Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/Livre second

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Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par [[Jules Pierrot|Jules Pierrot]].
éditeur Panckoucke (p. 83-163).

LETTRES

DE PLINE LE JEUNE.

LIVRE SECOND.

I - Pline à Voconius Romanus.[modifier]

La pompe funèbre de Virginius Rufus[1], citoyen illustre, non moins remarquable par son rare bonheur que par son mérite éclatant, vient de donner aux Romains un spectacle des plus beaux et des plus mémorables qu’ils aient eus depuis long-temps. Il a joui trente années de sa gloire. Il a eu le plaisir de lire des poèmes et des histoires, dont ses actions avaient fourni le sujet, et de voir commencer pour lui la postérité[2]. Trois fois consul, il se vit élevé au plus haut rang où pouvait monter-un particulier qui n’avait pas voulu être souverain. Il échappa aux empereurs, dont ses vertus avaient excité les soupçons et la haine : il a laissé sur le trône le meilleur des princes, qui l’honorait d’une amitié particulière ; il semble que les destins eussent réservé un si grand empereur, pour relever par sa présence la pompe funéraire d’un si grand homme[3]. Il a vécu quatre-vingt-trois ans, toujours heureux, toujours admiré. Sa santé fut parfaite ; et il n’eut d’autre incommodité, qu’un tremble ment de mains, sans aucune douleur. Il est vrai que la crise de sa mort a été longue et douloureuse ; mais cela même n’a fait que rehausser sa gloire. Il exerçait sa voix, pour se préparer à remercier publiquement l’empereur de l’avoir élevé au consulat[4] : il était debout ; un large volume, que tenait le vieillard, échappe à ses faibles mains. Il veut le retenir, et se presse de le ramasser : le plancher était glissant ; le pied lui manque ; il tombe, et se rompt une cuisse. Elle fut mal remise, et, la vieillesse s’opposant aux efforts de la nature, les os ne purent reprendre. Les obsèques de ce grand homme honorent l’empereur, notre siècle, la tribune même et le barreau. Cornelius Tacite a prononcé son éloge[5] ; car la fortune, pour dernière grâce, réservait à Virginius le plus éloquent des panégyristes. Il est mort chargé d’années, comblé d’honneurs, même de ceux qu’il a refusés ; et cependant nous n’en devons pas moins le regretter, comme le modèle des anciennes mœurs ; moi surtout, qui le chérissais, qui l’admirais autant dans le commerce familier, que dans sa vie publique. Nous étions du même pays : nos villes natales étaient voisines ; nos terres et nos propriétés se touchaient. Il m’avait été laissé pour tuteur, et avait eu pour moi la tendresse d’un père. Je n’ai point obtenu de charge qu’il ne l’ait briguée publiquement pour moi, et qu’il n’ait accouru du fond de sa retraite pour m’appuyer de son crédit, quoique depuis long-temps il eût renoncé à ces sortes de devoirs. Enfin, le jour que les prêtres ont coutume de nommer ceux qu’ils croient les plus dignes du sacerdoce, jamais il ne manqua de me donner son suffrage. Celte vive affection ne se démentit point pendant sa dernière maladie. Craignant d’être élu l’un des cinq membres de la commission insti tuée par le sénat pour travailler à la diminution des charges publiques[6], il me choisit, malgré ma jeunesse, pour le remplacer[7], me préférant à tant d’amis consulaires et d’une vieillesse honorable. Et de quelles paroles obligeantes n’accompagna-t-il point cette faveur ! Quand j’aurais un fils, me dit-il, je vous préférerais encore a lui. Puis-je m’empêcher, dites-moi, de verser des larmes dans votre sein, et de pleurer sa mort comme prématurée ? si toutefois il est permis de la pleurer, ou d’appeler mort le passage qu’il a fait d’une vie courte à une vie qui ne finira plus. Car enfin il vit, et vivra toujours, plus que jamais présent à la mémoire des hommes et mêlé à leurs discours, depuis qu’il ne paraît plus à leurs yeux. J’avais mille autres choses à vous mander ; mais mon esprit ne peut se détacher de Virginius : je ne puis penser qu’à Virginius : l’imagination prête à mes souvenirs toute la force de la réalité[8] ; je crois l’entendre, l’entretenir, l’embrasser. Nous avons et nous aurons peut-être encore des citoyens qui l’égaleront en vertus ; personne n’égalera sa gloire. Adieu.

II. - Pline à Paullinus[9].[modifier]

Je suis en colère : je ne sais pas encore si c’est avec raison ; ce qu’il y a de certain, c’est que je suis en colère. Vous connaissez l’amitié ; elle est quelquefois injuste, souvent emportée, toujours querelleuse[10]. Mais ici j’aurais matière à me fâcher, si mon courroux était fondé ; et je me fâche d’avance, comme si le motif en était aussi légitime qu’il est grave[11]. Quoi ! si long-temps sans me donner de vos nouvelles ! Vous n’avez plus qu’un moyen de m’apaiser ; c’est de m’écrire à l’avenir fort souvent, et de très-longues lettres. Je ne reçois que cette seule excuse ; je traiterai toutes les autres de mensonges. Je ne me paierai pas de ces défaites usées : Je n étais point à Rome, j’étais accablé d’occupations ; car pour l’excuse, j’étais malade, aux dieux ne plaise que vous puissiez vous en servir ! Moi, je me partage ici entre l’étude et la paresse, ces deux enfans de l’oisiveté. Adieu.

III. - Pline à Nepos[12].[modifier]

Isée avait été précédé d’une brillante réputation ; et l’on a trouvé sa réputation au dessous de son mérite. Rien n’égale la facilité, la variété, la richesse de son élocution. Jamais il ne se prépare, et il parle toujours comme s’il était préparé[13]. C’est la perfection du langage grec, ou plutôt de la langue attique[14]. Ses exordes ont de la grâce, de la délicatesse et de la douceur, quelquefois de la grandeur et de la majesté. Il demande plusieurs sujets de discussion, prie les auditeurs d’en choisir un, et souvent même de lui indiquer l’opinion qu’il doit soutenir. Il se lève, il se compose[15], il commence : tout se trouve presque à la fois sous sa main. Ses pensées sont profondes, et les mots semblent voler au devant des pensées. Mais quels mots ! les mieux choisis, les plus élégans. On sent, à ses discours les moins étudiés, qu’il a lu beaucoup, et beaucoup composé[16]. Il entre naturellement dans son sujet ; il narre avec clarté ; il argumente vivement ; il récapitule avec force, et sème partout des fleurs avec un goût exquis. En un mot, il instruit, il plaît, il remue, sans qu’on puisse décider si c’est à remuer, à plaire, ou à instruire qu’il excelle[17]. Il ramène sans cesse de courtes réflexions, et des raisonnemens si justes et si serrés, que, même la plume à la main, on aurait peine à leur donner autant d’énergie. Sa mémoire est un prodige : il reprend, depuis le commencement, un discours qu’il vient d’improviser, et ne s’y trompe pas d’un seul mot. L’étude et l’exercice lui ont acquis ce merveilleux talent : car ce qu’il fait, ce qu’il entend, ce qu’il dit, tout se rapporte là. Il a passé soixante ans, et il ne s’exerce encore que dans les écoles[18]. C’est chez les hommes de ce genre qu’on trouve au plus haut degré la simplicité, la bonté, la franchise. Nous autres, qui passons notre vie dans les contestations réelles et dans le tumulte du barreau, nous nous familiarisons, même sans le vouloir, avec la finesse et la ruse. Les écoles, au contraire, où tout n’est que fiction, ne nous offrent aussi que des sujets où l’esprit se joue innocemment ; et rien n’est plus agréable, surtout dans la vieillesse. Car est-il pour la vieillesse un amusement plus doux, que celui qui fait les délices du jeune âge ?

Je crois donc Isée, non-seulement le plus éloquent, mais encore le plus heureux des hommes ; et vous, vous en êtes le plus insensible, si vous n’éprouvez un désir ardent de le connaître. Quand d’autres affaires, quand le besoin de me voir ne vous appelleraient pas ici, vous y devriez voler pour l’entendre. N’avez-vous jamais lu qu’un citoyen de Cadix, frappé de la réputation et de la gloire de Tite-Live, vint des extrémités du monde pour le voir, le vit, et s’en retourna ? Il faut être sans goût, sans littérature, sans émulation, j’ai presque dit sans honneur, pour ne pas céder à cette curiosité, la plus séduisante, la plus noble, enfin la plus digne d’un homme. Vous me direz peut-être, je lis ici des ouvrages où l’on ne trouve pas moins d’éloquence. Je le veux ; mais vous les lirez toujours quand il vous plaira, et vous ne pourrez pas toujours entendre ce grand homme. Ignorez-vous d’ailleurs que le débit fait une impression bien plus vive et bien plus profonde ? Ce que vous lisez l’emportât-il naturellement en énergie, les traits que l’orateur enfonce par le geste, par la voix, par le jeu de la physionomie, entreront toujours plus avant. Ne savons-nous pas ce que l’on raconte d’Eschine ? Un jour qu’il lisait à Rhodes la harangue que Démosthène avait prononcée contre lui, les auditeurs applaudissaient avec enthousiasme. Que serait-ce donc, s’écria-t-il, si vous eussiez entendu le monstre lui-même[19] ? Cependant, si l’on en croit Démosthène, Eschine avait un organe très-sonore[20] ; et Eschine avouait néanmoins que l’auteur du discours l’avait infiniment mieux débité que lui. Quel est le but de tout ceci ? C’est de vous déterminer à venir entendre Isée, quand ce ne serait que pour dire que vous l’avez entendu. Adieu,


IV. - Pline à Calvina[21].[modifier]

Si votre père avait laissé des créanciers, ou même un. seul créancier autre que moi, vous auriez raison de déli bérer si vous devez accepter une succession, dont un homme même redouterait le fardeau. Mais aujourd’hui (les liens qui nous unissent m’en imposaient le devoir), j’ai payé les plus incommodes[22], ou, pour mieux dire, les plus diligens, et je suis devenu votre créancier unique. J’avais déjà contribué à votre dot d’une somme de cent mille sesterces, outre celle que votre père s’était engagé à payer, en quelque sorte, sur mon bien ; car c’était moi qui devais en faire les fonds. Voilà des gages assez certains de mes dispositions pour vous. Avec cette assurance, il faut épargner une tache à votre père, en acceptant sa succession ; et, pour donner à mes avis toute la vertu que les effets donnent aux paroles, je vous envoie une quittance générale de tout ce que me doit la succession. N’appréhendez point qu’une telle donation me soit à charge. Je ne suis pas riche, il est vrai ; mon rang exige de la dépense, et mon revenu, par la nature de mes terres, est aussi incertain que modique. Mais ce qui me manque de ce côté-là, je le retrouve dans l’économie : voilà la source de mes libéralités. Je sais bien pourtant qu’il ne faut pas y puiser jusqu’à la tarir ; mais je garde cette précaution pour d’autres que vous. A votre égard, quand ma générosité passerait les bornes, j’aurai toujours bien calculé. Adieu.

