Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/Livre premier

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par [[Jules Pierrot|Jules Pierrot]].
éditeur Panckoucke (p. 3-81).

LETTRES

DE PLINE LE JEUNE.

LIVRE PREMIER.


I - Pline à son cher Septicius[1] salut.[modifier]

VOUS m’avez souvent pressé de rassembler et de donner au public les lettres que je pouvais avoir écrites avec quelque soin. Je les ai recueillies, sans m’arrêter aux dates ; car je ne prétends pas composer une histoire : je les ai placées dans l’ordre même où elles se sont trouvées sous ma main. Je souhaite que nous ne nous repentions, ni vous de votre conseil, ni moi de ma condescendance : j’en serais alors plus attentif à rechercher les lettres qui m’ont échappé, et à conserver désormais celles que je puis avoir occasion d’écrire. Adieu.


II - Pline à Arrien[2].[modifier]

COMME je prévois que vous ne reviendrez pas de longtemps, je vous envoie l’ouvrage que mes dernières lettres vous avaient annoncé. Lisez-le, je vous en supplie ; et surtout, selon votre coutume, n’épargnez pas les corrections. Je le désire d’autant plus, que je crois n’avoir jamais fait tant d’efforts, pour lutter avec les grands modèles[3]. J’ai essayé d’imiter Démosthènes, dont vous avez toujours fait vos délices, et Calvus[4], dont je fais depuis peu les miennes. Quand je dis imiter, je parle seulement de la tournure du style ; car, pour atteindre au génie de ces grands hommes, il faut

.....................Le privilège heureux
Réservé sur la terre aux favoris des dieux[5].

Mon sujet, soit dit sans amour-propre, secondait mon ambition ; il exigeait une véhémence de diction presque continuelle : il n’en fallait pas moins pour réveiller ma longue paresse, si tant est qu’elle puisse être réveillée. Cependant je n’ai pas entièrement dédaigné les fleurs de style de notre Cicéron[6], toutes les fois que j’ai pu en cueillir sans trop m’écarter de mon chemin. Je cherchais la force, mais sans renoncer à la grâce.

Ne croyez pas que, sous ce prétexte, je prétende désarmer votre critique : au contraire, pour la rendre encore plus sévère, sachez que mes amis et moi nous ne sommes pas éloignés de l’idée de publier cet ouvrage, et que nous en ferons la folie, pour peu que vous nous encouragiez. Il faut bien que je publie quelque chose ; et pourquoi ne pas donner la préférence à ce qui est tout prêt ? vous reconnaissez là votre paresseux. Quant aux motifs qui me déterminent à faire paraître un ouvrage[7], j’en ai plusieurs : le principal, c’est qu’on m’assure que mes derniers écrits sont encore entre les mains de tout le monde, quoiqu’ils aient perdu le charme de la nouveauté. Peut-être les libraires veulent-ils me flatter : mais puissent-ils nous tromper toujours, si leurs mensonges nous rendent nos études plus chères ! Adieu.

III. - Pline à Caninius Rufus.[modifier]

Que devient Côme[8], cette ville délicieuse que nous aimons tant l’un et l’autre ? que devient cette charmante maison du faubourg, et ce portique où règne un printemps éternel ? cet impénétrable ombrage de platanes ? ce canal aux bords verdoyans et émaillés de fleurs ? et ce vaste bassin destiné à recevoir ses eaux ? cette promenade, dont le terrain est si doux, et cependant si ferme[9] ? ces bains que les rayons du soleil environnent et pénetrent toute la journée ? cette salle à manger où vous recevez tant de monde, et cette autre où vous en admettez si peu ? et ces appartemens de jour et de nuit ? ces lieux enchanteurs, enfin, vous retiennent-ils et vous possèdent-ils tour à tour ? ou bien le soin de vos affaires vous force-t-il, comme à l’ordinaire, à des excursions fréquentes ? Vous êtes le plus heureux des hommes, si vous jouissez de tous ces biens : vous n’êtes qu’un homme vulgaire, si vous ne savez pas en jouir.

Que ne renvoyez-vous à d’autres, il en est temps, les occupations communes et viles ? qu’attendez-vous pour vous livrer tout entier à l’étude dans ce paisible séjour ? que ce soient là vos affaires, et votre repos ; votre travail, et vos délassemens ; consacrez aux lettres vos veilles, et votre sommeil même. Assurez-vous une sorte de bien que le temps ne puisse vous ôter. Tous les autres, dans la suite des siècles, changeront mille et mille fois de maîtres ; mais les ouvrages de votre esprit ne cesseront jamais d’être à vous. Je sais à qui je parle : je connais la grandeur de votre courage, l’étendue de votre esprit. Tâchez seulement d’avoir meilleure opinion de vous ; rendez-vous justice, et les autres vous la rendront. Adieu.


IV - Pline à Pompeia Celerina, sa belle-mère.[modifier]

Quelle douce abondance dans vos maisons d’Otricoli, de Narni, d’Arsuli, de Pérouse[10] ! et quel bain commode à Narni ! Je n’ai plus besoin de vos lettres pour connaître tout cela : la lettre que je vous écrivis il y a déjà quelque temps, quoique fort courte, suffit pour faire voir que j’en suis parfaitement instruit. J’éprouve, dans ces agréables demeures, que mon bien n’est pas plus à moi que le vôtre. J’y vois pourtant une différence ; vos gens me servent mieux chez vous, que les miens ne me servent chez moi. Peut-être aurez-vous même fortune dans les maisons qui m’appartiennent, si vous me faites l’honneur d’y aller. Courez-en le risque, je vous en supplie : vous me ferez deux plaisirs à la fois ; l’un, d’user de mon bien, comme j’use du vôtre ; l’autre, de réveiller un peu l’assoupissement de mes valets, qui m’attendent toujours avec une espèce de tranquillité, qu’on pourrait appeler de la négligence. C’est le sort des maîtres trop indulgens : on s’accoutume aisément à n’en avoir pas grand’peur. Les nouveaux objets raniment le zèle des domestiques : ils aiment mieux obtenir l’approbation de leurs maîtres par le suffrage d’un étranger, que par les services qu’ils leur rendent. Adieu.

V. - Pline à Voconius Romanus.[modifier]

VÎtes-vous jamais homme plus lâche et plus rampant que Regulus[11], depuis la mort de Domitien ? Vous savez que, sous son empire, Regulus, quoiqu’il sauvât mieux les apparences, ne fut pas plus honnête homme qu’il ne l’avait été à la cour de Néron. Il s’est avisé de craindre que je n’eusse du ressentiment contre lui. Il n’avait pas tort ; je lui en voulais. Non content d’avoir fomenté la persécution exercée contre Rusticus Arulenus[12], il avait triomphé de sa mort, jusqu’à lire en public, et à répandre un livre injurieux, où il le traite de singe des stoïciens, et d’ homme qui porte les stigmates de Vitellius. Vous reconnaissez là l’éloquence de Regulus. Il déchire avec tant d’emportement Herennius Senecion[13], que Metius Carus, son rival dans le noble métier de délateur, n’a pu s’empêcher de lui dire : Quel droit avez-vous sur mes morts ? Me voit-on remuer les cendres de Crassus ou de Camerinus[14] ? C’étaient des personnes illustres que, du temps de Néron, Regulus avait accusées. Il lut en public son dernier livre : il ne m’invita point, persuadé que je n’avais rien oublié de toutes ces indignités.

Il se souvenait d’ailleurs qu’il m’avait mis moi-même en un terrible danger, devant les centumvirs[15]. Je parlais, à la recommandation de Rusticus Arulenus, pour Arionille, femme de Timon, et j’avais Regulus contre moi. Je fondais en partie mon droit et mes espérances sur une opinion de Metius Modestus, homme d’une vertu parfaite, alors exilé par Domitien. Regulus profita de cette circonstance pour me dire : Pline, que pensez-vous de Modestus ? Vous voyez quel péril je courais, si j’eusse rendu un fidèle témoignage à la vérité ; et de quel opprobre je me couvrais, si je l’eusse trahie. Les dieux seuls purent m’inspirer en cette occasion[16]. Je vous répondrai, lui dis-je, si c’est là la question que les centumvirs ont a juger. Il ne se rendit point. Je vous demande, poursuivit-il, quel jugement vous portez sur Metius Modestus ? Je lui répliquai que l’ on ne demandait témoignage que contre des accusés, et jamais contre un homme condamné. — Eh bien, continua-t-il, je ne vous demande plus ce que vous pensez de Modestus ; mais quelle opinion avez-vous de son attachement pour le prince ? — Vous voulez, dis-je, savoir ce que j’en pense ; mais moi, je crois qu’il n’est pas même permis de mettre en question ce qui est une fois jugé. Regulus garda le silence. Vous ne pouvez vous imaginer quels éloges et quels applaudissemens suivirent cette réponse, qui, sans blesser ma réputation par une flatterie, utile peut-être à mes intérêts, mais honteuse pour moi, me tira d’un piège si artificieusement tendu.

Aujourd’hui Regulus, troublé par les justes reproches de sa conscience, s’adresse à Cecilius Celer, et ensuite à Fabius Justus ; il les presse de vouloir bien faire sa paix avec moi. Il ne s’en tient pas là. Il court chez Spurinna ; et, comme il est le plus rampant de tous les hommes lorsqu’il craint, il le supplie, avec les dernières bassesses, de me venir voir le lendemain matin, mais de grand matin : Je ne puis plus vivre, dit-il, dans l’inquiétude où je suis ; obtenez de lui, à quelque prix que ce soit, qu’il étouffe son ressentiment. J’étais à peine éveillé, qu’un valet me vint prier, de la part de Spurinna, de vouloir bien l’attendre. Je lui fais répondre que je vais le trouver ; et, comme nous allions l’un au devant de l’autre, nous nous rencontrons sous le portique de Livie. Il m’expose le sujet de sa mission : il joint ses instances à celles de Regulus, mais avec la modération[17] qui convenait à un honnête homme, sollicitant pour un personnage qui lui ressemblait si peu. Vous verrez vous-même, lui dis-je, ce qu’il faut répondre a Regulus. Je ne veux point vous tromper : j’attends Mauricus (car il n’était pas encore revenu de son exil) ; je ne puis donc vous donner aucune parole certaine ; je ferai ce qu’il voudra ; c’est à lui de me guider en tout ceci, et c’est à moi de suivre ses avis.

