Lionel Duvernoy/Lionel Duvernoy

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Lionel Duvernoy



Lionel Duvernoy, homme de science et de génie, véritable encyclopédie vivante, cherchait une âme ; une âme qui fut sienne, où ses pensées, ses sentiments, ses goûts, ses aspirations, ses enthousiasmes se retrouveraient enfermés, tel qu’en un coffret d’or ; où tout ce qu’il éprouverait se refléterait ; phonographe parfait répétant ses paroles ; idéal introuvable que depuis des années, aussi malheureux que Byron, il s’acharnait à découvrir. Car il n’était pas banal Lionel, avec sa belle figure, sa stature d’athlète, ses manières attrayantes, son esprit fin se révélant au dehors par le timbre séduisant d’une voix chaude, pénétrante, mélodieuse, sachant si bien dire.

Lionel savait ce qu’il savait, son érudition profonde lui laissait ignorer très peu de choses. Son grand savoir le faisait s’isoler des masses, qui le fatiguaient, l’énervaient, la bêtise humaine l’ennuyait souverainement : il était l’exception sur le cent collectif ; sur cent individus quatre-vingt dix neuf sont des niais, donc il était l’homme à plaindre, celui qui pense, qui voit, qui sent, qui souffre ; qui souffre de l’isolement de son génie, le faisant un peu ressembler au malheureux voyageur égaré dans une contrée sauvage, où tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait parait étrange, ridicule à ces incivilisés, le regardant avec des yeux surpris étonnés.

Pauvre Lionel. Oui, il souffrait de se voir perdu au milieu d’un entourage toujours nombreux, qui le recherchait, le cajolait ; le flattait. Il était riche, puissant, savant ; on l’entourait, on le voulait : les femmes se l’arrachaient. Lui restait charmant, mais impassible et froid ; son bel œil noir était trop profond, lui révélait trop vite la petitesse des caractères, la ruse, le mensonge, l’hypocrisie. La psychologie humaine n’avait pas de secrets pour lui.

Au début de sa vie, il avait étudié la médecine, il avait vu couper bien des corps, des bras, des jambes, sans vouloir lui-même opérer. De toutes ces boucheries humaines il avait conclu que pour sauver trois individus on en faisait mourir six. Ce problème résolu il abandonne la science d’Esculape, pour l’étude du droit ; là encore, il trouva des mécomptes ; le droit c’était la raison du plus fort ; la justice, un mythe. Il se livrerait à la sculpture, le marbre qu’il polirait, le marbre froid et dur il saurait par la seule force de son génie, de sa volonté en faire une œuvre d’inspiration sublime.

Il se mit à l’ouvrage, travailla fort, et en peu d’années réussit. À l’exposition des Arts à Paris, il obtint le premier prix pour sa statue de l’Attente. Il eut un succès monstre, on l’acclama dans un délire d’enthousiasme, les hommes l’enviaient, les femmes le couvrirent de monceaux de fleurs.

Un prix fabuleux lui fut offert pour son chef-d’œuvre, il refusa et tel qu’un mari jaloux, courut s’enfermer avec son trésor ; comme Pygmalion il se mit à aimer sa statue. Il rêva de ces yeux, de cette bouche, de cette âme qui semblait s’échapper de ses lèvres ; il entendit d’elle les paroles qu’il voulait entendre de l’être aimé, il lui sourit et vécut ainsi du rêve, assez heureux pendant quelques semaines ; mais un beau jour, malgré toute la séduction de la déesse, il trouva vides les pièces qu’il habitait. Le mal dont il avait beaucoup souffert le reprit. Il résolut de voyager, il parcourrait le monde, il la trouverait cette âme fraternelle qu’appelait son âme ; cette étoile de son ciel, ce souffle de son existence, elle existait ; mais où ? S’il ne l’avait pas rencontrée en France, pays des lumières, du sentiment et de toutes les grandes idées, n’était-ce pas une utopie d’espérer la trouver ailleurs ? Cependant poussé par le désir de se sentir compris, il obéit à la force irrésistible qui l’entraînait toujours vers l’inconnu.

