Lettres à Herzen et Ogareff/À Herzen (4-04-1867)

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Lettres à Herzen et Ogareff
De Bakounine à Herzen - 4 avril 1867



LETTRE DE BAKOUNINE À HERZEN


4 avril 1867. Napoli.
Vico Bella donna a Chiaja, 7, 2 piano.


Mon cher Herzen,


Le porteur de cette lettre, M. Claparède, un savant distingué et professeur à Genève, désire faire ta connaissance. Je lui donne très volontiers ce mot pour toi, étant persuadé que tu éprouveras un véritable plaisir dans sa société. Par ses idées et ses tendances, il est des nôtres ; c’est un esprit éclairé, un cœur droit et loyal. Il est très souffrant, et souvent, son activité est paralysée par sa maladie.

Encore une fois, je suis certain que toi et Ogareff, vous me saurez gré de cette connaissance.

Tu as été en Italie, Herzen, et j’avais espéré que le désir de te chauffer un peu au beau soleil de Naples, t’entraînerait pour quelques jours jusqu’ici. Je serais allé moi-même à ta rencontre, à Florence, si ma bourse eût été mieux garnie ; mais, comme d’habitude, elle était vide. Hélas ! cette fois, le soleil de Naples n’a pas eu assez d’attrait pour toi, et mon désir de te voir n’a pu être réalisé. Peut-être, pourrai-je me rendre, au mois de juin ou de juillet, à Genève, où Claparède m’offre un gîte.

Avant que cette lettre te soit parvenue, tu recevras, par la poste, un mandat de sept francs, prix de mon abonnement pour la Cloche. On dit que les deux derniers numéros sont très intéressants à cause des correspondances venant de Russie.

Un joli spectacle que cette Russie présente maintenant ! Votre élève, que Dieu tient en sa sainte garde, surpasse de beaucoup Nicolas lui-même. D’ailleurs, j’en suis très content ; je n’ai jamais eu foi en progrès officiel, ni en socialisme d’État, et je suis très heureux de voir le gouvernement et l’État rester dans leur véritable rôle. Bien que le peuple russe n’ait encore qu’une très faible conscience de cet état de choses, cette conscience finira bien par s’éveiller, enfin, un beau jour. Et comme notre État ne présente rien d’organique, que tout y tient par de simples liens mécaniques, la débâcle une fois commencée, rien ne pourra plus l’arrêter. Il est certain que tôt ou tard, cet empire va crever ; je désirerais seulement survivre à ce spectacle.

Que fait Ogareff ? Comment va sa santé ? Prête-t-il assez d’attention à sa maladie ? A-t-il un bon médecin pour le soigner ? Je lui serre la main et la tienne aussi. Mes salutations empressées à Natalia Alexéevna. Peut-être, l’été prochain, pourrais-je vous voir encore à Genève.