V. - Pline à Lupercus.[modifier]

Je vous envoie un discours que vous m’avez demandé plus d’une fois, et que je, vous ai souvent promis. Vous n’en recevrez pourtant aujourd’hui qu’une partie ; je corrige encore l’autre. J’ai cru convenable de soumettre à votre critique ce qu’il y avait déjà de plus travaillé. Lisez, je vous prie, avec le même soin que j’ai composé. Je n’avais rien fait encore qui exigeât de moi autant d’application : on n’avait à juger, dans mes autres discours, que du zèle et de la fidélité de l’avocat : ici, l’on jugera de la piété du citoyen. Aussi mon ouvrage s’est étendu sous ma main, animé comme je l’étais par le plaisir de louer, de célébrer ma patrie, de la défendre tout à la fois et de faire éclater sa gloire. Abrégez cependant, taillez à votre gré ; car toutes les fois que je pense au dégoût et à la délicatesse de nos lecteurs, je conçois que la brièveté même n’est pas un moyen de succès à négliger.

Toutefois, en me recommandant à votre sévérité, j’ai à vous demander une grâce toute différente : c’est de vous laisser souvent dérider le front. Il faut bien donner quelque chose au goût des jeunes gens, surtout lorsque le sujet ne s’y oppose pas. Dans ces sortes d’ouvrages, on peut prêter aux descriptions des lieux, qui reviennent souvent, non-seulement les ornemens de l’histoire, mais peut-être encore les embellissemens de la poésie. Si quelqu’un pensait que je me suis accordé plus de licence sur ce point, que ne le permettait la gravité du sujet, le reste de mon discours m’excusera, je l’espère, aux yeux de ce censeur chagrin. J’ai, par la variété de mon style, tâché de satisfaire les différentes inclinations des lecteurs. Ainsi, tout en craignant que ce qui pourra plaire à l’un ne déplaise à l’autre, je me flatte que cette variété même sauvera l’ouvrage entier. Quand nous sommes à table, nous ne touchons pas à tous les mets ; nous louons pourtant tout le repas, et ce que nous n’aimons pas ne fait point de tort à ce que nous aimons. Non que je prétende avoir atteint au degré de perfection dont je parle : je veux seulement vous faire entendre que j’y visais. Peut-être même n’aurai-je pas perdu ma peine, si vous prenez celle de retoucher ce que je vous envoie et ce que je vous enverrai bientôt. Vous direz, qu’il ne vous est pas facile de vous bien acquitter de ce soin sans voir toute la pièce. J’en conviens : mais vous vous familiariserez toujours avec les morceaux que je vous soumets, et vous y trouverez quelque endroit qui peut souffrir des corrections partielles. Que l’on vous présente une tête, ou quelque autre partie d’une statue, vous ne pourrez pas dire si les proportions sont bien gardées, et pourtant vous ne laisserez pas de juger du mérite de cette partie. Et par quel autre motif va-t-on lire de maison en maison les commencemens d’un ouvrage, sinon parce que l’on est persuadé qu’ils peuvent avoir leur beauté, indépendamment du reste ? Je m’aperçois que le plaisir de vous entretenir m’a mené loin. Je finis. Il sied trop mal à un homme, qui blâme même les longues harangues, de faire de longues lettres. Adieu.

VI. - Pline à Avitus[23].[modifier]

Il faudrait reprendre de trop haut une histoire d’ailleurs inutile, pour vous dire comment, malgré mon humeur réservée, je me suis trouvé à souper chez un homme, selon lui, magnifique et économe, selon moi, somptueux et mesquin tout à la fois. On servait pour lui et pour un petit nombre de conviés des mets excellens : l’on ne servait pour les autres que des viandes communes et grossières. Il y avait trois sortes de vins dans de petites bouteilles différentes, non pas pour laisser la liberté de choisir, mais afin d’ôter le droit de refuser. Le premier était pour le maître et pour nous ; le second, pour les amis du second rang (car il aime par étage) ; le dernier, pour ses affranchis et pour les nôtres. L’un de mes voisins me demanda si j’approuvais l’ordonnance de ce festin. Je lui répondis que non. Et comment donc en usez-vous, dit-il ? — Je fais servir également tout le monde ; car mon but est de réunir mes amis dans un repas , et non de les offenser par des distinctions injurieuses. La différence du service ne distingue point ceux que la même table a égalés. — Quoi ! reprit-il, traitez-vous de même les affranchis ? — Pourquoi non ? Dans ce moment je ne vois point en eux des affranchis ; je n’y vois plus que des convives. — Cela vous coûte beaucoup, ajouta-t-il ? — Point du tout. — Quel secret avez-vous donc ? — Quel secret ? c’est que mes affranchis ne boivent pas le même vin que moi, mais que je bois le même vin que mes affranchis[24] .

Ne soyons pas trop délicats, et il ne nous en coûtera ja mais bien cher pour traiter les autres comme nous-mêmes. C’est notre propre sensualité qu’il faut réprimer et, pour ainsi dire, rappeler à l’ordre, quand nous voulons ménager notre bien : on doit, pour bien faire, fonder son économie sur sa tempérance, et non sur l’humiliation des autres. A quoi tend ce discours ? à vous avertir, vous dont j’estime tant l’heureux naturel, de ne point vous laisser imposer par une sorte de profusion d’autant plus dangereuse, qu’elle se pare des dehors de l’économie. L’amitié que je vous ai vouée exige de moi que toutes les fois qu’en mon chemin je rencontre un exemple semblable, je m’en serve pour vous avertir de ce qu’il faut éviter. N’oubliez donc jamais que l’on ne peut avoir trop d’horreur de ce monstrueux mélange d’avarice et de prodigalité ; et que, si un seul de ces vices suffit pour ternir la réputation, ils ne peuvent que déshonorer davantage, quand ils sont unis. Adieu.

VII. - Pline à Macrin.[modifier]

Hier le sénat, sur la proposition qu’en fit l’empereur, ordonna qu’il serait élevé une statue triomphale à Vestricius Spurinna, non pas comme à tant d’autres, qui ne se sont jamais trouvés à une bataille, qui n’ont jamais vu de camp, et qui n’ont jamais entendu la trompette qu’au milieu des spectacles ; mais comme à ceux qui ont acheté cet honneur au prix de leurs fatigues, de leur sang et de leurs exploits. Spurinna, à la tête d’une armée, a rétabli le roi des Bructères dans ses états : il lui a suffi de pa raître (et c’est sans doute la plus glorieuse de toutes les victoires), pour dompter, par la terreur de ses armes, une nation si belliqueuse. Mais, en même temps que l’on a récompensé le héros, on a consolé le père. Spurinna, en son absence, a perdu son fils Cottius, et Cottius a aussi été honoré d’une statue ; distinction rarement accordée à un jeune homme. Les services du père l’avaient bien méritée ; et il ne fallait pas moins qu’un tel remède pour une plaie si profonde. D’ailleurs, Cottius brillait déjà de tant de vertus naturelles, que l’on devait une sorte d’immortalité à une vie si précieuse et si courte. La pureté de ses mœurs, la solidité, et même la supériorité de son esprit, lui permettaient de disputer de mérite avec les vieillards, à qui ce nouvel honneur l’a justement égalé. Cet honneur, si je ne me trompe, ne se bornera pas à la consolation du père, et à la gloire du fils ; il va faire naître une nouvelle émulation dans tous les cœurs. Les jeunes gens, animés par l’espérance du même prix, vont se distinguer à l’envi dans l’exercice des vertus. Les hommes du plus haut rang s’empresseront d’élever des enfans, ou pour revivre en eux, s’ils les conservent, ou pour être si glorieusement consolés, s’ils les perdent. Je dois donc voir avec un plaisir infini, dans l’intérêt public et tout ensemble pour moi-même, qu’on ait érigé une statue à Cottius. J’aimais cet excellent jeune homme aussi vivement que je le regrette aujourd’hui ; et je trouverai une bien douce consolation à contempler de temps en temps sa statue, à me retourner quelquefois pour la voir, à m’arrêter devant elle, à passer près d’elle. Si les images des morts calment notre douleur, lors même qu’elles ne se présentent à nous que dans l’enceinte d’une maison, combien ne frappent-elles pas davantage, lors que, dans une place publique, elles nous retracent, non-seulement le visage et les traits de nos amis, mais leurs vertus mêmes et leur gloire. Adieu.

VIII. - Pline à Caninius.[modifier]

Est-ce l’étude, est-ce la pêche, est-ce la chasse, ou les trois ensemble qui vous occupent ? car ce sont des plaisirs qu’on peut goûter à la fois dans notre charmante retraite, près du lac de Côme. Le lac vous fournit du poisson ; les bois qui l’environnent sont pleins de bêtes fauves, et la profonde tranquillité du lieu invite à l’étude. Mais, que toutes ces choses ensemble ou quelqu’autre vous occupent, il ne m’est pas permis de dire que je vous porte envie. Il m’est bien cruel pourtant de ne pouvoir jouir, ainsi que vous, de ces innocens plaisirs, après lesquels je soupire avec la même ardeur, que le malade soupire après les bains, après le vin, après les eaux. Ne m’arrivera-t-il donc jamais de rompre les nœuds qui m’attachent, puisque je ne puis les délier ? Non, je n’ose m’en flatter. Chaque jour, nouveaux embarras viennent se joindre aux anciens : une affaire n’est pas encore finie, qu’une autre commence : la chaîne de mes occupations s’étend et s’appesantit de jour en jour. Adieu.

IX. - Pline à Apollinaire.[modifier]

Je suis vivement occupé des démarches de mon ami Sextus Erucius. Je ressens pour cet autre moi-même des agitations, qu’en pareille occasion je n’ai point senties pour moi. D’ailleurs, il me semble que mon honneur, mon crédit et ma dignité sont compromis. J’ai obtenu de l’empereur, pour Sextus, le droit d’entrer au sénat[25] ; je lui ai obtenu la charge de questeur : il doit à mes sollicitations la permission de demander celle de tribun[26]. Si le sénat la lui refuse, j’ai peur de paraître avoir abusé le prince. Je ne dois donc rien négliger, pour que le jugement public confirme l’opinion que l’empereur, sur la foi de mes éloges, a bien voulu concevoir de son mérite. Quand une raison si pressante me manquerait, je n’aurais guère moins d’ardeur pour l’élévation de Sextus. C’est un jeune homme plein de probité, de sagesse, de savoir, et de qui l’on ne peut dire trop de bien, ainsi que de toute sa maison. Son père, Erucius Clarus, est un homme d’une vertu antique : avocat éloquent et exercé, il honore sa profession par sa probité, par son courage, par sa modestie. Caius Septicius, son oncle, est la vérité, la franchise, la candeur, la fidélité même. Tous rivalisent d’affection pour moi, et cependant ils m’aiment tous également. Voici une occasion où je puis, en témoignant ma reconnaissance à un seul, m’acquitter envers tous. J’emploie donc tous mes amis. Je supplie, je brigue, je vais de maison en maison, je cours dans toutes les places publiques ; et j’essaie, par mes prières, tout ce que j’ai de crédit et de considération. Partagez, s’il vous plaît, les soins que je me suis imposés : je vous en tiendrai compte aussitôt que vous le demanderez ; je n’attendrai même pas votre demande. Je sais combien de gens vous chérissent, vous honorent, vous font la cour. Laissez entrevoir seulement vos intentions ; nous ne manquerons pas de personnes empressées à les seconder. Adieu.

