Lettres parisiennes/Année 1845/04

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1845

LETTRE QUATRIÈME.

Le mot fatal : À quoi bon ? — Un mauvais bout de ruban. — Tout ce qu’il veut dire. — La force des idées. — Vivent les fictions, elles font vivre ! — Les pianistes célèbres ; leur dénomination. — Le Grand Turc pianiste, élève de Léopold Mayer. — La consigne de l’Académie est la même que celle des Tuileries.
5 mai 1845.

Des roués bêtes !… Vous avez beau vous fâcher, c’est le mot. Nous sommes devenus cela, grâce au progrès du temps, grâce aux conseils des philosophes. Ah ! messieurs, vous croyez qu’on supprimera chez un peuple l’idée et l’image, et qu’il gardera le cœur et l’esprit ! Vous vous trompez singulièrement. Les grands peuples vivent par les idées, les grandes idées s’expriment par les images. En détruisant, comme vous l’avez fait, tous les symboles, vous avez nécessairement détruit toutes les grandes idées qu’ils représentaient. Vous avez crié : Vanité ! vanité ! contre toutes les forces inspiratrices ; vous avez crié : Absurdité ! absurdité ! contre tous les stimulants glorieux ; vous avez lancé l’anathème contre tous les sentiments généreux ; vous avez crié contre eux : Poésie ! poésie ! car ce mot ironique : « C’est de la poésie ! » est la formule d’anathème en usage chez les égoïstes bourgeois ; vous avez sordidement demandé l’À quoi bon ? de toutes les nobles choses ; vous avez intronisé l’utile, sans comprendre que les choses que vous jugiez inutiles étaient au contraire les sources fécondes de toutes les puissances, de toutes les richesses d’un pays ; vous avez proclamé l’égalité, et vous n’avez pas pressenti qu’en proclamant l’égalité vous détruiriez l’émulation, et qu’en détruisant l’émulation vous détruiriez l’orgueil professionnel, le dévouement et l’héroïsme.

Vous avez établi ceci, par exemple : Le perruquier paisible, blanchi de poudre parfumée, est l’égal du soldat blessé, noirci de poudre à canon. Pour vous, il n’y a aucune différence entre ces deux hommes ; s’il vous fallait absolument flatter l’un des deux et lui dire : « Ta profession est la plus belle, » vous exalteriez de préférence le perruquier, que vous nommeriez citoyen libre, parce qu’il est électeur ; car, à vos yeux éclairés, l’homme qui passe sa vie, tranquillement dans sa boutique, à pommader des cheveux, à confectionner des perruques, et l’homme qui risque sa vie bravement dans les batailles, pour la gloire et pour le salut de son pays, sont deux Français tout à fait semblables ; leurs deux professions vous paraissent également nobles ; vous n’admettez pas qu’on distingue une nuance entre leurs deux courages. C’est très-bien !… Mais alors vous devez trouver tout simple que personne ne veuille être soldat ; que les jeunes gens appelés se mutilent les pieds, s’arrachent les dents pour ne pas aller à la guerre, et qu’ils préfèrent sagement le paisible honneur de recevoir, dans une boutique parfumée, l’humble visite de messieurs les députés candidats, au terrible honneur de recevoir, dans une mêlée sanglante, les balles et les boulets de l’ennemi ; et même, avec vos principes, si quelque chose doit vous étonner beaucoup, c’est que tous les Français ne se fassent pas perruquiers. Quel heureux état, où l’on est enivré par les roses, où l’on est encensé par les députés ! Cela vaut cent fois mieux que d’être soldat, aujourd’hui que les hauts faits des soldats ne sont plus récompensés par des lauriers, ni célébrés par les poëtes.