Regulus, peu de jours après, me vint trouver dans la salle du préteur. Là, après m’avoir suivi quelque temps, il me tire à l’écart, et il m’avoue qu’il craignait que je ne me souvinsse toujours des paroles qui lui étaient échappées une fois au tribunal des centumvirs (il plaidait contre Satrius et moi) : Satrius, avait-il dit, et cet orateur qui, dégoûté de l’éloquence de notre siècle, se pique d’imiter Cicéron. Je lui répondis, que son aveu seul m’ouvrait l’esprit ; que jusqu’alors je n’y avais pas entendu malice ; et qu’il avait été très-aisé de donner à ses paroles un sens fort obligeant. Je me pique en effet, poursuivis-je, d’imiter Cicéron, et j’estime fort peu l’éloquence de notre temps. Je trouve ridicule, lorsqu’on se choisit des modèles, de ne pas prendre les meilleurs. Mais vous, lui dis-je, qui vous souvenez si bien de ce qui se passa dans cette cause, comment avez-vous oublié celle ou vous me demandâtes ce que je pensais de l’attachement de Metius Modestus pour le prince ? La pâleur ordinaire de l’homme augmenta sensiblement. Il me dit enfin, d’une voix trem blante : Ce n’était pas à vous que je voulais nuire ; c’était à Metius Modestus. Remarquez, je vous prie, le caractère cruel de cet homme, qui ne craint pas d’avouer qu’il voulait nuire à un exilé ! Il ajouta, pour se justifier, une raison excellente. Modestus avait écrit une lettre, qui fut lue chez Domitien, et dans laquelle il disait : Regulus est le plus méchant des animaux à deux pieds. En effet, Modestus l’avait écrite. Notre conversation n’alla guère plus loin ; car je voulais me réserver la liberté entière d’agir comme il me plairait, quand Mauricus serait de retour. Ce n’est pas que j’ignore qu’il est assez difficile de perdre Regulus. Il est riche, il est intrigant : bien des gens le considèrent ; beaucoup plus encore le craignent ; et la crainte souvent a plus de pouvoir que l’amitié. Mais, après tout, il n’est rien que de violentes secousses ne puissent abattre : la fortune n’est pas plus fidèle aux scélérats, qu’ils le sont aux autres. Au reste, je le répète, j’attends Mauricus. C’est un homme grave, prudent, instruit par une longue expérience, et qui saura lire l’avenir dans le passé. Ses conseils me fourniront des motifs, ou pour agir, ou pour demeurer en repos. J’ai cru devoir ce récit à l’amitié qui nous unit : elle ne me permet pas de vous laisser ignorer mes démarches, mes discours, ni même mes desseins. Adieu.


VI. - Pline à Cornelius Tacite.[modifier]

Vous allez rire, et je vous le permets : riez tant qu’il vous plaira. Ce Pline que vous connaissez, a pris trois sangliers, mais des plus grands. Quoi ! lui-même, dites-vous ? Lui-même. N’allez pourtant pas croire qu’il en ait coûté beaucoup à ma paresse. J’étais assis près des toiles ; ni épieu ni dard sous ma main ; rien qu’un poinçon et des tablettes. Je rêvais, j’écrivais, et je me préparais la consolation de remporter mes pages[18] pleines, si je m’en retournais les mains vides. Ne méprisez pas cette manière d’étudier. Vous ne sauriez croire combien le mouvement du corps donne de vivacité à l’esprit ; sans compter que l’ombre des forêts, la solitude, et ce profond silence qu’exige la chasse, sont très-propres à faire naître d’heureuses pensées. Ainsi, croyez-moi, quand vous irez chasser, portez votre pannetière et votre bouteille ; mais n’oubliez pas vos tablettes. Vous éprouverez que Minerve ne se plaît pas moins que Diane sur les montagnes. Adieu.


VII. - Pline à Octavius Rufus.[modifier]

Savez-vous que vous me placez bien haut, et que vous me donnez autant de pouvoir qu’Homère en accorde au grand Jupiter[19] ?

Le dieu N’accueille, en l’exauçant, qu’une part de son vœu.

Car je puis, comme Jupiter, répondre à vos vœux, en accueillant l’un, et en rejetant l’autre. S’il m’est permis, pour vous complaire, de refuser mon ministère à la province de Bétique contre un homme qu’elle accuse, la loyauté, la constance de principes, que vous estimez en moi, ne m’interdisent pas moins de prendre la défense de cet homme contre une province que je me suis attachée au prix de tant de services, de travaux, et même de dangers. Je prendrai donc un terme moyen, et, de deux choses que vous me demandez, je vous accorderai celle qui, en satisfaisant vos désirs, ne nuira pas à l’estime que vous avez pour moi. Car je dois moins considérer ce que veut aujourd’hui un homme de votre caractère, que ce qu’il approuvera toujours. J’espère me rendre à Rome vers les ides d’octobre. J’y réitérerai à Gallus en personne la promesse que je vous fais, et je lui engagerai ma parole et la vôtre. Vous pouvez d’avance lui répondre de moi.

Il dit, et d’un regard confirme sa promesse[20].

Pourquoi ne vous citerais-je pas toujours les vers d’Homère, puisque vous ne voulez pas que je puisse citer les vôtres ? Je les attends avec une telle impatience, que la certitude de les obtenir serait peut-être le seul attrait qui pût me corrompre, et me faire plaider même contre la province de Bétique. J’allais oublier quelque chose, qui mérite pourtant bien qu’on en parle : j’ai reçu vos dattes ; elles sont excellentes, et vont disputer le prix à vos figues et à vos morilles. Adieu.


VIII. - Pline à Pompeius Saturninus.[modifier]

Votre lettre ne pouvait m’être rendue plus à propos. Vous m’y priez de vous envoyer quelque ouvrage de ma façon, au moment même où je songeais à vous en adresser un. C’est donner de l’éperon à qui ne demande qu’à courir ; et je n’ai plus à craindre, ni les excuses de votre paresse, ni les scrupules de ma discrétion : j’aurais aussi mauvaise grâce de me croire importun, que vous de me traiter de fâcheux, quand je ne fais que répondre à votre impatience. Cependant n’attendez rien de nouveau d’un paresseux. Je veux vous demander de vouloir bien revoir encore le discours que j’ai prononcé dans ma ville natale, le jour que je fondai une bibliothèque. Je me souviens que vous m’avez fait déjà, sur ce morceau, quelques remarques générales : ne puis-je point obtenir qu’il passe encore une fois sous votre lime ? Je voudrais aujourd’hui que votre critique ne s’attachât pas seulement à l’ensemble ; mais qu’elle relevât les moindres détails avec ce goût sévère que nous vous connaissons. Nous serons encore libres, après cet examen, de le publier ou de le garder. Peut-être même que cette revue attentive aidera beaucoup à nous déterminer ; car, à force de revoir et de retoucher l’ouvrage, ou nous le trouverons indigne, ou nous le rendrons digne de paraître.

Toutefois, je vous l’avoue, mon incertitude vient moins de la composition que du sujet. Ne m’expose-t-il point un peu au reproche d’ostentation et de vanité ? Quelque simple que soit mon style, il sera difficile que, contraint à parler de la libéralité de mes aïeux et de la mienne, je paraisse assez modeste. Le pas est glissant, lors même que la plus juste nécessité nous y engage. Si les louanges que nous donnons aux autres ne sont déjà pas trop bien reçues, comment se promettre de faire passer celles que nous nous donnons à nous-mêmes ? La vertu, qui toute seule fait des envieux, nous en attire bien davantage quand la la gloire la suit ; et l’on expose moins les belles actions à la malignité, en les laissant dans l’ombre. Plein de ces pensées, je me demande souvent, si je dois avoir composé mon discours pour le public, ou seulement pour moi. La preuve que je dois avoir travaillé pour moi, c’est que les accessoires les plus nécessaires à une action de ce genre, ne conservent, après l’action, ni leur prix ni leur mérite[21].

Sans aller plus loin chercher des exemples, peut-on douter qu’il ne me fût très-utile d’expliquer les motifs de ma munificence ? J’y trouvais plusieurs avantages à la fois : j’arrêtais mon esprit sur de nobles pensées ; une longue méditation m’en dévoilait mieux toute la beauté ; enfin, je me précautionnais contre le repentir inséparable des libéralités précipitées. C’était comme une occasion de m’exercer au mépris des richesses. Car, tandis que la nature attache tous les hommes au soin de les conserver, l’amour raisonné d’une libéralité bien entendue me dégageait de ce commun lien de l’avarice. Il me semblait que ma générosité serait d’autant plus méritoire, que j’y étais entraîné par la réflexion, et non par un brusque caprice. Une dernière considération me déterminait encore. Ce n’étaient pas des spectacles ou des combats de gladiateurs que je proposais, c’étaient des pensions qui assurassent à des jeunes gens d’honnête famille les secours que la fortune leur refusait[22]. On n’a pas besoin de, faire valoir les plaisirs qui charment les yeux ou les oreilles ; et, lorsqu’il s’agit de ces sortes de jouissances, l’orateur doit plutôt em ployer le frein que l’aiguillon. Mais faut-il engager quelqu’un à se livrer aux fatigues et aux dégoûts que traîne à sa suite l’éducation des jeunes gens, on n’a pas trop et des charmes de l’intérêt particulier et de tous les agrémens de l’éloquence. Les médecins essaient par leurs discours de répandre sur des alimens insipides, mais salutaires, la saveur qui leur manque : à plus forte raison, en faisant à mes concitoyens un présent d’une utilité immense, mais peu reconnue, fallait-il l’accompagner de toutes les séductions de la parole, surtout quand il était nécessaire de faire approuver, à ceux qui n’ont plus d’enfans, une institution qui n’est faite qu’en faveur de ceux qui en ont, et d’inspirer à tous assez de patience pour attendre et pour mériter une distinction restreinte au petit nombre[23].

Mais comme alors, en exposant le but et les avantages de cet établissement[24], j’étais plus occupé de l’utilité publique que de ma gloire particulière, je crains aujourd’hui, en publiant ma harangue, de paraître plus occupé de ma gloire particulière que de l’utilité publique. Je n’ai pas oublié qu’il y a plus de grandeur à chercher la récompense de la vertu dans sa conscience, que dans l’éclat de la renommée. Ce n’est pas à nos actions à courir après la gloire, c’est à la gloire à les suivre ; et, s’il arrive qu’elle nous échappe, il ne faut pas croire que ce qui l’a méritée[25] perde rien de son prix. Il est difficile de vanter le bien qu’on a fait, sans donner lieu de juger que l’on ne s’en vante pas, parce qu’on l’a fait, mais qu’on l’a fait pour s’en vanter. Notre action, que l’on admire quand d’autres en parlent, est méprisée dès que nous en parlons nous-mêmes. Les hommes sont ainsi faits : ils at taquent la louange, ne pouvant attaquer ce qui est louable. Quel parti prendre ? Ne faisons-nous rien qui mérite que l’on parle de nous, on nous le reproche : avons-nous mérité que l’on parle de ce que nous faisons, on ne nous pardonne pas de le dire.