x. - Pline à Octavius[27].[modifier]

N’êtes-vous pas bien nonchalant, ou plutôt bien dur, j’allais dire bien cruel, de retenir toujours dans l’obscurité de si charmantes productions ? Combien de temps encore avez-vous résolu d’être l’ennemi de votre gloire et de notre plaisir ? Laissez, laissez vos ouvrages courir le monde ; qu’ils se répandent aussi loin que la langue romaine[28]. D’ailleurs, une attente si longue, une curiosité si vive ne vous permettent plus de nous faire languir davantage. Quelques-uns de vos vers, échappés malgré vous[29], ont déjà paru. Si vous ne prenez soin de les rappeler et de les rassembler, ces vagabonds sans aveu trouveront maître. Songez que nous sommes mortels, et que les œuvres de votre esprit peuvent seules vous assurer l’immortalité. Tous les autres ouvrages des hommes ne résistent point au temps, et périssent comme eux. Vous me direz, selon votre coutume : Ce sera l’affaire de mes amis. Je souhaite de tout mon cœur que vous ayez des amis assez fidèles, assez savans, assez laborieux pour vouloir se charger de cette entreprise, et pour la pouvoir soutenir : mais croyez-vous qu’il y ait beaucoup de sagesse à se promettre des autres ce que l’on se refuse à soi-même ? Ne parlons plus de publier vos vers ; ce sera quand il vous plaira : au moins récitez-les, pour vous inspirer l’envie de les publier, et donnez-vous enfin la satisfaction que je goûte par avance pour vous depuis si long-temps. Je me représente déjà cette foule d’auditeurs, ces transports d’admiration, ces applaudissemens, ce silence même, qui, lorsque je plaide ou que je lis mes ouvrages, n’a guère moins de charmes pour moi que les applaudissemens, s’il est animé par l’attention et par l’impatience d’entendre ce qui va suivre. Ne dérobez donc plus à vos veilles, par d’éternels délais, une récompense si belle et. si certaine. À différer plus long-temps, vous ne gagnerez rien que le nom d’indifférent, de paresseux, et peut-être de timide. Adieu.

XI. - Pline à Arrien.[modifier]

Je sais quelle satisfaction vous éprouvez, quand notre sénat s’honore par un acte vraiment digne de son auguste caractère. L’amour du repos, qui vous éloigne des affaires, ne bannit pas de votre cœur la passion que vous avez pour la gloire de l’empire. Apprenez donc ce qui vient d’arriver ces jours derniers. C’est un événement fameux par le rang de la personne, salutaire par la sévérité de l’exemple, mémorable à jamais par son importance, Marius Priscus, proconsul d’Afrique, accusé par les Africains, se bornait à demander des juges ordinaires, sans proposer aucune défense[30]. Cornelius Tacite et moi, chargés par ordre du sénat de la cause de ces peuples, nous crûmes qu’il était de notre devoir de représenter, que l’énormité des crimes imputés à Priscus ne permettait pas de lui accorder sa demande : on l’accusait d’avoir reçu de l’argent pour condamner et faire mourir des innocens. Catius Fronton[31] répondit, en suppliant le sénat de renfermer l’affaire dans l’accusation de péculat, et cet orateur, très-habile à tirer des larmes, fit jouer tous les ressorts de la pitié. Grande contestation, grandes clameurs de part et d’autre ! Selon les uns, la loi assujettit le sénat à juger lui-même ; selon les autres, elle lui laisse la liberté d’en user comme il croit convenir à la qualité des crimes.

Enfin, Julius Ferox, consul désigné, homme droit et intègre, ouvre un troisième avis. Il veut que, par provision, l’on donne des juges à Priscus sur la question de péculat ; et. qu’avant de prononcer sur l’accusation capitale, ceux à qui l’on prétend qu’il a vendu le sang innocent, soient appelés. Non-seulement cet avis l’emporta, mais il n’y en eut presque plus d’autres, après tant de disputes ; et l’on éprouva que, si les premiers mouvemens de la prévention et de la pitié sont vifs et impétueux[32], la sagesse et la raison parviennent peu à peu à les apaiser. De là vient que personne n’a le courage de proposer seul ce qu’il osait soutenir en mêlant ses cris à ceux de la multitude. La vérité que l’on ne pouvait découvrir, tant que l’on était enveloppé dans la foule, se manifeste tout à coup dès que l’on s’en sépare. Vitellius Honoratus et Flavius Martianus, complices assignés, se rendirent à Rome[33]. Le premier était accusé d’avoir donné trois cent mille sesterces pour faire bannir un chevalier romain, et mettre à mort sept amis de cet exilé ; le second, d’avoir acheté sept cent mille sesterces diverses peines imposées à un autre chevalier romain ; ce malheureux avait été d’abord condamné au fouet, puis envoyé aux mines, et à la fin étranglé en prison. Une mort favorable déroba Honoratus à la justice du sénat : Martianus fut introduit, en l’absence de Priscus. Alors Tutius Cerealis, consulaire, usant de son droit de sénateur, demanda que Priscus assistât à la discussion, soit pour accroître par sa présence ou la compassion ou la haine, soit plutôt qu’il jugeât équitable que les deux accusés repoussassent en commun une accusation commune, et fussent puais ensemble, s’ils ne pouvaient se justifier. L’affaire fut renvoyée à la première assemblée du sénat, qui fut. des plus augustes. Le prince y présida ; il était consul. Nous entrions dans le mois de janvier, celui de tous qui rassemble à Rome le plus de monde, et particulièrement de sénateurs. D’ailleurs, l’importance de la cause, le bruit qu’elle avait fait, l’attente qui s’était encore accrue par tant de remises, la curiosité naturelle à tous les hommes de voir de près les événemens extraordinaires, avaient attiré un innombrable concours[34]. Imaginez-vous quels sujets d’inquiétude et de crainte pour nous, qui devions porter la parole dans une telle assemblée, et en présence de l’empereur ! J’ai plus d’une fois parlé dans le sénat ; j’ose dire même, que je ne suis nulle part aussi favorablement écouté : cependant tout m’étonnait, comme si tout m’eût été nouveau. La difficulté de la cause ne m’embarrassait guère moins que le reste. J’envisageais dans la personne de Priscus, tantôt un consulaire, tantôt un septemvir[35], quelquefois un homme déchu de ces deux dignités. Il m’était bien pénible d’accuser un malheureux déjà condamné pour crime de péculat : si l’énormité du forfait parlait contre lui, la pitié, qui suit ordinairement une première condamnation, parlait en sa faveur. Néanmoins, je recueillis mes esprits et mes idées du mieux qu’il me fut possible, et je commençai mon discours : il fut écouté avec autant de faveur qu’il m’avait inspiré de crainte. Je parlai près de cinq heures (car on me donna presque une heure et demie, au delà des trois et demie[36] qui m’avaient été d’abord largement accordées) ; tant les parties mêmes de la cause qui m’avaient paru les plus épineuses et les plus défavorables, quand j’avais à les traiter, se présentèrent sous un jour heureux, quand je vins à les traiter ! Les bontés de l’empereur, ses soins pour moi, je n’oserais dire ses inquiétudes, allèrent si loin, qu’il me fit avertir plusieurs fois par un affranchi que j’avais derrière moi, de ménager mes forces ; il craignait que ma chaleur ne m’emportât plus loin que ne le permettait la faiblesse de ma complexion.

Claudius Marcellinus défendit Martianus. Le sénat se sépara, et remit l’assemblée au lendemain ; car il n’y avait pas assez de temps pour achever un nouveau plaidoyer avant la nuit. Le jour d’après, Salvius Liberalis parla pour Marius. Cet orateur a de la finesse, de l’art, de la véhémence, de la facilité : il sut dans cette occasion déployer tous ses avantages. Cornelius Tacite répondit avec beaucoup d’éloquence, et fit admirer cette élévation qui caractérise ses discours. Catius Fronton répliqua avec talent, et, s’accommodant à son sujet, il songea plus à fléchir les juges qu’à justifier l’accusé. Il finissait son plaidoyer, quand la nuit survint[37] : on renvoya donc les preuves au jour suivant. C’était quelque chose de fort beau, de vraiment digne de l’ancienne Rome, que de voir le sénat trois jours de suite assemblé, trois jours de suite occupé, ne se séparer qu’à la nuit.

Cornutus Tertullus, consul désigné, homme d’un rare mérite, et très-zélé pour la vérité, opina le premier. Il fut d’avis de condamner Marins à verser dans le trésor public les sept cent mille sesterces qu’il avait reçus, et de le bannir de Rome et de l’Italie : il alla plus loin contre Martianus, et demanda qu’il fût banni même de l’Afrique. Il conclut, en proposant au sénat de déclarer que nous avions, Tacite et moi, fidèlement et dignement rempli le ministère qui nous avait été confié. Les consuls désignés, et tous les consulaires qui parlèrent ensuite, se rangèrent à cette opinion, jusqu’à Pompeius Collega, qui la modifia de cette manière : il proposa de condamner Marius à verser dans le trésor public les sept cent mille sesterces, et d’exiler Martianus pour cinq ans, mais de ne rien ajouter à la peine prononcée déjà contre Marius pour le crime de péculat. Chaque opinion eut grand nombre de partisans ; mais la balance semblait pencher en faveur de la dernière, c’est-à-dire de la plus indulgente, ou, si l’on veut, de la moins rigoureuse ; car plusieurs de ceux qui avaient adopté le sentiment de Cornutus, se déclaraient maintenant pour Collega. Mais, lorsqu’on vint à compter les suffrages, les sénateurs placés près des consuls, commencèrent à se ranger du côté de Cornutus. Alors ceux qui avaient donné lieu de croire qu’ils étaient de l’avis de Collega, repassèrent tout à coup de l’autre côté, en sorte que Collega se trouva presque seul. Il exhala son chagrin en reproches amers contre ceux qui l’avaient engagé dans ce parti, principalement contre Regulus, qui n’avait pas le courage de suivre un avis dont il était l’auteur. Au fait, Regulus est un esprit si léger, qu’il passe en un moment de l’extrême audace à l’extrême crainte.

Voilà quel fut le dénouement de cette grande affaire. Il en reste toutefois un chef[38], qui n’est pas de petite importance : c’est ce qui regarde Hostilius Firminus, lieutenant de Marius Priscus, qui s’est trouvé impliqué dans cette accusation, et qui a eu de terribles assauts à soutenir. Il est convaincu par les registres de Martianus, et par la harangue qu’il fit dans l’assemblée des habitans de Leptis, d’avoir rendu d’infâmes offices à Marius, et d’avoir exigé cinquante mille deniers de Martianus : il est prouvé, en outre, qu’il a reçu dix mille sesterces, à titre de parfumeur, titre honteux, qui ne convient pas trop mal, cependant, à un homme toujours si soigneux de sa coiffure et de la douceur de sa peau[39]. On décida, sur l’avis de Cornutus, de renvoyer la discussion de cette dernière affaire à la séance prochaine ; car, soit hasard, soit remords, Hostilius était alors absent.

