Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 312

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 641-642).

312. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ AU PBESIDENT DE MOULCEAU.[modifier]

À Grignan, ce 5 juin 1695.

J’ai dessein, monsieur, de vous faire un procès : voici comme je m’y prends. Je veux que vous le jugiez vous-même. Il y a plus d’un an que je suis ici avec ma fille, pour qui je n’ai pas changé de goût. Depuis ce temps vous avez entendu parler, sans doute, du mariage du marquis de Grignan avec mademoiselle de Saint-Amand. Vous l’avez vue assez souvent à Montpellier pour connaître sa personne ; vous avez aussi entendu parler des grands biens de monsieur son père ; vous n’avez point ignoré que ce mariage s’est fait avec un assez grand bruit dans ce château que vous connaissez. Je suppose que vous n’avez point oublié ce temps où commença la véritable es : tiine que nous avons toujours conservée pour vous. Sur cela je me 5i. sure vos sentiments par les miens, et je juge que, ne vous ayant point oublié, vous ne devez pas aussi nous avoir oubliées.

J’y joins même M. de Grignan, dont les dates sont encore plus anciennes que les nôtres. Je rassemble toutes ces choses, et de tout côté je me trouve offensée ; je m’en plains à vos amis, je m’en plains à notre cher Corbinelli, confident jaloux, et témoin de toute l’estime et l’amitié que nous avons pour vous ; et enfin je m’en plains à vous-même, monsieur. D’où vient ce silence ? est-ce de l’oubli ? est-ce une parfaite indifférence ? Je ne sais : que voulezvous que je pense ? À quoi ressemble votre conduite ? donnez-y un nom, monsieur ; voilà le procès en état d’être jugé. Jugez- le : je consens que vous soyez juge et partie.