Lord Palmerston (RDDM)/01

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Lord Palmerston (RDDM)
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 16 (p. 259-285).
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LORD PALMERSTON

I.
LES DEBUTS DE PALMERSTON ET SON RÔLE POLITIQUE JUSQU'EN 1848

I. The life of viscount Palmerston, by lord Dalling (sir H. Lytton Bulwer), 3 vol. 1873. — II. Life of viscount Palmerston, 1846-1865, by the hon. Evelyon Ashley, M. P., 2 vol. 1876. — III. Mémoires de Greville, 1875.


I

Yvan Tourguenef, chassant un jour dans les marais d’une des provinces les plus reculées de son pays, vit sortir des roseaux un paysan demi-sauvage qui s’approcha timidement et lui dit : « Qui est donc ce Palmistron ? Pouvez-vous m’apprendre quelque chose de lui ? » — « Je m’étais souvent, disait Tourguenef en racontant cette anecdote, demandé ce que c’est que la gloire ; je le savais maintenant. Avoir son nom écorché par la bouche de cet homme et dans ce lieu, oui, si quelque chose était la gloire, c’était cela. » Ce n’est pas seulement dans les steppes marécageuses de la Russie, et pendant et après la guerre de Crimée, que le nom de Palmerston a été plus d’une fois prononcé. En Asie, en Afrique, il est arrivé à des oreilles que les bruits de l’Europe ne touchent guère, car il a été dans la destinée de Palmerston de s’armer pour le croissant, comme les Normands, ses aïeux, s’armaient pour la croix. Il a été longtemps, pour une foule de peuplades barbares, l’incarnation de l’Angleterre ; mais ne doit-il pas rester, dans son pays même, comme le représentant d’une politique et le type d’une classe ? Ce gentilhomme sans morgue et de belle humeur, qui avait fait deux parts dans l’humanité, l’Angleterre et ce qui n’était pas l’Angleterre, plein d’un sincère mépris pour tout ce qui sortait de l’horizon de Pall-Mall et de Westminster, aimant mieux les vices de ses compatriotes que les vertus de l’étranger, ce Pam, comme le peuple aimait à l’appeler, est assurément une figure originale et digne d’une étude attentive. On peut l’étudier sans amour ni colère, comme un naturaliste étudie une espèce, car il avait pris au rebours le vers fameux de Térence : nihil humani a me alienum puto. Il ne concevait rien de bon qui ne fût utile à son pays : son esprit était essentiellement insulaire ; les événemens des deux mondes ne l’intéressaient que par leurs rapports directs ou détournés avec les intérêts anglais ; mais il n’avait pas, sur la mesure de ces intérêts, les idées basses d’un marchand ou d’un économiste, il ne séparait pas la grandeur matérielle des grandeurs d’imagination. Il voulait l’Angleterre riche, puissante, et la richesse n’était à ses yeux qu’un élément de puissance ; il l’aimait cependant pour elle-même et ne comprenait guère une aristocratie besoigneuse. Il sut à merveille flatter toutes les passions de la noblesse britannique ; il se donna tous les goûts des tories et se débarrassa de leurs préjugés et de leur entêtement. Les vieux conservateurs ne purent jamais détester un adversaire qui avait les traditions d’un gentilhomme ; les libéraux, contens d’être servis par lui, s’habituèrent à son dédain peu déguisé pour leurs chimères et leurs idoles. Sous une certaine rudesse plébéienne qui plaisait à la nation, Palmerston était aristocrate autant que n’importe quel représentant des a grandes familles gouvernantes. » Il était né Temple (le 20 octobre 1784) et ne l’oubliait pas ; les Temple étaient venus en Angleterre avec Guillaume le Conquérant et avaient une généalogie bien suivie depuis Jean sans Terre. Ils avaient eu de grands biens, mais, ayant suivi le parti vaincu sous le règne de Richard III, ils ne gardèrent que Temple Hall, qui dut bientôt être vendu. Cette famille ne devint pourtant illustre qu’avec sir William Temple, qui fut longtemps employé dans les ambassades en Hollande, et laissa des mémoires qui sont encore lus avec fruit par les historiens.

