Lettre du 30 décembre 1664 (Sévigné)

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 482-483).
◄  66
68  ►

1664

67. — DE MADAME DE SÉVIGNÉÀ POMPONE[1].

Mardi (30e décembre).

Voilà de quoi vous amuser quelques moments ; assurément vous trouverez quelque chose, de beau et d’agréable à ce que je vous envoie. C’est une vraie charité que de vous divertir tous deux dans votre solitude. Si l’amitié que j’ai pour le père et pour le fils vous étoit un remède contre l’ennui, vous ne seriez pas à plaindre. Je viens d’un lieu où je l’ai renouvelée, ce me semble, en parlant de vous à cinq ou six personnes qui se mêlent comme moi d’être de vos amis et amies. C’est à l’hôtel de Nevers, en un mot. Madame votre femme y étoit ; elle vous mandera les admirables petits comédiens que nous y avons vus. Je crois que notre cher ami est arrivé ; je n’en sais pas de nouvelles certaines. On a su seulement que M. d’Artagnan, continuant ses manières obligeantes, lui a donné toutes les fourrures nécessaires pour passer les montagnes[2] sans incommodité. J’ai su aussi qu’il avoit reçu des lettres du Roi, et qu’il avoit dit à M. Foucquet qu’il falloit se réjouir et avoir toujours bon courage, que tout alloit bien. On espère toujours des adoucissements, je les espère aussi ; l’espérance m’a trop bien servie pour l’abandonner. Ce n’est pas que toutes les fois qu’à nos ballets je regarde notre maître, ces deux vers du Tasse ne me reviennent à la tête :

Goffredo ascolta, e in rigida sembianza
Porge più di timor che di speranza
[3].

Cependant je me garde bien de me décourager : il faut suivre l’exemple de notre pauvre prisonnier ; il est gai et tranquille, soyons-le aussi. J’aurai une sensible joie de vous revoir ici. Je ne crois pas que votre exil puisse encore être long. Assurez bien Monsieur votre père de ma tendresse, voilà comme il faut parler ; et me mandez un peu votre avis des stances[4]. Il y en a qui sont admirées, aussi bien que des couplets.


  1. Lettre 67. — i. Dans nos deux copies, ainsi que dans l’édition de 1756, cette lettre précède notre lettre 66. La copie Amelot la place au mardi 26, mais il n’y a point de mardi 26 ni en décembre 1664, ni en janvier 1665. Dans la copie de Troyes, on l’a datée du 23 décembre, sans considérer qu’il y était parlé de l’arrivée de Foucquet à Pignerol. Dans l’édition de 1756, il y a simplement mardi. C’est sans doute le mardi 30 décembre, sinon le mardi 8 janvier de l’année suivante.
  2. Les Alpes. Pignerol est dans les États Sardes, à dix lieues sud-ouest de Turin. Cette ville appartint à la France de 1632 à 1696.
  3. Gerus, lib., c. V, st. 35. — « Godefroi écoute, et son air sévère inspire plus de crainte que d’espérance. »
  4. C’était sans doute quelqu’une des nombreuses pièces de vers qu’on fit alors soit pour Foucquet, soit contre ses ennemis.