Vous voilà bien informé de ce qui se passe à la ville. Informez-moi à votre tour de ce qui se fait à la campagne : que deviennent vos arbres, vos vignes, vos blés, vos troupeaux choisis ? Comptez que si je ne reçois de vous une très-longue lettre, vous n’en aurez plus de moi que de très-courtes. Adieu.

XII. - Pline à Arrien.[modifier]

Je ne sais si nous avons bien jugé ce dernier chef, qui nous restait de l’affaire de Priscus, comme je vous l’avais mandé ; mais enfin nous l’avons jugé[40]. Firminus comparut au sénat, et répondit à l’accusation, dont les motifs étaient déjà connus. Les avis se partagèrent entre les consuls désignés. Cornutus opinait à le chasser du sénat ; Acutius[41] Nerva, seulement à l’exclure du partage des gouvernemens. Cette opinion prévalut comme la plus douce, quoiqu’elle soit en effet plus rigoureuse que l’autre. Car, enfin, qu’y a-t-il de plus cruel, que de se voir livré aux soins et aux travaux attachés à la dignité de sénateur, sans espérance de jouir jamais des honneurs qui en sont la récompense ? Qu’y a-t-il de plus affreux pour un homme flétri d’une telle tache, que de n’avoir pas la liberté de se cacher au fond d’une solitude, et d’être obligé de rester au sein de cet ordre éminent, qui le donne en spectacle à tous les regards ? Que peut-on d’ailleurs imaginer de plus bizarre et de plus indécent, que de voir assis dans le sénat un homme que le sénat a noté ? de voir un homme déshonoré par un jugement, prendre place parmi ses juges ? un homme exclu du proconsulat, pour avoir prévariqué dans ses fonctions de lieutenant, juger lui-même des proconsuls ? un homme, enfin, condamné pour un crime honteux, condamner ou absoudre les autres ? Mais la majorité a prononcé : on ne pèse pas les voix, on les compte ; et il ne faut attendre rien de mieux de ces as semblées, où la plus choquante inégalité est dans l’égalité même[42] puisque ceux qui les composent ont tous la même autorité sans avoir les mêmes lumières. Je me suis acquitté de ce que je vous avais promis par ma dernière lettre : si je calcule bien le temps, vous devez l’avoir reçue ; car je l’ai confiée à un courrier qui aura fait diligence, s’il n’a point rencontré d’obstacle sur son chemin. C’est à vous aujourd’hui à me payer de ma première et de ma seconde épître, par des lettres aussi longues et aussi remplies qu’on doit les écrire dans la retraite que vous habitez. Adieu.

XIII. - Pline à Priscus[43].[modifier]

Vous saisissez avec empressement toutes les occasions de me rendre service, et il n’est personne à qui j’aime mieux avoir de telles obligations qu’à vous : ce double motif me détermine à vous demander une grâce, que je suis bien jaloux d’obtenir. Vous êtes à la tête d’une puissante armée : ce poste met à votre disposition nombre de places et de faveurs, et, depuis le temps que vous l’occupez, vous avez dû en combler tous vos amis. Daignez maintenant songer aux miens, je veux dire à quelques-uns des miens[44]. Vous aimeriez, je le sais, à les obliger tous ; ma discrétion se contentera de vous parler d’un seul, de deux tout au plus. Mais non, je ne vous parlerai que d’un seul ; c’est de Voconius Romanus.

Son père s’était distingué dans l’ordre des chevaliers, et son beau-père, ou plutôt son second père (car sa ten dresse lui a aussi mérité ce nom[45]), s’y était acquis une illustration plus grande encore. Sa mère était de l’une des meilleures maisons de l’Espagne citérieure : vous savez quels sont le bon esprit et la sévérité de mœurs des habitans de cette province. Pour lui, la dernière charge qu’il ait occupée, c’est celle de pontife. Notre amitié a commencé avec nos études : nous n’avions qu’une même maison à la ville et à la campagne ; il partageait mes affaires aussi bien que mes plaisirs. Et où trouver aussi une affection plus sûre, et tout à la fois une compagnie plus agréable ? Sa conversation à un charme inexprimable ; sa physionomie est pleine de douceur ; son esprit élevé, délicat, doux, facile, est heureusement préparé pour les exercices du barreau. Les lettres qu’il écrit semblent dictées par les muses elles-mêmes. Je l’aime plus que je ne puis dire, et son amitié ne le cède pas à la mienne. J’étais tout jeune aussi bien que lui, et déjà, pour le servir, je cherchais avec empressement les occasions que notre âge me pouvait permettre. Je viens de lui obtenir le privilége que donne le nombre de trois enfans[46] : quoique l’empereur se soit fait une loi de ne le conférer que rarement et avec choix, il a bien voulu me l’accorder avec autant de grâce que s’il avait choisi lui-même. Je ne puis mieux soutenir mes premiers bienfaits, qu’en les redoublant, surtout avec un homme qui les reçoit de manière à en mériter de nouveaux.

Je vous ai dit quel est Romanus, ce que j’en sais, combien je l’aime : traitez-le, je vous prie, comme je dois l’attendre de votre caractère et de votre position : je vous conjure surtout de l’aimer ; quelque bien que vous lui fassiez, je n’en vois point de plus précieux pour lui que votre amitié. C’est pour vous prouver qu’il la mérite, et que vous pouvez l’admettre dans votre familiarité même la plus intime, que je vous ai tracé en peu de mots ses inclinations, son esprit, ses mœurs et sa vie tout entière. Je renouvellerais encore ici mes recommandations, si je ne savais que vous n’aimez pas à vous faire prier long-temps, et que je n’ai pas fait autre chose dans toute cette lettre. Car c’est prier, et prier très-efficacement, que de faire sentir la justice de ses prières. Adieu.

XIV. - Pline à Maxime[modifier]

Vous l’avez deviné ; je commence à me lasser des causes que je plaide devant les centumvirs : la peine passe le plaisir. La plupart sont peu importantes. Rarement s’en présente-t-il une qui, par la qualité des personnes, ou par l’importance du sujet, attire l’attention. D’ailleurs, il s’y trouve un très-petit nombre de dignes adversaires : le reste n’est qu’un amas de gens, dont l’audace fait tout le mérite, ou d’écoliers sans talens et sans nom. Ils ne viennent là que pour déclamer, mais avec si peu de respect et de retenue, que j’applaudis fort au mot de notre Attilius : Les enfans, disait-il, commencent au barreau par plaider devant les centumvirs, comme aux écoles, par lire Homère. En effet, au barreau comme aux écoles, on commence par ce qu’il y a de plus difficile.

Autrefois, des vieillards me l’ont souvent dit[47] ?, les jeunes gens, même de la plus haute naissance, n’étaient point admis à parler devant les centumvirs, si quelque consulaire ne les présentait ; tant on. avait alors de vénération pour un si noble exercice ! Aujourd’hui, les bornes de la discrétion et de la pudeur sont franchies, et le champ est ouvert à tout le monde. Nos nouveaux orateurs n’attendent plus qu’on les présente au barreau ; ils s’y jettent d’eux-mêmes. A leur suite, marchent des auditeurs tout à fait dignes d’eux, que l’on achète à beaux deniers comptans. Cette foule mercenaire se presse autour de l’agent de nos avocats[48], au milieu même du palais, et là, comme dans une salle à manger, il leur distribue la sportule[49]. Aussi les a-t-on nommés assez plaisamment en grec σοφοχλείς (qui savent s’écrier à propos), et en latin lau dïcæni(louangeurs pour un repas[50]). Cette manœuvre honteuse, flétrie dans les deux langues, ne gagne pas moins de jour en jour : je l’ai éprouvé hier. Deux de mes domestiques[51], à peine sortis de l’enfance, furent entraînés et forcés d’aller applaudir pour trois deniers[52]. Voilà ce qu’il en coûte pour être grand orateur. A ce prix, il n’y a point de bancs que vous ne remplissiez, point de lieux que vous ne couvriez d’auditeurs, point de cris d’enthousiasme que vous n’arrachiez, quand il plaît à celui qui règle ce beau concert d’en donner le signal : il faut bien un signal pour des gens qui ne comprennent rien, ou qui même n’écoutent pas ; car la plupart ne s’en donnent pas la peine, et ce sont justement ceux-là qui approuvent le plus haut.

S’il vous arrive jamais de passer près du palais, et que vous soyez curieux de savoir comment parle chacun de nos avocats, sans vous donner la peine d’entrer et de prêter votre attention, il vous sera facile de le deviner. Voici une règle sûre : plus les marques d’approbation sont bruyantes, moins l’orateur a de talent.

Largius Licinius amena le premier cette mode[53] ; mais il se contentait de rassembler lui-même ses auditeurs : je l’ai ouï raconter à Quintilien mon maître. «J’accompagnais, disait-il, Domitius Afer, qui plaidait devant les centumvirs avec gravité et d’un ton fort lent ; c’était sa manière. Il entendit dans une salle voisine un bruit extraordinaire : surpris, il se tut. Le silence succède ; il reprend où il en est demeuré. Le bruit recommence, il s’arrête encore une fois. On se tait, il continue à parler. Interrompu de nouveau, il demande enfin le nom de l’avocat qui plaide : on lui répond que c’est Licinius : Centumvirs, dit-il alors avant de reprendre son plaidoyer, l’éloquence est perdue. » C’est aujourd’hui que cet art, qui ne commençait qu’à se perdre lorsque Afer le croyait déjà perdu, est entièrement éteint et anéanti. J’ai honte de vous dire quelles acclamations sont prodiguées par nos auditeurs imberbes[54] aux plus mauvais discours et au débit le plus monotone. En vérité, il ne manque à cette psalmodie, que des battemens de mains[55], ou plutôt que des cymbales et des tambours. Pour des hurlemens (un autre mot serait trop doux), nous en avons de reste, et le barreau retentit d’acclamations indignes du théâtre même. Mon âge pourtant et l’intérêt de mes amis m’arrêtent encore. Je crains que l’on ne me soupçonne de fuir ces infamies beaucoup moins que le travail. Cependant je commence à me montrer au barreau plus rarement qu’à l’ordinaire, ce qui me conduit insensiblement à l’abandonner tout à fait. Adieu.

XV. - Pline à Valerien.[modifier]

Votre ancienne terre du pays des Marses vous plaît-elle toujours ? Et votre nouvelle acquisition ? n’a-t-elle rien perdu de ses charmes, depuis que vous en jouissez ? Cela me paraît bien difficile : celui qui possède, et celui qui désire n’ont pas les mêmes yeux. Pour moi, je n’ai pas trop à me louer des terres que j’ai héritées de ma mère : elles me plaisent pourtant, parce qu’elles viennent de ma mère ; et d’ailleurs, une longue habitude m’a endurci. Voilà comment les longues plaintes se terminent toujours : à la fin, on a honte de se plaindre. Adieu.

