Lettres à M. Malthus sur l’économie politique et la stagnation du commerce/IV

La bibliothèque libre.


LETTRE QUATRIÈME.


Monsieur,


J’ai cherché dans vos Principes d’économie politique ce qui pouvait fixer les opinions du public relativement aux machines, et en général relativement aux procédés expéditifs qui, dans les arts, abrègent la main-d’œuvre et multiplient les produits sans augmenter les frais de production. Je désirais y trouver de ces principes arrêtés, de ces formes rigoureuses de raisonnement qui commandent la conviction, et auxquelles votre Essai sur la population a accoutumé le public ; mais ce n’est point ici l’Essai sur la population.

Il me semble, (car je suis réduit à employer quelquefois cette formule après avoir lu vos démonstrations) ; il me semble que tout l’avantage que vous reconnaissez dans les machines, et en général dans les moyens expéditifs de produire, se réduit à celui de multiplier les produits à tel point, que, même lorsque leur valeur vénale a baissé, la somme de leur valeur totale surpasse encore ce qu’elle était avant le perfectionnement[1]. L’avantage que vous signalez est incontestable ; et l’on avait déja remarqué que la valeur totale des marchandises de coton, ainsi que le nombre des ouvriers occupés à cette industrie, s’étaient accrus singulièrement depuis l’introduction des moyens expéditifs. Une remarque analogue avait été faite relativement à la presse d’imprimerie, cette machine employée à la multiplication des livres, produit qui occupe maintenant, sans compter les auteurs, un bien plus grand nombre d’industrieux, qu’au temps où l’on copiait les livres à la main, et qui vaut bien plus en somme que lorsque les livres étaient plus chers.

Mais cet avantage, très-réel y n’est qu’un de ceux que les nations ont recueillis de l’emploi des machines. Il n’a rapport qu’à certains produits dont la consommation était susceptible de s’étendre assez pour balancer la diminution de leur prix ; tandis qu’il y a dans l’introduction des machines, un avantage commun à tous les procédés économiques et expéditifs en général : avantage qui serait senti, même lorsque la consommation du produit ne serait pas de nature à prendre la moindre extension ; avantage qui devait être apprécié rigoureusement dans des principes d’économie politique. Veuillez me pardonner si, pour me faire entendre, je suis obligé de revenir sur quelques notions élémentaires.

Les machines et les outils sont, les uns et les autres, des produits qui, aussitôt après leur production, se rangent dans la classe des capitaux, et sont employés à confectionner d’autres produits. La seule différence qu’il y ait entre des machines et des outils, c’est que les premières sont des outils compliqués, et que les outils sont des machines fort simples. Comme il n’existe pas d’outils ou de machines qui engendrent de la force, nous devons encore les considérer comme des moyens de transmettre une action, une force vive dont nous disposons, vers un objet qui doit en être modifié. Ainsi un marteau est un outil par le moyen duquel nous employons la force musculaire d’un homme pour aplatir, dans certain cas, une feuille d’or ; et les martinets d’une grosse forge sont de même des outils au moyen desquels nous employons une chute d’eau à aplatir des barres de fer.

L’emploi d’une force gratuite qui nous est fournie par la nature, n’ôte pas à une machine sa nature d’outil. La pesanteur multipliée par la vitesse, qui fait la puissance du marteau d’un batteur d’or, n’est pas moins une puissance physique de la nature, que la pesanteur de l’eau qui tombe d’une montagne.

Qu’est-ce que notre industrie tout entière, sinon un emploi plus ou moins bien entendu des lois de la nature ? C’est en obéissant à la nature, dit Bâcon, qu’on apprend à lui commander. Quelle différence voyez-vous entre des aiguilles à tricoter et un métier à faire des bas, si ce n’est que celui-ci est un outil plus compliqué et plus puissant que les aiguilles, mais du reste employant avec plus ou moins d’avantage les propriétés du métal, la puissance du levier, pour fabriquer les vêtemens dont nous couvrons nos pieds et nos jambes ?

La question se réduit donc à ceci : est-il avantageux pour l’homme de mettre au bout de ses doigts, un outil plus puissant, capable de faire beaucoup plus d’ouvrage, ou de le faire mieux, plutôt qu’un outil encore grossier, imparfait, avec lequel il travaille plus lentement, plus péniblement et plus mal ?

Je croirais faire injure à votre bon sens, à celui de nos lecteurs, si je doutais un instant de la réponse.