Il est de certaines professions affreusement pénibles et chétivement lucratives qu’on ne peut rendre attrayantes que d’une seule manière : en les dignifiant. Si vous ôtez au soldat le droit d’appeler les bourgeois pékins, il ne trouvera plus aucun plaisir à être soldat, il ne mettra plus son orgueil dans sa profession, il ne se parera plus de son uniforme. Pourquoi veut-on encore un peu être magistrat ? c’est qu’il y a encore un peu de prestige dans la magistrature : on n’est pas bien payé, mais on est assez considéré ; et cette considération que la place vous donne tient lieu du fort traitement qu’elle devrait vous donner. Les professions les plus ardues, comme celles de soldat, de marin, de laboureur, devraient être les plus glorifiées ; il devrait y avoir des privilèges, des dignités, pour les hommes courageux qui les choisissent ; mais on a aboli les dignités, les privilèges ; on a supprimé toutes les valeurs fictives, toutes les monnaies morales, avec lesquelles on récompensait les grands services ; on a supprimé toutes les splendeurs imaginaires qui attirent les nobles ambitieux, et les esprits généreux se sont découragés, et les caractères les plus indépendants et les rêveurs les plus orgueilleux se sont résignés aux états les plus modestes et les plus paisibles ; et les fils de général se font percepteurs, les fils de marin se font commis, les fils de laboureur se font valets de pied ; ceux-ci aiment mieux monter humblement derrière la voiture d’un maître, parés d’un habit dont ils n’ont pas choisi la couleur, que de conduire fièrement les bœufs qu’ils ont nourris, attelés à leur propre charrue, dans le sillon paternel. C’est qu’il n’y a plus personne pour leur dire : « L’indépendance est une noblesse, la terre des champs est plus noble que le pavé des villes, la blouse est plus noble que la livrée, le laboureur est plus noble que le valet… » on leur dit au contraire : « Vous êtes tous égaux. » Chacun choisit alors l’état le moins pénible et le plus commode, sans se demander s’il est le plus honorable. Vous avez supprimé toutes les dignités, à merveille ! mais vous n’avez pas remarqué qu’en supprimant les dignités, vous supprimiez aussi la dignité ; vous avez détruit l’idée en détruisant les symboles.

Eh quoi ! dites-vous, les hommes se font hacher pour un vain titre, pour un mauvais bout de ruban ! Et vous haussez les épaules, vous prouvez par les discours les plus raisonnables que c’est folie, qu’il est bien temps d’éclairer ces niais imprudents, ces fous qui attachent encore de l’importance à ces puérilités, à ces misères !… Risquer de mourir pour avoir le droit de porter à sa boutonnière un ruban d’une teinte plus ou moins flatteuse ! Vous ne comprenez rien à cette bizarrerie, philosophes profonds ! en général, vous comprenez peu de choses. Quel plaisir peut-on trouver à se parer d’un bout de ruban ? Je vous le demande, qu’est-ce que cela signifie ?… Rien ! cela veut seulement dire : « J’ai été brave dans telle affaire plus que les braves ; pendant que vous dormiez, je veillais ; pendant que vous vous amusiez, je souffrais ; pendant que vous faisiez de votre dîner l’affaire de toute votre journée, je jeûnais ; pendant que vous vous promeniez sur les boulevards, le cigare à la bouche, entouré de vos amis, moi je traversais les déserts, le pistolet au poing, traqué de tous côtés par nos ennemis ; j’ai grelotté de froid, j’ai suffoqué de chaud, j’ai eu les pieds gelés dans la neige, j’ai eu le front brûlé par le soleil… et j’ai subi tous ces tourments sans me plaindre, par respect pour mon devoir, par amour pour mon pays… » D’autres fois, cela veut dire aussi : « J’ai donné ma jeunesse et ma santé à la science aride, j’ai usé mes yeux sur les livres, j’ai blanchi dans les veilles et dans les travaux ; j’ai sacrifié ma vie pour sauver la vie des autres ; j’ai interrogé la peste sans pâlir, j’ai palpé le choléra sans trembler, j’ai tant vécu avec les cadavres, que j’ai fini par leur ressembler à moitié ; je me suis tant occupé de la mort, que la mort déjà s’occupe de moi et qu’elle va bientôt me punir d’avoir voulu lui ravir ses victimes en me faisant moi-même sa victime avant l’âge et malgré tout mon savoir ; mais je l’attends sans crainte, car je l’ai bravée avec enthousiasme, par respect pour mon devoir et par amour pour l’humanité. » Cela veut dire encore : « J’ai lutté avec l’Océan, avec les tempêtes, avec les sauvages, avec les Anglais ; j’ai passé ma vie dans l’exil, loin de ma famille et de mes amis ; j’ai quitté, quelques mois après mon mariage, une jeune femme que j’aimais d’amour ; j’ai laissé mourir ma mère sans l’embrasser ; j’ai appris dans un port de l’Inde qu’il m’était né un fils en France, et quand je suis revenu dans ma maison, après seize années d’absence, et que j’ai demandé si ma femme était chez elle, un jeune inconnu m’a répondu : « Ma mère va rentrer, voulez-vous l’attendre, monsieur ?… » Cet inconnu qui m’appelait monsieur, c’était mon fils, mon grand fils, que je n’avais pas vu grandir ! J’avais le collégien, mais je n’ai jamais eu l’enfant… Quant à sa pauvre mère, elle était si changée, que je ne pus retenir mes larmes en la regardant : c’était la digne mère, ce n’était plus la jeune et belle épouse. Ainsi j’avais fait à mon devoir le sacrifice des plus douces jouissances de la vie ; j’ai donné à mon pays mes plus beaux jours ; j’ai négligé, pour le servir, mes devoirs les plus chers, mes trésors les précieux, mes fleurs les plus fraîches et les plus charmantes ; je lui ai sacrifié la vieillesse de ma mère, la jeunesse de ma femme, l’enfance de mon fils… »

