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Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie II/Chapitre XXXI

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CHAPITRE XXXI.

Cy ensuit la teneur des lettres que le mareschal envoya aux Vénitiens.

« Au nom de Dieu qui toutes chose a faictes, et qui congnoist toutes personnes, et qui sur toutes choses aime vérité et hait mensonge, je Jean le Maingre, dict Bouciquaut, mareschal de France et gouverneur de Jennes, à vous Michel Steno, duc de Venise, et Carle Zeni, citoyen d’icelle cité, fais à sçavoir : que j’ai reçu la coppie d’unes lettres que vous Michel Steno avez envoyées en France au roi mon souverain seigneur, escriptes à Venise le pénultiesme jour du mois d’octobre dernier passé. Du contenu desquelles, si ce ne fust l’usance et coustume de vous, et vos prédécesseurs tenans le lieu que vous tenez, je me donnerois grand merveille, pource qu’elles sont toutes fondées sur mensonge, sans y avoir mis nul mot de vérité, et auxquelles j’eusse faict pieça response, si n’eust esté pour doubte d’empêcher la délivrance des François et Genevois, que contre droict et raison avez détenus prisonniers. Et pour ce maintenant la vous fais, et respons aux articles contenus en icelles en la manière qui s’ensuit.

« Et premièrement à ce que en vos dictes lettres est contenu que au mois d’aoust dernier passé, environ le dixiesme jour, je courant par la marine de Syrie, avec les Genevois, ay desrobé les biens et marchandises de vos Vénitiens estans à Barut, et qu’il ne profita point que par vos Vénitiens m’eust esté dict les dicts biens et marchandises estre leurs, et d’autres Vénitiens, et que en oultre ay prins aultres vos naves, je vous respons : que, il est vray que quand les ambassadeurs que j’avois envoyés devers le roy de Cypre eurent fait la paix, et je me trouvai en Cypre avec l’armée que adonc avoye, non voulant perdre la saison, regardant le tort et oultraige que le souldan avoit fait aux marchans et biens des Genevois, et au commun de la cité de Jennes (laquelle cité j’ai en garde et gouvernement pour le roi mon souverain seigneur), et que à bonne et juste cause j’estoye tenu de faire guerre et dommaige au dict souldan, et à ses pays et subjects, ayant volonté d’aller en Alexandrie, et pour le temps et vent contraire ne pouvant accomplir le désir que j’avois, je délibéray d’aller ès parties de Syrie, où je les trouvay bien advisés de la venue de moi et de mon armée, par les lettres et messaigers que vos Vénitiens leur avoient envoyé, qui estoit contre Dieu, contre loyauté et contre tout ce que bon chrétien doibt faire.

« Et environ le jour que en vos dictes lettres est contenu, vins descendre au dict lieu de Barut, ou près. Paravant ma quelle descente voyant une griperie partant du port, envoyai une de mes dictes galées après elle ; et fut prise et emmenée ladicte griperie, laquelle estoit de vos Vénitiens, qui par l’ordonnance de vostre conseil de Nicosie estoit allée, plusieurs jours avoit, au dict lieu de Barut, pour faire à savoir aux Sarrasins la venue de moy et de ma dicte compaignie. Et néantmoins peu de temps après que je l’eus faict prendre, pour monstrer amitié envers vous plus que tenu n’y estoye, fis délivrer ladicte griperie et les hommes qui dessus estoyent, sans leur faire nul dommaige en l’avoir, ne en leurs personnes. De laquelle chose je fais grande conscience, et que tous les Vénitiens et gens qui estoyent dessus ne fis pendre ou jecter en la mer, pour ce que l’œuvre que ils avoyent faicte et faisoient estoit traistresse à Dieu et à la chrestienté.