La perfection de nos outils, monsieur, est liée à la perfection de notre espèce. C’est elle qui établit la différence qu’on observe entre nous et les sauvages des mers australes, qui ont des haches de caillou, et des aiguilles à coudre faites avec des arêtes de poisson. Il n’est plus permis à quiconque écrit sur l’économie politique, de vouloir borner l’introduction des moyens que le hasard ou le génie mettront entre nos mains ; et cela dans le but de conserver plus de travail à nos ouvriers : il s’exposerait à ce qu’on employât tous ses propres raisonnemens à lui prouver que nous devrions, rétrogadant au lieu d’avancer dans la carrière de la civilisation, renoncer successivement aux découvertes que nous avons déja faites, et rendre nos arts plus imparfaits, pour multiplier nos peines en diminuant nos jouissances.

Sans doute il y a des inconvéniens à passer d’un ordre de choses à un autre, même d’un ordre imparfait à un ordre meilleur. Quelle personne sage voudrait renverser d’un coup les entraves qui gênent l’industrie, et les douanes qui séparent les nations, toutes préjudiciables qu’elles sont à leur prospérité ? Dans ces cas-là, le devoir des personnes instruites, ne consiste pas à fournir des motifs pour écarter et proscrire toute espèce de changement, sous prétexte des inconvéniens qu’il entraîne ; mais à apprécier ces inconvéniens, à indiquer les moyens praticables de les écarter autant que possible ou de les atténuer, afin de faciliter l’adoption d’une amélioration désirable.

L’inconvénient est ici un déplacement de revenu qui, lorsqu’il est brusque, est plus ou moins pénible pour la classe qui voit diminuer le sien. La substitution des machines diminue (quelquefois, mais pas toujours) le revenu de la classe dont le fonds consiste en facultés corporelles et manuelles, pour augmenter le revenu de la classe dont le fonds consiste en facultés intellectuelles et en capitaux. En d’autres termes, les machines expéditives, étant en général plus compliquées, exigent des capitaux plus considérables. Elles obligent en conséquence l’entrepreneur qui les emploie, à acheter plus de ce que nous avons nommé services productifs des capitaux, et moins de ce que nous appelons services productifs des ouvriers. En même temps, comme elles exigent dans leur direction générale et particulière, peut-être plus de combinaisons et une manutention d’affaires plus considérable, elles réclament plus de ce genre de services productifs d’où naît le revenu des entrepreneurs. Une filature de coton au petit rouet, comme on en voyait dans beaucoup de ménages en Normandie, mérite à peine le nom d’entreprise, tandis qu’une filature de coton en grand, est une entreprise majeure.

Mais l’effet le plus important, quoique peut-être le moins aperçu, qui provient de l’emploi des machines et en général de tout procédé expéditif, est l’augmentation de revenu qui en résulte pour les consommateurs de leurs produits ; augmentation qui ne coûte rien à personne, et qui mérite que nous entrions dans quelque détail.

Si le froment se broyait chez nous comme chez les peuples de l’antiquité, à force de bras, j’estime qu’il faudrait vingt hommes pour moudre autant de farine qu’en peut moudre une paire de meules dans nos moulins. Ces vingt hommes, dans les environs de Paris, étant occupés constamment, coûteraient 40 francs par jour ; et à 300 jours de travail dans l’année, ils coûteraient par 12,000 fr.
La machine et les meules coûteraient par aperçu 20,000 fr., dont l’intérêt annuel serait de 1,000
Il ne se présenterait probablement pas d’entrepreneur pour une semblable entreprise, à moins qu’elle ne leur rapportât par an environ. 3,000

La façon de la farine qu’on peut obtenir d’une paire de meules dans une année, reviendrait donc par ce moyen, environ à 16,000 fr.

Au lieu de cela, un meunier peut de nos
jours trouver à louer un moulin à un tournant, pour 2,000 fr.
Il paie à son garçon meunier 1,000
Je suppose que lui-même gagne pour son intelligence et pour ses peines 3,000

La même quantité de farine peut donc être broyée pour 6,000 fr.


au lieu de 16,000 fr. qu’elle aurait coûté si nous suivions encore les procédés des anciens.

La même population peut être nourrie, puisque le moulin ne diminue pas la quantité de la farine broyée : les profits gagnés dans la société suffisent encore pour payer les nouveaux produits ; car, du moment qu’il y a pour 6000 francs de frais de production payés, il y a pour 6000 fr. de profits gagnés : et la société jouit de cet avantage essentiel que les hommes qui la composent, quels que soient leurs moyens d’existence, leurs revenus, soit qu’ils vivent de leurs travaux, de leurs capitaux, ou de leurs fonds de terre, réduisent la portion de leur dépense consacrée à payer la façon de la farine, dans la proportion de seize à six, ou des cinq huitièmes. Celui qui dépensait huit francs par an pour sa nourriture, n’en dépense plus que trois ; ce qui équivaut exactement à une augmentation de revenu : car les cinq francs épargnés sur cet objet, ont pu être employés à tout autre. Si un perfectionnement égal avait eu lieu sur tous les produits auxquels nous employons nos revenus, nos revenus se seraient véritablement accrus des cinq huitièmes, et un homme qui gagne trois mille francs, soit à faire de la farine, soit de toute autre manière, serait réellement aussi riche que s’il en avait huit et que les procédés perfectionnés n’eussent pas été trouvés.

