Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie III/Chapitre I
PARTIE III.
CHAPITRE PREMIER.
Après que ces choses furent toutes appaisées, et que le mareschal estoit à séjour à Jennes, comme la renommée fust jà grande en toutes parts de ses vertus et biensfaicts, et toute Italie en fust plaine, furent aulcuns seigneurs du dict pays, qui moult l’aimèrent, et désirèrent son accointance. Entre lesquels fut le seigneur de Padoue, qui moult estoit de grande bonté, vaillant aux armes, et bien morigéné ; et pour ce aimoit-il le mareschal ; car, comme dict le proverbe commun : Chascun aime son semblable. Et pour le grand amour qu’il luy portoit, et le désir de le voir, vint vers luy à Jennes, après ce que par plusieurs fois luy eust escript. Si le reçut le mareschal à grand honneur, et moult grand chère luy fit. Laquelle il eut tant agréable, et tant le prisa et aima, que tous les François prit à aimer pour l’amour de luy. Et adonc le bon loyal mareschal, qui tousjours taschoit à accroistre l’honneur et le bien de son souverain seigneur le roy de France, ne musa mie : ains tant saigement se gouverna avec le dict seigneur de Padoue, que par ses bons admonestemens fit tant, qu’il devint homme du roy, et recongnut de luy la seigneurie de Padoue et de Vérone, qui sont deux grosses cités, et de tout son pays, et en fit hommaige au roy en la personne du mareschal, lequel le receut joyeusement. Semblablement comme avoit faict le seigneur de Padoue, se tira devers le mareschal, pour la renommée de sa grande bonté, la comtesse de Pise, et son fils messire Gabriel Marie ; et de leur volonté et propre mouvement firent hommaige au roy en la personne du mareschal, de la seigneurie de Pise et de tout le comté. Et moult se offrirent à luy faire tout le service que faire luy pourroient, si besoing en avoit. Et il les en remercia grandement, et moult les honnora et festoya tant que avec luy furent. Si doibt bien avoir cher tout roy ou prince tel serviteur, et loyal lieutenant et chevetaine, qui tousjours est en soin d’accroistre, augmenter et multiplier le preu et l’honneur de son seigneur.