« Et quant aux biens et marchandises qui au dict lieu de Barut furent trouvés, il est bien à penser et doibt-on croire fermement que, puis que vos Vénitiens y avoient faict savoir ma venue, comme dict est, qu’ils avoient bien pourvéu à lever les biens et marchandises que ils y avoient. Et bien est vray que, moy estant à la terre comme en terre d’ennemis, abandonnay à prendre ce qui s’y pourroit trouver : laquelle prise fut petite, pour ce que il s’y trouva peu. Après laquelle prise et demeure faite en la ville, l’espace et temps que le cas le requiert, ayant fait bouter feux par la dicte ville, me retiray en mes galées, sans ce que moy estant en la dicte terre, ne moy retiré en mes dictes galées, fust pour lors à moy venu homme quelconque, Vénitien, ne autre pour eulx, me demander nulle restitution de biens, ne de proye qui y eust esté prise, comme mensongeusement l’avez escript. Car Dieu sait, si elle m’eust esté demandée, que de bon cœur et de bonne volonté eusse fait restituer ce que de raison eust esté, pource que je n’avois intention ne volonté de porter dommaige à vos Vénitiens, ne autres chrestiens, mais tant seulement au dict souldan, ses pays et subjects, auxquels j’avoye la guerre.

« Et à ce que vous adjoustez que tantost, après la prise de Barut, j’ay pris autres vos naves, si ne fust, comme dict est dessus, vostre usance accoustumée d’escripre et dire mensonges plus que nulles autres gens et nations qui soyent, je me donnerois grand merveille ; car vous mesmes savez bien, et pouvez bien savoir que le contraire de ce que avez escript est la vérité. Et toutesfois, si j’eusse voulu, j’en pouvois assez prendre ; car a Lescandelour, à Famagouste, à Rhodes, tant à mon aller comme à mon retour, et en plusieurs autres lieux sur la marine, tant à la coste de Syrie, comme ailleurs, j’ai assez trouvé de vos naves et autres vos navires en grand nombre, lesquels estoyent bien en ma puissance d’en faire ce que je vouloye ; mais par tout où je les ay trouvées, je les ay traictées aussi bien ou mieux que si ce fussent navires de Genevois.

