Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Appendices/O

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Imprimerie nationale (p. 724-728).

Appendice O.



LYON EN 1790 ET 1791.

§ 1er.

Sur le rôle de Roland à Lyon durant les premières années de la Révolution, le livre de M. Maurice Wahl, fait avec les registres municipaux, donne tous les renseignements nécessaires.

Contentons-nous donc de noter, pour aider à suivre la Correspondance, que Roland fit partie du conseil général de la commune de Lyon dès sa formation, en février-mars 1790, mais d’abord seulement en qualité de notable. Une brochure, Municipalité de Lyon, aperçu des travaux à entreprendre et des moyens de les suivre (32 p. in-8o), l’avait mis en vue et avait beaucoup servi à le faire élire. Il y traçait son plan d’organisation municipale, qui fut suivi dans ses grandes lignes.

Une fois élu, il devint comme le chef de la fraction la plus démocratique du conseil. En avril 1790, il demanda la publicité des séances (Wahl. p. 160-161). Déjà il avait proposé la réduction des octrois au moyen d’une taxe progressive sur les loyers. Aussi, lorsqu’éclata à ce sujet l’émeute des 25-26 juillet, où le peuple démolit les barrières, fût-il accusé d’être un des chefs de la révolte, bien que depuis trois semaines il eût quitté Lyon pour conduire au Clos Bancal des Issarts (lettres 362-370). Il ne revint à Lyon qu’en septembre, avec Bancal et Lanthenas, et travailla avec ce dernier à organiser les sociétés populaires, les clubs de quartier, aboutissant à un Club central, pour faire concurrence à l’ancienne Société des Amis de la Constitution (appelée aussi Société du Concert), où dominait la fraction bourgeoise du parti patriote. Il activait ainsi la Révolution, tout en croyant encore possible de la maintenir dans les voies légales (Voir son Discours prononcé, le 2 janvier 1791, à la Société centrale, 15 p. in-8o).

En novembre 1790, il devint officier municipal, mais, le mois suivant, se vit préférer son ami Bret pour la place de procureur de la commune. Nommé président de la commission des finances, il travailla activement à débrouiller la situation terriblement embarrassée que l’ancien régime avait léguée au nouveau et que les événements n’avaient pu qu’aggraver. C’est à ce titre que la municipalité décida, le 10 février 1791, de l’envoyer à Paris avec Bret, pour demander à l’Assemblée de nationaliser la dette lyonnaise. Il semble que ses amis eux-mêmes ne fussent pas fâchés d’éloigner un collègue trop impérieux.

Quand il revint de sa mission, en septembre, les élections pour la Législative étaient faites, et il n’avait pas été élu. On crut lui donner une fiche de consolation en le nommant membre du directoire du district, mais il ne jugea pas cette compensation en le nommant membre du directoire du district, mais il ne jugea pas cette compensation suffisante, et il la refusa, préférant se laisser renommer officier municipal (décembre 1791). Ce n’était d’ailleurs que pour se parer du titre, car à ce moment même il repartait pour Paris, où il arriva le 15 décembre. Il ne devait pas revenir à Lyon.


§ 2.

On voit aisément, en parcourant la Correspondance, que les amis de Roland à Lyon, entre 1789 et 1791, ne furent pas précisément tous les mêmes que ceux qu’il s’y était faits en 1785. Là, comme à Villefranche, la Révolution avait brisé ou relâché d’anciens liens et en avait créé de nouveaux. Les amis ou compagnons de luttes, durant ces trois années, furent principalement Blot, Bret, Champagneux, Frossard, Le Camus et Vitet.

Louis Vitet, maire de Lyon, d décembre 1790 à 1792, puis député à la Convention, appartient à l’histoire générale.

Bret, procureur de la commune en décembre 1790, compagnon de Roland dans les premiers temps de sa mission de 1791 à Paris, démissionnaire de son poste à la commune en janvier 1792, fut condamné à mort, après le siège de Lyon, par le tribunal révolutionnaire et exécuté le 13 décembre 1793.