C’est a quoi M. de Sismondi n’a pas fait attention lorsqu’il a écrit le passage suivant : « Toutes les fois, dit-il[2], que la demande pour la consommation surpasse les moyens de produire de la population, toute découverte nouvelle dans les mécaniques ou dans les arts est un bienfait pour la société, parce qu’elle donne le moyen de satisfaire des besoins existans. Toutes les fois, au contraire, que la production suffit pleinement à la consommation, toute découverte semblable est une calamité, puisqu’elle n’ajoute aux jouissances des consommateurs que de les satisfaire à meilleur marché, tandis qu’elle supprime la vie elle même des producteurs. Il serait odieux de peser l’avantage du bon marché contre celui de l’existence. »

M. de Sismondi, comme on voit, n’apprécie pas suffisamment l’avantage du bon marché, et ne sent pas que ce qu’on dépense de moins sur un produit, peut être dépensé en plus pour un autre, en commençant par les plus indispensables.

Jusqu’à présent on ne peut apercevoir aucun inconvénient dans l’invention des moulins à farine ; et l’on y découvre l’avantage d’une diminution dans le prix du produit, qui équivaut à une augmentation de revenu pour tous ceux qui en font usage.

Mais cette augmentation de revenu procurée aux consommateurs, est prise, dit-on, sur les profits des dix-neuf malheureux que le moulin a laissés sans ouvrage. — C’est ce que je nie. Les dix-neuf travailleurs restent avec leur fonds de facultés industrielles, avec la même force, la même capacité, les mêmes moyens de travail, qu’auparavant. Le moulin n’entraîne pas pour eux la nécessité de rester sans occupation, mais seulement de choisir une autre occupation. Beaucoup de circonstances entraînent un inconvénient pareil, sans porter avec elles le même dédommagement. Une mode qui passe ; une guerre qui ferme un débouché ; un commerce qui change de cours, font cent fois plus de tort à la classe des ouvriers, que quelque nouveau procédé que ce soit.

Je suppose qu’on insiste et qu’on dise que les dix-neuf ouvriers vacans, en supposant même qu’ils trouvassent à l’instant des capitaux pour se livrer à une nouvelle industrie, ne vendraient pas leurs produits, parce que la masse des produits de la société serait par-là augmentée, sans que la somme de ses revenus le fût. — On a donc oublié que les revenus de la société sont augmentés par le fait même de la production des dix-neuf nouveaux travailleurs ? Le salaire même de leur travail est le revenu qui leur permet d’acquérir le produit de leur travail, ou de l’échanger contre tout autre produit équivalent. C’est ce que mes précédentes lettres établissent suffisamment.

