Lettres d’un citoyen des États-Unis à un Français, sur les affaires présentes
Vous êtes étonné, Monsieur, que le citoyen d’une république voie avec indifférence cet amour de la liberté qui semble animer tous vos compatriotes ; vous l’êtes davantage encore de me voir pencher vers ce que vous appelez le parti du gouvernement. Vous êtes donc indifférent, me dites-vous, à la liberté des autres hommes. Non, Monsieur ; je me garderai bien de dire avec un de vos poètes ; La liberté n’est rien si tout le monde est libre. Je crois, au contraire, que plus il existe de peuples libres, plus la liberté de chacun d’eux est assurée. Je crois même que tant qu’il existera sur le globe une grande nation esclave, ni la cause du genre humain ne sera décidée, ni ses chaînes brisées sans retour.
Si mes sentiments vous paraissent aujourd’hui différents de ceux que j’ai montrés au moment où mes concitoyens ont élevé leurs premiers cris pour la liberté, c’est que les circonstances ne sont pas les mêmes.
Il s’agissait pour nous d’être soumis à une aristocratie étrangère, à l’autorité du parlement d’Angleterre ; il s’agit pour vous d’être délivrés de l’aristocratie parlementaire. Des corps qui prétendent que leur sanction est nécessaire pour la validité des lois faites par le prince, et acceptées par l’assemblée de la nation ; qui, à ce droit négatif, joignent l’exercice du pouvoir judiciaire le plus étendu, réunion incompatible avec toute espèce de liberté ; qui, dans l’exercice de ce pouvoir, ne se croient pas obligés de s’astreindre strictement à la lettre de la loi ; qui, dans le cas où l’on conteste, soit leurs prétentions, soit la justice de leurs arrêts, se permettent de rester juges dans leur propre cause ; qui, sous le nom de grande police, se sont arrogé, sur une grande partie des actions des citoyens, un pouvoir législatif, exercé par eux seuls, et dont eux-mêmes, ou des officiers à leurs ordres, sont les seuls exécuteurs : de tels corps vous menaçaient d’une aristocratie tyrannique, d’autant plus dangereuse, que, se recrutant elle-même, elle était devenue presque héréditaire.
Il s’agissait pour nous de conserver l’avantage précieux d’une procédure criminelle, favorable à la sûreté des citoyens, procédure à laquelle le gouvernement anglais osait donner atteinte. Il s’agit pour vous d’être délivrés d’une procédure qui expose l’innocent, qui donne à vos juges une autorité arbitraire, et qu’eux seuls protègent contre la voix des hommes éclairés de toutes les nations, moins par préjugé peut-être, que d’après cette maxime si bien prouvée par l’expérience : Plus la jurisprudence est mauvaise, plus les juges sont puissants.
if s’agissait pour nous d’être arbitrairement taxés par des hommes vivant à i,500 lieues de nous, n’ayant à notre prospérité d’autre intérêt que celui qu’un maître prend à celle de ses esclaves. Il s’agit pour vous de détruire un système fiscal qui pèse sur le pauvre pour ménager le riche, de sacrifier à la nécessité de rétablir vos finances des privilèges odieux que des corps puissants se sont arrogés dans des temps d’ignorance et de faiblesse. Vous ne devez donc pas être surpris de me voir pencher vers le parti dont les opérations tendent à rétablir les citoyens dans leurs droits, à détruire une autorité dangereuse et une inégalité contraire au droit naturel, qui ordonne que chacun contribue à la dépense publique à proportion de ce qu’il possède.
Je n’aime point le despotisme, mais je hais encore plus l’aristocratie, qui est le despotisme de plusieurs. Je la hais plus encore lorsqu’elle est anarchique, comme le serait la ligue du clergé, de la noblesse, de trente cours souveraines répandues dans toutes vos provinces. Plus on a de maîtres, plus ils ont d’intérêts particuliers opposés à l’intérêt public ; plus leur pouvoir est indépendant de l’opinion et de la volonté du plus grand nombre, plus il est difficile de les éclairer et de leur faire vouloir le bien du peuple.
S’agit-il de la législation des impôts, de celle du commerce, des lois civiles ou criminelles, des lois de police, comparez l’intérêt que peut avoir un monarque à ce que toutes ces parties de la législation soient vicieuses ou oppressives, et l’intérêt que peuvent y avoir tous les hommes riches et puissants d’un pays, réunis en corps sous différentes dénominations. Si cet intérêt existe pour un monarque et ses ministres, il sera presque toujours celui de ménager les hommes qui ont un crédit ou un pouvoir indépendant ; qui peuvent, si on blesse leurs intérêts, troubler la tranquillité publique, ou perdre les ministres. La plupart des maux dont on se plaint dans les monarchies ont pour cause ce mélange d’une aristocratie, qui fait payer si cher au peuple le faible appui qu’elle lui prête quelquefois. J’ai étudié vos lois, vous en avez un grand nombre de mauvaises ; mais j’en ai peu vu qui n’aient été établies ou conservées uniquement parce qu’un crédit aristocratique les a sollicitées ou protégées.