Oui, ce mauvais bout de ruban signifie courage, dévouement, sacrifice, devoir glorieusement accompli, péril généreusement affronté, privations, patience, savoir, talent, honneur, bien souvent héroïsme, quelquefois génie, toujours travail. Un chiffon de soie qui dit ces choses-là ne nous semble pourtant pas un objet tout à fait méprisable. Mais, direz-vous, cela vient de l’idée qu’on y attache. Eh ! mais, précisément ; nous avons cette faiblesse de tenir aux idées, par conséquent aux choses auxquelles on attache des idées, parce que, nous le répétons, les peuples généreux et intelligents se gouvernent avec des idées : ce sont les peuples mercantiles et gloutons que l’on gouverne avec des intérêts.

Mais, bien loin d’en rire, vous devriez admirer avec transport cette invention sublime. Avoir amené des hommes à braver la mort, l’infirmité, les dangers les plus terribles, pour obtenir le droit de porter une rosette rouge à leur boutonnière ; avoir donné à une convention sociale cette force d’impulsion, mais c’est superbe, c’est plus beau que d’avoir découvert la force motrice de la vapeur, c’est plus beau que d’avoir découvert un monde ! Avoir fait d’un bout de ruban un but, une gloire, une consolation, une compensation, en vérité, il faut que nous soyons bien sot, mais nous trouvons cela merveilleux. Dans un siège, un soldat a la jambe emportée par un boulet de canon, le voilà perdu, infirme pour le reste de ses jours… Que fera-t-on pour lui ? comment le dédommager ? comment le récompenser ? Vous, philosophes, qui êtes des hommes positifs, vous ne trouvez qu’un moyen : vous proposez de le consoler avec de l’argent, de le récompenser avec de l’argent ; mais comme vous n’avez pas d’argent pour ces sortes de choses, vous lui en souhaiterez en faisant de très-belles phrases. Vous, démocrates, vous êtes plus sincères, vous ne le dédommagez point du tout, vous ne le récompensez jamais, l’égalité vous le défend. Oh ! c’est qu’il faut bien y prendre garde ! savez-vous qu’en récompensant les braves vous risquez d’humilier les poltrons ? Ce serait injuste, ce serait cruel. Ces pauvres poltrons ! ils sont déjà bien assez malheureux, vraiment, de trembler toujours devant tout le monde, sans qu’on ait besoin de les affliger encore en récompensant ceux dont ils ont peur : ainsi vous ne récompensez pas ce noble infirme.