Il avait visité déjà le continent européen sans succès, il voyagerait vers le Nouveau-Monde, sol natal des Atala, des Évangeline. Oui, il irait jusqu’en ces terres lointaines. Avant toutefois il verrait l’Afrique ; il voulait étudier toutes les femmes, les blanches, les noires, les jaunes. Trouverait-il plus de noblesse chez les nations sauvages, chez l’être n’étant pas l’esclave des conventions mondaines, nées pour étouffer la droiture des sentiments, rapetisser les natures en les assujettissant à une loi commune, étreignant dans leur âme ces élans spontanés de générosité, de sacrifice, de désintéressement, que l’homme du monde appelle exaltation. La civilisation portée à son paroxisme n’est-ce pas le décivilisation, n’est-ce pas l’engloutissement de toutes les aspirations, l’obstacle au vrai bonheur ? avec ses préjugés, n’est-ce pas le berceau des maux de la société, le berceau de toutes les souffrances, les haines, les jalousies, de toutes les démoralisations humaines ? C’est le rieur éternel qui fait entendre son cynique ricanement devant la naïveté de la vierge émue qui croit encore à la vertu. Ah ! oublier le monde entier, s’enfoncer dans la profondeur des forêts, des déserts affranchi de toutes les fausses idées d’une fausse société : être franchement soi en pressant la main d’un autre soi-même, oser dire ce que l’on pense, ce que l’on sent, ce que l’on éprouve, se laisser être heureux voilà la vraie sagesse. Ce bonheur il le voulait, à tout prix, il le trouverait. Dans cette détermination il entreprit ses longs voyages.

Sa première étape fut au Caire. Arrivé à l’endroit où le plus grands des guerriers harangua ses soldats, le sculpteur s’arrêta impressionné, saisi d’émotion devant la face sinistrement triste du sphinx, monstre de l’antiquité placé entre les trois pyramides, dont la majestueuse grandeur lui forme une garde royale. Dorées des rayons jaunissant d’un ciel où le soleil s’endormait, elles lui parurent d’une faste légendaire. Le génie des siècles passés l’enthousiasmait. En contemplant la figure morne, le regard sombre du colosse, qui semble reprocher au temps d’avoir enfoui ses griffes dans le sol, d’avoir assoupi sa force en l’enlisant jusqu’au cou, de l’avoir presque désarmé en lui enlevant son prestige d’incompris, Lionel se sentit envahi d’une triste mélancolie ; lui aussi depuis des années était incompris, il ne pouvait trouver celle qu’il cherchait. Au fond de son âme, il demandait la lucidité du malheureux


Ferme du Nord Ouest.

fils de Laïus, vainqueur de l’être fantastique. Où est-elle ? Avec ce but fixe de sa vie il entra dans le désert, non sans avoir auparavant escaladé, avec l’aide des Bédouins, les Pyramides, voulant éprouver la terreur vertigineuse que l’étranger ressent en visitant ces masses imposantes.

Le désert n’était-ce pas l’image de sa vie ? Ses pas s’y enfonçaient géométriquement, systématiquement, réguliers, uniformes comme tous les jours de son existence. Les collines, les vallons, qu’il y découvrit, il les comparait aux émotions violentes qu’il avait quelquefois éprouvées, aux heures où il avait cru enfin pouvoir réaliser son rêve ; les courants ondulés, aplanis, sans trêve, c’était la réalité, c’était la vie qui passe où le sable poudreux efface toutes les illusions : l’oasis, où quelquefois sur sa route il abreuvait ses lèvres desséchées, c’était les douces rêveries de cet amour idéal qui l’avait jusqu’alors préservé des amours vulgaires, lui conservant toute l’ardeur de ses nobles tendresses, pour cette femme souhaitée, pour cette nature divinatrice, vers qui les élans passionnés de son cœur le poussaient. Ainsi il avait passé sa première jeunesse, ainsi il avait souffert, ainsi il avait aimé, soutenu par cette flamme mystique, le faisant une exception aux autres hommes. Sa grande érudition, son ardeur pour l’étude des choses abstraites, l’avaient aidé à supporter cet isolement volontaire, dont cependant saignaient toutes les fibres de son âme, par ce qu’il était plus noble ; plus grand que la généralité des êtres humains, il ressentait une douleur immense de se sentir toujours seul au milieu de son entourage.

Découragé il se demandait, avec tristesse, si le gardien suprême de tous les mystères physiques, métaphysiques, hiératiques, systématiques, l’avait jeté dans l’océan universel, lui infime atome, pour suivre le sentier déjà battu des primitives générations, acceptant comme un legs héréditaire les jouissances matérielles, sans préoccupation du véritable idéal, qui nous rapproche du Souverain des mondes ; si toutes ses aspirations devaient s’éteindre faute d’aliment, comme les pâles rayons de l’astre des heures sombres à l’approche du jour.