Le Camus (1766-), receveur des gabelles de Lyon avant 1789, savant naturaliste et collectionneur (Voir lettres 251 et 286), organisateur de cours publics et de sociétés savantes, était en même temps un grand travailleur administratif, et Roland, en août 1792, l’appela à Paris pour lui confier la 2e division du ministère de l’Intérieur.

Nous avons consacré à Champagneux le précédent Appendice.

Blot semble avoir été une figure intéressante. Malheureusement, nous savons trop peu de choses sur lui. Ami d’enfance de Brissot[1], fixé ensuite à Lyon, où Brissot vint le voir en août 1782, contrôleur général de la marque d’or et d’argent[2], plus tard secrétaire général de la Société philanthropique fondée par le duc d’Orléans, il était entré avec Roland, comme notable, au conseil général de la commune en février-mars 1790, et il avait été envoyé à Paris par la municipalité, au mois de juin suivant, pour y défendre les intérêts financiers de la ville auprès de l’Assemblée. Il y était encore le mois suivant, au moment de l’émeute lyonnaise où Roland le trouva un instant compromis, et on peut voir (lettres 363 et suivantes) combien Madame Roland redoutait son influence auprès de Brissot. Il ne revint que vers le mois de janvier 1791. La liste des Jacobins au 21 décembre 1790 qu’a publiée M. Aulard (I, xxxviii) donne : « Blot, rue Favart, 3 ». Ce ne peut être que le député de Lyon, qui, durant sa mission, se sera logé tout près de son ami Brissot, lequel demeurait rue Grétry.

En septembre 1791, il fut élu procureur-syndic du district. Nous le perdons ensuite de vue.

Quant au ministre protestant Benjamin-Sigismond Frossard, c’est un personnage assez mêlé à l’histoire des Rolands, et nous avons assez de renseignements sur sa vie, pleine de curieuses vicissitudes, pour que nous nous arrêtions sur lui plus longtemps.

Suisse d’origine, né à Nyon le 23 août 1754, il avait étudié à Genève. Dès 1777, il était venu s’établir comme pasteur à Lyon ou plutôt aux Charpennes, dans la banlieue, le culte calviniste n’étant pas autorise intra-muros. Il résidait d’ailleurs à Lyon même, au quai Saint-Clair, et était déjà lié avec Blot, qui lui amena Brissot en 1782 (Mém. de Brissot, II, 114).

En 1784, il se rendit en Angleterre, et se mit en relation avec les Amis des noirs, qui commençaient leur admirable campagne pour l’abolition de la traite.

Au retour, il épousa, à Paris, à l’ambassade de Hollande, le 11 juin 1785, Mlle  Marie-Anne-Amélie (ou Émmelie) Drouin, de Sedan.

Ses connaissances, l’ouverture de son esprit, ses relations avec l’étranger le firent nommer, bien que protestant, secrétaire de la Société d agriculture de Lyon pour la correspondance étrangère. À la fin d’août 1785 (Voir lettre 203), nous le voyons déjà lié avec les Roland, et venant assister à la grande séance annuelle de l’Académie de Villefranche.

Il traduisit alors (Voir lettre 262) les Sermons de Hugh Blair, Lyon, 2 vol. in-8o, 1784 et 1786[3].

Il y eut, l’année suivante, entre Roland et lui, divers froissements (lettres 277 et 286). Mais cela ne dura pas, car, en 1789, les Roland avaient mis leur fille en pension chez lui (lettre 330). Lorsque Arthur Young, dans ses voyages à travers la France, passa à Lyon en décembre 1789, il alla naturellement chez Frossard, qui, docteur honoraire de la Faculté d’Oxford, membre des Sociétés d’agriculture de Bath et de Manchester[4], était presque un compatriote pour lui, et Frossard le mena chez Roland, puis les fit dîner ensemble (Voir une note de la lettre 400).