J’ai encore un scrupule qui m’est personnel ; c’est que j’ai harangué, non en public, mais dans l’assemblée des décurions. Or, je crains qu’il soit peu convenable de briguer, par cette publication, les applaudissemens de la multitude, que j’ai évités en prononçant mon discours. Il s’agissait des intérêts du peuple, et j’avais mis entre lui et moi les murs du sénat[26], pour ne point avoir l’air de capter sa bienveillance ; mais aujourd’hui ne semblerai-je pas mendier par vanité l’approbation de ceux mêmes qui n’ont d’autre intérêt à mon action, que celui de l’exemple qu’elle donne ? Vous voilà instruit de tous mes doutes ; décidez. Je ne veux pour raison que votre avis. Adieu.


IX. - Pline à Minutius Fundanus[27].[modifier]

Chose merveilleuse ! prenez à part chacune des journées que nous passons à Rome, il n’y en a point qui ne soit ou qui ne paraisse remplie : rassemblez-les toutes, vous les trouverez vides. Demandez à quelqu’un : qu’avez-vous fait aujourd’hui ? — J’ai assisté, vous dira-t-il, à une cérémonie de la robe virile. J’ai été prié à des fiançailles ou à des noces. L’on m’a demandé pour la signature, d’un testament. Celui-ci m’a chargé de sa cause[28] ; celui-là m’a fait appeler à une consultation. Chacune de ces occupations, le jour qu’on s’y est livré, a paru nécessaire : mais quand on vient à réfléchir que c’est ainsi que se sont passées toutes les journées, on y trouve bien de l’inutilité, surtout lorsqu’on y réfléchit dans la retraite. Alors vous ne pouvez vous empêcher de vous dire : «A quelles bagatelles ai-je perdu mon temps ! » C’est ce que je répète souvent dans ma maison de Laurentin, où mes momens sont incessamment occupés par la lecture, par la composition, ou même par les exercices du corps, dont la bonne disposition influe tant sur les opérations de l’esprit. Je n’entends, je ne dis rien, que je me repente d’avoir entendu et d’avoir dit. Personne, devant moi, n’ose se permettre de malins discours sur qui que ce soit[29]. Je ne censure personne, si ce n’est moi-même[30] quand ce que je compose n’est pas à mon gré. Point de désirs, point de craintes qui me tourmentent, point de bruits fâcheux à redouter. Je ne m’entretiens qu’avec moi et avec mes livres. O l’agréable, ô l’innocente vie[31] ! Que cette oisiveté est douce ! qu’elle est honorable, et préférable même aux plus illustres emplois[32] ! Mer, rivage, mes vrais cabinets d’étude, que ne vous doit pas l’imagination ! que de pensées n’inspirez-vous pas ! Voulez-vous m’en croire, mon cher Fundanus, fuyez les embarras de la ville ; rompez au plus tôt cet enchaînement de soins frivoles qui vous y attachent ; livrez-vous à l’étude ou au repos ; et songez au mot si spirituel et si plaisant de notre ami Àttilius : // vaut infiniment mieux ne rien faire , que de faire des riens. Adieu.

X. - Pline à Atrius Clemens.[modifier]

Si jamais les belles-lettres ont été florissantes à Rome, cest assurément aujourd’hui. Je pourrais vous en citer bien des exemples : vous en serez quitte pour un seul ; je ne vous parlerai que du philosophe Euphrate. Je commençai à le connaître en Syrie, dans ma jeunesse et dans mes premières campagnes[33]. J’étais admis chez lui, et j’en profitai pour l’étudier à fond. J’employai tous mes efforts pour me faire aimer de lui ; et l’effort n’était pas nécessaire. Il est accessible, prévenant, et soutient bien par sa conduite les leçons d’affabilité qu’il donne. Que je serais content, si j’avais pu remplir l’espérance qu’il avait conçue de moi, comme il a surpassé celle qu’on avait déjà de lui ! Peut-être qu’aujourd’hui je n’admire davantage ses vertus, que parce que je les connais mieux ; et cependant, à vrai dire, je ne les connais pas encore assez. Il n’appartient qu’à un artiste de bien juger d’un peintre, d’un sculpteur, d’un statuaire ; il faut, de même, posséder la sagesse pour sentir tout le mérite d’un sage. Mais, autant que je puis m’y connaître, tant de rares qualités brillent dans Euphrate, qu’elles frappent les moins clair-voyans. Il a tout à la fois de la finesse, de la solidité et de la grâce dans la discussion ; souvent même il atteint au sublime, et reproduit la majesté du style de Platon. Il règne dans ses discours une abondance, une variété qui enchantent, et surtout une douceur qui entraîne les plus rebelles. Son extérieur ne dément point le reste : il est de belle taille ; il a le visage agréable, les cheveux longs, et une longue barbe toute blanche. Ces dehors, tout indifférens qu’ils paraissent, ajoutent singulièrement à la vénération qu’on a pour lui. Ses habits sont propres, sans affectation : son air est sérieux, sans être chagrin : son abord inspire le respect, sans imprimer la crainte. Son extrême politesse égale la pureté de ses mœurs : il fait la guerre aux vices, et non pas aux hommes : il ramène ceux qui s’égarent, et ne leur insulte point. On est si charmé de l’entendre, qu’après même qu’il vous a persuadé, vous voudriez qu’il eût à vous persuader encore. Trois enfans composent sa famille : il a deux fils, et il n’oublie rien pour leur éducation. Pompée Julien, son beau-père, est recommandable par sa vie entière ; il s’est honoré surtout par le choix de son gendre, puisque, tenant le premier rang dans sa province, il a cependant choisi la vertu plutôt que la naissance et la fortune.

Mais il faut que je n’aime guère mon repos, pour m’étendre si fort sur les louanges d’un ami qui est comme perdu pour moi. Ai-je donc peur de ne point sentir assez ma perte ? Malheureuse victime d’un emploi qui, tout important qu’il est, me paraît plus fâcheux encore[34], je passe ma vie à écouter, à juger des plaideurs, à répondre à des requêtes[35], à faire des réglemens, à écrire nombre de lettres, mais où les belles-lettres ne sont pour rien. Je m’en plains quelquefois à Euphrate ( et encore combien est-il rare que j’aie seulement le plaisir de me plaindre ! ) Il essaie de me consoler. «C’est, dit-il, la plus noble fonction de la philosophie, que de mettre en œuvre les maximes des philosophes, que de consacrer ses travaux aux intérêts publics, de faire régner la justice et la paix parmi les hommes. » Voilà, je vous l’avoue, le seul point où son éloquence ne me persuade pas. Je suis encore à comprendre, que de semblables occupations puissent valoir le plaisir de l’écouter continuellement, et de l’étudier. Aussi, je vous le répète, vous qui avez le temps, revenez promptement à Rome, et, dès que vous y serez, allez vous former et vous perfectionner à son école[36]. Vous voyez que je ne ressemble pas à la plupart des hommes, qui envient aux autres les avantages qu’ils ne peuvent avoir. Au contraire, je crois jouir des biens que je n’ai pas, quand je sais que mes amis les possèdent. Adieu.


XI. - Pline à Fabius Justus.[modifier]

Depuis long-temps je n’ai reçu de vos nouvelles. Vous n’avez rien à m’écrire, dites-vous : eh bien, écrivez-moi que vous n’avez rien à m’écrire. Du-moins écrivez-moi ce que nos ancêtres avaient coutume de mettre au commencement de leurs lettres : Si vous vous portez bien, j’ en suis bien aise ; quant à moi, je me porte fort bien. Je serai content ; car cela dit beaucoup. Vous croyez que je badine : non, je parle très-sérieusement. Mandez-moi comment vous passez votre temps ; je souffre trop à ne le pas savoir. Adieu.

XII. - Pline à Calestrius Tiron.[modifier]

J’ai fait une perte cruelle[37], si c’est assez dire pour exprimer le malheur qui nous enlève un grand homme Corellius Rufus est mort ; et, ce qui m’accable davantage, il est mort, parce qu’il l’a voulu. Ce genre de mort, dont on ne peut accuser la nature ni la fatalité[38], me semble le plus affligeant de tous. Lorsqu’une maladie tranche les jours de nos amis, ils nous laissent au moins un sujet de consolation dans cette inévitable nécessité qui menace tous les hommes[39]». Mais ceux qui se livrent eux-mêmes à la mort, nous laissent l’éternel regret de penser qu’ils auraient pu vivre long-temps. Une souveraine raison, qui est pour les sages la nécessité même du destin, a déterminé Corellius Rufus. Mille avantages concouraient à lui faire aimer la vie : le témoignage d’une bonne conscience, une haute réputation, un crédit des mieux établis, une femme, une fille, un petit-fils, des sœurs très-aimables, et, ce qui est encore plus précieux, de véritables amis. Mais ses maux duraient depuis si longtemps, et étaient devenus si insupportables, que les raisons de mourir l’emportèrent sur tant d’avantages qu’il trouvait à vivre. A trente-trois ans (il nous l’a dit lui-même plusieurs fois), il fut attaqué de la goutte. Il l’avait héritée de son père ; car les maux, comme les biens, nous viennent souvent par succession. Tant qu’il fut jeune, il trouva des remèdes dans le régime et dans la continence : quand ses souffrances se furent accrues avec l’âge[40], il se soutint par sa vertu et par son courage. J’allai le voir un jour à sa maison, près de Rome : c’était sous Domitien. Il souffrait des tourmens inouis ; la douleur n’attaquait plus seulement ses pieds, elle parcourait tout son corps. Dès que je parus, ses valets se retirèrent : il avait établi cet ordre chez lui, que quand un ami intime entrait dans sa chambre, tout le monde en sortait, même sa femme, quoiqu’elle fût d’ailleurs d’une discrétion éprouvée. Après avoir jeté les yeux autour de lui : Savez-vous bien, dit-il, pourquoi je me suis obstiné a vivre si long-temps, malgré des maux insupportables ? c’est pour survivre au moins un jour à ce brigand ; et j’en aurais eu le plaisir, si mes forces n’eussent pas démenti mon courage[41] . Ses vœux furent pourtant exaucés : il eut la satisfaction d’expirer libre et tranquille, et de n’avoir plus à rompre que les autres liens, en grand nombre, mais beaucoup plus faibles, qui l’attachaient à la vie. Ses douleurs redoublèrent ; il essaya de les adoucir par le régime. Elles continuèrent : il s’en délivra par son courage. Il y avait déjà quatre jours qu’il n’avait pris de nourriture, quand Hispulla sa femme, envoya notre ami commun, C. Geminius, m’apporter la triste nouvelle, que Corellius avait résolu de mourir ; que les larmes de sa femme, les supplications de sa fille ne gagnaient rien sur lui, et que j’étais le seul qui pouvais le rappeler à la vie. J’y cours : j’arrivais, lorsque Julius Atticus, de nouveau dépêché vers moi par Hispulla, me rencontre et m’annonce que l’on avait perdu toute espérance, même celle que l’on avait en moi, tant Corellius paraissait affermi dans sa détermination. Il venait de répondre à son médecin, qui le pressait de prendre des alimens : Je l’ai résolu ; parole qui me remplit tout à la fois d’admiration et de douleur. Je ne cesse de penser quel ami, quel homme j’ai perdu. Je sais qu’il avait passé soixante et sept ans, terme assez long, même pour les santés les plus robustes. Je sais qu’il est délivré de toutes les douleurs d’une maladie continuelle. Il a eu le bonheur de laisser florissantes et sa famille, et la république, qui lui était plus chère encore que sa famille. Je me le dis, je le sens ; cependant je le regrette comme s’il m’eût été ravi dans la fleur de son âge, et dans la plus brillante santé[42] : dussiez-vous m’accuser de faiblesse, je le regrette particulièrement pour moi-même. J’ai perdu le témoin, le guide, le juge de ma vie. Vous ferai-je un aveu, que j’ai déjà fait à notre ami Calvisius, dans les premiers transports de ma douleur ? je crains bien de ne plus veiller sur moi avec autant de soin[43]. Vous voyez combien j’ai besoin de vos consolations. Ne me dites pas, Il était vieux, Il était souffrant ; je sais cela : il me faut d’autres motifs, des considérations plus puissantes, que je n’aie encore trouvées ni dans le monde, ni dans les livres. Tout ce que j’ai entendu, tout ce que j’ai lu, se présente à ma pensée ; mais c’est un secours trop faible pour une si grande douleur. Adieu.