Eh bien, nous qui croyons à la force des idées sur les esprits généreux, nous avons une manière de dédommager ce soldat, de récompenser son courage : nous le faisons chevalier, et nous lui offrons, au nom de la patrie reconnaissante, une petite croix suspendue à un morceau de ruban rouge… Et soudain cet homme anéanti se réveille, sa tête courbée se lève avec orgueil, son regard s’enflamme, sa voix s’émeut ; il appelle à lui ses parents, ses camarades, ses voisins ; il les rassemble tous en un repas joyeux pour célébrer ce grand événement, et il leur raconte avec enthousiasme ses campagnes ; il décrit avec amour la bataille où il a été mutilé ; il se pare avec fierté de ses glorieuses avaries, et il s’inspire, et il boit à la mémoire de tous les héros, et il embrasse tous les convives ; il évoque tous ses amis absents, il évoque tous ses morts aimés. Ah ! ils sont rares dans la vie, les jours où, songeant à ceux qui ne sont plus, on s’écrie : « Qu’ils seraient heureux s’ils étaient là !… » Il rit, il pleure, il chante, il danse ; oui, regardez-le en sortant de table, il danse, il n’est plus infirme, il a retrouvé sa jambe ; ce bout de ruban, c’est sa jambe ! Vous aurez beau dire, c’est une belle manufacture que celle-là où l’on refait avec des rubans les jambes et les bras que les canons ont emportés.

La fiction est admirable ! Mais, nous sommes de votre avis, il faut s’y prêter ; il faut penser, en voyant ce ruban, à la petite croix qu’il soutient les jours de fête guerrière ; il faut ensuite, en songeant à cette croix, se souvenir d’une autre croix plus grande, devant laquelle le monde est à genoux ; et puis il faut encore se rappeler que cette croix sainte est l’emblème du mystère sacré de la Rédemption, et qu’enfin cet emblème d’amour divin a pour devise : Volupté dans les sacrifices, gloire dans la douleur !

Et aujourd’hui vous ne voulez plus même donner cette petite récompense au sacrifice, cette vaine consolation à la douleur ; vous anéantissez ces valeurs idéales qui payaient le sang versé et qu’on achetait de son sang. Vous voulez abolir les rubans, les croix, les privilèges, les titres, les glorieuses chimères, et vous demandez pourquoi on est avide, pourquoi on n’aime plus que l’argent. Eh ! vraiment, il faut bien l’aimer et n’aimer que lui, puisque c’est la seule chose qui ait conservé sa valeur, la seule convention qui ait gardé sa force, la seule fiction qui n’ait rien perdu de son prestige.

Et nous sommes des roués bêtes, parce que nous vivons pour les intérêts, parce que nous ne vivons plus pour les idées ; nous avons juste assez de malice pour jouer ceux qui nous gênent, nous n’avons plus assez d’intelligence pour les éclairer ou les dominer ; l’ingéniosité qui était dans notre imagination a passé dans notre caractère ; nous avons pour ainsi dire le cœur compliqué et l’esprit simple, et… voilà tout naturellement ce qui fait que nous sommes, sauf votre respect, des roués bêtes !…

Cette semaine était la semaine des pianistes : chaque jour a été désigné par un de leurs noms. On n’a parlé que piano, qualité de son, style et méthode : c’étaient des querelles à n’en plus finir. Chacun défendait son virtuose. Un soir, entre autres, que les discussions étaient arrivées presque à la fureur, un juge éclairé et compétent les a terminées par cette définition plaisante qui a mis tout le monde d’accord :

— Au piano,

Thalberg est un roi,

Liszt est un prophète,

Chopin est un poëte,

Herz est un avocat,

Kalkbrenner est un ménestrel,

Madame Pleyel est une sibylle,

Dohler est un pianiste.

