Lettres parisiennes/Année 1840/16

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1840

LETTRE SEIZIÈME.

Les paquets. — Bal du matin à l’ambassade d’Autriche. — Les coquettes n’ont jamais froid. — Le Livre de l’enfance chrétienne.
24 mai 1840.

Paris, depuis que le printemps est revenu, fait semblant de se reposer ; mais, en réalité, il s’amuse plus encore qu’il ne faisait cet hiver. Les parties de spectacle succèdent aux parties de campagne, les courses du matin préludent aux danses du soir ; dans le monde élégant on continue à se dire adieu en dansant toutes sortes de mazurkas ; les bals intimes sont plus à la mode que jamais ; on a même trouvé un moyen de les perfectionner : on n’invite plus à y venir les ennuyeux ni les ennuyeuses, ce qu’en langage vulgaire on nomme les paquets (nous donnerons plus loin l’explication de ce mot). Donc, on les supprime ; on s’arrange de manière à les croire partis depuis huit jours. On pousse la ruse jusqu’à les regretter hautement, et lorsqu’on les rencontre, on s’écrie avec un étonnement naïf : « Quoi ! vous êtes encore à Paris !… Si j’avais su cela… Vous m’aviez dit… — Que nous partirions le mois prochain. — J’avais entendu dimanche prochain… Que de regrets ! » C’est ainsi que l’on trompe les ennuyeux et qu’on donne de jolis petits bals sans paquets.

Explication : Selon le Dictionnaire de l’Académie, page 338, « paquet se dit, figurément et familièrement, d’une personne qui a pris beaucoup d’embonpoint, et qui se remue difficilement ; il se dit aussi d’une personne qui n’apporte aucun agrément dans la société, qui y cause plutôt de la gêne : Cette femme est devenue un paquet ; elle est devenue bien paquet ; ce n’est qu’un paquet ; quel paquet ! »

Définition : Selon le monde, on appelle généralement paquets, tous les importuns, tous les gens dont on n’est pas fier et tous les gens dont on n’a pas besoin ; exemple : Dans un bal,

Un oncle millionnaire n’est jamais un paquet ;

Une tante de province est un paquet toujours ;

Une étrangère… une inconnue qui donne de belles fêtes, fût-elle grosse comme une tour, infirme et impotente, n’est jamais un paquet ;

Une cousine moqueuse, qui sait vos ridicules, vos prétentions ou votre âge, fût-elle légère comme un oiseau, est un paquet toujours ;

La sœur de celui qu’on aime n’est jamais un paquet ; L’ami de celui qu’on n’aime plus… paquet ! paquet ! affreux paquet !

Un mari à bonnes fortunes n’est jamais un paquet ;

Un mari jaloux est un paquet respectable… mais un paquet !

Une femme de ministre n’est jamais un paquet ! cela s’appelle un gros bonnet ;

La femme d’un employé qu’on destitue passe à l’instant même paquet ;

Un intrigant n’est jamais un paquet ;

Un excellent homme est presque toujours un paquet ;

Un vieux fat est rarement un paquet ;

Un jeune soupirant bien sincère est de temps en temps un paquet ;

Une vieille Anglaise, quand on doit retourner à Londres, n’est pas encore un paquet ;

Une grosse Allemande, quand on n’a plus envie d’aller en Allemagne, est un commencement de paquet ;

Un Arabe en turban, un Turc en redingote, un Grec en jupon, un Écossais en uniforme, ne sont jamais des paquets ;

Un Danois trop blond, un Portugais trop noir, recommandés par des parents éloignés, sont des paquets ;

Une femme à la mode qui vous cause mille chagrins n’est jamais un paquet ;

Un médecin qui n’est pas célèbre et qui vous a sauvé la vie est un paquet.

Il y a encore bien d’autres paquets… On nous saura gré de ne pas les désigner. Bref, dans un bal intime, tout ce qui ne séduit pas les yeux, ne flatte pas l’orgueil, est de trop. Un salon doit être peuplé individuellement comme il est meublé matériellement. Il faut qu’il y ait des grands seigneurs et des gens riches, comme il y a des glaces et des dorures ; il faut qu’il y ait des jeunes gens et des jolies femmes, comme il y a des lustres et des fleurs. C’est dans le cabinet de travail que se trouvent les vieux amis et les vieux livres, les pieux souvenirs et les beaux tableaux, les bons sentiments et les bons fauteuils. Le monde élégant est une énigme dont le mot n’est pas intérêt, mais vanité.