XIII. - Pline à Sosius Senecion,[modifier]

L’année a été fertile en poètes : le mois d’avril n’a presque pas eu de jour où il ne se soit fait quelque lecture. J’aime à voir que l’on cultive les lettres, et qu’elles excitent cette noble émulation, malgré le peu d’empressement de nos Romains à venir entendre les productions nouvelles. La plupart, assis dans les places publiques, perdent à dire des bagatelles le temps qu’ils devraient consacrer à écouter : ils envoient demander de temps en temps si le lecteur est entré, si sa préface est expédiée, s’il est bien avancé dans sa lecture. Alors vous les voyez venir lentement, et comme à regret. Encore n’attendent-ils pas la fin pour s’en aller : l’un se dérobe adroitement ; l’autre, moins honteux, sort sans façon et la tête levée. Il en était bien autrement du temps de nos pères ! On raconte qu’un jour l’empereur Claude, se promenant dans son palais, entendit un grand bruit. Il en demanda la cause : on lui dit que Nonianus[44] lisait publiquement un de ses ouvrages. Ce prince quitte tout, et par sa présence vient surprendre agréablement l’assemblée. Aujourd’hui l’homme le moins occupé, bien averti, prié, supplié, dédaigne de venir ; ou, s’il vient, ce n’est que pour se plaindre qu’il a perdu un jour, justement parce qu’il ne l’a pas perdu. Je vous l’avoue, cette nonchalance et ce dédain de la part des auditeurs, rehaussent beaucoup dans mon idée le courage des écrivains qu’ils ne dégoûtent pas de l’étude. Pour moi, j’ai assisté à presque toutes les lectures ; et, à dire vrai, la plupart des auteurs étaient mes amis : car il n’y a peut-être pas un ami des lettres qui ne soit aussi le mien[45]. Voilà ce qui m’a retenu ici plus long-temps que je ne voulais. Enfin, je suis libre ; je puis revoir ma retraite, et y composer quelque ouvrage, que je me garderai bien de lire en public : ceux dont j’ai écouté les lectures croiraient que je leur ai, non pas donné, mais seulement prêté mon attention. Car, dans ces sortes de services, comme dans tous les autres, le mérite cesse dès qu’on en demande le prix. Adieu.

XIV. - Pline à Junius Mauricus.[modifier]

Vous me priez de chercher un parti pour la fille de votre frère. C’est avec raison que vous me donnez cette commission plutôt qu’à tout autre : vous savez jusqu’où je portais mon attachement et ma vénération pour ce grand homme. Par quels sages conseils n’a-t-il point soutenu ma jeunesse ! Combien ses éloges ne m’ont-ils pas aidé à en mériter ! Vous ne pouviez donc me charger d’un soin plus important, et qui me fît tout à la fois plus de plaisir et plus d’honneur, que celui de choisir un homme digne de faire revivre Rusticus Arulenus dans ses descendans. Ce choix ne serait pas facile, si nous n’avions pas Minucius Acilianus, qui semble fait exprès pour cette alliance ; C’est un jeune homme qui m’aime comme l’on aime les gens de son âge (car je n’ai que quelques années plus que lui ), et qui me respecte, comme si j’étais un vieillard. Il veut tenir de moi l’instruction et les principes de vertu, que je dus autrefois à vos leçons. Il est né à Brescia, ville de ce canton d’Italie où l’on conserve encore des restes de la modestie, de la frugalité, de la franchise de nos ancêtres. Minucius Macrinus, son père, n’eut d’autre rang que celui de premier des chevaliers, parce qu’il refusa de monter plus haut. Vespasien lui offrit une place[46] parmi ceux qui avaient exercé la préture : mais il eut la force de préférer un repos honorable à ce que nous appelons de la gloire, et qui n’est peut-être que de l’ambition. Serrana Procula, aïeule maternelle de ce jeune homme, est née a Padoue. Vous connaissez les mœurs sévères de ce pays : Serrana y est citée comme un modèle. Il a un oncle que l’on nomme P. Acilius. C’est un homme d’une sagesse, d’une prudence, d’une intégrité singulière. En un mot, vous ne trouverez, dans toute cette famille, rien qui ne vous plaise autant que dans la vôtre. Revenons à Minucius Acilianus. Modeste autant qu’on le peut être, il n’en a ni moins de courage, ni moins de capacité. Il a exercé avec honneur les charges de questeur, de tribun, de préteur ; et il vous a épargné ainsi d’avance la peine de les briguer pour lui. Sa physionomie est heureuse ; son teint est animé et ses couleurs vives. Il est bien fait : il a l’air noble, et presque la dignité d’un sénateur. Ces avantages, selon moi, ne sont point à négliger : c’est, en quelque sorte, une récompense que l’on doit aux mœurs innocentes d’une jeune personne. Je ne sais si je dois ajouter, que le père est fort riche. Quand je me représente le caractère de ceux qui veulent un gendre de ma main, je n’ose parler de ses biens ; mais ils ne me semblent pas à mépriser, quand je consulte l’usage établi, et même nos lois, qui mesurent les hommes surtout à leurs revenus. Franchement, on ne peut jeter les yeux sur les suites du mariage, sans mettre les biens au nombre des choses nécessaires pour en assurer le bonheur. Vous croyez peut-être que mon amitié s’est plu à exagérer le mérite d’Acilianus : ne vous fiez jamais à moi, s’il ne tient plus que je n’ai promis. Je vous avoue que j’aime ce jeune homme comme il le mérite, c’est-à-dire, de tout mon cœur. Mais, selon moi, le meilleur office que l’on puisse rendre à un ami, c’est de ne pas lui donner plus de louanges qu’il n’en peut porter. Adieu.

XV. - Pline à Septicius Clarus.[modifier]

À merveille vraiment ! vous me promettez de venir souper, et vous ne venez pas ! Il y a bonne justice à Rome : vous me paierez mes dépenses jusqu’à la dernière obole ; et cela va plus loin que vous ne croyez. J’avais préparé à chacun sa laitue[47], trois escargots[48], deux œufs, un gâteau, du vin miellé et de la neige ; car je vous compterai jusqu’à la neige, et avec plus de raison encore que le reste, puisqu’elle ne sert jamais plus d’une fois. Nous avions des olives, des bettes[49], des courges, des échalottes, et mille autres mets aussi délicats. Vous auriez eu à choisir d’un comédien, d’un lecteur, ou d’un musicien ; ou même, admirez ma générosité, vous les auriez eus tous ensemble. Mais vous avez préféré, chez je ne sais qui, des huîtres, des viandes exquises, des poissons rares, et des danseuses espagnoles[50]. Je saurai vous en punir ; je ne vous dis pas comment. Vous avez agi cruellement : c’est un grand plaisir dérobé, si ce n’est à vous, du moins à moi. Cependant, croyez que vous y avez perdu vous-même. Comme nous eussions badiné, plaisanté, moralisé ! Vous trouverez ailleurs des repas plus magnifiques ; mais n’en cherchez point où règnent davantage la joie, la franchise, la confiance. Faites-en l’épreuve ; et, après cela, si vous ne quittez toute autre table pour la mienne, je consens que vous quittiez la mienne pour toute autre. Adieu.

XVI. - Pline à Erucius.[modifier]

Je chérissais déjà Pompée Saturnin : je parle de notre ami. Je vantais son esprit, même avant que j’en connusse bien la fécondité, la flexibilité, l’étendue. Aujourd’hui, il s’est emparé de moi ; il me possède, il m’occupe tout entier. Je l’ai entendu plaider avec autant de vivacité que de force, et je n’ai pas trouvé moins d’art et d’élégance dans ses improvisations que dans ses discours étudiés. Son style est soutenu partout de réflexions solides : sa composition est belle et majestueuse ; ses expressions harmonieuses et marquées au coin de l’antiquité. Toutes ces beautés, qui vous transportent quand la déclamation les anime, vous charment encore lorsque vous les retrouvez sur le papier. Vous serez de mon avis, dès que vous aurez en main ses pièces d’éloquence. Vous n’hésiterez pas à les comparer aux plus belles que les anciens nous ont laissées, et vous avouerez qu’il égale ses modèles. Mais vous serez encore plus content de lui, si vous lisez ses histoires. Ses narrations vous paraîtront tout à la fois serrées, claires, coulantes, lumineuses et même sublimes. Il n’a pas moins de force dans ses harangues, que dans ses plaidoyers ; mais il y est plus concis, plus serré, plus pressant. Ce n’est pas tout : il fait des vers qui valent ceux de Catulle ou de Calvus. Que de grâce, de douceur, de tendresse, et quelquefois de mordant[51] ! Aux vers faciles et coulans, il en mêle, à dessein, d’une harmonie un peu rude : c’est la manière de Catulle et de Calvus. Ces jours passés, il me lut des lettres qu’il disait être de sa femme[52]. Je croyais entendre Plaute ou Terence en prose. Que ces lettres soient de sa femme, comme il l’assure, ou qu’elles soient de lui, ce qu’il n’avoue pas, il mérite les mêmes éloges, ou pour les avoir écrites, ou pour avoir donné à sa femme, qu’il épousa si jeune, le talent de les écrire. Je ne le quitte donc plus : je le lis à toute heure, avant de prendre la plume, quand je la quitte, quand je me délasse ; et je crois, en vérité, le lire toujours pour la première fois. Je ne puis trop vous engager à m’imiter. Faut-il le dédaigner, parce qu’il est votre contemporain ? Quoi ! s’il avait vécu parmi des gens que nous n’eussions jamais vus, nous courrions après ses livres, nous rechercherions jusqu’à ses portraits ; et, quand nous l’avons au milieu de nous, nous serons dégoûtés de son mérite par la facilité même d’en jouir ! Rien de plus étrange, à mon gré, rien de plus injuste, que de refuser son admiration à un homme vraiment digne d’être admiré, et cela, parce qu’il est permis, non-seulement de le louer, mais de le voir, de lui parler, de l’entendre, de l’embrasser, de l’aimer. Adieu.