Il y avait entre Roland et Frossard bien des points de contact : tout d’abord, cette pointe de pédantisme que Madame Roland relevait chez le pasteur, (et dont son mari n’était certes pas exempt) : mais il y avait surtout la passion des causes généreuses : Frossard venait de publier La cause des esclaves nègres et des habitants de la Guinée portée au tribunal de la justice, de la religion et de la politique (Paris, 1788, 2 vol. in-8o’)[5]. Aussi entra-t-il avec Roland dans le conseil général de la commune de Lyon dès sa formation, au début de 1790. Quelques mois après, en juin, il était nommé, avec son ami Blot, membre de l’administration du district. Il fut un des membres du comité permanent institué à Lyon après la fuite de Varennes. En septembre 1791, il entrait au conseil général du département. Lorsque Roland, ministre de l’intérieur, eût dissous en août 1792 le directoire de département et qu’il fallut le reconstituer. Frossard accepta d’y remplir provisoirement les fonctions de procureur-général-syndic. Le livre de M. Wahl nous montre quelle activité habile et incessante il mit au service du département et de la commune dans ces différentes fonctions.

Son zèle ne s’exerçait pas seulement à Lyon. Mis en rapport (sans doute par les Roland) avec Bancal des Issarts, il se rendait à Clermont-Ferrand, le 15 avril 1792, pour y inaugurer le culte protestant dans l’église des Carmes[6], et se faisait en même temps recevoir membre non-résident de la Société des Amis de la Constitution de cette ville (Patriote français du 24 avril 1792).

Il semble toutefois s’être plus particulièrement occupé en 1792, de la réorganisation de l’enseignement public à Lyon. Le 13 septembre 1792, il avait présenté à l’Assemblée législative une pétition la pressant « d’organiser, avant de se séparer, l’instruction nationale et de fixer définitivement les secours publics ». (J. Guillaume, Procès-verbaux du comité d’Instruction publique de l’Assemblée Législative, p. 376.) Un mois après, le 13 octobre, il faisait créer, par les trois corps administratifs de Lyon réunis (département, district, commune), à la place des deux collèges existants, un Institut, qui n’était autre qu’une École centrale trois ans avant la loi qui en créa une dans chaque département[7]. Il se chargea d’y professer le droit usuel et français (J. Guillaume, Convention, t. I, p. 220-224). Les cours s’ouvrirent le 12 novembre, et, le 1er décembre, Frossard, au nom des trois corps administratifs, remettait au Comite d’instruction publique de la Convention une note exposant cette organisation nouvelle, note qu’on trouvera imprimée au t. I, p. 220 à 222, du recueil de M. J. Guillaume. Gilbert Romme, dans son grand rapport sur l’instruction publique, lu à la séance de la Convention du 20 décembre, parla avec éloges de cette création.

À cette même date du 30 décembre, Frossard était désigné par le Conseil exécutif provisoire pour être des vingt commissaires nationaux envoyés en Belgique avec mission d’organiser les pays délivrés par nos armes (Aulard, Salut public, I, 345). On peut douter cependant qu’il soit parti pour cette mission, car son nom ne figure pas sur la liste des commissaires visée le 13 janvier 1793 par le Conseil exécutif (Ibid., 456-457).

Il venait d’ailleurs, dans ces premiers jours de janvier 1793, de quitter Paris pour Clermont. Le frère aîné de Bancal, négociant à Clermont, écrivait au conventionnel, le 12 janvier : « J’ai vu le citoyen Frossard, qui a mangé votre soupe avant son départ de Paris… » (Fr. Mège, Bancal des Issarts, p. 103). Quelques jours après, le club des Jacobins de Clermont voulant blâmer Bancal de n’avoir pas voté la mort du Roi, Frossard y prit la défense de son ami.

Mais le mois suivant, il était rentré à Lyon, et y lisait, le 25 février, un Rapport[8] sur la formation de 24 écoles primaires dans la ville de Lyon (J. Guillaume, Convention, I, 333-334). Nous trouvons encore, dans ce même précieux recueil (p. 223), un appel adressé aux pères de famille de Lyon, le 21 mars 1793, par les administrateurs des collèges de Lyon (c’est-à-dire de l’Institut lyonnais), avec un tableau de l’enseignement, où Frossard figure pour deux cours par semaine.