Quel but se sont proposé les hommes en se réunissant en société régulière, en se soumettant à des lois ? C’est sans doute de s’assurer, par ces mêmes lois, la jouissance de leurs droits naturels. Mais la sûreté est un de ces droits, et les hommes en jouissent-ils, s’il reste quelque chose d’arbitraire dans les jugements criminels, si des actions indifférentes sont érigées en crimes, si le droit de se défendre est enlevé aux accusés, si les preuves alléguées contre eux sont pour eux un secret, si les tribunaux formant des corps perpétuels ont des passions ou des préjugés, des intérêts ou des prétentions ? La réforme de votre jurisprudence criminelle, et celle de vos tribunaux, est donc nécessaire au maintien du premier de vos droits, la sûreté. La liberté en est un autre ; or, jouit-on de la liberté partout où la loi interdit aux citoyens, sous peine d’amende, des actions indifférentes et un usage de leurs facultés, une disposition de leur propriété, qui n’est pas contraire au droit d’autrui ? Jugez d’après cela vos lois de commerce, vos jurandes défendues avec tant d’opiniâtreté par vos parlements, vos lois de police établies par eux, votre jurisprudence fiscale, etc.
La propriété est encore un droit naturel des hommes ; or, ce droit existe-t-il partout où il est attaqué par des impôts indirects, nécessairement répartis avec injustice, par une législation qui force un paysan d’Auvergne, de Poitou, de Lyonnais, à venir défendre dans la capitale le coin de terre qu’il cultive ? Ce droit existe-t-il, lorsqu’en vertu de cette distribution des tribunaux, toute propriété, au-dessous de ce que coûte un procès, n’est garantie qu’autant qu’elle ne vaut pas la peine d’être usurpée, et lorsque tout homme qui veut sacrifier un pauvre à sa vengeance est le maître de le ruiner ? La réforme de vos impôts et de vos tribunaux est donc nécessaire au maintien de vos droits de propriété.
L’égalité n’est pas moins un des droits naturels de l’humanité. Les hommes naissent égaux, et la société est faite pour empêcher que l’inégalité de force, la seule qui vienne de la nature, ne produise impunément des violences injustes. Toute inégalité qui, dans l’ordre social, est établie par une loi, et n’est pas la suite nécessaire du mérite réel, du droit de propriété, de l’opinion, de l’importance des fonctions sociales, est une violation de ce droit. Comparez maintenant cette maxime de la raison et de la nature avec les prétentions de vos premiers ordres, de vos magistrats.
Enfin, le droit de concourir à la formation des lois est un des droits de l’homme dans l’état de société. Ce n’est pas un citoyen des États-Unis qui en contestera l’existence ; mais il vous dira que ce droit, presque nul pour le plus grand nombre, n’est important pour la prospérité publique qu’autant qu’il assure la jouissance des autres ; il ajoutera que, si ce droit n’est pas égal pour tous les citoyens, si un noble ou un prêtre y a plus de part qu’un propriétaire du nombre de ceux que vous nommez roturiers, alors ce droit cesse absolument d’exister.
Tant que l’égalité n’est pas aussi parfaite que peut le permettre la nécessité d’établir des divisions, tant qu’il subsiste une inégalité qu’on puisse regarder comme réelle, dès lors la constitution n’est plus fondée sur le droit, elle l’est uniquement sur l’intérêt de respecter la tranquillité publique, l’assurance plus ou moins fondée d’obtenir d’elle une législation propre à maintenir les hommes dans la jouissance de leurs autres droits.