XVI. - Pline à Annien.[modifier]

Vous me mandez, avec votre zèle ordinaire quand il s’agit de mes intérêts, que les codiciles d’Acilien, qui ne m’a institué héritier que pour une part de son bien, doivent être regardés comme nuls, parce que son testament ne les confirme pas. Je n’ignore pas ce point de droit, connu du jurisconsulte le plus médiocre : mais je me suis fait une loi particulière ; c’est de respecter et d’accomplir toujours les volontés des morts, quand même les formalités y manqueraient. Les codiciles dont il s’agit sont certainement écrits de la main d’Acilien. Quoiqu’ils ne soient pas confirmés par son testament, je les exécu terai comme s’ils l’étaient ; surtout ici où je ne vois rien à craindre de la chicane d’un délateur. Car, je vous l’avouerai, peut-être hésiterais-je davantage, si j’avais lieu d’appréhender qu’une confiscation ne détournât, au profit du trésor public, des libéralités que je veux faire aux légataires. Mais, comme il est permis à un héritier de disposer à son gré des biens d’une succession, je ne vois rien qui puisse traverser l’exécution de ma loi particulière, que les lois publiques ne désapprouvent pas. Adieu.

XVII. - Pline à Gallus.[modifier]

Vous êtes surpris que je me plaise tant à ma terre du Laurentin, ou, si vous voulez, de Laurente[56]. Vous reviendrez sans peine de votre étonnement, quand vous connaîtrez cette charmante habitation, les avantages de sa situation, l’étendue de nos rivages.

Elle n’est qu’à dix-sept milles[57] de Rome ; si bien qu’on peut s’y trouver après avoir achevé toutes ses affaires, et sans rien prendre sur sa journée. Deux grands chemins y conduisent, celui de Laurente[58] et celui d’Ostie : mais on quitte le premier à quatorze milles, et le second à onze. En sortant de l’un ou de l’autre de ces chemins, on entre dans une route en partie sablonneuse, ou les voitures roulent avec assez de difficulté et de lenteur ; à cheval, le trajet est plus doux et plus court. De tous les côtés, la vue est très-variée : tantôt la route se resserre entre des bois, tantôt elle s’ouvre et s’étend dans de vastes prairies. Là, vous voyez des troupeaux de moutons, de bœufs, de chevaux, qui, dès que l’hiver a quitté leurs montagnes, viennent, ramenés par la douce température du printemps, s’engraisser dans les paturages.

La maison est commode, et n’est pas d’un grand entretien. L’entrée est propre, sans être magnifique : on trouve ensuite un portique courbé en forme de D[59], et qui environne une cour petite, mais agréable : c’est une retraite précieuse contre le mauvais temps ; car on y est protégé par les vitres qui le ferment, et surtout par les larges toits qui le couvrent. De ce portique, on passe dans une grande cour fort gaie, et, de là, dans une assez belle salle à manger, qui s’avance sur la mer, dont les vagues viennent mourir au pied du mur, lorsque souffle le vent du midi. De tous les côtés, cette salle est garnie de portes à deux battans et de fenêtres qui ne sont pas moins grandes que les portes ; ainsi, à droite, à gauche, en face, on découvre comme trois mers différentes : derrière soi, on retrouve la grande cour, le portique, la petite cour, puis encore le portique, enfin l’entrée, et, dans le lointain, les forêts et les montagnes. A la gauche de cette salle à manger, est une grande chambre moins avancée vers la mer ; et de là, on entre dans une plus petite, qui a deux fenêtres, dont l’une reçoit les premiers rayons du soleil, l’autre en recueille les derniers : celle-ci donne aussi sur la mer, que l’on voit de plus loin, mais avec plus de charme. L’angle, que forme la salle à manger avec le mur de la chambre, semble fait pour rassembler, pour arrêter tous les rayons du soleil ; c’est le refuge de mes gens contre l’hiver ; c’est le théâtre de leurs exercices : là, jamais le vent ne se fait sentir, excepté lorsqu’il charge le ciel de nuages orageux ; mais pour chasser mes domestiques de cet asile, il faut d’abord qu’il ait troublé la sérénité du ciel[60]. Tout auprès, il y a une chambre ronde, dont les fenêtres reçoivent successivement le soleil à tous les degrés de sa course : on a ménagé dans le mur une armoire qui me sert de bibliothèque, et qui contient, non les livres qu’on lit une fois, mais ceux que l’on relit sans cesse. A côté, sont des chambres à coucher, que sépare seulement de la bibliothèque un passage suspendu et garni de tuyaux[61], qui conservent, répandent et distribuent de tous côtés la chaleur qu’ils ont reçue. Le reste de cette aile est occupé par des affranchis ou par des valets ; et cependant la plupart des appartemens en sont tenus si proprement, qu’on y peut fort bien loger des maîtres. A l’autre aile, est une pièce fort élégante : ensuite une grande chambre, ou une petite salle à manger, que le soleil et la mer semblent égayer à l’envi. Vous passez après cela dans une chambre, à laquelle est jointe une antichambre : cette salle est aussi fraîche en été par son élévation, que chaude en hiver par les abris qui la mettent à couvert de tous les vents. A côté, on trouve une autre pièce et son antichambre. De là, on entre dans la salle des bains, où est un réservoir d’eau froide ; l’emplacement est grand et spacieux : des deux murs opposés sortent en rond deux baignoires si profondes et si larges, que l’on pourrait au besoin y nager à son aise ; près de là, est un cabinet pour se parfumer, une étuve[62], et ensuite le fourneau nécessaire au service du bain. De plain-pied, vous trouvez encore deux salles, dont les meubles sont plus élégans que magnifiques ; et à côté, le bain d’eau chaude, d’où l’on aperçoit la mer en se baignant. Assez près de là, est un jeu de paume, percé de ma nière que le soleil, dans la saison où il est le plus chaud, n’y entre que sur le déclin du jour. D’un côté s’élève une tour, au bas de laquelle sont deux cabinets, deux autres au dessus, avec une salle à manger, d’où la vue se promène au loin, avec délices, tantôt sur la mer ou sur le rivage, tantôt sur les maisons de plaisance des environs. De l’autre côté est une autre tour ; on y trouve une chambre percée au levant et au couchant : derrière est un garde-meuble fort spacieux ; et puis un grenier. Au dessous de ce grenier est une salle à manger, où l’on n’a plus de la mer que le bruit de ses vagues ; encore ce bruit est-il bien faible et presque insensible : cette salle donne sur le jardin, et sur l’allée destinée à la promenade, qui règne tout autour. Cette allée est bordée des deux côtés de buis, ou de romarin au défaut de buis : car dans les lieux où le bâtiment couvre le buis, il conserve toute sa verdure ; mais au grand air et en plein vent, l’eau de la mer le dessèche, quoiqu’elle n’y rejaillisse que de fort loin.

Entre l’allée et le jardin est une espèce de palissade d’une vigne fort touffue, et dont le bois est si tendre, qu’il ploierait mollement, même sous un pied nu. Le jardin est couvert de figuiers et de mûriers, pour lesquels le terrain est aussi favorable, qu’il est contraire à tous les autres arbres. D’une salle à manger voisine, on jouit de cet aspect, qui n’est guère moins agréable que celui de la mer, dont elle est plus éloignée. Derrière cette salle, il y a deux appartemens dont les fenêtres regardent l’entrée de la maison, et un autre jardin moins élégant, mais mieux fourni. De là, vous trouvez une galerie voûtée, qu’à sa grandeur on pourrait prendre pour un monument public : elle est percée de fenêtres des deux côtés ; mais du côté de la mer, le nombre des croisées est double ; une seule croisée sur le jardin répond à deux sur la mer[63] : quand le temps est calme et serein, on les ouvre toutes ; si le vent donne d’un côté, on ouvre les fenêtres de l’autre. Devant cette galerie est un parterre parfumé de violettes. Les rayons du soleil frappent sur la galerie, qui en augmente la chaleur par la réverbération ; et en recueillant les rayons du soleil, elle préserve encore de l’Aquilon : ainsi, d’une part, elle retient la chaleur, de l’autre, elle garantit du froid[64]. Enfin, cette galerie vous défend aussi du sud ; de sorte que, de différens côtés, elle offre un abri contre les vents opposés. L’agrément que l’on trouve l’hiver en cet endroit, augmente en été. Avant midi, l’ombre de la galerie s’étend sur le parterre ; après midi, sur la promenade[65] et sur la partie du jardin qui en est voisine : selon que les jours deviennent plus longs ou plus courts, l’ombre, soit de l’un soit de l’autre côté, ou décroît ou s’allonge. La galerie elle-même n’a jamais moins de soleil, que quand il est le plus ardent, c’est-à-dire quand il donne à plomb sur la voûte. Elle jouit encore de cet avantage, que, par ses fenêtres ouvertes, elle reçoit et transmet la douce haleine des zéphyrs, et que l’air qui se renouvelle, n’y devient jamais épais et malfaisant.

Au bout du parterre et de la galerie est, dans le jardin, un appartement détaché, que j’appelle mes délices : je dis mes vraies délices ; je l’ai construit moi-même. Là, j’ai un salon, espèce de foyer solaire, qui d’un côté regarde le parterre, de l’autre la mer, et de tous les deux reçoit le soleil : son entrée répond à une chambre voisine, et une de ses fenêtres donne sur la ga lerie. J’ai ménagé, au milieu du côté qui regarde la mer, un cabinet charmant qui, au moyen d’une cloison vitrée et de rideaux que l’on ouvre ou que l’on ferme, peut à volonté se réunir à la chambre, ou en être séparé. Il y a place pour un lit et deux chaises : à ses pieds, on voit la mer ; derrière soi, on a des maisons de campagne, et devant, des forêts : trois fenêtres vous présentent ces trois aspects différens, et en même temps les réunissent et les confondent. De là, on entre dans une chambre à coucher, où la voix des valets, le bruit de la mer, le fracas des orages, les éclairs, et le jour même ne peuvent pénétrer, à moins que l’on n’ouvre les fenêtres. La raison de cette tranquillité si profonde, c’est qu’entre le mur de la chambre et celui du jardin, il y a un espace vide qui rompt le bruit. À cette chambre tient une petite étuve, dont la fenêtre fort étroite retient ou dissipe la chaleur, selon le besoin. Plus loin, on trouve une antichambre et une chambre, où le soleil entre au moment qu’il se lève, et où il donne encore après midi, mais de côté. Quand je suis retiré dans cet appartement, je crois être bien loin, même de mon asile champêtre, et je m’y plais singulièrement, surtout au temps des Saturnales : j’y jouis du silence et du calme, pendant que tout le reste de la maison retentit de cris de joie, autorisés par la licence qui règne en ces jours de fêtes. Ainsi mes études ne troublent point les plaisirs de mes gens, ni leurs plaisirs, mes études.