Sa mélancolie augmentait, ainsi que les ombres de la nuit, elles aussi entraient dans son cœur, avec les mornes solitudes des régions environnantes. Cet homme si brave, si courageux, pour affronter les périls, pour supporter les douleurs physiques, les plus cuisantes, avait quelquefois, telle qu’une petite femme nerveuse, des défaillances, des désespérances, devant son impuissance à trouver le remède au mal moral qui voilait tout son ciel. Parfois au milieu du Sahara il s’était arrêté ému, surpris aux accents de sa voix répétant à son insu : « Où es-tu, où es-tu ? » interrompant soudain le calme de cette mer de sable ; de ce monde où tout était plongé dans un sommeil de mort, où nul indice ne révélait la présence d’un insecte, d’un oiseau, d’une plante animée, où pas un souffle d’air ne gémissait dans l’espace, où tout ce qui respire était frappé d’immobilité complète, le pénétrant d’un sentiment d’oppression, de tortures angoissantes ; pendant quelques secondes il se sentit incapable d’avancer ; il voulait fuir pour aller ailleurs entendre vibrer un son vital, un simple bourdonnement de scarabée, un bruissement d’herbe, un froissement de branche cassée : mais tout son être semblait paralysé, il croyait entendre dans son hallucination le glas funèbre tinter son De Profondis, et comme bien d’autres voyageurs avant lui se l’était demandé, Lionel murmura : Est-ce la dernière heure ? par un suprême effort il réagit contre cette torpeur et parvint à une oasis, où il put inonder son front brûlant, dans une eau bienfaisante ; elle lui rendit le courage. Ranimé il réussit à franchir en peu de temps les sables du désert…

Après le désert Monsieur Duvernoy passa en Italie ; se dirigea vers l’Inde visita le Japon, traversa le Grand Océan, puis enfin posa ses pieds sur le sol d’Amérique. Chose étrange en respirant les premières bouffées d’air à Victoria, il éprouva les douces sensations de l’amoureux éconduit, recevant un bouquet, qui lui annonce, qu’on le regrette, qu’on le rappelle.

Tout lui plaisait au Canada, la chaîne des Rocheuses, avec ses pics, ses glaciers ses pierres cristallines aux mille couleurs, l’émerveilla. Il trouvait là une infinité de petites Suisses, avec des montagnes plus hautes, des lacs plus grands. Le site poétique de Banff, à plus de quatre mille pieds d’élévation, entourée de pics hérissés, le captiva plus que tout autre endroit, ce fut à regret qu’il s’en éloigna pour traverser la prairie.

Il fut surpris de trouver cette vaste région de l’Ouest si florissante, sillonnée de villes d’hier, bien bâties, jolies, coquettes, possédant un commerce étendu, des industries manufacturières, importantes. Les ranchs, aux nombreux troupeau l’étonnèrent ; il se laissa séduire par la vie libre, affranchie de toute considération mondaine que menaient ces éleveurs de bestiaux, il passa plusieurs semaines au milieu d’eux et put ainsi constater la richesse du sol, dont la luxuriante végétation a valu à ces contrées le titre de : Grenier de l’Empire Britannique.

Lionel traversa ensuite, à la hâte, Winnipeg, Toronto, Ottawa, voulant se rendre aux Bermudes avant la saison d’été ; se réservant de visiter Montréal et Québec à son retour de ces îles, dont il avait entendu vanter le climat enchanteur.

Notre héros ne fut pas désappointé dans son attente, car les Bermudes sont un véritable petit paradis terrestre. Des forçats envoyés par l’Angleterre, il y a plusieurs années, creusèrent dans le sol, de pierre blanche, spongieuse, des allées superbes, des chemins magnifiques ; les travaux immenses faits par ces prisonniers joints à une végétation luxuriante, se renouvelant quatre fois par année, font de ces îles un endroit tel que raconté dans les contes d’Aladin. Le palmier Royal, le laurier d’une hauteur surprenante, borde de chaque côté, de ses fleurs abondantes, toutes les routes qui semblent des ribambelles blanches jetées sur un tapis d’émeraude. Le Pan-pan ainsi qu’une infinité d’arbres, de familles différentes, charment le regard ; la grande variété, de cent soixante trois oiseaux, remplissant l’air embaumé et pur de leurs chants, séduisent par la beauté de leur plumage et les mille poissons aux brillantes couleurs, offrent un véritable intérêt aux touristes.

