Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie IV/Chapitre XII
CHAPITRE XII.
Par ce qui est dict, qui est chose vraye, peult-on juger si l’homme en qui toutes vertus s’assemblent est digne de los, et d’avoir gloire au ciel et hault renom au siècle. Ô quelle chose seroit-ce qui luy pourroit nuire ! Certes nulle, quoy que les mouvemens de fortune soyent merveilleux, et qui souvent nuisent aux bons et aux vaillans : si n’est-il mie en la puissance d’elle de briser ne fleschir son fort et ferme couraige, pour quelconque advanture ; car il est jà tout advisé que fortune se peult changer, et que trop peu de fois est estable ; ains souvent reçoit les honneurs et biens mondains que elle a prestés, et en lieu livre et donne maintes adversités. Si ne luy pourroit advenir cas dont il ne soit tout pourvéu de volonté de le porter constamment et patiemment, comme il affiert à tout saige et vaillant homme. Mais quoy que fortune nuise et ait nui à maints vaillans, les vertus ne peult-elle tollir. Si ne perd rien l’homme qui ne les perd, car autres biens ne sont proprement siens. Et ce sçait bien le saige dont nous parlons. Ô quantes fois, par divers cas que je laisse à dire pour cause de briefveté, a-il esté en péril d’estre trahy, pris et occis, et empoisonné au pays de delà, où les mauvais, qui tous jours hayent les bons, si les plus forts eussent esté et fussent en la cité de Jennes, ne l’eussent laissé jusques à ceste heure si longuement au gouvernement : Mais de eulx se sçait-il bien garder. Toutesfois oncques ne fut tant saige qui de traistre privé se pust tousjours gader. Et on ne sçait aulcunes fois lesquels ce sont ; car souvent advient que les plus grands flateurs, et les mieulx servans, et qui plus semblent obéissans, sont les plus desloyaux en couraige. Mais de machination et de faulse œuvre de traistre le veuille Dieu deffendre, car grande perte seroit et grand dommaige si encombrier lui advenoit. Si ne le veuillez mie souffrir, bons Genevois, ne estre ingrats ne mescongnoissans des grands biens qu’il vous a faits et chascun jour fait. Et ne le souffrez mettre au compte de ceulx qui ont esté hays pour bien faire ; car à tousjours seroit grand reproche à vous et à vostre cité.