Ce qui manque à tant de commodités, à tant d’agrémens, ce sont des eaux courantes : à leur défaut, nous avons des puits, ou plutôt des fontaines ; car ils sont très-peu profonds. La nature du terrain est merveilleuse : en quelque endroit que vous le creusiez, vous avez de l’eau, mais de l’eau pure, et dont la douceur n’est aucunement altérée par le voisinage de la mer. Les forêts d’alentour vous donnent plus de bois que vous n’en voulez : Ostie fournit abondamment toutes les autres choses nécessaires à la vie. Le village même peut suffire aux besoins d’un homme frugal, et je n’en suis séparé que par une seule maison de campagne. On trouve dans ce village jusqu’à trois bains publics ; ressource précieuse, lorsqu’on ne peut se baigner chez soi, parce qu’on est arrivé sans être attendu, ou parce qu’on doit repartir bientôt. Tout le rivage est bordé de maisons, contiguës ou séparées, qui plaisent par la variété seule de leur aspect, et qui, vues de la mer ou même de la côte, présentent l’image d’une multitude de villes. Le rivage, après un long calme, offre une promenade assez douce, mais plus souvent l’agitation des flots le rend impraticable. La mer n’abonde point en poissons délicats : on y prend pourtant des soles et des squilles excellentes. La terre fournit aussi ses richesses : nous avons surtout du lait en abondance, à mon habitation : car les troupeaux aiment à s’y retirer quand la chaleur les chasse du pâturage et les oblige de chercher de l’ombrage ou de l’eau.

N’ai-je pas raison d’habiter cette retraite, de m’y plaire, d’en faire mes délices ? En vérité, vous êtes par trop esclave des habitudes de la ville, si vous ne souhaitez ardemment de venir partager avec moi tant de jouissances. Venez, je vous en prie, venez ajouter à tous les charmes de ma maison, ceux qu’elle emprunterait de votre présence. Adieu.

XVIÏI - Pline à Mauricus.[modifier]

Quelle commission plus agréable pouviez-vous me donner, que celle de chercher un précepteur pour vos neveux ? Je vous dois le plaisir de revoir des lieux où l’on a pris soin de former ma jeunesse, et où il me semble que je recommence, en quelque sorte, mes plus belles années. Je m’asseois, comme autrefois, au milieu des jeunes gens, et j’éprouve combien mon goût pour les belles-lettres me donne de considération auprès d’eux. J’arrivai la dernière fois, pendant qu’ils discutaient ensemble dans une assemblée nombreuse, et en présence de plusieurs sénateurs : j’entrai ; ils se turent. Je ne vous rapporterais pas ce détail, s’il ne leur faisait plus d’honneur qu’à moi, et s’il ne vous promettait une heureuse éducation pour vos neveux.

Il me reste maintenant à vous mander ce que je pense de chacun des professeurs, quand je les aurai entendus tous : je tâcherai, autant du moins qu’une lettre me le permettra, de vous mettre en état de les juger, comme si vous les eussiez entendus vous-même. Je vous dois ce zèle et ce témoignage d’affection ; je les dois à la mémoire de votre frère, surtout dans une affaire de cette importance : car que pouvez-vous avoir plus à cœur, que de rendre ses enfans (je dirais les vôtres, si c’était assez dire pour exprimer les sentimens qu’ils vous inspirent aujourd’hui), que de rendre, dis-je, ses enfans dignes d’un père tel que lui, et d’un oncle tel que vous ? Quand vous ne m’auriez pas confié ce soin, je l’aurais réclamé pour moi. Je sais que la préférence donnée à un maître, va me brouiller avec tous les autres ; mais, pour l’intérêt de vos neveux, il n’est point d’inimitiés si fâcheuses que je ne doive affronter, avec autant de courage qu’un père le ferait pour ses propres enfans. Adieu.

XIX. - Pline à Cerealis.[modifier]

Vous me pressez de lire mon plaidoyer, dans une assemblée d’amis : je le ferai, puisque vous le désirez ; mais je ne m’y décide pas sans peine. Je sais qu’à la lecture les harangues perdent leur chaleur et leur force : elles ne méritent presque plus le nom de harangues. Rien ne leur donne ordinairement tant de valeur et d’intérêt, que la présence des juges, le concours des avocats, l’attente du succès, souvent la réputation du demandeur[66], enfin l’inclination secrète qui divise les auditeurs et les attache à différens partis. Ajoutez ; encore le geste de l’orateur, sa démarche, ses mouvemens rapides, et la vivacité de tout son corps, conforme aux sentimens animés qu’il exprime. De là vient que ceux qui déclament assis, bien qu’ils conservent d’ailleurs une partie des avantages qu’ils pourraient avoir debout, perdent toujours beaucoup en chaleur et en énergie. Ceux qui lisent ont encore bien plus à perdre : comme ils ne peuvent presque se servir ni de l’œil, ni de la main, auxiliaires si puissans de la déclamation, il ne faut pas s’étonner que l’attention languisse, lorsque aucune séduction extérieure ne l’entraîne ou ne la réveille.

Outre ces désavantages, j’aurais celui d’un sujet rempli de subtilités et de chicanes. Il est naturel à l’orateur de croire que le travail qui lui a donné du dégoût et de la peine, en doit donner aussi à ses auditeurs. Où en trouver d’assez sensés pour préférer un discours grave et serré, à un discours élégant et harmonieux ? Il existe une différence peu honorable, mais qui n’en est pas moins réelle, entre les juges et les auditeurs, dont les uns n’aiment rien de ce qu’approuvent les autres. Un auditeur raisonnable devrait se mettre à la place du juge, et n’être touché que de ce qui le toucherait lui-même, s’il avait à prononcer.

Cependant, malgré tant d’obstacles, la nouveauté pourra peut-être faire passer mon ouvrage : j’entends nouveauté pour nous ; car les Grecs avaient un genre d’éloquence, qui, avec certaines différences, ne laissait pas de ressembler à celui dont je vous parle. Quand ils combattaient une loi comme contraire à une plus ancienne, ils prouvaient la contradiction, en comparant ces lois avec d’autres qui en déterminaient le sens : moi, ayant à défendre la disposition que je prétendais trouver dans la loi du péculat, j’ai ajouté à l’autorité de cette loi celle de plusieurs autres qui l’expliquaient[67]. Le vulgaire aura peine à goûter un ouvrage de cette nature ; mais il n’en doit obtenir que plus de faveur devant les gens instruits. Si vous persistez toujours à vouloir que je le lise, je composerai mon auditoire des plus savans et. des plus habiles[68]. Mais encore une fois, examinez bien sérieusement si je dois m’engager à celle lecture ; comptez, pesez tous les motifs que je viens de vous exposer, et n’écou tez, pour vous déterminer, que la raison. Vous seul aurez besoin d’apologie : je trouverai la mienne dans ma complaisance. Adieu.

XX. - Pline à Calvisius.[modifier]

Que me donnerez-vous, si je vous conte une histoire qui vaut son pesant d’or ? Je vous en dirai même plus d’une ; car la dernière me rappelle les précédentes : et qu’importe par laquelle je commencerai ? Véranie, veuve[69] de Pison (celui qui fut adopté par Galba), était à l’extrémité. Regulus la vient voir. Quelle impudence, d’abord, à un homme qui avait toujours été l’ennemi déclaré du mari, et qui était eu horreur à la femme ! Passe encore pour la visite : mais il ose s’asseoir tout près de son lit, lui demande le jour, l’heure de sa naissance. Elle lui dit l’un et l’autre. Aussitôt il compose son visage, et, l’œil fixe, remuant les lèvres, il compte sur ses doigts sans rien compter ; tout cela, pour tenir en suspens l’esprit de la pauvre malade. Vous êtes, dit-il, dans votre année climatérique ; mais vous guérirez. Pour plus grande certitude, je vais consulter un sacrificateur dont je n ai pas encore trouvé la science en défaut. Il part ; il fait un sacrifice, revient, jure que les entrailles des victimes sont d’accord avec le témoignage des astres. Cette femme crédule, comme on l’est d’ordinaire dans le péril, fait un codicille, et assure un legs à Regulus. Peu après, le mal redouble, et, dans les derniers soupirs, elle s’écrie : Le scélérat, le perfide, qui enchérit même sur le par jure ! Il avait, en effet, affirmé son imposture par les jours de son fils[70]. Ce crime est familier à Regulus. Il expose sans scrupule à la colère des dieux, qu’il trompe tous les jours, la tête de son malheureux fils, et le donne pour garant de tant de faux sermens. Velleius Blésus, ce riche consulaire, voulait, pendant sa dernière maladie, changer quelque chose à son testament. Regulus, qui se promettait quelque avantage de ce changement, parce qu’il avait su, depuis quelque temps, s’insinuer dans l’esprit du malade, s’adresse aux médecins, les prie, les conjure de prolonger, à quelque prix que ce soit, la vie de son ami. Le testament est à peine scellé, que Regulus change de personnage et de ton. Eh ! combien de temps, dit-il aux médecins, voulez-vous encore tourmenter un malheureux ? Pourquoi envier une douce mort à gui vous ne pouvez conserver la vie ? Blésus meurt ; et, comme s’il eût tout entendu, il ne laisse rien à Regulus.

C’est bien assez de deux contes : m’en demandez-vous un troisième, selon le précepte de l’école[71] ? il est tout prêt. Aurélie, femme d’un rare mérite, allait sceller son testament[72] : elle se pare de ses plus riches habits. Regulus, invité à la cérémonie, arrive ; et aussitôt, sans autre détour : Je vous prie, dit-il, de me léguer ces vêtemens. Aurélie, de croire qu’il plaisante ; lui, de la presser fort sérieusement : enfin, il fait si bien, qu’il la contraint d’ouvrir son testament, et de lui faire un legs des robes qu’elle portait. Il ne se contenta pas de la voir écrire, il voulut encore lire ce qu’elle avait écrit. Il est vrai qu’Aurélie n’est pas morte ; mais ce n’est pas la faute de Regulus : il avait bien compté qu’elle n’échapperait pas. Un homme de ce caractère ne laisse pas de recueillir des successions et de recevoir des legs, comme s’il le méritait. Cela doit-il sur prendre, dans une ville où le crime et l’impudence sont en possession de disputer, ou même de ravir leurs récompenses à l’honneur et à la vertu ? Voyez Regulus : il était pauvre et misérable ; il est devenu si riche, à force de lâchetés et de crimes, qu’il m’a dit : J e sacrifiais un jour aux dieux, , pour savoir si je parviendrais jamais à jouir de soixante millions de sesterces ; doubles entrailles trouvées dans la victime m’en promirent cent vingt millions. Il les aura, n’en doutez point, s’il continue à dicter ainsi des testamens, de toutes les manières de commettre un faux, la plus odieuse, à mon avis. Adieu.