Il ne reste donc, rigoureusement parlant, que l’inconvénient d’être obligé de changer d’occupation. Or les progrès qui se font dans un genre en particulier, sont favorables à l’industrie en général. L’augmentation de revenus qui est résultée pour la société d’une épargne sur ses dépenses, se porte vers d’autres objets. Une seule occupation s’est trouvée interdite à dix-neuf hommes qui jusque-là broyaient du grain ; cent autres occupations nouvelles, ou cent autres extensions des occupations anciennes, leur ont été ouvertes. Je n’en veux pour preuve que l’augmentation survenue dans les travaux et la population de tous les lieux où se sont perfectionnés les arts. La grande habitude que nous avons de voir les produits des arts nouveaux, nous empêche de les remarquer ; mais combien ne frapperaient-ils pas les anciens habitans de l’Europe, s’ils pouvaient renaître parmi nous ! Représentons-nous pour un moment quelques-uns, même des plus éclairés d’entre eux, tels que Pline ou Archimède, venant se promener dans une de nos villes modernes ; ils se croiraient environnés de miracles. L’abondance de nos cristaux et de nos vitres, nos grands miroirs et leur multiplicité, nos horloges, nos montres de poche, la variété de nos tissus, nos ponts de fer, nos machines de guerre, nos bâtimens de mer, les surprendraient au-delà de toute expression. Et s’ils entraient dans nos ateliers, quelle foule d’occupations dont ils ne pouvaient pas avoir la moindre idée ! Se douteraient-ils seulement que trente mille hommes travaillent en Europe toutes les nuits à imprimer des gazettes qu’on lit le matin en prenant du thé, du café, du chocolat ou d’autres alimens tout aussi nouveaux pour eux que les papiers-nouvelles eux-mêmes ? N’en doutons pas, monsieur ; si les arts se perfectionnent encore, comme je me plais à le croire, c’est-à-dire produisent plus à moins de frais, de nouveaux millions d’hommes dans quelques siècles produiront des choses qui exciteraient dans notre esprit, si nous pouvions renaître alors, une surprise non moins grande que celle qu’Archimède et Pline éprouveraient en revenant parmi nous. Prenons-y garde, nous autres qui barbouillons du papier à la recherche de la vérité : si nos écrits parviennent à nos neveux, la terreur que nous inspirent des perfectionnemens qu’ils auront de beaucoup surpassés, pourra bien paraître risible. Et quant aux ouvriers de votre pays, si habiles à-la-fois et si misérables, nos descendans pourront bien les regarder comme des gens que l’on forçait, pour gagner leur vie, à danser sur la corde avec des poids pendus à leurs pieds. Ils liront dans l’histoire que chaque jour, pour qu’ils pussent continuer leur danse, on proposait quelque nouveau plan, sauf le seul qui eût été efficace : détacher les poids. Nos descendans alors, après s’être moqués de nous, pourront bien finir par nous plaindre.

J’ai dit qu’un perfectionnement heureux pouvait avoir des inconvéniens passagers. Ceux qui accompagnent l’introduction des procèdes expéditifs, sont heureusement mitigés par des circonstances qui ont été déja remarquées, et par d’autres qui ne l’ont pas été. On a dit (et vous-même, monsieur, regardez cette circonstance comme pouvant seule surpasser l’inconvénient) on a dit que le bon marché qui résulte d’un procédé économique, en, favorise la consommation au point que la même production occupe plus de monde qu’auparavant ; ainsi qu’on l’a observé dans la filature et le tissage du coton. J’ajouterai qu’à mesure que les machines et les moyens expéditifs, se multiplient, il devient plus difficile d’en découvrir de nouveaux ; surtout dans un art ancien et qui a déja ses ouvriers formés. Les machines les plus simples se sont présentées les premières ; de plus compliquées sont venues ensuite ; mais à mesure qu’elles se compliquent, elles coûtent davantage à établir, exigent dans leur confection plus de travaux d’ouvriers, qui dédommagent en partie cette classe, des travaux qu’elle perd à l’emploi du nouveau procédé. La complication et la cherté d’une machine, sont des obstacles à une trop prompte adoption. La machine à tondre les draps au moyen d’un mouvement de rotation, a coûté dans l’origine, 25 à 30 mille francs. Beaucoup de fabricans ne purent dès l’abord disposer d’une somme pareille ; d’autres balancèrent et balancent encore avant d’en faire l’acquisition ; ils attendent un succès bien confirmé. Une telle lenteur dans l’introduction des nouvelles machines, en sauve à-peu-près tous les inconvéniens. Enfin je vous avoue que j’ai vu presque toujours dans la pratique, les machines nouvelles faire plus de peur que de mal. Quant au bien, il est constant et durable.

M. de Sismondi met en opposition ce qui arriverait dans le cas où cent mille tricoteuses avec leurs aiguilles, et mille ouvriers armés d’un métier à bas, fabriqueraient, chacun de leur côté, dix millions de paires de bas. Son résultat est que, dans ce dernier cas, les consommateurs de bas n’économiseraient que 50 centimes par paire, et cependant qu’une fabrication qui alimentait cent mille ouvriers, n’en pourrait plus nourrir que douze cents. Mais il n’arrive à ce résultat que par des suppositions qui ne sont pas admissibles.

Pour prouver que les consommateurs ne paieraient les bas que 50 centimes de moins, il suppose que les frais de production seraient, dans le premier cas, ainsi qu’il suit :


10 millions, pour achat de la matière première ;

40 millions, pour salaire de cent mille ouvriers, à 400 fr. par tête.

Total 50 millions, dont 40 distribués aux ouvriers.


Et, dans le second cas, il établit les frais ainsi qu’il suit :

10 millions, pour les matieres premières ;

30 millions, pour les intérêts du capital fixe et les profits des entrepreneurs ;

2 millions, pour les intérêts du capital circulant ;

2 millions, pour les réparations et le renouvellement des machines ;

1 million, pour le salaire de 1200 ouvriers.