Ce que tout vrai patriote doit désirer en France, c’est donc l’établissement de lois qui rendent aux citoyens la sûreté, la liberté^ la propriété, l’égalité dont vos anciennes lois les ont dépouillés. Il ne doit s’occuper de changements dans la constitution qu’autant qu’ils pourraient assurer ou accélérer celle réforme des lois ; il ne doit en désirer aucun dont il ne résulte une plus grande égalité entre les citoyens, qui ne soit un acheminement vers cette égalité de droits entre tous les citoyens, sans laquelle aucune constitution n’est vraiment libre, n’est vraiment légale : voilà ce que tout républicain instruit des droits des hommes vous dira aussi bien que moi. Dans la discussion qui vient de s’élever parmi vous, il est difficile de trouver en quoi les droits des citoyens pourraient être violés. De quoi s’agit-il en effet ? De savoir si le droit d’enregistrement appartiendra à un seul ou à trente corps isolés d’officiers nommés par le roi ; quelle sera l’étendue du ressort ou de la juridiction, et la composition intérieure de tribunaux dont les charges sont également à vie, également achetées à prix d’argent, également données par le prince. La nation n’avait pas établi l’ancien état, ne nommait aucun des anciens officiers ; on a fait le changement sans elle, et elle ne nomme encore personne. Elle n’a donc ni rien perdu ni rien gagné ; l’ordre ancien, l’ordre nouveau sont également légitimes ; la seule question est de savoir lequel des deux est le plus avantageux au peuple. Sans doute le nouvel établissement, qui, du moins, a l’avantage plus grand qu’on ne pense, de ne point être protégé par les préjugés, par l’intérêt de soutenir des privilèges particuliers que l’habitude fait regarder comme des espèces de droits, est susceptible de plusieurs changements utiles. Si donc le gouvernement avait voulu empêcher de l’examiner, s’il avait défendu d’en discuter publiquement les inconvénients et les avantages, s’il avait refusé d’écouter les réclamations des états, des assemblées provinciales ou de districts, et même celles des corps réformés, il eût été raisonnable de se plaindre, parce qu’alors le gouvernement eût véritablement violé le droit des citoyens. Mais que dans l’année où le roi a formé dans toutes ses provinces des corps de représentants, lorsqu’il a même établi deux ordres de ces assemblées, lorsqu’il a ainsi posé le fondement d’une constitution dans laquelle ces pouvoirs opposés, toujours si dangereux pour la tranquillité publique, le progrès de la législation, la réforme des abus, deviendraient inutiles au maintien des droits des hommes ; lorsqu’il a donné par là aux peuples les plus libres un exemple que peut-être ils auront un jour la sagesse de suivre ; lorsque ces assemblées générales dans toutes les provinces offrent à la nation la faculté d’avoir, toutes les fois qu’elle le voudra, une assemblée régulière et légitime de véritables représentants du peuple ; lorsqu’on sait que l’inégalité qui reste dans ces assemblées est moins l’ouvrage du gouvernement que l’effet de sa condescendance pour des préjugés malheureusement encore puissants parmi vous ; quand la destruction des corvées, la liberté du commerce des grains, l’état civil rendu aux protestants, la réforme des lois criminelles si longtemps arrêtée par les oppositions parlementaires, et commencée sous les auspices de la raison et de la justice ; quand tout annonce que les droits des citoyens sont enfin reconnus et respectés, de bonne foi, est-ce le moment qu’il fallait choisir pour crier contre le despotisme ? est-ce lorsqu’on vient d’obtenir des moyens réguliers de réclamer, qu’on doit recourir aux actes de violence, aux séditions, etc. ?
Des associations particulières érigeant en crime de lèse-majesté des actions qui ne violent aucun principe du droit naturel, des tribunaux menaçant de poursuivre celui qui aura accepté une partie de leurs fonctions, et devenus à la fois législateurs, juges et parties, n’est-ce pas là ce qu’on peut appeler exercer véritablement le despotisme ?
Que vous dirai-je enfin ? Les hommes peuvent-ils jouir véritablement de leurs droits, s’ils ne les connaissent pas, et même assez bien pour que ceux qui ont la puissance soient contenus par l’opinion publique, par la force qui en résulte, pour que les citoyens ne s’opposent pas eux-mêmes au bien qu’on veut leur faire ?
Dans toute nation civilisée un peu nombreuse il n’y a point de liberté, point de jouissance des droits naturels sans lumières ; les ennemis des lumières sont donc les ennemis de la liberté des droits des hommes. Or, suivez, depuis la renaissance des lettres, l’histoire de la philosophie et de la littérature française, et voyez si c’est au gouvernement ou aux corps aristocratiques qu’on peut reprocher les obstacles sans nombre opposés aux progrès des lumières. Par qui l’auteur d’Émile et celui de l’Histoire philosophique ont-ils été décrétés ? Par qui les ouvrages sur la nécessité d’abolir les corvées, de détruire les droits féodaux, de réformer la jurisprudence, ont-ils été condamnés ? Est-ce le gouvernement qui s’est opposé à la publication d’un dictionnaire général des sciences, monument devenu nécessaire aux progrès de la raison ? À Constantinople même les ministres ont voulu établir l’imprimerie, et c’est le corps aristocratique des gens de loi qui y a mis des entraves. Or, l’opposition plus ou moins forte à la liberté de la presse est le vrai thermomètre d’après lequel on peut juger les intentions des hommes publics ou des corps politiques.