  1. Virginius Rufus. Pline en parle encore liv. ix, 19. Virginius refusa l’empire que lui offrirent les soldats, d’abord après la mort de Néron, et ensuite après celle d’Othon ; et chaque fois, il le refusa au péril de sa vie. Ses vertus furent sa sauvegarde à la cour des tyrans. Il mourut sous Nerva, qui lui accorda les honneurs de funérailles publiques. (Voyez Tacit. , Ann. xv, 23 ; Hist. , 1, 8, 9, 77 ; ii, 49, 51, 68. )
  2. De voir commencer pour lui, etc. , De Sacy avait traduit avec plus d’élégance que d’exactitude : Il a eu le plaisir de se voir renaître avant que de mourir.
  3. Il semble que les destins, etc. J’ai suivi la leçon qui dit reservatum, et non celle qui porte reservatus. D. S. (La leçon suivie par De Sacy se trouve dans l’édition romaine d’Heusinger, qui préfère cependant celle des éditions communes. Je partage tout à fait l’avis du traducteur. )
  4. Remercier publiquement, etc. C’était alors un usage que le consul rendît grâce au prince. (Voyez le Panégyrique de Trajan, et la lettre 18e du liv. iii. )
  5. Son éloge. Nous avons substitué le mot d’éloge à l’expression moderne d’oraison funèbre, réservée d’ailleurs aux cérémonies du christianisme. Dans la même phrase j’ai supprimé consule, que je ne trouve dans aucune édition.
  6. La commission instituée, etc. Nerva avait institué une commission composée de cinq membres, pour réparer les finances épuisées par Domitien.
  7. Pour le remplacer. De Sacy avait traduit : Il me choisit … pour porter ses excuses. Je crois, avec un commentateur, que quo excusaretur emporte le sens de vicarius, ou de remplaçant. C’est, au reste, la seule idée qui puisse convenir à l’ensemble de ce passage.
  8. Je ne puis penser, etc. J’ai supprimé Virginium ideo, qui n’estpas dans l’édition de Schæfer, et que De Sacy n’avait pas traduit.
  9. Paullinus. Valerius Paullinus avait été tribun du prétoire, et, sous Vitellius, intendant de la Gaule Narbonaise. Il était ami de Vespasien avant son élévation, et lui rendit de grands services quand il fut empereur. ( Voyez Tacit. , Hist. III , 42 . )
  10. Toujours querelleuse. En corrigeant les premières phrases de cette lettre, nous avons substitué le mot d’amitié à celui d ’amour, que De Sacy avait laissé par un excès de fidélité, qu’on pourrait appeler infidèle ; car il est certain que dans cet endroit amor ne signifie pas autre chose qu’ amitié.
  11. Mais ici j’aurais matière, etc. De Sacy avait traduit : Mon chagrin est très-grand ; peut-être, etc. Ce n’est pas le sens : il s’agit, non pas du chagrin, mais du motif de ce chagrin : sans cela, hœc causa magna est serait une inutile répétition de l’idée exprimée par irascor. Remarquez qu’avec le sens qu’il adopte, De Sacy n’a pas pu traduire tamen.
  12. Nepos. On croit que ce Nepos, homme éloquent et instruit, est celui dont parle Martial, vi, 27.
  13. Et il parle toujours comme s’il était préparé. On a élevé des doutes très-graves sur les improvisations d’Isée. Philostrate dit positivement, dans la Vie des sophistes (1, 20, 2), qu’Isée n’improvisait jamais, et qu’il passait toute la matinée à préparer ses dissertations et ses harangues. Hermogène prétend que c’était la méthode de tous les anciens rhéteurs. Il faut convenir toutefois qu’Isée ne
  14. C’est la perfection du langage grec, etc. Le contresens deDe Sacy est formel. Il traduit : Il se sert de la langue grecque, ouplutôt de l’attique. Ce détail serait froid dans un éloge, et surtoutaprès ce trait dicit tanquam diu scripserit. L’énumération suivante : præfationes tersœ, graciles, dulces, sert encore à déterminer, par la liaison des idées, le sens de sermo grœcus. Le langage, le style d’Isée à la grâce qui est propre à la langue grecque, et même celle qui distingue le dialecte attique. Ceci est une louange : c’est ce que De Sacy n’a pas senti.
  15. Il se compose. Le latin dit, il arrange sa robe. Leniter estconsurgendum (dit Quintilien, xi, 3, 156) ; tum in componendatoga, vel, si necesse erit, etiam ex integro, injicienda, duntaxat in judiciis, paullum commorandum, ut et amictus sit decentior, et protinus aliquid spatii ad cogitandum. Pline dit encore, iv, 11 : Postquam se composuit, circumspexitque habitum suum, etc.
  16. Beaucoup composé. J’ai rétabli scriptio ; c’était évidemment la leçon adoptée par De Sacy.
  17. Sans qu’on puisse décider, etc. De Sacy a lu sans doute quod maxime dubites ; mais même avec cette leçon, il faisait un contresens, en traduisant : Il instruit, il plaît, il remue, et (ce que vous aurez peine à croire) il ramène sans cesse de courtes réflexions, etc. Pourquoi aurait-on peine à le croire ? serait-il donc plus difficile de ramener de courtes réflexions, que d’instruire, de plaire, de remuer ? Le quid maxime, dubites a un sens bien plus naturel et bien plus élégant.
  18. // ne s’exerce, etc. De Sacy traduit, et il s’exerce encore dans les écoles. Le latin dit bien plus, il n’en est pas sorti ; il n’a pas paru au barreau, à la tribune. Isée suivait l’exemple d’Isocrate.
  19. Que serait-ce donc, etc. Quelques manuscrits, après ζηρίον, portent τά αντον ρήματα βοώντος, que Gesner n’ose pas condamner.
  20. Un organe très-sonore. C’est le sens de λαμπροωωνότατος, que j’ai préféré à et à d’autres leçons des manuscrits. De Sacy a traduit, Eschine avait la déclamation très-véhémente : j’ignore quel texte il avait sous les yeux.
  21. Calvina. Elle était parente, sans doute, de l’une des deux femmes de Pline, puisqu’il parle dans les premières lignes des liens (affnitatis officia) qui les unissent.
  22. J’ai payé, etc. Voici encore une grave infidélité de sens dans la traduction de De Sacy. Il suppose que Calvina a payé elle-même les autres créanciers, et que Pline n’ayant pas réclamé, par égard pour son alliance avec elle, le remboursement des sommes qui lui sont dues, il reste seul créancier. Pline a été plus généreux que De Sacy ne le fait entendre : c’est lui qui a payé les autres créanciers. La construction de la phrase latine, qui a pour sujet ego (Plinius), ne permet pas d’attribuer à Calvina l’action énoncée par ces mots, dimissis omnibus : ils ne peuvent se rapporter qu’au sujet.
  23. Avitus. On croit que cet Avitus est le frère de celui dont Pline déplore la perte, liv. v, 9.
  24. Je bois le même vin que mes affranchis. Il y a dans ce trait une délicatesse, qui n’avait pas été sentie par le traducteur : il rendait ainsi ce passage : Dans ces occasions, je ne fais pas servir de mon vin, mais du vin de mes affranchis. C’est dire que Pline avait deux sortes de vin, et c’est précisément le contraire que le latin veut faire entendre.
  25. Le droit d’entrer au sénat. Il y a dans le texte latin «j’ai obtenu le laticlave. » Le laticlave donnait le droit d’entrer au sénat. Auguste permit aux fils des sénateurs de prendre le laticlave avec la robe virile : cet honneur était aussi accordé quelquefois aux en-fans des chevaliers les plus distingués.
  26. La permission de demander celle de tribun. Ce n’était pas de l’empereur que dépendait le droit de demander le tribunat : cependant on ne pouvait le solliciter avec avantage, qu’après avoir obtenu son agrément.
  27. Octavius. C’est le même qu’Octave Rufus auquel est adresséela 7e lettre du 1er livre. Pline y témoigne aussi un vif désir de lire ses vers.
  28. Aussi loin que la langue romaine. De Sacy a traduit à tort lingua romana, par l’empire romain. L’idée de Pline est plus générale et plus noble. — Au commencement de la phrase suivante, nous avons changé enim en etiam, que l’on trouve dans tous lesanciens textes. Ernesti a cru mal à propos qu’enim convenait seulà la liaison des idées ; c’est lui qui a introduit, sans autorité, cettedernière leçon.
  29. Échappés malgré vous. J’ai adopté avec Schæfer, d’aprèsl’édition romaine d’Heusinger, claustra refregerunt, au lieu de claustra sua refregerunt.
  30. Marius Priscus, etc. C’est de ce Marius que Juvénal a dit (sat. 1, vers. 47) : hic damnatus inani Judicio (quid enim salvis infamia nummis ? ), Exsul ab octava Marius bibit, et fruitur dis Iratis ; at tu, victrix provincia, ploras. Il demandait des Juges ordinaires, selon Pline, c’est-à-dire, qu’il voulait être jugé par des magistrats que le préteur aurait désignés, comme dans les affaires communes, et non par les sénateurs assemblés.
  31. Cassius Fronton. Il fut consul avec Trajan.
  32. Et l’on éprouva que, etc. Tous les textes portent, adnotatumque experimentis, et nous avons dû conserver cette leçon. Cependant nous pensons, avec Heusinger, que ces deux mots, inutilesà la phrase, ont été ajoutés par quelques glossateurs, qui applaudissaient à la pensée exprimée par Pline ; on peut remarquer d’ailleurs, qu’en les admettant, il faudrait impetus habeant, et non impetushabent.
  33. Se rendirent à Rome. Le traducteur a eu tort de rendre venerunt par comparurent, puisqu’il est dit plus bas, qu’Honoratusmourut avant l’information.
  34. Avaient attiré, etc. J’ai adopté, d’après les meilleurs textes, exciverat, au lieu de excitaverat.
  35. Un septemvir. La charge de septemvir epulonum remontait à Numa, qui l’avait créée pour la célébration des sacrifices. Il n’y eut d’abord que trois personnes chargées de cet emploi ; on finit par porter ce nombre à sept. Les septemvirs jouissaient d’une grande considération et portaient la prétexte.
  36. Une heure et demie, au delà, etc. Pour empêcher les orateurs de se répandre en longues discussions, une loi de Pompée, à l’exemple des Grecs, ne leur accordait qu’une heure pour parler : l’heure était indiquée par une clepsydre, ut ad clepsydram dicerent, id est vas vitreum graciliter fistulatum, in fundo cujus erat foramen, unde aqua guttatim efflueret, atque ita tempus metiretur. Cette espèce d’horloge d’eau était à peu près de la même forme que nos sabliers (Adam, Antiq. rom. ). On voit par la phrase de Pline, qu’il fallait à peu près trois clepsydres pour former une heure. Cependant, je dois remarquer qu’on n’est pas d’accord sur ce passage du texte de Pline ; les uns lisent decem clepsydris, les autres viginti clepsydris, ce qui laisse beaucoup d’incertitude sur la durée de la clepsydre. On peut voir (liv. iv, lett. 9) combien de temps on accordait à l’accusation et à la défense.
  37. Il finisait son plaidoyer, etc. Il y avait dans De Sacy, la nuit survint avant qu’il pût finir, et la plaidoirie fut continuée au jour suivant, où l’on traita ce qui regardait les preuves. Nous croyons que ce n’est pas le sens de la phrase latine : inclusit, non sic, ut abrumperet, signifie, mot à mot, il termina sans interrompre. Son discours était donc achevé : le mot probationes, qui vient ensuite, désigne, non pas les preuves fournies par l’orateur, mais celles qu’on lire d’un interrogatoire, de l’audition des témoins, des actes écrits, etc.