« Et quant à ce que en vos dictes lettres est contenu, que environ le septième jour d’octobre dernier passé, moy accompagné de onze galées me trouvay autour de Modon, et que là vous, Carle Zeni, capitaine des galées des Vénitiens, délibérastes de vous monstrer amiablement à moy et à mes galées, pour vous complaindre et requérir satisfaction des choses qui par moy et ceulx de ma dicte compaignie avoyent esté ostées à Barut et ailleurs aux marchands vénitiens, et que lors moy et mes galées tournasmes les proues encontre vous et les vostres, monstrant et tenant manière d’ennemis, et que vous, ce voyant, comme contrainct, et ne pouvant autrement faire, fistes le semblable vous et vos galées encontre moy et les miennes, et tant que par mon défault et coulpe fust dure bataille entre les parties, en laquelle bataille furent prises trois de mes galées, et les autres se mirent à la fuite, je vous respons en la manière qui s’ensuit : Il est vray que au retour de mon voyage je m’en vins vers Rhodes, duquel lieu de Rhodes je partis avec onze galées pour venir en ma compaignie. Et ces miennes galées, pour le long voyage que fait avoye, où j’avoye eu et laissé plusieurs de mes gens morts, blessés et malades, estoyent très mal armées, tant de mariniers, comme des compaignons arbalestriers, et encore moins de gens d’armes. De laquelle chose pour les mieux armer ne appareiller, nonobstant que bien l’eusse peu faire de gens, comme vous savez qu’il y en avoit beaucoup et de bons au dict lieu de Rhodes, je ne me soucioye, pour ce que je n’avoye soupçon en mon retour de vous, ne d’autres chrestiens, que je tenois tous amis ; et par espécial de vos Vénitiens, pour les belles bourdes polies, et paroles mensongères que vous, Carle Zeni, m’aviez dictes et par plusieurs fois mandées, combien que je sceusse bien que ès dictes parties de Modon vous estiez avec les galées des Vénitiens. Ainsi doncques, accompagné des dictes onze galées, m’en vins mon chemin pour venir droict arriver au dict lieu de Modon, devant lequel lieu, c’est à sçavoir en l’isle de Sapience, moy et mes dictes galées jectasmes le fer, le sabmedy sixiesme jour du dict mois d’octobre, cuidans estre en lieu d’amis. Et pour donner à chascun congnoissance de la volonté et intention ferme que j’avoye de non offenser nulle de vos galées, ne naves, ne autres choses vénitiennes, et que si j’eusse eu autre volonté et intention, je l’eusse bien pu faire : il est vray que peu de jours, avant que j’arrivasse au dict lieu de Sapience, j’avois licentié deux galées de Scio qui estoyent en ma compaignie, une galée et une galiote du seigneur de Metelîn, une galée et une galiote de Pera, une galée du seigneur d’Esne, une autre de mes galées que j’avois envoyée en Alexandrie, et deux ou trois galiotes. Toutes lesquelles galées et galiotes, si j’eusse eu envers vous autre volonté que bonne, j’eusse amenées avec moy ; car il ne le me failloit que commander. Et en oultre le jour, avant que je arrivasse au dict lieu de Sapience, moy estant au cap Sainct-Ange, me vinrent trouver deux des naves de mon armée bien fournies de gens d’armes et arbalestriers, en l’une desquelles estoyent bien huict cent hommes armés ou plus. Lesquels gens d’armes et arbalestriers, si j’eusse voulu, je pouvoye prendre et lever, et les départir sur mes dictes galées à ma volonté. Et d’autre part, en ce mesme lieu, près du dict cap Sainct-Ange, vint un vostre brigantin, ou griperie de Candie, un peu devant le jour, arriver à mes galées, cuidant que fussent les vostres, lequel apportoit plusieurs lettres à vous Carle Zeni, et à ceulx de vostre compaignie. Le porteur desquelles estant sur ma galée, et icelles lettres baillées en la main de mon patron, me demanda mon dict patron que je vouloye qu’il en fist ; auquel je respondis que je vouloye qu’il les luy rendist sans les ouvrir, et que je ne vouloye point que à luy ne autres Vénitiens quelsconques, ne à leurs biens fust aucunement fait tort ou desplaisir, et qu’il le licentiast courtoisement. Et ainsi fut fait. Et encore celle mesme nuict que j’arrivay au dict port de Sapience, peu après ma venue, vint une vostre barque, aux gens de laquelle moy faisant parler par aucuns des miens, et demander des nouvelles, fut par eulx respondu : Que vous, Carle Zeni, estiez atout onze galées à Portogon, et que deux grosses gallées estoyent à Modon, avec plusieurs autres navires grans et petits, de l’une desquelles grosses galées celle mesme barque estoit, comme ils dirent. Laquelle barque, après toute courtoisie à luy offerte, je fis courtoisement licencier. Et le lendemain, qui fut le dimanche