Vous conclurez peut-être de ces réflexions que j’approuve tout ce qu’a fait le gouvernement. Je vous répondrai que jusqu’ici je n’ai cru infaillible aucun prince, ni aucun conseil, ni même aucune assemblée nationale ; mais qu’il faut bien distinguer ce qui est une violation nouvelle d’un droit naturel, de ce qui est ou la continuation d’une violation consacrée par le temps, ou simplement une mauvaise mesure ; que dans le premier cas, de quelque autorité qu’émane la loi, tout citoyen a le droit de réclamer, y est obligé par devoir ; que dans le second, des représentations motivées sont la seule arme qu’il doive employer, soit isolé, soit réuni. La puissance publique ne peut jamais légitimement violer les mêmes droits pour le maintien desquels elle est instituée ; mais, excepté cette violation évidente, pour toutes les choses où il faut agir d’après une volonté générale, celui ou ceux qui dans le fait en sont regardés comme les interprètes doivent être obéis, et ils ne peuvent en perdre le droit qu’autant qu’ils empêcheraient de rendre publiques les raisons par lesquelles on peut combattre leur opinion et les détromper. Embrasser une opinion contraire ; exiger, pour réformer un abus, que les vices de la constitution aient été réformés, ce serait dans tous les pays de la terre, sans exception, éterniser l’anarchie, les divisions intérieures et la durée de tous les abus. J’ai entendu soutenir que les chefs de vos troupes auraient dû résister aux ordres qui leur prescrivaient de maintenir la tranquillité publique, d’opposer la force à la violence populaire, sous prétexte que ces ordres avaient pour but l’exécution d’une législation vicieuse. On ne prenait point garde que ce principe, qui, en dernier ressort, rendrait les soldats juges de la législation, établirait le despotisme le plus cruel de tous, le despotisme d’une armée ; qu’enfin, c’était attaquer le principe de la subordination et de la discipline militaire, l’une des principales causes de cette tranquillité, de cette modération dans l’exercice du pouvoir, qui distingue les monarchies européennes des empires asiatiques.
Je pourrais donc, sans me contredire, ne pas approuver une partie des nouveaux édits ; et si les réflexions d’un étranger sur des questions particulières peuvent avoir quelque intérêt pour vous, j’en ferai l’objet d’une seconde lettre.
Vous voulez donc savoir mon opinion sur les lois enregistrées au lit de justice du 8 mai. Ce sera du moins celle d’un homme libre, qui chérit et respecte les droits de l’humanité, mais qui se croit permis de peser au poids de la raison tout ce qui n’est que privilège, prérogative, usage consacré par le temps.
En France, toute justice émane du roi ; elle est rendue en son nom par ses officiers ; c’est un fait dont il résulte nécessairement, que ces officiers ne peuvent avoir aucun droit à opposer au prince, si on excepte ceux que tout mandataire peut exercer envers celui dont il a reçu son pouvoir. Il ne faut pas en conclure cependant que le prince puisse établir arbitrairement telle forme qu’il voudrait.
En quelques mains que réside le pouvoir qu’il exerce, une nation en corps se le fût-elle réservé, un tel pouvoir ne peut exister que sous la condition d’en user pour la conservation des droits des hommes. Si donc il s’agit de la forme des jugements, toute loi de laquelle résulterait clairement une juste défiance des lumières des juges ou de leur impartialité, une juste crainte d’erreur ou de passion dans les jugements, est une loi contraire au droit naturel, loi que dès lors aucune autorité sur la terre ne peut légitimement établir. Ainsi, par exemple, dans aucun pays, la puissance législative ne peut établir avec justice, ni qu’un citoyen puisse être jugé par mie commission particulière, ni qu’un juge puisse être individuellement révoqué, ni qu’un seul homme puisse prononcer des jugements en dernier ressort ; elle ne peut ni priver du droit de récusation, ni assujettir les justiciables à des tribunaux dont la distance de leur demeure leur rende illusoire la protection qu’ils doivent al tendre de la justice, ni permettre qu’un tribunal reste juge de ses propres offenses ; usage établi en France, et dont vous devez espérer la juste proscription.
Que le roi ait fait souvent des changements plus ou moins importants dans ses cours de justice, qu’il les ait faits sans l’avis de la nation, c’est ce dont votre histoire ne permet pas de douter. On a prétendu que ces changements n’étaient légaux que lorsqu’ils étaient librement acceptés par les cours ; mais c’est prétendre qu’on ne peut réformer les abus que du consentement de ceux qui peuvent être intéressés à les conserver, ou, en termes équivalents, qu’il faut chercher, dans l’établissement de la justice, non ce qui convient aux justiciables, mais ce qui est avantageux aux juges. Le roi a donc pu légitimement changer la forme des tribunaux.
Si j’examine maintenant la nouvelle constitution donnée à ces tribunaux, j’y observerai deux espèces de défauts : les uns qui sont communs à l’ordre anciennement établi et au nouveau, les autres qui sont particuliers à celui-ci.
Je place au nombre des premiers l’usage de faire juger les mêmes causes par deux tribunaux ; usage qui, puisque le dernier jugement est seul exécuté, ne donne aucune probabilité de plus en faveur de la vérité, et la diminue même pour ceux qui ont pu apprendre que dans telle affaire les deux jugements étaient contradictoires entre eux. Telle est encore la vénalité des offices, et la nomination des juges, faite par le gouvernement, tandis qu’ils devraient être élus par les justiciables, ce que la création si utile de vos deux ordres d’assemblées rendrait si facile. On peut citer encore la réunion si dangereuse de la justice civile et de la justice criminelle dans un même tribunal. L’idée de faire respecter les lois, en rendant les juges redoutables et puissants, comme celle de rendre plus imposante la résistance des corps chargés de vérifier les lois, en leur confiant le pouvoir de les exécuter, se trouvent également répétées dans presque toutes les déclamations de vos prétendus apôtres de la liberté ; et je connais peu d’institutions plus dangereuses pour la liberté comme pour la sûreté des citoyens.