Toutes les maisons faites de pierre blanche de la cave jusqu’au bout de la cheminée, ainsi que les huttes des indigènes, bâties de bois, que l’on peint en blanc, font l’effet d’immenses flocons de neige tombés au milieu d’un bouquet de verdure. Il semble que l’on doit toujours être heureux dans un lieu où tout est si beau, si pur ; pas une odeur infecte dans l’atmosphère. Un jour quelques citoyens voulurent introduire l’horrible automobile, avec son souffle empesté et malsain, quatre seulement y furent transportées ; mais toute la population, intelligente, se leva pour protester ; et fit disparaître la puante machine, aucun infernal destructeur de la santé n’est toléré dans cette terre bénie, destinée à rendre les forces et la vie aux faibles. Les Bermudiens conservent jalousement, l’inestimable joie, de pouvoir respirer à plein poumons les arômes suaves, des courants embaumés, de senteurs de roses, de lys, de laurier. L’âme du poète, du rêveur, éprouve une délirante ivresse, sous un ciel si clément.

Moore en ces lieux écrivit des vers sublimes, inspirés sous l’ombrage des palmiers et du fameux Calabash.

Lionel charmé, ému, écoutait, avec attention, la légende du Laurier nommé en anglais Oleander, que lui racontait son guide.

C’était deux jeunes fiancés que la mer furieuse avait séparés. Sur le bord du rivage la jeune fille regardait s’éloigner celui qui possédait son amour, lorsque les vagues devenues subitement furieuses l’engloutirent dans leur antre.

Éperdue, agonisante, la pauvre enfant, l’appelait avec désespoir « Ô Léandre ! Ô Léandre ! » Hélas aucune réponse ne vint à son appel, rien ne reparut à la surface des eaux ; mais avec les ondulations de l’air, toutes les fleurs, tristement, se penchant vers le sol, répétèrent avec l’infortunée Ô Leander ! Ô Leander ! comme si leurs voix pouvaient le ramener à elle, et de ce jour elles furent baptisées de ce nom.

Lionel en cueillit deux ou trois, qu’il mit à sa boutonnière, il lui semblait qu’elles étaient ses sœurs, n’avait-elles pas appelé comme lui l’être qu’un cœur souffrant cherchait — cette similitude de sentiments le faisait les aimer. Charmantes fleurs murmura-t-il — vous êtes les sympathiques témoins de nos plus grandes joies, ainsi que de nos plus cuisants chagrins.

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Bour-r-che, bour-r-che, bour-r-che. La roue du navire frappe la vague qui vient mourir au loin sur la grève. Le St. Irénée, fend les eaux du St. Laurent, avec une grande vitesse ; on arrive à la Malbaie, sur la rive nord du fleuve, où les touristes jouissent d’un superbe panorama. L’œil ne saurait se lasser d’admirer ce littoral enrubanné de routes ombrées, offrant aux regards mille tableaux variés ; les ascensions subites s’y multiplient, avec une splendeur de décor vraiment grandiose ; toute la rive ainsi escarpée, accidentée, se continue jusqu’au Cap Diamant, que couronne la vieille citadelle.

Assise à l’arrière du paquebot une jeune fille, aux formes gracieuses et séduisantes, accusant toute la sève de la première jeunesse, au teint pâle ; mais frais, aux lèvres de corail, aux traits d’une expression unique, suivait de ses beaux yeux couleur noisette, le vol téméraire de deux petits oiseaux que l’inexpérience de la vie avait fait s’aventurer, en chantant, un duo bien parfait, trop près d’une vague mugissante, la lame furieuse, ils ne la voyaient pas, traîtresse elle les couvrit de son écume blanche — quelques secondes on vit leurs ailes se débattre, puis la force des eaux les retint dans son antre.

Anxieuse la jeune fille plongea plus avant ses regards dans le fleuve, espérant les voir reparaître ; mais en vain, ils étaient bien ensevelis tous deux.

Pauvres oiseaux ! qui tout à l’heure avez noté dans l’air une musique si joyeuse, vous voliez, vos cœurs battaient à l’unisson. Imprudents, vous ne saviez donc pas que tout l’univers vous en voulait ? Jaloux de votre bonheur, mille lutins vengeurs vous poursuivaient ; vous ne pouviez plus vivre, vous vous aimiez, tous les esprits malins demandaient votre vie. Votre crime était grand, vous aviez oublié le monde entier, il fallait disparaître ; tous les fluides magnétiques, diaboliques, déchaînés contre vous, en même temps, vous précipitèrent dans ces eaux perfides, qui vous guettaient.