XVII. - Pline à Cornelius Titianus.[modifier]

Il reste encore de la fidélité et de l’honneur parmi les hommes ; on en voit dont l’amitié survit à leurs amis. Titinius Capiton vient d’obtenir de l’empereur[53] la permission d’élever une statue, sur la place publique, à Lucius Silanus. Qu’il est glorieux d’employer sa faveur à cet usage ; et d’essayer son crédit à illustrer la vertu des autres ! Capiton s’est fait une habitude d’honorer les grands hommes. On admire avec quelle affection, avec quel respect il conserve dans sa maison, ne pouvant pas les voir ailleurs[54], les portraits des Brutus, des Cassius, des Catons. J’ajoute qu’il est peu de personnages illustres qu’il ne célèbre dans ses excellens vers. Croyez-moi, l’on n’aime point tant le mérite d’autrui, sans en avoir beaucoup soi-même. Silanus a reçu les honneurs qu’il méritait, et, en lui assurant l’immortalité, Capiton a consacré la sienne. Il n’est pas, selon moi, plus glorieux de mériter une statue dans Rome, que de la faire dresser à celui qui la mérite. Adieu.

XVIII. - Pline à Suétone.[modifier]

Vous m’écrivez qu’un songe vous effraie[55], et que vous craignez pour le succès de votre plaidoyer. Vous me priez de demander un délai de quelques jours, ou d’obtenir au moins que vous ne plaidiez pas à la prochaine audience. Cela n’est pas facile : cependant j’essaierai ; car

Un songe assez souvent est un avis des dieux[56].

Mais il importe de savoir si d’ordinaire l’événement est conforme ou contraire à vos songes. En me rappelant un des miens, j’augure bien de celui qui vous fait tant de peur. J’allais plaider la cause de Julius Pastor : je rêvai que ma belle-mère, à mes genoux, me conjurait, avec les dernières instances, de ne point plaider ce jour-là. J’étais fort jeune ; je devais parler devant les quatre tribunaux assemblés[57] ; j’avais contre moi les citoyens les plus puissans, et même les favoris du prince. Il n’y avait pas une de ces circonstances qui, jointe à mon songe, ne dût me détourner de mon entreprise. Je plaidai pourtant, rassuré par cette réflexion, que

Défendre sa patrie est le plus sur présage[58].

Ma parole engagée était pour moi la patrie, et quelque chose de plus cher encore, s’il est possible. Je me trouvai fort bien de ma résolution : c’est même cette cause qui fît d’abord parler de moi, et qui commença ma réputation. Voyez donc si cet exemple ne vous engagera point à mieux augurer de votre songe ; ou, si vous trouvez plus de sûreté à suivre ce conseil du sage, dans le doute, abstiens-toi, faites-le moi savoir. J’imaginerai quelque prétexte. Je plaiderai, pour vous faire obtenir de ne plaider que quand il vous plaira. Après tout, vous êtes dans une situation différente de celle où je me trouvais. L’audience des centumvirs ne souffre point de remise. Celle où vous devez parler ne se remet pas aisément ; mais enfin elle se peut remettre. Adieu.


XIX. - Pline à Romanus.[modifier]

Nés dans la même ville, instruits à même école, nous n’avons depuis notre enfance presque habité que la même maison. Votre père était lié d’une étroite amitié avec ma mère, avec mon oncle, avec moi, autant que le pouvait permettre la différence de nos âges. Que de raisons à la fois pour prendre intérêt à votre élévation, et pour y concourir ! Il est certain que vous avez cent mille sesterces de revenu, puisque vous êtes décurion dans notre province. Pour que nous ayons le plaisir de vous posséder encore dans l’ordre des chevaliers, j’ai à votre service les trois cent mille sesterces qui vous manquent, et je vous les offre. Notre ancienne amitié m’est un gage suffisant de votre reconnaissance. Je ne vous ferai pas même la recommandation que je devrais vous faire, si je n’étais persuadé que vous n’en avez pas besoin : c’est de vous gouverner avec sagesse dans ce nouvel emploi que vous tiendrez de moi. On ne peut remplir avec trop d’exactitude les devoirs de son rang, lorsqu’il faut justifier le choix, de l’ami qui nous y élève. Adieu.

XX. - Pline à Cornélius Tacite.[modifier]

Je discute souvent avec un fort savant et fort habile homme, qui, dans l’éloquence du barreau, n’estime rien tant que la brièveté. J’avoue qu’elle n’est pas à négliger, quand la cause le permet ; autrement, c’est un abus de confiance que d’omettre ce qu’il serait utile de dire, et même que d’effleurer légérement ce qu’il faut imprimer, inculquer, et remanier plus d’une fois. Il arrive presque toujours que l’abondance des paroles[59] ajoute une nouvelle force et comme un nouveau poids aux idées. Nos pen sées entrent dans l’esprit des autres, comme le fer entre dans un corps solide ; un seul coup ne suffit pas, il faut redoubler. Pour répondre à ces raisonnemens, notre homme s’arme d’exemples : il va prendre chez les Grecs les harangues de Lysias ; chez nous, il me cite les Gracques et Caton, dont les discours, sans contredit, ne pourraient être ni plus concis ni plus serrés. Moi, à Lysias, j’oppose Démosthène, Eschine, Hypérides, et une infinité d’autres. Aux Gracques et à Caton, j’oppose Pollion, Célius, César, et surtout Cicéron, de qui, selon l’opinion commune, la plus longue harangue est la plus belle. Il en est d’un bon livre comme de toute autre chose bonne en soi : plus il a d’étendue, meilleur il est. Ne voyez-vous pas que les statues, les gravures, les tableaux, la figure des hommes, celle de beaucoup d’animaux, et jusqu’à celle des arbres, pourvu que d’ailleurs elles soient agréables, reçoivent de leur grandeur un nouveau prix ? Il en est de même des harangues. Un ouvrage doit à son étendue je ne sais quoi de plus imposant et de plus beau. Mon adversaire, homme subtil et difficile à saisir, échappe à tous ces raisonnemens et à plusieurs autres de même espèce, par un détour assez ingénieux. Il prétend que les harangues mêmes que je lui oppose, étaient plus courtes lorsqu’elles ont été prononcées. Je ne puis être de ce sentiment : je me fonde sur un bon nombre de harangues de divers orateurs ; par exemple, sur celles de Cicéron pour Murena, pour Varenus. L’orateur n’a presque fait qu’indiquer dans un sommaire concis les chefs d’accusation qu’il avait à traiter. De là on doit juger, qu’en parlant, il s’était étendu sur bien des choses qu’il a supprimées en écrivant[60]. Il dit lui-même que, selon l’ancien usage, qui, dans une cause, ne don nait qu’un avocat à chaque client, il plaida seul pour Cluentius, et pendant quatre audiences pour Cornelius. Par là, il fait assez comprendre que ce qu’il avait été obligé d’étendre bien davantage dans sa plaidoirie de plusieurs jours, il avait su depuis, à force de retranchemens et de corrections, le réduire sur le papier à un discours, discours fort long, il est vrai, mais enfin à un seul discours. Me dira-t-on qu’il y a une grande différence entre un bon plaidoyer et un bon discours écrit ? C’est l’opinion de bien des gens, je le sais. La mienne (peut-être me trompé-je), c’est qu’il peut bien se faire qu’un bon plaidoyer ne soit pas un bon discours, mais qu’il est impossible qu’un bon discours ne soit pas un bon plaidoyer. Car enfin, le discours écrit est le type et le modèle du discours qui doit être prononcé. De là vient que dans les meilleurs, et dans ceux mêmes que nous savons n’avoir jamais été prononcés, nous trouvons de ces figures de style, qu’on est censé ne pas préparer d’avance. Ainsi, dans une des harangues contre Verrès, nous lisons :

Un ouvrier 'comment s’appelait-il ? Vous m’aidez fort à propos ; c’est Polyclète.

Il faut donc en conclure que la meilleure plaidoirie est celle qui se rapproche le plus du discours écrit, et qu’elle ne doit pas être resserrée dans un espace de temps trop court. Que si on l’y renferme, ce n’est plus la faute de l’avocat, c’est celle du juge. Les lois s’expliquent en ma faveur : elles ne sont point avares du temps pour l’orateur. Ce n’est point la brièveté, c’est l’attention à ne rien omettre, qu’elles lui recommandent : et comment s’acquitter de ce devoir, si l’on se pique d’être court ? C’est tout ce qu’on pourrait faire dans les causes d’une très-faible importance.

J’ajoute ce que je tiens d’un long usage, le plus sûr de tous les maîtres : j’ai souvent rempli les fonctions d’avocat et de juge ; on m’a consulté souvent ; et j’ai toujours éprouvé que tous les hommes ne sont pas frappés des mêmes raisons, et que souvent c’est par de petites considérations qu’on produit sur eux de grands effets. Les dispositions de leur esprit, les affections de leur cœur, sont tellement variées, qu’il est ordinaire de les voir de différens avis sur une question que l’on vient d’agiter devant eux ; et, s’il leur arrive de s’accorder, c’est presque toujours par des motifs différens. D’ailleurs, on s’entête de ce qu’on a soi-même imaginé ; et lorsque le moyen qu’on a prévu est proposé par un autre, on le regarde comme péremptoire. Il faut donc donner à chacun quelque chose qu’il puisse saisir, qu’il puisse reconnaître. Un jour que Regulus et moi défendions le même client, il me dit : Vous vous imaginez qu’il faut tout faire valoir dans une cause ; moi, je prends d’abord mon ennemi a la gorge ; je l’étrangle. Il presse effectivement l’endroit qu’il saisit ; mais il se trompe souvent dans le choix qu’il fait. Ne pourrait-il point arriver, lui répondis-je, que vous prissiez quelquefois le genou, la jambe, ou même le talon, pour la gorge ? Moi, qui ne suis pas si sûr de saisir la gorge, je saisis tout ce qui se présente, de peur de m’y tromper[61]. Je mets tout en œuvre : je fais valoir ma cause, comme on fait valoir une ferme. On n’en cultive pas seulement les vignes : on y prend soin des moindres arbrisseaux, on en laboure les terres. Dans ces terres, on ne se contente pas de semer du froment, du seigle ; on y sème de l’orge, des fèves, et toutes sortes d’autres légumes. Je jette aussi à pleines mains dans ma cause des moyens de toute espèce, pour en recueillir ce qui pourra venir à bien. Il n’y a pas plus de fond à faire sur la certitude des juge mens, que sur la constance des saisons et sur la fertilité des terres. Je me souviens toujours qu’Eupolis, dans une de ses comédies, donne cette louange à Périclès :

La douce persuasion
Sur ses lèvres fait sa demeure,
Et dans les cœurs il laisse l’aiguillon,
Tandis qu’un autre à peine les effleure[62].