Quant aux défauts particuliers au nouvel ordre, j’en remarque deux principaux : le premier, d’avoir établi des juges à part pour les affaires où il s’agit de sommes plus fortes ; et, ce qui est plus mauvais encore, d’avoir établi dans la justice criminelle des juges différents pour ce que vous appelez le tiers état, et pour vos deux premiers ordres.
Je ne trouve ni juste, ni bien politique, de donner aux gens riches des juges pour eux seuls, de retenir dans un état subalterne les juges même souverains du reste de la nation, et de créer ainsi des tribunaux qui auraient beaucoup d’importance et peu d’affaires, et où, par conséquent, les places flatteraient l’orgueil sans effrayer la paresse.
La plus grande difficulté pour la composition des tribunaux civils, dans les pays corrompus par l’extrême inégalité des richesses, est sans doute de trouver le moyen d’avoir des juges éclairés et honnêtes pour les causes du pauvre, pour celles dont le gain ne dédommagerait pas d’une faible dépense faite pour les défendre.
Mais je crois qu’on doit chercher d’autres ressources qu’une distinction de tribunaux souverains, formée d’après l’importance des affaires. Celle-ci ne devrait être employée que dans le cas où l’on pourrait craindre qu’une véritable réforme de la jurisprudence civile ne trouvât trop d’obstacles. Au reste, c’est moins par vos juges que par vos procureurs, vos avocats, etc., que les plaideurs sont ruinés. Je sais bien que dans les querelles avec le gouvernement, ces suppôts de la justice sont d’excellents soldais, et que les magistrats les payent ensuite à vos dépens, du zèle qu’ils ont témoigné pour la cause commune ; mais le gouvernement ne leur doit pas la même reconnaissance, et n’est pas obligé de leur laisser ce noble dédommagement de leurs pertes.
Je ne puis approuver encore moins que les gentilshommes et les ecclésiastiques aient des juges particuliers pour leurs affaires criminelles. Tout ce qui tend à consacrer, à augmenter les distinctions entre les hommes, est mauvais en lui-même. On a été obligé autrefois dans votre Europe de donner au peuple des juges tirés de son sein pour le soustraire à la tyrannie des nobles ; mais ce n’était qu’un palliatif, pour un mal dont il est plutôt question aujourd’hui de détruire les restes.
D’ailleurs, comme les nobles et les ecclésiastiques auraient ces juges séparés pour leurs causes personnelles, ainsi que pour leurs grandes affaires de propriétés, il en résulterait, entre ces tribunaux et vos deux ordres, une sorte de liaison très-propre à augmenter la force de l’aristocratie.
C’est un second vice particulier de la nouvelle forme, qu’un même tribunal divisé en deux chambres, qui, alternant entre elles, sont à la fois juges en première et en dernière instance. Les inconvénients de cette institution sont si frappants, qu’on ne peut même croire que les auteurs de la loi aient eu une autre intention que celle de faciliter la première formation des nouveaux tribunaux, en se réservant de corriger dans la suite une constitution si dangereuse.
Tels sont, suivant moi, les principaux vices du nouvel établissement ; vices qui sont d’ailleurs compensés en grande partie par l’avantage d’une justice plus prompte, plus prochaine, moins dispendieuse, et pour lesquels les lois humaines et justes qui ont accompagné ce changement, pourraient obtenir de l’indulgence ; défauts d’ailleurs bien moindres que ceux qui, communs aux deux formes de tribunaux, subsistent encore, et ont pour zélés apologistes les ennemis des nouvelles lois. Ce n’est donc ni le patriotisme, ni la raison qui ont pu enfanter cette ridicule note d’infamie attachée au crime d’occuper une place dans un grand bailliage ; c’est unique nient à l’esprit de corps dans les uns, à l’esprit aristocratique dans les autres, à la crainte dans le reste, qu’on doit attribuer l’espèce de fureur avec laquelle ce changement a été accueilli.
Sans cela, on eût discuté paisiblement les avantages et les inconvénients des grands bailliages, on eût demandé des améliorations, on les eût obtenues. Si des associations formées sur un tel principe avaient été repoussées avec hauteur par le gouvernement, c’est alors seulement qu’on eût été en droit de parler de despotisme. Rien n’est plus contraire à la liberté que l’exagération de la liberté même ; se réunir pour énoncer publiquement une opinion, un vœu commun, c’est un droit de l’homme libre ; se réunir pour assujettir l’opinion d’autrui, pour menacer, pour exercer des violences, c’est s’arroger un pouvoir tyrannique.