septiesme jour dessus dict, me partis bien matin du dict port de Sapience avec mes dictes galées, pour m’en venir mon chemin devers Jennes, en volonté de lever, au port de Ion, eaue dont mes dictes galées estoyent mal fournies ; et ainsi comme je fusse allé deux ou trois milles, tirant droict au dict lieu du port de Ion, pour lever eaue, comme dessus est dict, vous monstrastes vous, Carle Zeni, atout onze galées parties du dict lieu de Portogon, et allant vers Modon, en quoy je ne pris nul soupçon. Auquel lieu, vous, ayant faict comme nulle demeure, vous apparustes de rechef, et monstrastes atout vos dictes onze galées, et à tout les deux grosses dessus dictes qui paravant ne s’estoyent à nous monstrées, en laquelle chose ne prins semblablement soupçon ne pensée aulcune, fors que de voir amis. Et mes galées, comme dict est dessus, estant petitement armées, et par ce pouvans peu exploicter de chemin, moy n’ayant aussi en ce trop grande volonté, pour ce que lors je m’appensay que vous estiez party pour prendre vostre chemin droict à Venise, ou que vous aviez volonté de parler ou faire parler à moy, vous, qui la trahison et mauvaistié que aviez intention de faire aviez longuement bastie, exploictastes de chemin en telle manière que en peu d’espace, fustes bien, prochain de moy et de mes dictes galées. Laquelle vostre venue je voyant hastive sur moy et sur ma dicte compaignie, et aussi voyant vos dictes onze galées et les deux grosses venans en bataille et ordonnance, chargées, outre ce qu’il est de coustume, de très grand nombre de gens d’armes, dont les lances, harnois et personnes se pouvoient clairement voir, ayant aussi fait les chetorières et tous autres habillemens qu’il convient à guerre et bataille, et mesmement vous, Carle Zeni, à tout vostre galée estre mis au milieu des dites deux grosses pour vostre plus grande sûreté : voyant en outre venir avec vous sept ou huict brigantins ou palestarmes de naves fort chargées de gens d’armes et d’arbalestriers, qui ne sembloit pas manière de venir demander aulcune restitution, comme en vos dictes lettres est escript, mais droicte manière et manifeste semblance d’ennemis, qui sans parole et sans aucune sommation ou requeste, à nous impourvéus veniez courir sus ; mesmement que par terre selon la marine faisiez venir grand nombre de gens d’armes, tant de cheval, comme de pied, de laquelle terre nous estions prochains : comme contrainct et par pure nécessité, fis tourner les proues de mes dictes galées contre vous, défendant premièrement que par nulle de mes galées ne fust faict offense à vous ne à aucun des vostres de bombardes, de traict, ne d’autres armures ou habillemens, ne autrement en aulcune manière, jusques à ce que de moy en eussent signe ou commandement. Laquelle deffence fut bien observée. Mais vous qui la volonté traistreuse de long temps aviez en vostre couraige, qui à ce faire aviez mis toute diligence et cure, et pour celle cause aviez pris et mis sur vos dictes treize galées et sur vos brigantins ou palestarmes dessus dicts très grand nombre de souldoyers, de gens d’armes et de traict, tant de ceulx de Modon, de Coron, comme de ceulx qui debvoient aller à la garde de Candie, et aussi de ceulx qui estoient ès navires qui pour lors estoyent à Modon, dont il y en avoit très grand nombre, comme dessus est dict, en grande ordonnance, avec bombardes, arbalestriers et autres choses à bataille nécessaires, avant que mes dictes galées pussent estre bien en arroy, ne que ce peu de gens que j’avoye pussent estre armés, qui encore ne l’estoyent, pour l’espérance que jusques lors moy et eulx avions eu envers vous d’amitié et non de inimitié, me vinstes courir sus et investir. Voyant laquelle chose, je fis signe et commandement à tous les miens que chascun fist à son pouvoir comme en tel cas appartenoit. Pourquoy tous ceulx qui en ont ouy ou orront parler, et qui à vérité adjoustent foy et non à mensonges, peuvent clairement voir et appercevoir que de vostre très malicieuse volonté et trahison pourpensée, non pas par contraincte, comme faulsement est contenu en vos dictes lettres, entrastes et esmutes la bataille, et que moy et les miens, par vostre défault et coulpe, et non pas par la mienne, entrasmes en icelle bataille comme contraincts et défendeurs ; mesmement que si la bataille dessus dicte j’eusse désirée, je vous fusse plus tost allé trouver à Portlong, où vous n’aviez que onze galées, que je n’eusse vous laisser fortifier des dictes deux grosses, et des brigantins ou palestarmes dessus dicts. Laquelle chose m’estoit assez légère à faire, si j’en eusse eu la volonté.

