez eu la curiosité de savoir l’état de mes affaires, je vous aurois dit qu’il n’a jamais été si mauvais qu’il est presentement. Je continue à vivre d’emprunts ; et le plus grand mal, c’est que je ne vois pas le moyen d’emprunter davantage. Je sais bien qu’il ne tiendroit pas à vos diligences que je ne fusse soulagée. Vous n’avez pas pu faire plus que vous n’avez fait ; vous m’en laissez l’obligation, sans que j’en reçoive le soulagement.

L’avocat de M. Mazarin1 manque de bonnes raisons ; mais il répare la foiblesse de son discours par le bon tour qu’il y donne : il faut avouer qu’il est délicat en raillerie. Notre ami commun M. de Saint-Évremond aime tant le ridicule, qu’il se plaît même à celui qu’on lui donne. Il ne sait pas, dit-il, si l’avocat a eu plus de plaisir de le donner, que lui de le recevoir, étant aussi ingénieusement tourné qu’il est. Toute malice qu’on exerce, fût-ce contre lui-même, lui est agréable. Beau naturel, qui s’est maintenu, dans sa pureté, quatre-vingts ans !

Je retourne, sur la fin de ma lettre, aux compliments que je vous ai faits en la commençant. Je vous prie de croire que je serai toute ma vie, sensible à votre amitié, et reconnoissante des plaisirs que vous m’avez faits.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. M. Érard. Sa réplique à Saint-Évremond fut bien supérieure à son premier mémoire, contre la duchesse Mazarin.