Lettres à Herzen et Ogareff/Brouillon de Herzen (29-04-1867)

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Lettres à Herzen et Ogareff
Brouillon de la lettre de Herzen à Bakounine - 29 avril 1867



BROUILLON DE LA LETTRE DE HERZEN À
BAKOUNINE


29 avril, 1867.


Je publierai ta lettre si tu veux, mais tu me permettras d’y supprimer certaines insultes que tu y prodigues. J’attends tes articles, si, seulement, ils ne restent à jamais enfouis dans ton cerveau comme le furent déjà tes « Mémoires », le « Traité sur l’État, » la « Rectification, de la Cloche » et tes autres écrits.

Je ne comprends pas, pourquoi, après ta séparation de corps avec la Russie, tu t’obstines à en rester aussi séparé moralement ? Que ton action soit utile à Naples, je pus l’apprécier moi-même en lisant vos journaux, pendant mon séjour à Florence et à Venise ; mais ce n’est pas non plus une raison de pousser ton « dépit » pour la Russie jusqu’au point de ne pas vouloir t’en entretenir.

Tu te fâches contre la Russie, parce qu’elle marche, en s’enfonçant jusqu’aux genoux dans la boue et dans le sang (effacé : qu’elle ne suit pas les ordonnances que tu lui as prescrites). Le mal est que tous les peuples s’avancent de la même manière dans leur progrès. La question n’est pas de savoir si en marchant on laisse ses bottes s’embourber mais si l’on suit le bon chemin. On ne peut faire un crime à la Russie de ce que les meilleurs de ses enfants (et nous sommes bien de ce nombre) n’eurent pas assez de bon sens pour se mettre à un travail pratique lorsque cela leur était encore possible. Ah ! mais non, nous étions tous d’anciens étudiants, des savants (?) des poètes. (Effacé : des maîtres en révolution, s’il vous plaît ! des réfugiés).

En Sibérie, tu as su apprécier le courage civique et les tendances démocratiques en[1] Mouravieff, (effacé : qui enterrait des cosaques et faisait périr des détachements entiers, qui en réalité était un despote. Et tu as bien fait. Comment ne vois-tu donc pas, que dans chaque événement qui se produit en Russie, à côté de quelque vilenie temporaire)… Fais-en autant pour la Russie. Comprends-le bien, et une fois pour toutes, là-bas, tout doit passer par la vidange, mais que ça va toujours son train. As-tu suivi les comptes-rendus des cours d’assises avec jurés et ceux des tribunaux en général ? (Effacé : c’est un intérêt de premier ordre). As-tu suivi les débats dans les zemstvos, provoqués par la proposition de frapper d’impôts la noblesse !

Scar (iatine) se met en quatre pour crier : « Milut (ine), Sam (arine), Tcherk (asski) appliquent en pratique les théories de H. (Herzen) : la propriété foncière est chancelante » ; et avec elle, tout en Russie chancelle. Au lieu de reprendre la parole et de t’efforcer d’être plus que jamais explicite dans ton langage, dans ton Schmerzen tu te détournes.

Le rôle que nous avons eu dans l’affaire polonaise était une colos (sale) erreur (effacé : partagée en (sept) spécimens dont IV t’appartiennent ; II reviennent à Ogareff et une seulement à moi. Souviens-toi comme je disputais, comme je criais (effacé : en souffrant de la toux), comme je voulais t’en empêcher (effacé : au commencement et pourquoi je pensais que ton honneur exigeait ton départ). Depuis, nous avons acquis la conviction de l’incapacité absolue, de la bêtise de cette vaillante et stupide nation et nous avons pu nous apercevoir combien elle est encore arriérée, Martianoff[2] avait raison : nous aurions dû garder le silence et attendre la fin. Nous avons agi autrement et nous avons perdu notre situation, sans avoir foi en cette cause ; (toi seul, en effet, tu espérais). Oggi o mai, — à présent, avec cette guerre d’Orient il faut tâcher de revenir sur l’eau (et) savoir ne pas dévier du chenal. Voici mon…


Nota. — En réalité, Bakounine lui-même n’avait pas, en 1862, pleine foi dans le succès de l’insurrection polonaise, comme le fait voir une de ses lettres adressée à la Société de la Terre et Liberté, publiée dans les « Œuvres posthumes » de Herzen, pp. 205-206 (Drag.)


  1. Omission d’un mot dans le texte (Tr.).
  2. Révolutionnaire russe, mort au bagne (Trad.).