Lettres d’Abélard et d’Héloïse/Tome 2/Appendice 4

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IV

LETTRE DE PIERRE, ABBÉ DE CLUNI, À HÉLOÏSE

A notre vénérable et très-chère sœur, servante de Dieu, supérieure et maîtresse des servantes de Dieu, Héloïse, son frère, Pierre, humble abbé de Cluni, la plénitude du salut par le Seigneur et celle de notre amour en Jésus-Christ.

La lecture de la lettre de votre sainteté m’a causé une vive et bien vive joie ; j’ai vu que ma visite n’avait pas été pour vous un simple passage ; j’ai reconnu que non-seulement j’avais été avec vous, mais que, depuis, je ne vous avais pas quittées. L’hospitalité que vous m’avez donnée n’a pas été, je le sens, le souvenir de l’hôte d’une nuit ; je n’ai pas été chez vous un étranger, un pèlerin : j’ai eu droit de cité dans la demeure des saintes, puissé-je dire ma place au foyer de Dieu. Tous les détails de ce que j’ai fait, de ce que j’ai dit, dans cette brève et rapide visite, se sont si bien fixés dans votre bienveillant souvenir, et ont laissé des traces telles dans votre âme sainte, que vous n’avez laissé tomber à terre aucune de mes paroles, je ne dis pas celles qui étaient dites avec intention, mais celles-là même que je laissais échapper. Vous avez tout noté, vous avez tout confié à une mémoire empruntant du cœur sa ténacité fidèle, comme des mots remarquables, comme des mots célestes, comme des mots divins, comme les paroles mêmes ou les œuvres de Jésus-Christ.

Peut-être ce zèle de souvenir vous a-t-il été inspiré par les recommandations de la règle commune à Cluni et au Paraclet, laquelle prescrit d’adorer le Christ dans nos hôtes, car nous le recevons avec eux. Peut-être aussi avez-vous pensé â cette prescription relative aux supérieurs, bien que je ne sois pas votre supérieur : « Celui qui vous écoute m’écoute moi-même. » Plaise au ciel que j’obtienne toujours de vous la même faveur, puissiez-vous daigner toujours vous souvenir de moi, et implorer pour mon âme la miséricorde du Tout-Puissant, vous et le saint troupeau qui vous est confié ! De mon côté, je vous offre tout le retour d’affection qui m’est possible. Bien longtemps avant de vous avoir vue, mais aujourd’hui surtout que je vous connais, je vous.ai réservé dans le plus profond de mon cœur une place particulière, et la place d’un amour sincère et vrai.

Le don du tricenarium que je vous ai fait de vive voix, je vous le confirme par un écrit scellé de mon sceau, ainsi que vous le désirez.

Je vous envoie aussi, comme vous le demandez, l’absolution de maître Pierre, sur parchemin, également écrite de ma main, et scellée de mon sceau.

Quant à votre cher Astralabe, qui est aussi le nôtre à cause de vous, dès que j’en trouverai le moyen, je chercherai, et ce sera bien volontiers, à lui obtenir une prébende dans quelqu’une de nos églises de premier ordre. La chose toutefois est malaisée. J’en ai fait souvent l’épreuve. Lorsqu’il s’agit d’accorder quelque prébende dans leurs églises, les évêques se montrent peu faciles ; ils ont toujours à opposer des fins de non-recevoir. Je ferai pourtant pour vous ce que je pourrai, et le plus tôt que je pourrai.

Adieu.


ABSOLUTION DE PIERRE ABÉLARD

Moi, Pierre, abbé de Cluni, — qui ai reçu Pierre Abélard comme moine de Cluni, et qui ai cédé son corps, secrètement transporté, à Héloïse, abbesse, et aux religieuses du Paraclet, — par l’autorité de Dieu tout-puissant et de tous les Saints, je l’absous, d’office, de tous ses péchés.


FIN