Mais, sans cette heureuse abondance qui me charme, Périclès eût-il exercé cet empire souverain sur les cœurs, soit par la rapidité, soit par la brièveté de son discours (car il ne faut pas les confondre), ou par toutes les deux ensemble ? Plaire et convaincre, s’insinuer dans les esprits et s’en rendre maître, ce n’est pas l’ouvrage d’une parole et d’un moment : comment y laisser l’aiguillon, si l’on pique sans enfoncer ? Un autre poète comique, parlant du même orateur, dit :

Il tonnait, foudroyait ; il ébranlait la Grèce[63].

Ce n’est pas dans un discours concis et serré, c’est dans un discours étendu, majestueux et sublime, qu’on peut mêler le feu des éclairs aux éclats du tonnerre, et jeter partout le trouble et la confusion. Il y a pourtant une juste mesure, je l’avoue ; mais, à votre avis, celui qui n’atteint pas cette limite, est-il plus estimable que celui qui la passe ? Vaut-il mieux ne pas dire assez, que de trop dire ? Si l’on reproche tous les jours à tel orateur d’être trop abondant et trop fécond, on reproche à tel autre d’être sec et stérile. On dit de celui-là qu’il s’emporte au delà de son sujet ; de celui-ci, qu’il ne peut y atteindre. Tous deux pèchent également ; mais l’un par excès de force, et l’autre par faiblesse. Si cette fécondité ne marque pas tant de justesse, elle marque au moins beaucoup plus d’étendue dans l’esprit. Quand je parle ainsi, je n’approuve pas ce discoureur sans fin, que peint Homère[64] ; je songe plutôt à celui dont les paroles se précipitent en abondance,

Comme à flocons pressés la neige des hivers[65].

Ce n’est pas que je n’aie aussi beaucoup de goût pour l’autre,

Qui sait dans peu de mots cacher un sens profond[66].

Mais si vous me laissez le choix, je me déclarerai pour cette éloquence semblable aux neiges d’hiver, c’est-à-dire, abondante, large, impétueuse : c’est là ce que j’appelle une éloquence vraiment divine. Cependant, direz-vous, beaucoup d’auditeurs aiment la brièveté : oui, sans doute, les paresseux, dont il serait ridicule de prendre pour règle la délicatesse et l’indolence ; si vous les consultez, non-seulement vous parlerez peu, mais vous ne parlerez point. Voilà mon sentiment, que j’offre d’abandonner pour le vôtre. Toute la faveur que je vous demande, si vous me condamnez, c’est de m’en développer les motifs. Ce n’est pas que je ne sache quelle soumission je dois à votre autorité ; mais, dans une occasion de cette importance, il est mieux encore de déférer à la raison. Ainsi, êtes-vous de mon avis, écrivez-le-moi, aussi briévement qu’il vous plaira ; mais enfin, écrivez-le-moi : cela me fortifiera toujours dans mon opinion. Me trompé-je, prouvez-le-moi dans une très-longue lettre. N’est-ce point vous corrompre, que d’exiger seulement un billet, si vous m’êtes favorable, et une longue épître, si vous m’êtes contraire ? Adieu.

XXI. - Pline à Paternus.[modifier]

Je ne me fie pas moins à vos yeux qu’à votre discernement. Non que je vous croie fort habile (car il ne faut pas vous donner de vanité) ; mais je crois que vous l’êtes autant que moi ; c’est encore beaucoup dire. Raillerie à part, les esclaves que vous m’avez fait acheter me paraissent d’assez bonne mine. Reste à savoir s’ils sont de bonnes mœurs ; et, sur ce point, il vaut mieux s’en rapporter à leur réputation qu’à leur physionomie. Adieu.

XXII. - Pline à Catilius Severus[67].[modifier]

Une circonstance douloureuse me retient depuis longtemps à Rome. Je ne puis voir sans inquiétude la longue et opiniâtre maladie de Titus Ariston, pour qui j’ai une admiration et une tendresse singulières. Rien n’égale sa prudence, son intégrité, son savoir ; et il me semble voir les sciences et les lettres prêtes à succomber avec lui. Il est également versé dans le droit public et dans le droit particulier. L’antiquité n’a point de maxime, d’exemple, de fait qu’il ignore. Tout ce que vous désirez savoir, il peut vous l’apprendre. C’est pour moi un trésor, où je trouve toujours les connaissances qui me manquent. Quelle confiance, quel respect ses paroles ne doivent-elles pas inspirer ! Que sa lenteur à décider une question est honorable dans un tel homme ! Il n’est rien qu’il ne découvre du premier coup d’œil : il doute cependant presque toujours, il hésite, combattu par les raisons opposées, que son génie vaste et pénétrant va rechercher jusque dans leur principe : il les examine, il les pèse. Vous vanterai-je la frugalité de sa table[68], la simplicité de ses habits ? Je vous l’avoue, je n’entre jamais dans sa chambre, je ne jette jamais les yeux sur son lit, que je ne croie revoir les mœurs de nos pères. Il rehausse cette simplicité par une grandeur d’âme qui n’accorde rien à l’ostentation, qui donne tout au secret témoignage de la conscience, et n’attache point la récompense d’une bonne action aux louanges qu’elle attire, mais à la seule satisfaction intérieure qui la suit. En un mot, il n’est pas aisé de trouver, même entre ceux qui, par la sévérité de leur extérieur, affichent le goût de la philosophie[69], quelqu’un digne de lui être comparé. Vous ne le voyez point courir d’école en école, pour charmer, par de longues disputes, l’oisiveté des autres, et la sienne. Les affaires, le barreau l’occupent tout entier. Il plaide pour l’un, il donne des conseils à l’autre ; et, malgré tant de soins, il pratique si bien les leçons de la philosophie, qu’aucun de ceux qui en font profession publique, ne lui peut disputer la gloire de la modestie, de la bonté, de la justice, de la magnanimité. Si vous étiez près de lui, vous seriez étonné de voir avec quelle patience il supporte la maladie, comment il lutte contre la douleur, comment il résiste à la soif, avec quel courage il souffre, immobile et couvert, les plus cruelles ardeurs de la fièvre ! Ces jours passés, il nous fit appeler, quelques-uns de ses plus intimes amis et moi. Il nous pria de consulter sérieusement ses médecins, et nous dit qu’il voulait prendre son parti, quitter au plus tôt une vie douloureuse, si la maladie était incurable, attendre patiemment la guérison, si elle pouvait venir avec le temps ; qu’il devait aux prières de sa femme, aux larmes de sa fille, aux vœux de ses amis, de ne point trahir leurs espérances par une mort volontaire, pourvu que ces espérances ne fussent pas une illusion de leur tendresse. Rien de moins commun, à mon gré, rien de plus digne d’éloges, qu’un tel courage. Vous trouverez assez de gens, qui ont. la force de courir à la mort en aveugles et sans réflexion ; mais il n’appartient qu’aux âmes héroïques de peser la mort et la vie, et de se déterminer pour l’une ou pour l’autre, selon qu’une sérieuse raison fait pencher la balance.

Les médecins nous font tout espérer. Il faut encore qu’un dieu secourable confirme leurs promesses, et me délivre de cette mortelle inquiétude. Aussitôt, je retourne à ma maison de Laurentin, avec impatience de reprendre mon porte-feuille et mes livres, et de me livrer à mes studieux loisirs. En l’état où je suis, tout occupé de mon ami tant que je le vois, inquiet dès que je le perds de vue, il ne m’est possible ni de lire ni d’écrire. Vous voilà informé de mes alarmes, de mes vœux, de mes desseins. Apprenez-moi à votre tour, mais d’un style moins triste, ce que vous avez fait, ce que vous faites, et ce que vous vous proposez de faire. Ce ne sera pas un faible soulagement à ma peine, de savoir que vous n’avez rien qui vous afflige. Adieu.

XXIII.- Pline à Pompée Falcon.[modifier]

Vous me demandez s’il vous convient[70] de plaider pendant que vous êtes tribun. Pour se bien déterminer, il est bon de savoir quelle idée vous vous faites de cette dignité. Ne la regardez-vous que comme un vain honneur, comme un titre sans réalité[71] ? ou la croyez-vous une puissance sacrée, une autorité respectable à tout le monde, même à celui qui en est revêtu[72] ? Pour moi, tant que j’ai exercé cette charge[73], j’ai peut-être eu tort de me croire un personnage important ; mais je me suis conduit comme si je l’étais, et je me suis abstenu de plaider. J’ai cru qu’il était contre la bienséance, que le magistrat à qui la première place est due en tout lieu, devant qui tout le monde devait se tenir debout, se tînt debout lui-même, pendant que tout le monde serait assis ; que lui, qui a droit d’imposer silence, reçut de la clepsydre l’ordre de se taire[74] ; que lui, qu’il n’est pas permis d’interrompre, fût exposé à s’entendre dire des injures, traité de lâche s’il les souffre, de superbe s’il s’en venge. J’y voyais un autre embarras. Que faire, si l’une des parties venait à réclamer ma protection ? Aurais-je usé de mon pouvoir ? ou bien serais-je demeuré muet et immobile, me dégradant moi-même, en quelque sorte, et me réduisant à la condition d’un simple particulier ? J’ai donc mieux aimé être le tribun de tous nos citoyens, que l’avocat de quelques-uns. Pour vous, je vous le répète, tout dépend de savoir ce que vous pensez du rang que vous tenez, quel rôle vous avez résolu de choisir, et de ne pas oublier qu’un homme sage le doit prendre tel, qu’il le puisse soutenir jusqu’au bout. Adieu.

XXIV. - Pline à Bebius Hispanus.[modifier]

Suétone, qui loge avec moi, a dessein d’acheter une petite terre, qu’un de vos amis veut vendre. Faites en sorte, je vous prie, qu’elle ne lui soit vendue que ce qu’elle vaut : c’est à ce prix qu’elle lui plaira. Un mauvais marché est toujours désagréable, surtout en ce qu’il semble nous reprocher continuellement notre sottise. Cette propriété, si d’ailleurs le prix lui paraît convenable, tente mon ami par plus d’un endroit. Elle est voisine de Rome ; les chemins sont commodes, et les bâtimens peu considérables ; les terres, d’une médiocre étendue, et plus capables d’amuser que d’occuper. Aux savans, comme notre Suétone, il ne faut que le terrain nécessaire pour délasser leur esprit et réjouir leurs yeux : il ne leur faut qu’un sentier, une allée étroite pour se promener nonchalamment, une vigne dont ils connaissent tous les ceps, des arbres dont ils sachent le nombre. Je vous mande tout ce détail, pour vous apprendre combien il me devra, et combien je vous devrai, s’il achète, à des conditions dont il n’ait jamais à se repentir, cette petite maison, où se trouvent réunis tous les avantages que nous cherchons. Adieu[75].