« Et touchant ce que en vos dictes lettres est escript, que après la dure bataille entre nous furent prises trois de mes galées, et les autres se mirent à la fuite : de la dureté de la bataille, je m’en rapporte à ce qu’il en fut, et à ce que vous, Carle Zeni, si vous en vouliez dire la vérité, en pourriez dire, qui savez que deux fois le jour par ma galée la vostre fut courue et mise comme à desconfiture. Et si la besongne eust esté à partir à nous deux, et que ma galée n’eust eu à autres galées à faire qu’à la vostre, si je l’eusse légèrement dépeschée, nonobstant vos traistreux pourpensemens et dessein de longue main, tant en grand nombre de gens d’armes, d’arbalestriers, comme autres choses, oultre le nombre et usance accoustumée, comme dessus est dict.

« Et quant aux prises des galées, il est vray que par mes galées fut prise une des vostres, et par vos galées furent prise trois des miennes. Et se debvroit-on donner grand merveille, que vous, qui estiez en nombre de gens comme je croy trois fois plus que nous n’estions, et en nombre de navires plus que le double, et qui de fait appensé aviez appoincté votre besongne, nous estans impourvéus et mal fournis, et non sçaichans, ne ayans aulcun soupçon, toutes nos galées par les vostres ne furent prises. Mais Dieu qui à tard laisse trahisons et mauvaistiés accomplir à ceulx qui les entreprennent, nous garda et défendit, avec la peine que nous y mismes, que votre orgueilleuse et traistresse intention ne vînt à effect.

« Et quant à la fuite que vous avez escripte par mes autres galées avoir esté faicte, je me donne grandement merveille, comme d’une chose où il y avoit tant de gens, et dont la vérité peult estre si clairement sceue, comme de ce vous osez si appertement mentir ; car vous, Carle Zeni, et vos galées, fustes celles qui, après que nous fusmes départis d’ensemble (laquelle départie fut faicte principalement par vous et par grand part de ceulx de vostre compaignie, de tout vostre pouvoir, lorsque nous estions les uns devant les autres), honteusement et à grand vergogne vous allastes retirer en vostre port de Modon, nous toujours demeurans en nostre place jusques à ce que vous fustes au dict port. Et de notre place nous ne bougeasmes jusques à tant que, pour vostre entrée audit port, eusmes perdu la vue de vous. Laquelle chose à vous et à tous ceulx de vostre dicte compaignie doibt estre reprochée à une très grande lascheté de couraige et de défaillance d’honneur.

« Et pour venir à la conclusion de ceste mienne lettre, je dis ainsi et le veulx maintenir, que au cas que vous, Michel Steno, auriez donné à Carle Zeni congé, licence ou commandement d’avoir fait ce qu’il a fait encontre moy et ma dicte compaignie, eu esgard à la bonne paix qui estoit entre le commun de Jennes et le vostre, que vous avez fait comme faulx, traistre et mauvais, ensemble tous ceulx qui le vous ont conseillé. Et au cas que vous, Carle Zeni, l’auriez fait sans le congé ou commandement du dict Michel Steno, qui est votre duc et supérieur, je dis de vous le semblable que de luy et de tous ceux qui le conseil vous en auroient donné.

