Lettres de Fadette/Première série/40

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XXXIX

Ce qu’elles sont


C’est à un correspondant que je réponds aujourd’hui : sa question est un peu embarrassante : je voudrais m’en tirer sans froisser mes sœurs, mais je me dois à moi-même d’être absolument sincère afin de justifier la confiance que l’on me témoigne. Or, on n’a pas encore trouvé le moyen de l’être sans blesser ceux qui ont tort… et chacun notre tour nous avons tort, hélas !

Voici : « Madame Fadette, à vous lire, on a l’impression que les femmes sont des êtres de bonté, de grâce, de tendresse, des anges égarés sur la terre enfin ! Seulement, quand je rentre chez moi le soir, ahuri et fatigué, et que je suis accueilli par une femme revêche, criarde, disputeuse, je me demande si tous les autres ont des anges à leurs foyers, et si c’est ma malchance d’avoir une… exception ? Vous amusez-vous à brûler de l’encens sous le nez de vos sœurs, madame Fadette, ou bien sont-elles en général bonnes, tendres et dévouées ? »

Permettez-moi de vous dire, d’abord, monsieur, que vous généralisez trop. Toutes les femmes ne sont pas des anges, et c’est heureux, car très peu d’hommes méritent de vivre avec des anges, mais il y en a : j’en connais. Il y a aussi des femmes détestables, et vous avez toute ma sympathie si la vôtre en est une. Seulement, je me défie. Si vous êtes seul à lui trouver tant de défauts, elle ne les a pas. Demandez-vous aussi, si elle a toujours été détestable ou si elle l’est devenue ? Auquel cas vous y seriez pour quelque chose ?

C’est facile de reprocher aux femmes d’être disputeuses, mais comme pour se disputer il faut être deux, le reproche pourrait se retourner, y avez-vous pensé, amateur d’anges ? À votre question maintenant.

Mon opinion sincère, c’est que la bonté chez les femmes s’exerce instinctivement pour les êtres qu’elles aiment ; leur dévouement poussé par l’affection est inlassable ; quand elles deviennent peu endurantes, irritables, agressives, si elles ne sont pas malades, c’est qu’elles ont cessé d’aimer, et qu’elles n’ont pas la vertu de faire « comme si ».

Il ne faut pas oublier que la femme est très impressionnable et très sensible ; son cœur contient toutes les nuances de sentiment, et elle porte à l’extrême celui qui la domine à un moment donné. La meilleure et la plus tendre peut devenir dure et méchante momentanément, par vanité froissée, par jalousie, ou par amour blessé.

Je n’hésite pas, d’ailleurs, à admettre que les femmes ont une disposition marquée pour la contradiction. Elles le font par un besoin d’affirmer leur indépendance arbitrairement lésée, elles le font souvent par nécessité, car, à trop céder, elles sont exposées à être tyrannisées. Leurs impressions sont très vives, elles ont une grande facilité de s’exprimer, et, reconnaissons-le, de fréquentes occasions d’avoir raison en ne pensant pas exactement comme leurs seigneurs et maîtres qui parlent mieux de la sagesse qu’ils ne la pratiquent.

Elles ont tort, et elles manquent de finesse si elles ne peuvent discuter sans se quereller, mais je nie qu’elles soient nécessairement détestables quand elles ont des idées personnelles qu’elles aiment à faire valoir.

Je sais que l’habitude de contredire devient facilement un défaut qui entraîne avec lui de nombreuses erreurs de jugement, car les femmes s’intéressent plus aux personnes qu’aux idées, ce qui les expose à être étroites et très personnelles. Ce défaut est la suite et le résultat de l’éducation qu’elles reçoivent. Une plus large culture, en ouvrant devant leurs esprits des horizons plus vastes, leur apprendrait aussi à penser, à raisonner, à juger en dehors et au-dessus de leurs sympathies, de leurs préjugés et de leurs antipathies.