Total 45 millions, dont un seulement pour les ouvriers, au lieu de quarante.


Or je vois dans cette dépense, 30 millions pour intérêts du capital fixe et pour le profit des entrepreneurs, ce qui supposerait, pour des entreprises capables d’occuper douze cents ouvriers et de rendre 15 pour cent de leurs capitaux, un capital total de deux cent millions, supposition véritablement extravagante.

Un ouvrier ne saurait travailler sur métiers à-la-fois ; mille ouvriers réclameraient donc l’emploi de mille métiers. Un bon métier à bas coûte 600 francs : les mille coûteraient en conséquence six cent mille francs. Ajoutons à ce capital, un autre capital pareil pour les autres ustensiles, les ateliers, etc. nous n’aurons encore besoin que d’un capital de douze cent mille francs. Nous admettons que les intérêts et les profits des entrepreneurs sur ce capital, seraient de 15 pour cent ; ce qui est bien honnête, car une industrie courante qui rapporterait davantage, serait, par la concurrence, ramenée à ce taux. Cela étant nous trouverons pour les intérêts et les profits des entrepreneurs, 180 mille francs au lieu de trente millions !

Même observation sur les deux millions pour frais d’entretien et de réparation ; car quand au lieu de réparer les métiers, on les renouvellerait en totalité chaque année, ils ne coûteraient encore que 600 mille francs.

Le capital circulant non plus, ne coûterait pas deux millions ; car de quoi se compose-t-il, toujours dans l’hypothèse de M. de Sismondi ? De la matière première qu’il porte à 10 millions, et des salaires qu’il porte à 1 million : ensemble 11 millions, dont l’intérêt, à 5 pour cent, est 550 mille francs. Mais comme dans cette industrie le produit peut être terminé et vendu en moins de six mois, le capital payé pour l’année, peut être employé deux fois et ne coûterait chaque fois que 275 mille francs, au lieu de deux millions.

Tous ces frais réunis ne font encore que 12,055,000 fr. au lieu de 50 millions, qu’en admettant les bases de M. de Sismondi, coûteraient les bas faits à l’aiguille. Je suis loin de croire que l’économie pût être aussi forte, car si l’auteur a porté trop haut le capital des machines, il leur a attribué une efficacité trop grande en supposant que par leur moyen douze cents ouvriers feraient autant que cent mille ; mais je dis que si l’économie de cette production était telle, le bas prix des bas ou de tout autre vêtement qu’on pourrait faire à l’instar des bas, en favoriserait tellement la consommation, qu’au lieu de voir les cent mille ouvriers qu’on y suppose employés, tomber à douze cent, on les verrait probablement s’élever à deux cent mille.

Et si la consommation de cet objet en particulier, n’admettait pas cette multiplication excessive d’un même produit, la demande augmenterait relativement à plusieurs autres ; car, faites attention, qu’après l’introduction des machines, il se trouve toujours dans la société les mêmes revenus, c’est-à-dire le même nombre de travailleurs, la même somme de capitaux, les mêmes fonds de terre. Or, si au lieu de consacrer, sur cette masse de revenus, 50 millions par an pour des bas, on n’est plus, au moyen des métiers, obligé d’en dépenser que douze, les 38 millions qui restent, sont applicables à d’autres consommations, si ce n’est à l’extension de la même.

Voila ce qu’enseignent les principes, et voilà ce que confirme l’expérience. Les maux que souffre la population de l’Angleterre, et que M. de Sismondi déplore avec l’accent d’un véritable philanthrope, tiennent à d’autres causes : ils tiennent principalement à ses lois sur les pauvres ; et ainsi que je l’ai insinué à une masse d’impôts qui rendent la production trop dispendieuse ; tellement que, les produits terminés, une grande partie des consommateurs ne gagnent pas assez pour atteindre au prix qu’on est obligé d’en demander.


  1. « Quand une machine est inventée, qui, en épargnant de la main-d’œuvre, fait revenir les marchandises à meilleur marché, l’effet ordinaire est une augmentation de demande…telle, que la valeur totale de la masse de marchandise ainsi faite, excède de beaucoup la valeur totale que la même marchandise avait auparavant, et que le nombre des ouvriers employés à sa fabrication, est accru plutôt que diminué. » Malthus : Princ. d’Éc. Pol. Page 402.

    « Mais nous devons convenir que le principal avantage provenant de la substitution des machines au travail des bras, dépend de l’extension que prend le marché et de l’encouragement qui en résulte pour la consommation ; et que, sans cela, l’avantage de cette substitution est à-peu-près perdu. » Page 412.

  2. Nouveaux principes d’économie politique, tom. II page 317.