« Et pour ce qu’il est d’usance que tout gentilhomme extraict de franche et noble lignée doibt vouloir mettre à clairté et effect les choses par luy parlées, par espécial touchans son honneur, et que moi, qui sçay la vérité de ceste chose, le veuil semblablement faire, pour montrer la faulte et coulpe à ceulx qui l’ont desservy, et afin que ceste mauvaistié congnue, chascun se garde d’orenavant d’en faire une pareille, ou autre, je dis et diray, et vueil prouver et maintenir, comme tout noble homme doibt faire, que toutes les choses que vous, Michel Steno, avez escriptes au roy mon souverain seigneur, ou que vous, et vous aussi, Carle Zeni, pourriez avoir escriptes à autres, ou dictes touchant ceste matière, au contraire de ce que en ceste mienne lettre est contenu, qui est la pure vérité, sont faulses et mauvaises mensonges, et que faulsement et mauvaisement avez menti et mentirez toutes les fois que au contraire en escriprez ou direz aulcune chose. Et pour prouver et monstrer que ainsi soit, je vous offre, s’il y a nul de vous deux qui veuille ou ose dire le contraire, de lui monstrer de mon corps contre le sien par bataille, et lui faire confesser et recongnoistre, à l’aide de Dieu, la vérité estre telle comme je la dis. Et si ce party nul de vous deux n’osoit prendre, comme je croy, pour monstrer plus grande preuve de ma bonne raison et vérité, me confiant entièrement en Dieu, en Nostre-Dame et en monseigneur sainct George, je vous offre moy cinquiesme combattre lequel que ce sera de vous deux lui sixième, moi dixiesme celuy de vous luy douziesme, moi quinziesme celuy de vous deux luy dixhuictiesme, moy vingtiesme celui de vous deux vingt-quatriesme, ou moi vingt-cinquiesme celuy de vous deux lui trentiesme ; par ainsi, que tous ceulx qui de vostre costé seront soyent tous Vénitiens, et que ceulx de mon costé soyent François et Genevois ; pource que aux François et Genevois ensemble avez faite la trahison que faicte avez. Et pour estre teneur de la place et juge de ceste bataille, si de vostre part l’osez faire et accomplir, je seroye content plus que de nul autre que ce fust le roy mon souverain seigneur, si de sa grâce le vouloit faire. Et au cas qu’il ne vouldroit, ou que vous ne le vouldriez accepter, de quelque autre roy chrestien que voudriez eslire ou choisir, j’en seray content, et semblablement de maint autre moindre que roy. Et si la bataille s’accomplit, comme se fera, si Dieu plaist, si par vous ne défault, mon intention est que chascun soit armé de telles armes et harnois comme il est accoustumé de porter communément en guerre et bataille, sans autre malice ou malengin desraisonnable. Et si nulle des dictes deux offres ne voulez accepter ni accomplir, pour ce que vostre guerre et vos œuvres avez tousjours plus pratiquées par mer que par terre, je vous offre et suis content que l’un de vous, lequel que vouldrez, prenne une galée, et moi une autre, vue premièrement la vostre par aucuns des miens à ce de par moy commis, et aussi la mienne par autres des vostres que vouldrez semblablement à ce commettre, afin que les dictes galées soient semblables, et que icelles galées chascun puisse armer à sa volonté, en tel nombre et quantité de gens comme bon luy semblera. À la charge que tous ceulx d’icelle vostre galée soyent Vénitiens, et ceulx de la mienne François et Genevois, pour les causes dessus dictes ; et que en certain lieu par nous accordé, nous trouvions à toutes nos dictes deux galées, pour combattre jusques à tant que l’une d’icelles par l’autre soit outrée et vaincue. Toutesfois, avant que la dicte bataille se face, je vouldrois avoir bonne sûreté que, en nulle manière, par vous ne par vostre pourchas, occultement ne paloisement, fors seulement par la galée qui seule à moy se debvroit combattre, et par les gens qui dessus icelle seroyent, ne me soit fait offense ; et semblablement je le vous veulx faire. Et si l’une de ces trois offres vous est agréable, je vouldroye que l’effect d’icelle que mieulx vouldriez fust brief, pource que tout faict de guerre et de bataille se doibt plus mener par œuvres que par paroles. Et eue vostre responce, à l’ayde de Dieu, de Nostre-Dame et de monseigneur sainct George, en bref je seray prest de l’accomplir. Et pour monstrer que ceste chose vient de ma certaine science et pure volonté, et que j’ai entier vouloir et parfaict désir de l’accomplir à mon loyal pouvoir, j’ai scellé ces lettres du scel de mes armes. Faictes et escriptes au palais royal à Jennes, le sixiesme jour de juin, mille quatre cent et quatre. »