Ainsi pensant, émue, la jeune fille, entra, ne voulant plus regarder cette onde méchante. Impressionnable et tendre cette mort l’attristant. Lentement elle se dirigea vers le piano, inconsciente de tout ce qui l’entourait, ses doigts firent vibrer sur l’instrument les tristesses de son âme. Les impressions qu’elle venait d’éprouver elle n’aurait pu les dire, mais elle les exprimait avec une telle impression, une harmonie si suave, elle rendait des sons si réels, qu’on eût cru entendre une voix, des paroles, des soupirs, des gémissements, puis enfin des sanglots noyés dans un complet délire.

Perdue dans sa rêverie elle jouait, jouait toujours sans s’apercevoir qu’on avait fait cercle autour d’elle, qu’on l’écoutait avec extase. Enfin elle s’arrêta au contact d’une main tremblante qui inconsciemment s’était posée sur la sienne, un beau visage mâle et fier, le regard humide de larmes, penché vers elle, la contemplait et Lionel murmura.

— Pardon, excuse, mademoiselle, je me suis oublié, ce que vous venez de dire est si beau, si beau ! Où avez-vous appris tout cela ? vous êtes si jeune. Il me semble qu’il faut bien de l’expérience, avoir vécu, avoir souffert pour rendre ainsi.

— Peut-être, monsieur, mais il y a des choses que l’on conçoit sans les avoir apprises, des choses qui nous font pleurer sans les avoir souffertes, des joies que l’on rêve sans les avoir éprouvées. Le plus petit incident parfois fait vibrer la lyre de nos nerfs, nous pauvres femmes, susceptibles aux moindres émotions. Mais vous allez rire de ma réponse, peu d’hommes nous pardonnent de nous laisser ainsi dominer par les impressions du moment, sans nous classer dans la catégories des exaltées.

— C’est là où l’on a tort, mademoiselle, reprit Lionel, moi je vous comprends ayant trop longtemps souffert du faux jugement des hommes. Je vous admire de ne pas penser comme tout le monde.

La jeune fille le regarda, avec surprise, étonnement, une expression de joie indicible remplit son regard d’une beauté incomparable, il y avait dans ses yeux tout un océan de tendresse et d’amour ; elle tremblait, inconsciente ; elle mit sa main dans la sienne tandis qu’une voie de l’âme partant de son cœur à ses lèvres murmurait, C’est lui, à la minute où Lionel s’écriait : C’est elle !!!


Il la retrouvait dans toute sa beauté juvénile

Ô lien mystique unissant deux êtres s’étant longtemps appelés, joie immense du retour de celui que l’on attendait sans l’avoir jamais rencontré, félicité d’un paradis perdu, dont le souvenir nous hantait, sans en avoir jamais savouré les délices, intense satisfaction de se sentir enfin compris, aimé. Ainsi que d’anciens amis ils échangèrent leurs pensées ; exprimant, ensemble les mêmes goûts, les mêmes sentiments. Il l’écoutait parler de ses poétiques croyances, qu’il avait toujours lui aussi gardées, chéries, dans son plus intime intérieur, mais, qu’il n’avait oser avouer à un monde sceptique et railleur.

Que d’éloquence dans l’accent des paroles de la jeune fille ; sa voix avait des harmonies inconnues jusqu’alors, mais rêvées ; avec quelle confiance elle lui parlait de ce qu’elle aimait, de ses inclinations, de ses sympathies ; par elle il se sentait complété.

Oh ! ravissement ! elle existait, il l’avait espéré sans le croire ; et elle était canadienne, c’est-à-dire française ; sœur par l’âme, elle était sa sœur cadette envoyée pour lui dans ce beau Canada, sol si fertile, où fructifie la bonne semence. Il la retrouvait dans tout son épanouissement, dans toute sa beauté juvénile, n’attendant plus que son frère aîné pour la conduire, par la main, dans les grandes routes déjà frayées par lui, route de tout ce qui est noble et beau.

Ô France, mère patrie, notre amour, notre orgueil, vogue vers nos rives, nous te souhaitons avec ardeur. Nous avons besoin que tu nous guides dans le sentier du savoir ; nous voulons nous appuyer sur ton bras généreux, pour marcher sur tes traces et devenir comme toi, s’il est possible, dans l’avenir un foyer de lumières éclairant l’univers tout entier.