Lettre du 20 novembre 1675 (Sévigné)

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469. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 20e novembre.

Je n’ai point reçu de vos lettres, ma fille ; c’est une grande tristesse. Du But[1] me mande que cela vient du mauvais temps, et que le courrier de Provence n’arrive plus assez tôt pour que votre paquet soit mis avec celui de Bretagne. Je ne crois point cela, et je m’imagine que 1675votre rhume est augmenté, que vous avez la fièvre, et que vous n’avez pas voulu me faire écrire par un autre : voilà, ma chère Comtesse, de quelle couleur sont les pensées que l’on a ici ; j’espère qu’elles s’éclairciront vendredi, et que je ne serai pas tombée des nues comme me voilà : je ne sais que dire, tant je suis décontenancée.

Nous attendons le retour, de M. de Rohan et de Monsieur de Saint-Malo. Quoiqu’ils ne soient allés simplement que pour dire au Roi notre bonne volonté, car je crois que ce. sera tout, je suis persuadée qu’ils rapporteront quelque grâce. On leur a déjà préparé aux états deux mille pistoles à chacun : nos folies de libéralités sont parvenues au comble de toutes les petites-maisons du monde. Je crois qu’il vaut mieux que cela soit à cet excès, et entièrement ridicule que d’être à portée de pouvoir l’exécuter : de tout ceci, je ne plains que M. d’Harouys[2], dont la perte est comme assurée dans un temps où l’on demande l’argent qu’on empêche de recevoir : son intérêt me tient fort au cœur.

Mme de Vins m’écrit encore une fort jolie lettre : j’allois lui écrire ; elle m’a encore agacée ; elle se joue toujours sur cette tendresse que nous lui avons apprise : je vous montrerois ma réponse, si je n’avois, hélas ! qu’à passer d’une chambre à l’autre ; mais le moyen de la faire voyager si loin ? Je crois que mon fils viendra bientôt : il m’aidera fort à passer le reste du temps que je dois être ici. J’ai chargé d’Hacqueville d’une consultation pour l’affaire que j’ai avec ce président[3] ; c’est une de mes raisons pour être aux Rochers, et j’ai cru qu’il feroit avec une grande affection une chose qui avançoit mon retour : voilà de 1675mes confiances, j’y serai quelque jour attrapée. Le bien Bon vous mande que Rousseau est à Paris, et que vous pouvez lui écrire pour vos affaires : quand nous y serons, nous ne penserons tous qu’à vous servir. Vous ne sauriez trop ménager d’Hacqueville : vous tenez une grande place dans le commerce que j’ai avec lui.

Le. bon cardinal m’a écrit, et me mande que la SaintMartin est sonnée : je lui réponds que je le sais, et qu’il ne se charge point de cette inquiétude dans son désert (les inquiétudes sont mauvaises dans les déserts), et que je lui rendrai bon compte du M***[4]. Il ne me paroît pas que cette Éminence nous ait encore oubliées.

Je m’amuse à faire abattre de grands arbres ; le tracas que cela fait représente au naturel ces tapisseries où l’on peint les ouvrages de l’hiver : des arbres qu’on abat, des gens qui scient, d’autres qui font des bûches, d’autres qui chargent une charrette, et moi au milieu, voilà le tableau. Je m’en vais faire planter

Car que faire aux Rochers, à moins que l’on ne plante[5]?


Voilà un petit billet du comte, de Saint-Maurice[6] , qui 1675vous apprendra des nouvelles de la Mazarine. On m’assure dans ce moment qu’elle est à six lieues de Paris : ô la folle ! ô la folle[7] ! Le Roi a donné encore à Mme de Fontevrault, outre les six mille écus, un diamant de trois mille louis : j’en suis fort aise. Je ne saurois écrire aujourd’hui au Coadjuteur ; comment fera-t-il, ponctuel comme il est, pour souffrir le retardement de cette réponse ? Ne le grondez point de m’avoir envoyé votre lettre : elle étoit admirable, il n’y a rien que j’aime tant. Et M. de la Garde, l’avez-vous ? c’est un homme que j’estime et qui vaut beaucoup. J’ai en vérité besoin de savoir tout ce qui se passe où vous êtes. Adieu, ma chère enfant : je causerai davantage une autre fois.



  1. LETTRE 469. — Nous avons déjà vu ce nom dans la lettre du 16 octobre 1673, tome III, p. 245.
  2. Trésorier général des états de Bretagne. (Note de Perrin.)
  3. Le président de Mesneuf. Voyez la lettre suivante, p. 251, et la lettre de l’abbé de Coulanges du 15 août 1674, tome III, p. 411 et 412.
  4. « On a déjà vu quelle espèce de discussion M. de Grignan avait à soutenir contre le marquis de Mirepoix (voyez la lettre du 21 août précédent, p. 75 et 76 de ce volume). On ne lit dans l’édition de 1754 (la seule qui donne cette lettre) que l’initiale de ce nom (dans l’édition de 1818 on a imprimé Mirepoix en toutes lettres) ; la similitude des initiales a fait penser à d’autres éditeurs qu’il s’agissait ici de l’évéque de Marseille. Ils se sont trompés. Le cardinal de Retz, qui était aussi occupé que Mme de Sévigné des affaires de Mme de Grignan, lui rappelle que les vacances du parlement étant terminées, il faut penser à suivre l’affaire de M. de Mirepoix. (Note de l’édition de 1818.)
  5. Nous avons déjà vu plus haut (tome III, p. 258, note 1) une autre parodie du second vers de la fable du Lièvre et des Grenouilles :

    Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?

  6. Voyez ci-dessus la lettre du 11 septembre précédent, p. 127.
  7. Allusion aux mots prononcés par Sganarelle dans la vie scène du IIIe acte de l’Amour médecin, de Molière (1665).