Nous ne savons pas si Frossard resta à Lyon pendant le siège de 1793. Une lettre de son petit-fils, actuellement pasteur à Bagnères-de-Bigorre, nous dit seulement : « Les souvenirs de famille relatent que mes grands parents eurent beaucoup à souffrir à la fin de leur séjour à Lyon »[9]. Il semble qu’il fût encore à Lyon à la fin de 1793, car la France protestante signale de lui une brochure : De l’influence de la liberté sur les Mœurs, 24 p., datée de Lyon, 30 frimaire an ii, 20 décembre 1793. Le moment était singulièrement choisi, au milieu des exécutions qui désolaient la malheureuse ville.

On perd un peu sa trace pendant la Terreur et les années qui suivirent. Une brochure publiée par son petit-fils[10] dit qu’il fut professeur de morale à l’École centrale de Clermont-Ferrand, c’est-à-dire nécessairement après 1795, puis « négociant à Paris[11] », et elle ajoute : « la tourmente révolutionnaire avait brisé sa carrière, sans ébranler sa foi ». M. J. Guillaume (Convention, I, 320) dit : « Pendant la crise révolutionnaire, il renonça à ses fonctions ecclésiastiques, qu’il reprit plus tard ».

On le retrouve en 1802 membre du consistoire de Paris et secrétaire de la commission de notables protestants qui rédigea avec Portalis les articles organiques de germinal an x pour le culte réformé.

Il songeait à ouvrir une maison d’éducation à Paris (brochure citée plus haut), lorsque à la fin de 1808, le consistoire de Montauban l’appela comme pasteur, puis le choisit pour président. Il n’arriva qu’en avril 1809, ayant auparavant négocié à Paris la création de la Faculté de théologie protestante que réclamaient les églises calvinistes du midi de la France. Le 8 décembre 1809, cette Faculté était définitivement instituée, avec Frossard comme professeur de morale évangélique et doyen.

La réaction de 1815 enleva à Frossard ses fonctions de doyen et de pasteur, ne lui laissant que sa chaire de professeur[12].

Il mourut à Montauban le 3 Janvier 1830.

  1. Mémoires de Brissot, t. I, p. 53, 73, 83 ; tome II, 78 et suiv., 82, 83, 95, 114, 115, 117, 221, 421.
  2. Almanach de Lyon de 1784, p. 145. Il y a Belot, mais c’est Blot qu’il faut lire. Il y a Blot à l’Almanach de 1789.
  3. Traduction reprise et augmentée plus tard, 5 vol. in-8o, 1807-1825.
  4. Il était en outre membre de l’Académie des Sciences de Montpellier, de l’Académie de Villefranche, de la Société d’émulation de Bourg-en-Bresse. En Angleterre et en France, on le voit, Roland et lui s’étaient réciproquement servi de parrains.
  5. C’était le moment où Brissot fondait à Paris la Société des Amis des noirs.
  6. Son discours fut publié, Riom, 1792, 40 p. in-8o.
  7. Deux autres Instituts semblables s’ouvraient en même temps à Strasbourg et à Nantes (J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d’instr. publ. de la Convention, I, 224).

    Frossard n’avait pas d’ailleurs abandonné ses fonctions d’administrateur du département. Procès-verbal des opérations des citoyens Frossard, Chapuy et Allard, commissaires des trois corps administratifs de Lyon, pour approvisionner cette cité de grains (27 octobre 1792), 33 p. in-8o. — Pétition faite à la barre de la Convention nationale, comme député des mếmes corps, pour garantir Lyon des horreurs de la famine (novembre 1792).

  8. Lyon, 36 p. in-8o, imprimerie de A. Vatar Delaroche.
  9. Cette lettre nous signale encore, à l’actif de Frossard en 1793, un opuscule, Observations sur l’abolition de la traite des nègres, présentées à la Convention nationale, 1793, Paris, Gueffier, 32 p., in-8o.
  10. Les origines de la Faculté de Théologie protestante de Montauban, par Ch. L. Frossard, pasteur, Paris, 1882.
  11. D’après la France protestante de Haag (t. V, p. 178), il aurait été négociant d’abord, c’est-à-dire avant 1795, puis professeur à l’École centrale de Clermont-Ferrand. C’est plus vraisemblable.
  12. Nous négligeons nécessairement ici les travaux publiés par Frossard dans cette dernière période, qui est étrangère à notre sujet.