Quant à Léopold Mayer, nous ne l’avons entendu qu’une fois, il nous a fait l’effet d’un ouragan harmonieux ; figurez-vous d’abord le son le plus léger, le plus vaporeux, le plus gracieux et le plus folâtre, cela dure ainsi pendant une demi-heure ; puis, tout à coup, sans transition, sans motif, sans prétexte aucun, une bourrasque furieuse tombant sur son piano inoffensif, un Hercule enragé frappant à coups redoublés un ennemi invisible, et frappant juste, frappant d’une manière agréable ; l’harmonie n’est jamais sacrifiée à la fureur. Ce sont des coups de poing, mais des coups de poing d’une main musicienne ; ils peuvent, si vous êtes trop près du piano, ils peuvent vous briser les oreilles ; mais vous les écorcher, jamais ! Quelle superbe violence ! et cela dure une heure ainsi ; et lui n’est pas du tout fatigué. Léopold Mayer joue des mélodies russes charmantes et des marches turques d’une grande originalité. Il est resté quelque temps à Constantinople ; il a eu l’honneur de donner un concert au sérail ; et ce n’est pas chose facile, à ce qu’il paraît, que de faire un peu de musique dans ce superbe palais. On vous fait venir à huit heures du matin pour jouer à trois heures ; il faut que vous soyez en grand uniforme ; vous attendez sept heures dans une très-belle galerie où il est défendu de s’asseoir. De temps en temps on vient vous dire ce qui se passe chez Sa Hautesse. « Sa Hautesse vient de se lever… » — Il faut vous prosterner à ce mot. Plus tard on vient vous dire : « Sa Hautesse va se mettre au bain. » — Vous vous prosternez encore. — « Sa Hautesse s’habille. » — Vous vous reprosternez. — « Sa Hautesse prend le café… » Et vous vous prosternez à chacun de ces avis très-détaillés, et toujours plus respectueusement. Enfin on vous apporte votre piano : on en a ôté les pieds, par égard pour le parquet de la galerie, mosaïque précieuse des bois les plus rares. L’immense piano à queue est posé sur cinq Turcs !

Les malheureux sont là à genoux, accroupis, écrasés par cette masse énorme. « Mais, dites-vous, je ne peux pas jouer sur un piano à cinq Turcs ! » On croit alors que vous hésitez parce que l’instrument n’est pas d’aplomb. On prend un coussin, on le met sous les genoux du plus petit des Turcs ; quand le piano est ainsi calé, on vous propose de jouer, on n’imagine pas qu’un sentiment d’humanité vous arrête. Vous êtes obligé d’expliquer cette délicatesse de la civilisation, et cela est très-long.

Enfin on remet à votre piano ses pieds véritables. Le sultan paraît ; après toutes sortes de salamalecs, on vous ordonne de jouer… Vous demandez une chaise… pas de chaise… On ne s’assoit jamais devant Sa Hautesse… « Eh ! dites-vous, on ne peut pas jouer du piano sans être assis. » Enfin le sultan a pitié de vos angoisses et vous fait donner un siège… Vous jouez, et il vous écoute… et il vous admire… Il est connaisseur, il est élève du frère de Donizetti, établi à Constantinople et maître de la musique du sultan. Le Grand Turc qui joue du piano !… Après cela, que peut-on dire ?

On peut dire, comme étrangeté suprême, que l’Académie française, pour sa prochaine élection, ne veut ni de M. de Balzac ni de M. Alexandre Dumas. C’est donc un inconvénient que d’être célèbre ? Pourquoi les talents célèbres ont-ils tant de peine à arriver ? C’est donc un crime que d’avoir des droits ? — Non, mais messieurs les académiciens sont capricieux, ils ont des manies, des préventions inexplicables : MM. de Balzac et Alexandre Dumas écrivent quinze à dix-huit volumes par an, on ne peut pas leur pardonner ça. — Mais ces romans sont excellents. — Ce n’est pas une excuse, ils sont trop nombreux. — Mais ils ont un succès fou. — C’est un tort de plus : que MM. de Balzac et Alexandre Dumas en écrivent un seul, tout petit, médiocre, que personne ne le lise, et on verra. Un trop fort bagage est un empêchement ; à l’Académie, la consigne est la même qu’au jardin des Tuileries : on ne laisse point passer ceux qui ont de gros paquets. Et M. de Balzac qui n’a pas même la croix ; M. de Musset ne l’a pas non plus ; et il y a toutes sortes de hardis inconnus qui se disent hommes de lettres et qui osent porter la croix devant ce véritable poëte, devant ce grand romancier ! Ne pourrait-on pas trouver un député influent qui la demandât pour eux ?