  1. Septicius. C. Septicius Clarus, son frère Erucius Clarus, et son neveu Sextus Erucius avaient un égal attachement pour Pline ( Voyez 1. ii, 9). On croit que ce Septicius est celui qu’Adrien créa préfet du prétoire, et qu’il dépouilla bientôt après de cette dignité.
  2. Arrien. Les manuscrits ne sont pas d’accord sur ce nom : quelques-uns portent Adriano ; d’autres, Arrio, ou Arrinio. Il est probable que c’est ce même Arrien dont Pline fait un si bel éloge (I. III, 2).
  3. Je crois n’avoir jamais fait tant d’efforts, pour lutter avec les grands modèles. J’ai préféré ici la leçon qui dit ζήλῳ, à celle qui porte stilo, comme plus liée à ce qui suit. D. S. ( Il est difficile en effet d’imaginer qu’un copiste ait changé stilo en ζήλῳ, et il est très-naturel, au contraire, de croire que stilo se sera glissé dans le manuscrit comme interprétation ou comme glose du mot grec. On ne s’étonnera pas de trouver souvent des mots grecs dans les Lettres de Pline. La langue grecque, cultivée depuis quelque temps à Rome, jouit surtout d’une faveur particulière du temps de notre auteur. Elle était devenue presque aussi populaire que le latin l’est chez nous, et les Romains s’en servaient avec enjouement dans leurs lettres, comme nous nous servons des citations et des formules latines. Ce mélange des deux langues ne fut pas tout au profit de la langue latine : c’est à cette époque que s’introduisirent dans celle-ci les grécismes, qui altérèrent peu à peu sa pureté et son génie. )
  4. Calvus. C. Licinius Calvus, fils de l’historien C. Licinius Macer, était un orateur et un poète célèbre, contemporain de Cicéron. Un jour Vatinius, contre lequel il plaidait, craignant d’être condamné, l’interrompit, avant la fin de son plaidoyer, en disant aux juges : Eh ! quoi, serai-je condamné comme coupable, parce que mon accusateur est éloquent ! (Voyez dans le 31e vol. des Mémoires de l’Académie des Inscriptions une notice sur cet écrivain, par M. de Burigny, où se trouve réuni tout ce que les anciens disent de C. Licinius Calvus. ) Il a plu à quelques critiques de rejetter le nom de Calvus, et de lire : Tentavi enim imitari Demosthenem, semper tuum, nuper meum. Gesner observe très-bien qu’on ne se serait pas avisé d’introduire le nom de Calvus (cité d’ailleurs encore par Pline, liv. IV, 27, et liv. V, 3), s’il n’avait pas été dans les anciens textes. J’ajoute que tantorum virorum, qui vient après, semble demander un autre nom d’écrivain, après celui de Démosthène.
  5. Réservé, etc. Il convenait de traduire par un vers la citation empruntée à Virgile (Æn. , VI, 129).
  6. Les fleurs de style de notre Cicéron. Cicéron lui-même, dans ses lettres à Atticus, 1, 14, a employé le mot grec, dont Pline se sert ici : Totum hunc locum, quem ego varie meis orationibus soleo pingere, de flamma, de ferro (nosti illas ληκύθους) valde graviter pertexuit.
  7. Quant aux motifs, etc. De Sacy n’avait pas entendu la phrase, en traduisant mais pourquoi se faire auteur ? Pline l’était déjà depuis long-temps, et, dans la phrase qui suit immédiatement, il parle des ouvrages qu’il a publiés, et qui sont encore entre les mains de tout le monde, quoiqu’ils aient perdu le charme de la nouveauté.
  8. Que devient Côme. Autre contresens de De Sacy, qui traduit, que fait-on à Côme ? Pline personnifie des objets inanimés ; il leur prête une action : Quid agunt. . . . . . . ? possidentne te et per vices partiuntur ? On trouve la même figure, liv. II, II : Quid arbusculæ, quid vineæ, quid segetes agunt ? A cette formule latine, correspond la formule française, que devient ?
  9. Cette promenade, etc. On l’appelait gestatio, parce qu’on s’y faisait porter en litière ( voyez Sénèque, ep. 55) : cet exercice était une partie importante du régime des Romains (Celse, liv. II, 15). Pour le prendre à leur aise, ils ajoutaient à leurs jardins des allées, dont le sol, composé de sable et de chaux, rendait plus facile et plus sûr le service de ceux qui portaient la litière. (Voyez Vitruve, vi, 10. )
  10. Quelle douce abondance dans vos maisons, etc. De Sacy avait traduit sur un texte ainsi ponctué : Quantum copiarum in Ocriculano, in Narniensi, in Carsulano, in Perusino tuo, in Narniensi vero etiam balineum, ex epistolis meis una illa brevis et vetus sufficit. Cette phrase est évidemment incomplète. En adoptant la ponctuation d’Ernesti, approuvée par Schæfer, je ne me suis pas dissimulé qu’il restait encore quelque difficulté : mais je crois le passage moins incorrect de cette manière qu’avec l’ancienne leçon. Ceux qui sont disposés à adopter les leçons hardies, fondées seulement sur des conjectures, peuvent recourir à la correction de Gierig : il lit : Quum me copiæ tuæ in Ocriculano. . . . delectent, in Narniensi vero etiam balineum, ex epistolis meis intellexisti, quanquam pluribus opus non est, sed una illa brevis et vetus sufficit.
  11. Regulus, Méchant homme et mauvais avocat (voy. liv. iv, 7). Il avait exercé le métier de délateur sous Néron et sous Domitien.
  12. Rusticus Arulenus. Homme de bien qui avait guidé la jeunesse de Pline : Domitien le fit mourir pour avoir loué Thraseas (Tacit. , Agric, 2). Il avait reçu une blessure sous les murs de Rome, dans les dernières mêlées qui précédèrent la chute de Vitellius. Regulus lui reprochait cette blessure, et en comparait l’honorable cicatrice aux stigmates de l’esclavage.
  13. Herennius Sénecion. Domitien l’avait fait mourir, sur l’accusation de Metius Carus (liv. VII, 19).
  14. De Crassus ou de Camerinus. Accusés par Regulus, et condamnés (Tacite, Hist. , 1, 48 ; Ann. , XIII , 52).
  15. Devant les centumvirs. Le tribunal des centumvirs avait d’abord été composé de cent juges : dans la suite on en ajouta cinq, et les empereurs en portèrent même le nombre à cent quatre-vingt.
  16. Les dieux seuls purent m’inspirer, etc. Le traducteur avait rendu avec une inexactitude qui approchait du contresens : Je ne puis dire autre chose, sinon que les dieux m’inspirèrent dans cette occasion.
  17. Il joint ses instances, etc. De Sacy avait fait ici un contresens : il traduit : Il me prie, il me presse, m’en fait des excuses. Il semble que Spurinna, dans l’excès de son zèle, s’emporte et s’oublie : le latin exprime, au contraire, la retenue d’un homme, qui veut s’acquitter d’un devoir, mais qui s’observe et craint d’aller trop loin.
  18. Autant de pouvoir qu’Homère en accorde, etc. {Iliade, xvi, 250). De Sacy s’est imaginé que c’était Rufus qui avait cité à Pline le vers d’Homère : c’est un contresens, dont la fin de la lettre aurait dû l’avertir : car pour accorder cette phrase, cur enim non usquequaque, etc. , avec la première de la lettre, il a été obligé de traduire usquequaque par aussi.
  19. Il dit, etc. HomeR. , Iliad. 1, 528.
  20. La preuve que je dois, etc. De Sacy a traduit sur un texte ainsi ponctué an et aliis debeamus, ut nobis. Admonet illud, etc. C’est l’ancienne leçon, et elle me semble peu favorable à la liaison des idées. Plein de ces pensées, dit De Sacy, je me demande souvent, si j’ai prétendu, par ma harangue, travailler pour le public ou seulement, etc. Cette phrase suppose évidemment une réponse, et voici cependant la phrase suivante, dans l’ancienne version du traducteur : Je sens bien même que les accompagnemens les plus nécessaires à une action d’éclat, etc. Cela s’enchaîne mal, et plus mal encore avec l’idée suivante. Barthius a proposé une ponctuation qui éclaircit très-heureusement toutes ces idées. Pline s’interroge : « Est-ce pour moi ; est-ce pour le public, que je dois avoir composé mon discours ? » Nobisne tantum, quidquid illud est, composuisse, an et aliis debeamus ? Il se répond ensuite : «La preuve que c’est pour moi, c’est que, etc. » Ut nobis (sous-entendu composuisse debeamus), admonet istud, quod, etc. Rien de plus satisfaisant que cette correction, sous le double rapport du sens et de la latinité. Aussi Gesner, Heusinger et Schæfer l’ont-ils adoptée.
  21. Qui assurassent, etc. Pline suivait l’exemple de Trajan, qui, le premier, institua des pensions destinées à l’éducation de jeunes gens pauvres, mais de bonne famille.
  22. Assez de patience, etc. Quelques commentateurs donnent à cette phrase un sens différent : l’interprétation de De Sacy m’a semblé moins pénible et plus conforme à l’esprit de la phrase entière.
  23. En exposant le but et les avantages, etc. L’édition de Schæfer, telle que l’a réimprimée M. Lemaire, porte intentionem affectumque, ce qui est sans doute une faute de typographie ; car dans les notes citées, Schæfer dit positivement que effectum est la leçon de tous les manuscrits.
  24. Que ce qui l’a méritée. L’édition que je viens de citer porte encore à tort quod gloriam non mentit. Le texte romain d’Heusinger et les meilleurs manuscrits ont quod gloriam meruit. Schæfer est d’avis, d’après ces autorités, de supprimer la négation.
  25. Les murs du sénat. Les sénateurs de Côme et des villes de même ordre (coloniæ) s’appelaient decuriones, et le lieu où ils s’assemblaient, curia.
  26. Pline à Minutius Fundanus. On peut consulter sur cette lettre les remarques de Rollin.
  27. Celui-ci m’a chargé de sa cause. Selon Rollin, ille me in advocationem rogavit signifierait, non pas, il m’a chargé de sa cause ; mais, il m’a prié de l’aider de mes conseils et de mon crédit, en'assistant à sa cause. Voyez ses motifs, qui seraient plausibles, si le sens de rogare in advocationem n’était pas fixé par l’usage et confirmé par mille exemples.
  28. N’ose se permettre, etc. De Sacy avait fait ici un contresens, signalé par Rollin : il traduisait : Personne ne m’y fait d’ennemis par de mauvais discours.