Mais, dit-on, c’est l’établissement d’une cour plénière qui a soulevé contre tout ce qui accompagnait ce projet. Je croyais qu’il fallait juger chaque loi en elle-même, et non d’après les autres lois données le même jour. Que diraient vos zélés d’un homme qui raisonnerait ainsi ? La loi qui, pour condamner à mort, exige une pluralité de trois voix au lieu d’une pluralité de deux voix, est une loi humaine et juste ; donc la cour plénière est un établissement salutaire.
Examinons cette cour en elle-même,
Il y a deux ans que je suis en France : j’ai beaucoup entendu parler du droit d’enregistrement.
Dans les premiers temps, j’étais un peu surpris de voir que personne ne s’entendait sur le seul point de droit public dont on parût s’occuper. L’enregistrement n’est qu’une formalité, disait l’un, les cours peuvent faire des représentations ; mais si le roi persiste, il doit être obéi ; sans cela, les parlements seraient véritablement nos souverains, et nous ne les voulons point pour maîtres. L’enregistrement libre est nécessaire, disait un autre ; sans cela, nous serions sous le joug du despotisme. Nos cours jouissent de ce droit : quand les états généraux ne sont pas assemblés, elles sont des états généraux au petit pied. Ceux de Blois l’ont ainsi déclaré. Je demandais ce qu’avaient fait, d’ailleurs, ces états de Blois, et j’apprenais qu’ils avaient forcé Henri III à signer avec eux la sainte ligue, et à faire serment d’exterminer plusieurs millions de ses sujets ; qu’en un mot, ces représentants de la nation, choisis par la seule faction des Guise, ne s’étaient montrés que comme leurs esclaves. Vous n’y êtes pas (disait un homme
le roi et les états ont encore besoin de notre enregistrement libre pour qu’une loi soit valide : nous sommes parties essentielles de la puissance législative. Il n’est pas encore bien décidé que les chambres des comptes et les cours des aides aient bien exactement le même droit ; mais il est prudent de laisser ce point en litige. Ce qui m’étonnait bien plus que ces disputes, c’était d’entendre donner le nom d’amis de la liberté, d’ennemis du despotisme, à ces partisans d’une aristocratie despotique, à ceux qui soutenaient l’une ou l’autre des deux dernières opinions.
Voilà donc trois systèmes bien distincts, et qu’il faut examiner séparément ; car, si ceux qui ont soutenu le dernier paraissent un peu fâchés aujourd’hui de l’avoir soutenu trop clairement, s’ils cherchent à le faire oublier, vous n’êtes sûrement pas assez dupe pour croire qu’ils y aient sérieusement renoncé.
Examinons d’abord le dernier système. Ici ta cour plénière est précisément la chambre des pairs d’Angleterre, moins indépendante, parce que ses membres, également nommés par le roi, ne le sont qu’à vie ; plus puissante, parce que la juridiction qui y est réunie serait plus étendue ; plus puissante encore parce qu’elle aurait, dans la vacance des états, une partie du pouvoir législatif. Une telle institution serait vicieuse ; mais, dans ce même système, l’ancienne constitution l’est davantage. Chaque ressort forme un État à part, sans que pour aucun objet, même pour les dépenses de la guerre, une puissance unique ait le droit d’établir des subsides. Il n’existe plus aucun moyen d’établir de l’uniformité dans les lois, objet si important, si peu connu du vulgaire de vos politiques, qui continuent toujours de croire qu’il existe entre les Bretons et les Poitevins une telle différence de mœurs et de climat, qu’ils doivent être gouvernés par des lois différentes.
Dans le second système, la cour plénière a moins d’avantages, puisqu’en conservant le droit d’enregistrement à des corps séparés, il y aurait encore de l’unité pour tout ce qui serait décidé par les états généraux. Les inconvénients de cette cour seraient aussi moins dangereux, puisqu’ils cesseraient d’exister dès que les états sciaient assemblés.
Dans l’un et dans l’autre système, c’est toujours un corps aristocratique unique, substitué à des corps aristocratiques séparés. On a dans la nouvelle forme plus d’unité, ce qui est un avantage ; mais plus de facilité pour séduire, ce qui est un mal ; dans l’ancienne, une aristocratie plus tyrannique, parce qu’elle est plus nombreuse, qu’elle a des fonctions judiciaires plus étendues, qu’elle est composée de membres moins distingués ; dans la nouvelle, une aristocratie plus oppressive, parce qu’elle serait plus unie, plus susceptible de former des projets ; l’ancienne protégerait les abus avec plus de violence, la nouvelle les défendrait avec plus d’opiniâtreté et d’adresse ; l’ancienne serait plus dangereuse pour les citoyens, la nouvelle pour les ministres ; l’ancienne ne pourrait résister longtemps au progrès des lumières, au vœu de la nation, malgré le respect que l’habitude et l’antiquité peuvent inspirer pour elle ; la nouvelle serait plus difficile à détruire, si le malheur de n’avoir point en sa faveur ce respect des sots pour les choses antiques ne lui ôtait toutes ses forces.
