Lettre des chevaliers de Malthe, envoyée à Monseigneur le Prince de Condé pour joindre ses forces à celles du Grand Maistre, afin de dissiper l’entreprise du Turc sur la Chrestienté

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Lettre
des
Chevaliers
de Malthe,
envoyée à Monseignevr
le Prince de Condé.

Pour ioindre les forces à celles du Grand Maiſtre, afin de diſsiper l’entrepriſe du Turc ſur la Chreſtienté.



À Paris,
Par Iean Bovrriqvuant, au mont S. Hilaire, pres le puits Certain, au Lys fleuriſſant.
M. DC.XV.
Auec Permiſsion.

Lettre des Cheualiers de Malte, enuoyée à Monſegneur le Prince de Condé.



Monseignevr,

Iamais nous n’auos peu croire fur la fubuerfion que les armes Turquefques deffeignet à la Chreftienté, que voftre Excellence ne quittait tout ce qui pourroit eftre des chofes du monde, pour triompher par l’Oriflame François fur les vrays ennemis de Dieu. Le bon fainct Louis, au milieu de les affaires fit paroi lire le zele qu’il eut à fecourir nos predeceffeurs pour ceft effect. Voftre Excellence,qui fucceffiuement doit imiter les vertus & les faits héroïques de ce grand Roy, ne manquera, comme nous crovos, à ioindre fes forces auec les noftres, pour mettre à fonds les vaiffeaux que ces barbares & infideles Mahometans font voltiger vers nos mers. L’Atlas Mayennois, qui fupporte fur fes efpaules les fardeaux de la guerre qui fe fait en Frace vous doit efmouuoir à nous faire efcorte pour le fubiect dont nous vous prions Sa mailfon, fon fang & fon nom l’y conuient : l’honneur qu’il receura de tous les gens de bien fur ce fainct confeil, le fera paroiftre le plus heureux de tous les fiens, & la gloire qu’il aura au Ciel empirée couronnera d’immortalité l’aduis qu’il vous en donnera. Si le preux Godefroy par le commandemét de ladiuinité venoit à communiquer à ce feen nepueu fur ceft affaire, il ne l’inciteroit à autre chofe,qu’à vous émouuoir à nous fecourir : Comme iadis il fit fi heureufement, qu’il planta le piuot de fon Empire, & dans Conftantinople & dans la faincte Cité de Hierufalem. Nousnous affeurons de tant fur la pieté qu’il a de ce grand Lorrain emprainte dans l’ame,qu’il fe portera auec vous, à ce glorieux & falutaire cobat. Qu’on meure fans vaincre en telle bataille, c’eft viure en Dieu. Qu’on foit victorieux en tel conflit, c’eft eftre inuincible fur le monde, fur les hommes, & fur les demons. Philippes Augufte, autrement Dieu donné voftre Roy & paret, n’eut autre but & autre deffein en la vie,que de remporter la palme que deuez rechercher fur ces malheureux blafphemateurs de l’humanité de Iesvs-Christ. Son petit fils tout bon & tout facré, tige de vos Lys François S. Louis,entoura par après de ce mefme laurier fes belles actions. La mer ne luy fit peur, les Arfacides ne l’effrayerent, les Mamelus ne l’efpouuanterét, la prifon qu’il fouffrit n’eut affez de force pour l’épefeher de retourner derechef contre ces Sarrazines nations. Robert Comte de Clairmont fon fils, dont de ligne à autre vous eftes au rág que vous tenez auiourd’huy dans la Royale maifon de Bourbon. Que n’a-il fait ? fes enfans que n’ont-ils tefmoigné ? Le Royaume de Cypre voftre vray patrimoine, détenu par ces tygres maintenant, coniure par les vieilles ruines de fes belles fortereffes voftre Excellence, come auffi les defcendans & alliez de cefte tant grande autresfois maifon de Lufignan, à faire voile auec vous vers noftre petite Ifle, Ifle le feul rempart de la Chreftienté. Que voftre Excellence face briller les Lys auparauant que le grand Lys de tout le monde, ie dis voftre Louis, voftre Roy & Seigneur face fleuronner les fiens fur les coftes du Leuant. Il vous rauira ceft honneur, l’aage luy croiffant. Deuancez-le en cefte fi fainte entreprife, & ne vous amufez à guerroyer ceux qui font nez pour feruir voftre excellence. Qu’elle faffeure qu’elle aura( outre la faueur du Ciel) des nauires bien armez, des hommes bien aguerris, des pilotes bien experimentez, des commoditez que trop, des ports tres affeurez. En fin tant & tant de bons Catholiques qu’il fera impoffible qu’Achmet ne face comme anciennement le Perfan Xerxes, voulant ruiner la Grece. Pour ce nous auons voulu vnanimement, vnanimes que nous fommes, fupplier voftre Excellence, chef de ce glorieux combat, qu’elle ne nous eſconduiſe : Et en recompenſe, ſacrifians nos ames au ſeruice du Treshault, nous immolerons nos vies ſur l’autel de voſtre bonheur, voulant perpetuer noſtre eſtre ſur la gloire que voſtre Excellence en receura. Si faiſant quelque choſe pour Dieu, elle ſecoure ceux qui ſont

Les bien affectionnez de voſtre Excellence, & les deffenſeurs du Christianisme.