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Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie II/Chapitre XIV

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Chap. XV.  ►
PARTIE II.

CHAPITRE XIV.

Comment le mareschal arriva à Rhodes, et comment le grand maistre de Rhodes le receut, et le pria qu’il allast en Cypre pour traicter paix.

À tant s’approcha de Rhodes le mareschal, et quand le grand maistre du lieu qui est nommé messire Philebert de Nillac sceut que il estoit près, adonc luy alla au devant à belle compaignie de chevaliers et de bonne gent, et le receut très joyeusement et à moult grand honneur. Et ainsi le mena en son chastel qui moult est bel et hault, assis au dessus de la ville ; lequel il avoit faict bien et richement ordonner pour la venue. La mangèrent ensemble, et parlèrent de plusieurs choses, et de maintes advantures et nouvelles. Et tost envoya ses messaigers au mareschal le capitaine des dictes galées des Vénitiens, par lesquels il luy faisoit responce, que de ce que il l’avoit enhorté d’aller avec luy sur les Sarrasins, il n’avoit mie commission de la seigneurie de Venise, sans laquelle il n’oseroit entreprendre de faire aulcune nouvelleté, si l’en voulsist tenir pour excusé, car aultre chose pour lors n’en pouvoit faire. Si n’en tint plus plaid le mareschal. Si est vray que quand le seigneur de Chasteaumorant se partit de luy pour convoyer l’empereur, comme dict est, il luy ordonna, pour cause de croistre son armée que, il luy amenast toutes les galées et galiotes que de la seigneurie de Jennes et de tous leurs alliés pourroit trouver. De laquelle chose toute diligence mit de ce accomplir, tant que plusieurs en eut assemblées. C’est à sçavoir une galée et une galiote du pays de Père et une galée et une galiote d’Aisne, une galée et une galiote de Metelin, et de Scio deux galées. Et à tout le dict navire vint à Rhodes devers le mareschal qui là attendoit l’Ermite de la Faye que il avoit envoyé devers le roy de Cypre, comme devant est dict, pour savoir sa responce. Ne demeura pas moult que l’Ermite vint ; et à brief parler rapporta que il n’avoit pu trouver le roy de Cypre en nulle raison d’accord de paix, pour quelconque cause qu’il lui sceust avoir monstrée que il dust faire. Quand le mareschal entendit ce, dit que puisque le roy de Cypre ne se vouloit désister et oster de son tort, et venir à raison, que il ne faudroit mie à lui faire bonne guerre. Adonc fit tantost apprester son navire, et remonter ses chevaulx, et toute son armée mettre en ordonnance. Quand le grand maistre de Rhodes, à qui moult pesoit pour le mal qui ensuivre en pourroit, que guerre y eust entre le roy de Cypre et les Jenevois, vit que c’estoit à bon, et que plus remède n’y avoit, requist moult le mareschal que un don luy voulsist donner, lequel l’octroya volontiers. Ce fut qu’il ne voulsist mie aller descendre en Cypre jusques à tant que luy mesme eust esté parler au dict roy de Cypre. Ceste chose accorda le mareschal. Si monta tantost le maistre de Rhodes sur sa galée, et l’Ermite de la Faye avec luy, lequel fut monté sur la sienne, et encore la galée de Metelin avec eulx, et ainsi à trois galées allèrent devers le roy de Cypre.