Mais c’est à ceux qui aiment l’aristocratie qu’il appartient de choisir. Vous sentez que toute cour plénière qui ne serait pas composée de membres uniquement élus par une assemblée nationale, ou par celles des provinces, doit être à mes yeux une institution dangereuse et contraire aux droits des citoyens.
Reste, enfin, le dernier système, et celui-ci est le seul où le nouvel ordre soit réellement inférieur à l’ancien. Si les cours n’ont qu’une voix consultative, alors, comme ce n’est sûrement point sur les principes généraux de la législation qu’un corps peut être consulté, mais sur les effets locaux et particuliers des lois, sur la clarté de leurs dispositions, sur leur conformité ou leurs contradictions avec les lois établies, sur les conséquences qui en résultent, et qui peuvent obliger à changer en même temps d’autres parties de la législation, c’est alors que le vœu de plusieurs cours séparées est préférable. L’unité est utile pour décider. Au contraire, des corps ou des hommes dispersés sont préférables, s’il s’agit de consulter. Un corps, en effet, ne donne que l’avis de la pluralité, qui n’est presque jamais qu’un avis moyen, formé de plusieurs avis différents que l’on concilie entre eux tant bien que mal. Ainsi, plus on multiplie les corps à consulter, plus on augmente les lumières.
Nous voilà donc conduits à conclure que la cour plénière ne peut être une bonne institution qu’aux yeux de ceux qui la combattent. Cette opinion paraît un paradoxe, mais il est facile de l’expliquer. Le gouvernement a senti qu’il avait à traiter avec les diverses prétentions sur la nature de l’enregistrement, et ne pouvant les détruire, il a cherché seulement la forme de cour où ces prétentions pourraient exciter le moins de troubles, et moins retarder l’expédition des affaires. D’un autre côté, les partisans de l’aristocratie n’ont pas examiné si cette forme était meilleure ou plus mauvaise, parce qu’on n’aime point l’aristocratie à cause de Futilité dont elle peut être ; on l’aime uniquement parce qu’on en est membre.
Mais aux partisans intéressés de l’ancienne aristocratie, et elle en a d’autant plus, qu’elle était plus anarchique ; aux parlements et à leurs subalternes, intéressés à empêcher toute réforme dans l’ordre judiciaire ; aux villes de parlements, intéressées à la conservation de l’étendue du ressort ; aux privilégiés, trop avertis que l’état des finances et la misère du peuple vont faire tomber sur eux une partie de la charge publique, et que l’établissement des assemblées provinciales en a donné les moyens ; aux nobles de quelques provinces, qui, sous prétexte de défendre leurs anciens privilèges, ne s’arment réellement que parce qu’ils sont menacés de perdre l’habitude ou l’espérance d’opprimer le peuple, et de le tenir dans l’avilissement, on est parvenu à réunir un grand nombre de citoyens vraiment patriotes, et même de citoyens éclairés, en leur présentant l’établissement de la cour plénière comme ayant pour objet de retarder les états généraux.
En effet, en accordant à la cour plénière le droit provisoire d’imposer et de donner la sanction aux emprunts, on lui conférait ce même pouvoir, auquel le parlement venait de renoncer, et on pouvait être soupçonné de chercher à diminuer la nécessité de convoquer les états généraux. L’idée de substituer des magistrats du conseil à ceux du parlement semblait encore favoriser ces soupçons. Il est vrai que le gouvernement avait annoncé qu’aucun nouvel impôt ne sérail établi avant la convocation des états. et qu’il n’y aurait aucun emprunt public au delà de ceux qui avaient été enregistrés à la séance royale ; mais on pouvait demander alors pourquoi on donnait à la nouvelle cour un pouvoir inutile pour le moment ; pouvoir qu’elle aurait reçu d’une manière légale des états généraux eux-mêmes, s’ils en avaient approuvé la composition. N’était-ce pas s’opposer au vœu de la nation, qui paraît désirer que pendant l’intervalle des états généraux, le droit provisoire d’enregistrer, borné à une certaine classe d’objets, soit réuni à un corps de représentants élu par l’assemblée nationale, ou, ce qui serait encore préférable, par les provinces elles-mêmes ? N’était-ce pas créer un corps aristocratique en même temps qu’on en avouait tous les inconvénients ?