  38. Un chef : AsiTQvpyiov. Les léiturges, chez les Athéniens, Kil-Tovpyoi , étaient des citoyens d’un rang et d’une fortune considérables ; ils étaient désignés par leur tribu, ou même par le peuple entier, pour remplir quelque charge pénible de la république, ou, dans les occasions pressantes, pour fournir aux dépenses extraordinaires que réclamait le salut de l’état : hsnnvpy iav signifie donc tout objet
  39. Si soigneux, etc. Il y a dans le texte latin pumicati, c’est-à-dire, passé à la pierre ponce : c’était un moyen d’adoucir la peau. (Voyez Ovide, De arte am. , 1, 5o6 ; Juvénal, viii, 16 ; xx, 95 ; Martial, xiv, 2o5, etc. )
  40. Je ne sais si, etc. Il est impossible de rendre en français l’opposition de ces deux mots, circumcisum et abrasum. De Sacy a rendu le fond de l’idée sans conserver l’image ; circumcisum, suppose plus de travail et d’exactitude ; abrasum, plus de promptitude et de négligence : Pline fait entendre que l’affaire a été emportée d’assaut plutôt que jugée, ce qui est confirmé par le reste de sa lettre.
  41. Acutius Nerva. Quelques commentateurs ont voulu voir dans le mot Acutius un adverbe : le sens qui en résulterait ne nous paraît pas vraisemblable ; Pline désapprouve l’opinion proposée par Nerva : il ne doit donc pas la qualifier d ’acutior. Il y avait d’ailleurs à Rome une famille d’Acutius : l’un d’eux pouvait bien avoir adopté un Nerva : car, il ne faut pas croire qu’il soit ici question de l’empereur Nerva ; l’affaire dont il s’agit fut jugée sous Trajan.
  42. La plus choquante inégalité, etc. La même idée se retrouve dans Montesquieu, Lett. Pers. , 86 : « Dans ce tribunal, dit-il, on prend les voix à la majeure : mais on dit qu’on a reconnu, par expérience, qu’il vaudrait mieux les recueillir à la mineure : car il y a très-peu d’esprits justes, et tout le monde convient qu’il y en a une infinité de faux. »
  43. Priscus. On croit que ce Priscus était le même que Priscus Neratius Marcellus, favori de Trajan, et dont Pline obtint le tribunal pour Suétone.
  44. Je veux dire, etc. De Sacy n’avait pas saisi le sens de cette phrase, en traduisant : Honorez, je vous prie , les miens (mes amis)
  45. Car sa tendresse lui a aussi mérité ce nom. De Sacy a traduit : car il a succédé à son nom aussi bien qu’à ses vertus. C’est encore un contresens.
  46. Le privilége que donne le nombre de trois enfans. On avait attaché au nombre des enfans, chez les Romains, d’importantes prérogatives. Il en est parlé encore liv. vii, 16, et Panégyrique de Traj. , 26.
  47. Des vieillards me l’ont souvent dit. « Je hasarde ici, dit De Sacy dans une note, la correction d’un mot du texte qui me paraît altéré. Je lis istas solebam dicere, qui fait un sens parfait, au lieu de ista qui le gâte. » Je trouve dans toutes les bonnes éditions ita solebam dicere, qui vaut au moins la correction de De Sacy, hasardée sans autorité.
  48. Se presse autour, etc. Le traducteur avait lu, conducti et redempti mancipes : convenitur in media, etc. , ce qu’il rendait ainsi : A leur suite, marchent des auditeurs d’un semblable caractère, et que l’on achète à beaux deniers comptans. On fait sans honte marché avec eux : ils s’assemblent dans le palais ; et, etc. Cela parait assez bien lié : mais le sens de manceps est dénaturé. Mancipes ne peut signifier les applaudisseurs à gages. Manceps, dit Gesner, est qui pretio accepto negotium sibi imponi passus est ab oratore, ut nummis conducat ei laudatores et plausores. Pline a employé ce mot dans un sens analogue, liv. iii, 19 ; c’est le nom qu’il donne
  49. La sportule. De asportare. C’étaient d’abord les vases destinés à contenir les pains, les viandes et les autres mets que les riches patrons faisaient distribuer à leurs cliens : ensuite, par métonymie, les mets eux-mêmes, furent appelés du nom de sportulœ. Voy. dans notre édition de Juvénal, la note de Dusaulx, sat. I, v. 95.
  50. SoiçoxxsiV. De actçnf et de KocheTy. — Un peu après, Heusinger, au lieu de laudicœni voudrait qu’on lût laudicenes (laudium decantatores) : le mot adopté et traduit par De Sacy, sans être moins conforme au texte des manuscrits, me semble plus plaisamment imaginé.
  51. Domestiques. On appelait nomenclatores les serviteurs chargés de nommer les personnes qui se présentaient chez le maître, ou qui l’abordaient hors de chez lui.
  52. Trois deniers. Environ vingt-quatre sous de notre monnaie. D. S.
  53. Amena le premier, etc. Il est curieux de retrouver dans l’histoire de l’éloquence romaine, à l’époque de sa décadence, l’originede ces honteuses cabales, qui ont reparu chez nous à l’époque dela décadence du théâtre.
  54. Nos auditeurs imberbes. Remarquez que teneris ne peut signifier flatteur, comme l’a voulu De Sacy. Pline me semble plutôt désigner par ce mot l’âge et l’inexpérience de ceux qui applaudissent. Il a déjà dit qu’on ne voyait plus au barreau que des enfans, traînant avec eux, pour les applaudir, des enfans du même âge : il a parlé de deux domestiques à peine sortis du premier âge, entraînés au barreau et chargés du succès d’un plaidoyer. Au reste, je ne disconviens pas que teneri clamores pour tenerorum clamores ne soit très-hardi en prose.
  55. Des battemens de mains, etc. On voit par ce passage que les cabaleurs d’autrefois différaient des nôtres en ce que les battemens
  56. Ma terre du Laurentin, etc. Pline emploie Laurentinum et Laurens pour désigner la maison de campagne et les terres qu’il possédait dans le voisinage de la ville de Laurente : on sous-entend rus ou prœdium. C’est ainsi que (liv. m, 7) il dit que Silius Italiens a fini ses jours in Neapolitano, c’est-à-dire, dans sa maison de campagne, près de Naples. Il y a peu de différence entre Laurens et Laurentinum. : l’un se rapporte plutôt à la ville, l’autre plutôt au territoire. — On peut voir (liv. v, 6) une description d’une autre terre que Pline possédait en Toscane. On a fait plusieurs tentatives pour retrouver les plans et la structure de ces deux maisons, d’après le texte même de Pline le Jeune ; mais on sent combien cette entreprise était difficile. Félibien, et plusieurs autres architectes habiles ont tracé le plan d’habitations très-élégantes, mais dans lesquelles Pline n’aurait certainement pas reconnu ses deux maisons.
  57. Elle n’est qu’à dix-sept milles de Rome. Laurentum, aujourd’hui Torre di Paterno, est à six lieues de Rome. Le nom de Laurentum vient, selon Virgile, d’un laurier sacré que Latimis trouva sur la hauteur, lorsqu’il y fit jeter les fondemens de la citadelle, ou d’une forêt de lauriers qui s’étendait le long de la côte.
  58. Celui de Laurente. De Sacy traduit celui de Laurentin : Pline n’entend pas ici le chemin qui mène à sa terre du Laurentin, mais
  59. En forme de D. Il y avait dans la traduction une galerie de forme ronde, et en effet quelques éditions portent un O au lieu d’un D. Nous avons adopté la leçon du plus grand nombre des commentateurs, parce que, si la forme du portique eût été celle d’un O, Pline aurait eu à sa disposition une foule de mots pour -l’exprimer, sans être obligé de recourir à la figure d’une lettre de l’alphabet. Il n’en est pas de même à l’égard de la forme d’un D.
  60. Mais pour chasser, etc. Le traducteur n’a pas compris ce passage ; il avait rendu : là, on ne connaît d’autre vent que ceux qui, par quelque nuage, troublent plus la sérénité du ciel que la douceur de l’air qu’on respire en ce lieu. Sans bien comprendre cette phrase embarrassée de De Sacy, on entrevoit cependant qu’il a voulu exprimer une idée étrangère à celle du texte latin.
  61. Garni de tuyaux. De Sacy a lu tabu/atus, et traduit en conséquence, qui pour être suspendu et n’avoir qu’un plancher d’ais, répand et distribue de tous côtés la chaleur qu’il a reçue. La leçon et l’interprétation que nous avons adoptées nous semblent plus naturelles et plus conformes à l’ensemble des idées ; elles sont d’ailleurs appuyées par un passage de Sénèque (ep. 90), où il est parlé de constructions suspendues et de tuyaux qui circulent pour répandre la chaleur.
  62. Un cabinet pour se parfumer. J’ai adopté, avec Schæfer, la leçon unctorium, hypocaustum, au lieu de unctorio imo hypocaustum.
  63. Une seule croisée, etc. De Sacy avait lu, et altius pauciores : il traduisait, quelques ouvertures en petit nombre dans le haut de la voûte. Notre leçon, adoptée par la plupart des commentateurs, se trouve aussi dans l’édition romaine d’Heusinger. Remarquez que Pline dit plus bas que cette galerie n’a jamais moins de soleil que lorsqu’il frappe sur la voûte, ce qui eût été impossible, si des ouvertures eussent été percées dans le haut de la voûte, comme le supposait De Sacy.
  64. D’une part elle retient, etc. Le traducteur n’avait pas comprisce passage : il avait dit : ainsi d’un côté la chaleur se conserve, et de
  65. Sur la promenade. J’ai suivi la leçon de l’édition romaine, approuvée par Schæfer, et j’ai substitué gestationem à gestationis. {Voyez note 9 du liv. i. )
  66. La réputation du demandeur. De Sacy a traduit : La réputation des acteurs. Le nom d ’actor était donné à celui qui appelait en jugement.
  67. J’ai ajouté à cette loi. De Sacy embarrasse l’idée en traduisant : Moi, au contraire, etc. : le latin indique, non une opposition, mais une parité : la version du traducteur ne s’accordait ni avec non omnino dissimile, ni avec novitas apud nostros.
  68. Je composerai mon auditoire, etc. J’ai trouvé dans la traduction : Je la lirai (ma pièce) indistinctement devant toutes les personnes habiles : pourquoi, indistinctement ? ne faudrait-il pas plutôt une expression toute contraire ?
  69. Veuve. Le texte porte Verania Pisonis, Veranie, femme de Pison ; mais Pison était mort.
  70. Il avait en effet, etc. Le traducteur avait à tort ajouté celte dernière phrase aux paroles de Verania : c’est évidemment une réflexion de Pline ; le temps seul de pejerasset suffit pour le prouver.
  71. Selon le précepte de l’école. Le nombre trois plaisait singulièrement aux écoles philosophiques de l’antiquité ; c’était pour elles l’emblème des plus sublimes vérités. Nous avons donné à scholastica lege un sens analogue à cette croyance, et nous pensons que De Sacy s’est trompé en traduisant : Selon la coutume des écoliers.
  72. Allait sceller, etc. De Sacy a traduit signer : ce n’est pas le sens de signare, qui veut dire apposer son cachet ou son sceau. C’était chez les Romains une cérémonie à laquelle on invitait ses parens et ses amis.