Les bals intimes ne nuisent pas aux fêtes diplomatiques. Hier matin, il y avait grand bal à l’ambassade d’Autriche et grande fête dans tous les magasins de Paris. Si vous saviez quelles folies on fait pour briller dans ces réunions sans pareilles ; si vous saviez ce qu’il y a là de dentelles, de rubans, de mantelets, d’écharpes, de fleurs, de robes neuves, — il n’y a que des robes neuves ! — de chapeaux neufs, — il n’y a que des chapeaux neufs ! — vous comprendriez pourquoi un bal du matin à l’ambassade d’Autriche est un événement dans Paris. Pour aller au bal le soir, pour y paraître bien mise, il suffit d’avoir une robe élégante et une guirlande nouvelle ; une robe de bal ne peut jamais être qu’une robe de bal, une coiffure en cheveux ne peut jamais être très-compliquée ; mais un habit de bal du matin, c’est une parure indéfinie, qui laisse à l’imagination toute sa liberté et qui permet toutes les combinaisons les plus savantes et les plus heureuses. C’est, par exemple, une robe du soir faite en robe du matin ; une robe de gros de Naples blanc, montante, ou, pour être mieux compris, c’est un habit de cheval en gros de Naples blanc, corsage juste et manches à coude ; — ou bien c’est un peignoir en dentelle doublé de taffetas bleu ou rose, et chiffonné par mille nœuds de rubans. Négligé sans prétention et sans prix, trésor inestimable, avec lequel un riche fermier de la Beauce marierait deux ou trois filles. Ce n’est pas tout : avec cette robe-là, il faut un chapeau, et quel chapeau ! ce qu’il y a de plus coquet, de plus nouveau ; on médite huit jours le choix de ce chapeau. Si l’on veut le quitter pour danser, il faut encore être aussi coiffée d’une guirlande de fleurs : ce sont des fleurs naturelles, montées par madame Barjon ; avoir le matin des fleurs artificielles, ce serait une faute impardonnable ; mais personne n’y a jamais songé. La guirlande se pose de manière à être très-jolie sous le chapeau et très-jolie encore sans le chapeau. Ce sont des combinaisons infernales. Maintenant il ne manque plus rien qu’un mantelet : autre combinaison non moins profonde, la tête la plus forte n’y suffit pas ; mais le bon goût finit par simplifier toutes choses, et les femmes distinguées savent éviter avec art le malheur de tomber dans ce que nous appellerons les toilettes incompréhensibles. Nous faisons grand cas du style en fait de parure, et nous ne croyons pas que la fantaisie elle-même puisse se passer d’harmonie.

La fête d’hier a eu lieu dans l’ordre accoutumé. Les jeunes personnes sont arrivées à deux heures, avec leurs mères, et se sont emparées de la salle de bal ; les femmes sont arrivées ensuite ; les élégants sont venus beaucoup plus tard ; puis enfin les hommes politiques ont paru après la séance de la Chambre des députés. Comme nouveauté, tout le monde admirait l’arrangement des lustres ; il y en a dans la salle de bal environ une cinquantaine, ils étaient tous remplis de fleurs en bouquets, et ces corbeilles aériennes, brillantes de toutes couleurs, produisaient un effet charmant.

Le temps froid qu’il faisait avait enlevé à la fête sa physionomie champêtre : le déjeuner n’était pas servi dans le jardin ; on errait peu dans les bosquets, on folâtrait peu dans la prairie. Si quelque imprudente, séduite par la fraîcheur des gazons, la beauté des arbres, le parfum des fleurs, se hasardait à franchir la terrasse, on la voyait bien vite revenir tout épouvantée, luttant contre un ouragan terrible et sans égards, retenant son chapeau prêt à s’envoler, apaisant ses plumes révoltées, et délivrant son écharpe et ses dentelles que le vent avait déjà accrochées à quelque buisson. Il y avait là de bien jolies femmes, qui nous ont paru encore plus jolies à la clarté du jour ; et nous ne dirons pas de ces beautés si fraîches ce que la spirituelle duchesse de L… disait à propos de ces femmes trompeuses qui paraissent si belles le soir et qui sont si fanées le matin : « On ne les reconnaît pas du tout ; elles auraient dû venir avec un bougeoir. »

Que de jolies et fraîches parures nous avons remarquées à cette fête !

