Lettre du 19 juillet 1655 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 395-398).
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31. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 19e juillet 1655.

Voici la troisième fois que je vous écris depuis que vous êtes parti ; c’est assez pour vous faire voir que je n’ai rien sur le cœur contre vous. Je reçus l’adieu que vous me faisiez de Landrecy, pendant que j’étois à Livry, 1655et je vous fis réponse en même temps. Je vois bien que vous ne l’avez pas reçue, et j’en suis fort fâchée ; car, outre qu’elle étoit assez honnêtement tendre, c’est qu’elle étoit assez jolie, au moins à ce qu’il me sembloit ; et comme elle vous étoit destinée, je suis en colère qu’un autre en ait eu le plaisir. Depuis cela je vous ai encore écrit par un laquais que vous aviez envoyé ici, lequel étoit chargé de plusieurs lettres pour de belles dames[1]. Je ne m’amusai pas à vous chicaner sur ce qu’il n’y en avoit point pour moi aussi, et je vous fis une petite lettre en galopant, qui vous faisoit connoître, quoique assez mal arrangée, la sensible joie que j’ai eue du bonheur que vous eûtes à vos gardes de Landrecy, dont la nouvelle nous est venue ici le plus agréablement du monde, par des gens de la cour qui nous ont dit que M. le Cardinal avoit dit beaucoup de bien de vous devant le Roi, qui en avoit dit lui-même, et ensuite toute la cour, qui avoit fort loué cette dernière action. Vous pouvez croire que ma joie n’a pas été médiocre d’entendre dire tout haut cela de vous. Mais pour en revenir à mon conte, ce fut sur cela que je vous écrivis ma seconde lettre, et cinq ou six jours après j’ai reçu celle où je vois que vous vous plaignez de moi. Cependant, mon pauvre cousin, vous voyez bien que vous n’en avez aucun sujet, et là-dessus on peut tirer une belle moralité : c’est qu’il ne faut jamais condamner personne sans l’entendre. Voilà ce que j’avois à vous dire pour ma justification. Quelque autre peut-être auroit pu réduire les mêmes choses en moins de paroles ; mais il faut que vous supportiez mes défauts : chacun a son style ; le mien, comme vous voyez, n’est pas laconique. 1655 Je ne crois pas avoir jamais rien lu de plus agréable que la relation que vous me faites de votre adieu à votre maîtresse. Ce que vous dites que l’amour est un vrai recommenceur est tellement joli, et tellement vrai, que je suis étonnée que l’ayant pensé mille fois, je n’aie jamais eu l’esprit de le dire. Je me suis même quelquefois aperçue que l’amitié se vouloit mêler en cela de contrefaire l’amour, et qu’en sa manière elle étoit aussi une vraie recommenceuse. Cependant, quoiqu’il n’y ait rien de plus galant que ce que vous me dites sur votre affaire, je ne me sens point tentée de vous faire une pareille confidence sur ce qui se passe entre le surintendant et moi, et je serois au désespoir de vous pouvoir mander quelque chose d’approchant. J’ai toujours avec lui les mêmes précautions, et les mêmes craintes, de sorte que cela retarde notablement les progrès qu’il voudroit faire. Je crois qu’il se lassera enfin de recommencer toujours inutilement la même chose. Je ne l’ai vu que deux fois depuis six semaines, à cause d’un voyage que j’ai fait[2]. Voilà ce que je vous en puis dire, et ce qui en est. Usez aussi bien de mon secret que j’userai du votre : vous avez autant d’intérêt que moi à le cacher.

Je ne vous dis rien de l’aventure de Bartet[3] ; je crois qu’on vous l’aura mandée, et qu’elle vous aura diverti ; pour moi, je l’ai trouvée bien imaginée. Il y a une dame qu’on accuse d’avoir été les premiers jours dans les maisons demander si c’étoit un affront que cela, parce qu’elle avoit ouï dire à l’intéressé que ce n’étoit qu’une bagatelle. On dit que présentement il commence à sentir son mal, et à trouver qu’il eût été mieux qu’il n’eût pas été tondu.

Adieu, mon pauvre cousin : ce n’est point ici une belle lettre, ni une réponse digne de la vôtre ; mais on n’est pas toujours en belle humeur. Il y a huit jours que je suis malade, cela fait tort à ma vivacité. Aimez-moi toujours bien ; car pour moi, je fais mon devoir sur votre sujet, et je vous souhaite un heureux retour.


  1. Lettre 31. — i. Mmes de Monglas et de Gouville. Voyez la lettre précédente.
  2. Ce doit être le voyage de Saint-Fargeau, où Mme de Sévigné alla, au mois de juillet de cette année, faire sa cour à Mademoiselle alors exilée. La princesse raconte elle·même cette visite dans ses Mémoires (tome II, p. 357) : on Mmes de Montglas, Lavardin et de Sévigné y vinrent exprès de Paris. » Voyez la lettre 42.
  3. « L’aventure de Bartet, dit Bussy dans une note de notre manuscrit, étoit qu’ayant parlé du duc de Candale à Mme de Gouville avec mépris, ce duc lui avoit fait couper tout un côté de ses cheveux, ce qui fut une action assez hardie, car Bartet étoit secrétaire du cabinet. » Bartet, né dans une condition fort obscure, devait sa fortune aux services qu’il avait rendus à la Reine mère et au cardinal Mazarin pendant l’exil de ce dernier : il s’était chargé de leur correspondance. Le duc de Candale, était fils du duc Bernard d’Épernon, neveu du cardinal de la Valette, et frère de Mlle d’Épernon la carmélite ; il était fort à la mode en ce temps-là, et passait pour être bien avec, la marquise de Gouville. Bartet, qui la recherchait aussi, crut que le meilleur moyen de réussir auprès d’elle serait de jeter du ridicule sur son rival. Il se permit de dire chez la marquise que si l’on ôtait au duc de Candale ses grands cheveux, ses grandes manchettes, ses grands canons, et ses grosses touffes de galants, il ne serait plus qu’un atome. Le duc ne tarda pas à s’en venger. Vers la fin de juin 1655, Bartet passant en voiture, à dix heures du matin, dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre, fut arrêté par onze cavaliers apostés par M. de Candale. Les uns s’emparèrent des rênes des chevaux, et menacèrent le cocher de leurs pistolets ; deux autres entrèrent dans le carrosse, coupèrent a Bartet tout un côté de ses cheveux, et arrachèrent son rabat, ses canons et ses manchettes. Toute la haute noblesse applaudit à l’avanie faite au parvenu, et la trouva, comme dit Mme de Sévigné, fort bien imaginée. Le duc de Candale était d’ailleurs très-puissant, et l’affaire n’eut aucune suite en justice ; mais Bartet trouva, dit-on, le moyen de se venger en faisant saccager l’hôtel du duc par des archers. Le duc de Candale mourut peu d’années après, en 1658 ; Bartet, en 1707, à l’âge de cent cinq ans.