  29. Si ce n’est moi-même. Dans l’édition jointe à la traduction de De Sacy, au lieu de nisi unum me, il y a nisi tamen me. J’ai suivi l’édition de Schæfer. Au reste, ce changement est peu important.
  30. O l’agréable, ô l’innocente vie ! J’ai suivi le texte de l’édition romaine d’Heusinger.
  31. Et préférable même, etc. Rollin fait remarquer que le latin n’est pas si décisif : il y a presque préférable. «En effet, ajoute Rollin, est-il bien vrai que la douceur du repos soit toujours préférable aux emplois publics qui sont extrêmement pénibles et laborieux ? Si cette maxime avait lieu, que deviendrait l’état ? »
  32. Dans ma jeunesse, etc. Pline avait à peu près vingt ans : il était tribun de la troisième légion gauloise, que Vespasien avait envoyée en Syrie.
  33. D’un emploi, etc. L’emploi de garde du trésor, que Pline exerça à l’âge de trente-six ans.
  34. A répondre à des requêtes. Il y a dans le latin subnoto libellos, ce qui ne signifie pas signer des requêtes, mais répondre au nom du prince à des requêtes qui lui sont adressées : « Libellos signare sive subnotare dicuntur, dit Forcellini, qui libellis supplicibus principum nomine respondent. »
  35. Vous formez, etc. Il serait difficile de deviner comment De Sacy avait traduit cette phrase : illi te expoliendum limandumque permittas. «Hâtez-vous, disait-il, de mettre votre esprit sous une si douce lime. »
  36. Une perte cruelle. L’idée exprimée par jactura n’est pas assez grave, assez triste, au gré de Pline, pour rendre tout ce qu’il y a d’affligeant dans la mort de Corellius. Je ne sais pourquoi les savansse sont épuisés en commentaires pour arriver à cette conclusion, qui se présente d’abord. Quelques-uns se sont tellement embarrassés dans leurs recherches, qu’ils ont fini par déclarer que la phrase de Pline n’avait aucun sens.
  37. La nature ni la fatalité. Il faut entendre ici la nature et la fatalité dans le même sens. Mors ex natura est une mort naturelle, et la même idée s’exprime souvent en latin par mors fatalis. Germanicus mourant dit dans Tacite [Ann. II , 71), si fato concederem, en l’opposant à scelere interceptus.
  38. Dans cette inévitable nécessité, etc. Ce n’est pas la nécessité de la mort, comme conséquence inévitable d’une grave maladie : c’est la nécessité de mourir, entendue dans son sens le plus général, la nécessité attachée à notre condition d’homme. Necessitas correspond à ex natura et à fatalis.
  39. Se furent accrues, etc. J’ai lu avec Schæfer et la plupart des éditeurs cum senectute ingravescentem, au lieu de eum senectute ingravescentem, qui se trouvait dans l’édition jointe à la traduction de De Sacy.
  40. Et j’en aurais eu le plaisir, etc. De Sacy a réuni la phrase : dedisses huic, etc. , au discours de Corellius. J’ai suivi son sentiment, malgré l’opinion de Gesner, de Lallemand, et de Schæfer, qui mettent cette phrase dans la bouche de Pline. Comment, avec leur interprétation, entendre la phrase suivante : Affuit tamen voto deus ? On sait d’ailleurs que Corellius vivait encore sous Nerva ( voyez liv. iv, 17). Pline ne peut donc pas dire qu’avec un corps plus robuste, Corellius aurait survécu au tyran : c’est Corellius qui peut le dire, persuadé qu’il va mourir avant Domitien.
  41. Je le regrette, comme s’il m’eût été ravi, etc. J’ai trouvé dans l’édition jointe à la traduction, tanquam et juvenis et firmissimi morte doleo, et dans l’édition de Schæfer, tanquam et juvenis et fortissimi morte doleo. J’ai adopté, d’après Heusinger et son édition romaine, mortem doleo, qui est d’une latinité plus exacte. Quant à fortissimi, j’ignore d’après quelle autorité Schæfer l’a introduit dans son texte.
  42. Je crains bien, etc. De Sacy traduisait : Je crains bien que cette mort ne me coûte quelque relâchement.
  43. Nonianus. Servilius Nonianus, historien célèbre, dont parle Quintilien.
  44. Il n’y a peut-être pas un ami, etc. De Sacy traduit ainsi : c’est tout un, d’aimer les belles-lettres, ou d’aimer Pline. Notre auteur était trop spirituel et trop modeste pour parler ainsi de lui-même.
  45. Vespasien lui offrit, etc. Suivant le sentiment d’Heusinger et de Schæfer, j’ai rétabli enim, supprimé par Gesner et Gierig.
  46. Sa laitue. C’était toujours par les laitues que commençait le souper, suivant cette maxime : Nil nisi lene decet vacuis committere venis.
  47. Trois escargots. Les Romains estimaient surtout ceux d’Illyrie et d’Afrique.
  48. Des bettes. De Sacy avait traduit des olives d’Andalousie, parce que son texte portait sans doute olivas Bæticæ : l’éditeur de la traduction, sans rien changer à l’interprétation de De Sacy, n’en avait pas moins admis dans le latin qu’il plaçait en regard, olivæ, betacei. J’ai admis cette dernière leçon avec plusieurs critiques, parce que les olives de Bétique étaient fort recherchées, et qu’elles ne peuvent avoir place dans cette énumération de mets simples et communs.
  49. Des danseuses espagnoles. Dans De Sacy, il y avait danses au lieu de danseuses, quoique le texte porte Gaditanas. Ce qui justifierait sa traduction, c’est la leçon Gaditana (sous-entendu cantica) , adoptée par quelques commentateurs. Il me semble plus naturel que Pline oppose les danseuses au comédien et au lecteur.
  50. Du mordant. C’est le sens d ’amaritudinis, que De Sacy a rendu par sel : il s’agit de la qualité propre au style satirique.
  51. Qu’il disait, etc. Quelques commentateurs, devant uxoris esse dicebat, ont placé quas, qui ne se trouve pas dans les manuscrits.
  52. Vient d’obtenir de l’empereur. Caligula avait défendu d’éleverdes statues à un particulier, sans la permission de l’empereur. Cette loi fut maintenue même sous Trajan.
  53. Ne pouvant les voir ailleurs. C’eût été un crime de lèse-majesté que d’exposer en public les images de Brutus, de Cassius ou de Caton : sous les empereurs, ce n’étaient plus que des meurtriers. On sait que, pour avoir loué Brutus et Cassius, Cremutius Cordus fut accusé et condamné, sous Tibère (Tacit. , Ann . IV, 34).
  54. Vous m’écrivez, etc. Cette lettre est un monument de l’esprit superstitieux, qui se conserva chez les Romains, même sous les empereurs, au sein de la civilisation et des lumières. Corneille, dans Polyeucte, a donc pu dire avec vérité : Un songe en notre esprit passe pour ridicule : Il ne nous laisse espoir, ni crainte, ni scrupule
    Mais il passe dans Rome avec autorité Pour fidèle miroir de la fatalité.
  55. Un songe assez souvent, etc. Homer. , lliad. i, 63.
  56. Devant les quatre tribunaux assemblés. Les centumvirs étaient divisés en quatre conseils : quelquefois ils se séparaient seulement en deux sections, et même ils se réunissaient tous ensemble pour juger les causes importantes (ADAM, Antiq. rom. ). J’ai pensé qu’il ne pouvait être ici question que de ce dernier mode de jugement : car Pline veut faire entendre que c’était une circonstance extraordinaire, propre à l’intimider. ( Voyez liv. iv, 24. )
  57. Défendre sa patrie, etc. Homer. , lliad. xii, 243.
  58. L’abondance des paroles. J’ai laissé tractatu, qui s’explique facilement : la plupart des textes portent cependant tractu.
  59. Qu’il a supprimées en écrivant. Pour l’intelligence de ce passage et de plusieurs autres, il faut se rappeler que les orateurs anciens n’écrivaient presque jamais leurs plaidoyers, qu’après les avoir prononcés. Cicéron le dit lui-même dans ses Tusculanes, iv, 25 : Jam rebus transactis et præteritis, orationes scribimus.
  60. Je saisis tout ce qui se présente, etc. Il y a dans le texte πάντα λίξον κινώ, je remue toute pierre : c’est un proverbe grec, dont on rapporte diversement l’origine. Voyez les Proverbes d’Érasme, à l’article omnem lapidem movere.
  61. La douce persuasion, etc. Cicéron rappelle ces vers d’Eupolis dans son Brutus, c. 9 : Non ( quemadmodum de Pericle scripsit Eupolis ) cum delectatione aculeos etiam relinqueret in animis eorum, a quibus esset auditus. Il ajoute, c. 15 : Πειζώ quam vocant Grœci, cujus effector est orator, hanc Suadam appellat Ennius, quam deam in Pericli labris scripsit Eupolis sessitavisse.
  62. Il tonnait, foudroyait, etc. La citation grecque est tirée d’Aristophane.
  63. Ce discoureur sans fin. Thersite. (Homer. , Iliad. II , 212. )
  64. Comme à floccons pressés, etc. Homer. , Iliad. iii , 222. C’est à Ulysse qu’Homère applique ces paroles.
  65. Qui sait, etc. Homer. , Iliad. iii, 214. Ceci est dit de Ménélas.
  66. Catilius Severus. C’est sans doute Catilius de Vérone, dont Pline parle plusieurs fois dans ses lettres : on voit par la lettre 27e du livre vi, qu’il parvint au consulat.
  67. Vous vanterai-je, etc. J’ai suivi le texte donné par Schæfer en écrivant ad hæc au lieu de ad hoc, et, plus haut, et tamen au lieu de tamen.
  68. Entre ceux, qui, etc. Ces enseignes étaient la barbe, la besace, le bâton, le manteau, et surtout la sévérité du visage. De Sacy avait dit seulement entre nos philosophes déclarés.
  69. Vous me demandez s’il vous convient, etc. J’ai rétabli, d’après Schæfer, causas agere decere. C’est évidemment cette leçon que De Sacy avait adoptée pour sa traduction.
  70. Un titre sans réalité. Toutes les magistratures n’étaient réellement que de vains titres, depuis que les empereurs avaient réuni toute la puissance dans leurs mains.
  71. Respectable, etc. Le latin porte quam in ordinem cogi a nullo deceat. C’était l’expression consacrée. ( Voyez Tite-Live, xxv, 3 et 4 ; xliii, 16. )
  72. Tant que j’ai exercé cette charge. Pline avait été tribun sous Domitien.
  73. La clepsydre. Horloge d’eau. ( Voyez les Lettres de Pline, iv, 9 ; vi, 2, 5 et 7).
  74. Adieu. Cette lettre est une de celles que Rollin a insérées dans le Traité des études. Malgré les éloges qu’il donne à la traduction de De Sacy, j’ai essayé quelques changemens, qui m’ont paru nécessaires.