Souvenir ineffaçable : une robe de taffetas bleu de ciel garnie de trois volants bordés de petites franges blanches ; chapeau de paille de riz orné de roses. Cette robe, portée avec une grâce indicible, a obtenu un succès immense ; on en parlait encore hier aux courses de Versailles.

Autre souvenir très-agréable : une robe de taffetas rayé blanc et rose ; capote en paille de riz ornée de boutons de rose.

Souvenir d’admiration : robe de gros de Naples citron ; écharpe de dentelle blanche doublée de taffetas bleu ; capote pareille à l’écharpe. Oh ! que cette robe et cette écharpe étaient bien portées ! Voilà le vrai type de la grande dame ! voilà bien la véritable femme comme il faut ! et la femme comme il faut devient très-rare aujourd’hui ; on ne saura plus bientôt ce que signifiait jadis ce mot-là.

Maintenant la grande mode, c’est d’avoir l’air d’une grisette endimanchée. Nos jeunes élégantes se donnent un mal affreux pour avoir cet air-là, et elles y parviennent : aussi, quand nous avons le bonheur de rencontrer une belle femme, noble dans son maintien, calme dans ses manières, ne recherchant aucun effet mesquin, dédaignant toute exagération provinciale, faisant valoir ses avantages avec art, mais sans affectation, ne visant à aucune espèce de rôle, ne jouant ni les pages ni les grandes coquettes, ne posant pour aucune gravure d’hôtel garni, ni pour la Modestie, ni pour la Rêverie, ni pour la Sensibilité, ni pour l’Abandon, nous lui savons gré de tant de sacrifices et nous la saluons avec respect, comme un modèle d’indépendance et de courage : car il faut de la force d’âme pour oser être de bon goût dans un temps où les vulgarités de toutes sortes obtiennent seules du succès.

Malgré le vent glacial qui soufflait, plusieurs femmes étaient en robe de mousseline blanche, et elles ne semblaient point s’apercevoir du froid ; elles se sentaient jolies, et cela leur tenait chaud. M. de Martignac nous disait un jour : « Les femmes coquettes n’ont jamais froid. » Il avait raison.

Les nouveautés littéraires sont très-nombreuses, et nous avons là sur notre table de bonnes provisions de lecture. Voici, entre autres, un petit livre charmant, rempli de poésie et de piété, chef-d’œuvre involontaire inspiré par l’amour maternel ; s’il est littéraire, c’est malgré lui, cela tient à la brillante éducation de l’auteur. Ces pages n’avaient pas été écrites pour être publiées ; elles exhalent un parfum de solitude, elles ont un charme d’intimité que n’ont jamais les œuvres préméditées, destinées à l’éclat du jour. Le Livre de l’enfance chrétienne explique aux enfants leurs devoirs dans le plus touchant langage, de manière à les leur faire comprendre et aimer.

Le chapitre intitulé Du respect dans l’église est un modèle de style et de description. Être à la fois toujours poétique et toujours à la portée de l’enfance, c’est une grande difficulté vaincue. Le chapitre qui renferme la peinture de l’Envie et de ses souffrances est aussi fort beau. Celui de l’Orgueil est profond, celui de la Paresse charmant ; mais, au reste, tout est bien dans ce petit livre. Quel en est l’auteur ? demanderez-vous. Nous ne pouvons vous dire son nom, mais nous pouvons vous faire connaître toute son âme en citant ces quelques lignes qui terminent sa préface :

« C’est donc aux mères de famille, et à elles seules, qu’est dédié cet ouvrage : il est soumis à leur jugement avec une sorte de confiance ; car, en ce qui touche le bien comme le bonheur de leurs enfants, les mères se comprennent toujours, et près d’elles les sentiments qui ont dicté ces pages leur tiendront lieu sans doute du talent qui manquait pour les écrire. Si Dieu veut bien les rendre utiles, s’il daigne permettre qu’elles portent d’heureux fruits, alors quelquefois peut-être lui adressera-t-on un vœu, une prière en faveur des enfants pour lesquels fut composé ce petit livre. Leur mère ne renonce pas à cet espoir, qui l’a soutenue dans son travail et qui en est déjà la plus douce récompense. »

Vous comprenez qu’un livre écrit avec cette douceur doit exercer une heureuse influence sur l’imagination des enfants. Ces leçons données avec tant d’amour n’ont rien d’austère ni d’aride : là, point de pédanterie, point de froid courroux ; toute la puissance de ces conseils si profondément maternels est dans ce mot, qui pourrait servir d’épigraphe au livre : « Obéissez-moi, car je vous aime. »