Je ne suis donc pas surpris que l’établissement de cette cour ait affligé, ait consterné ceux des amis de la nation qui ne pouvaient avoir dans les ministres une confiance fondée sur la connaissance personnelle de leur caractère ; mais je le suis de les voir se réunir à la cause des parlements, et signer cette foule de protestations et de mémoires qui, pour le ton comme pour les principes, semblent tous être sortis d’un greffe. Comment n’ont-ils pas vu que les parlements n’avaient, après un siècle et demi, découvert leur incompétence qu’au moment même où la substitution d’une subvention territoriale aux vingtièmes, les avertissait qu’ils ne pourraient plus échapper a l’impôt, où, par l’établissement de la seule forme d’imposition qui soit juste en elle-même, on augmentait d’une somme considérable le revenu de l’État en soulageant le peuple, puisque la somme demandée était au-dessous des vingtièmes réels, que les citoyens sans crédit ou sans charge payaient auparavant à la rigueur ; que dans le moment, enfin, où, pour la première fois, on établissait en France un impôt, à la vérité vicieux dans sa forme, nuisible dans ses effets, comme tous les impôts indirects, mais ayant l’avantage de peser sur les riches, et d’être presque nid pour le pauvre ? N’avaient-ils pas vu le refus d’enregistrer la subvention territoriale suivi d’un enregistrement de vingtièmes et d’une opposition à toute vérification, comme si l’inégalité de répartition en faveur des riches était en France un principe de droit public ?
J’aurais donc applaudi aux citoyens qui auraient demandé la convocation d’une assemblée nationale, en proposant les moyens de l’accélérer, sans s’exposer à la rendre dangereuse ou inutile ; d’en perfectionner la forme antique, en la rendant plus véritablement légale et plus populaire ; qui, en sollicitant dans la cour plénière des changements exigés par l’intérêt public, par la tranquillité de la nation, auraient rendu justice aux lois dont la création de cette cour a été accompagnée, à l’abolition de la torture, à celle de la sellette, à ces sursis d’un mois si nécessaires, et dont l’orgueil parlementaire avait été si blessé ; qui auraient demandé que l’assemblée nationale fût consultée sur la réforme des lois, de la procédure, des tribunaux. J’applaudirais à ceux qui indiqueraient au gouvernement tout l’avantage que, pour le rétablissement du calme, il peut tirer de ces assemblées provinciales, qu’il est si facile de rendre nationales par une élection de leurs membres, et de ces assemblées de département qui lient d’une manière si heureuse les citoyens avec leurs représentants. J’applaudirais à ceux qui lui montreraient ces assemblées ainsi élues par les citoyens, comme des corps dont le vœu, facile à réunir, quoique pris séparément dans chaque province, pourrait donner à une nouvelle forme d’états généraux une sanction vraiment légale, et la sanction non moins nécessaire de l’opinion publique. Mais je ne puis applaudir à une demande vague d’états généraux, sans paraître s’embarrasser ni de leur forme, ni de la bonté des résultats ; à la demande du rétablissement des tribunaux, sans insister sur la nécessité de les réformer, sur les périls dont leur constitution actuelle menace la liberté et la sûreté des citoyens ; à des réclamations contre la cour plénière, où l’on ne parle point du danger de réunir le droit d’enregistrer aux fonctions judiciaires ; à des protestations de provinces, où l’on établit des prérogatives plutôt que des franchises ; où l’on se sépare de la nation française au lieu de s’y réunir ; dans lesquelles l’on s’appuie moins sur le droit naturel, sur les intérêts des citoyens, que sur des chartres antiques qui, pour la plupart, renferment moins une reconnaissance des véritables droits de l’homme qu’une promesse de conserver des abus.
Il est facile sans doute de crier à la liberté ; mais c’est par la conduite et par les principes de ceux qui forment ces cris, qu’on peut juger si c’est la liberté qu’ils demandent ou l’anarchie et l’augmentation de leur pouvoir ; et je ne croirai jamais à l’amour de la liberté qui réclame des privilèges, et qui, au lieu de prendre des précautions contre l’influence de la populace, ce fléau des États policés, semble plutôt l’appeler à son secours, et en faire l’instrument de ses desseins.
J’achevais cette lettre lorsque l’arrêt du conseil sur la convocation des états généraux a paru. La nation est consultée sur la forme de cette assemblée d’une manière aussi régulière que sa constitution actuelle peut le permettre ; car la méthode adoptée en Amérique, celle des conventions extraordinaires convoquées pour un seul objet, cette institution si utile dont nous avons donné l’exemple, ne pourrait être employée dans un pays où les prétentions des ordres différents, comme celles de plusieurs provinces, ne permettent pas d’espérer qu’une telle assemblée formée d’après les principes d’égalité, qui en sont la base nécessaire, obtînt une approbation générale. D’ailleurs, ces conventions supposent une certaine confiance dans les principes de la raison naturelle, la connaissance et l’amour des droits généraux et essentiels de l’humanité ; enfin, cette manière calme de traiter les affaires publiques, qui n’exclut pas le véritable zèle, mais au contraire le prouve beaucoup mieux que de violentes et injurieuses déclamations.
Je vous parlerai donc dans une dernière lettre, fie ces étals généraux pour la convocation desquels les clameurs, les dénonciations, les menaces, les petites insurrections populaires n’ont pu heureusement empêcher votre gouvernement de tenir sa promesse, et je vous parlerai aussi des prétentions de quelques-unes de vos provinces. Sur ce dernier objet, l’opinion d’un citoyen d’une république fédérative ne vous sera sûrement pas suspecte.