Lord Palmerston descendait directement d’un frère cadet de ce grand diplomate : il avait le même sang dans les veines, et l’on peut observer sur ces deux personnages un vrai phénomène d’atavisme politique. La vie publique de sir William Temple fut, on peut le dire, une longue lutte contre la France ; il osa engager cette lutte au moment où la cour anglaise était asservie à Louis XIV et quand la Hollande et l’Angleterre étaient brouillées. Le premier il montra au grand pensionnaire de Witt le péril qui menaçait les PaysBas : il le détacha de la France, le réconcilia avec la Grande-Bretagne, et couronna son ouvrage en négociant avec la Hollande et la Suède le fameux traité de la triple alliance, qui arrêta Louis XIV dans l’ivresse de ses triomphes. Plus tard, à Nimègue, il lutta obstinément contre les tendances françaises de sa cour, et il ne signa qu’à contre-cœur les articles d’une paix qu’il regardait comme boiteuse. Il n’eut pas de regrets pour la royauté des Stuarts, qu’il avait toujours jugée trop française ; il n’avait point pris part à la révolution, mais le triomphe de Guillaume III était aussi le sien ; s’il refusa de sortir de son repos pour servir un roi qui depuis longtemps était son ami personnel, ce n’est pas seulement parce qu’il lui en coûtait d’abandonner son repos, ses livres, ses jardins, il voyait sa politique suffisamment couronnée dans la personne d’un prince d’Orange.

Lord Palmerston ne ressemblait certes pas de tout point à son illustre ancêtre : ce n’est pas lui qui eût dit que, passé quarante ans, l’homme n’est propre ni à l’amour ni aux affaires, il n’avait ni l’humeur mélancolique, ni les goûts bucoliques du philosophe de Sheen, mais on trouve chez tous deux une sorte d’aversion, dirai-je républicaine ou aristocratique, pour la cour. Palmerston rappelle surtout Temple, comme politique : ni l’un ni l’autre ils ne furent, à proprement parler, hommes de parti ; ils furent tous deux des patriotes, jaloux de la grandeur anglaise, adversaires implacables, habiles à nouer des alliances contre la puissance française, qu’ils regardaient comme l’ennemie héréditaire de leur pays.

Sir William Temple avait un frère cadet qui devint attorney-général et président de la chambre des communes irlandaises. Le fils de ce frère cadet porta le premier le nom de lord Palmerston. Cette pairie irlandaise fut créée pour lui le 12 mars 1722 : le nouveau pair siégea plusieurs années à la chambre des communes ; il eut un fils qui mourut jeune, laissant pourtant un enfant qui devint le deuxième vicomte Palmerston ; celui dont nous nous occupons, le ministre, fut le troisième vicomte.

Il y a bien peu de chose à dire de ses premières années : le jeune Henry Temple fut élevé à Harrow ; il alla ensuite passer trois ans à Edimbourg, où il suivit les cours de Dugald Stewart. « C’est dans ces trois années, écrivait-il plus tard, que j’ai jeté les fondemens de tout ce que je possède de connaissances et d’habitudes d’esprit utiles. » En 1803, il entra à l’université de Cambridge. Il trouva tout naturel, à peine arrivé à sa majorité, et avant même de prendre son degré de maître es arts, de briguer les voix de son université pour entrer à la chambre des communes, après la mort de M. Pitt en 1806. Il rencontra deux concurrens dans lord Althorp et lord Henry Petty. H passa ses examens en même temps qu’il fit sa campagne électorale, qui se termina par une défaite honorable ; c’était déjà beaucoup, à son âge, d’être accepté comme candidat dans une grande université.

On le vit dès cette époque prendre goût à la politique, tout en se livrant avec ardeur aux plaisirs de son âge ; il commence en 1806 un journal où sir Henry Bulwer a puisé les principaux élémens de sa biographie. Il observe tout : son ambition juvénile suit tous les grands acteurs de l’époque ; ses notes sont brèves, mais pleines de substance. Il a des remarques profondes : « C’est une circonstance singulière, dans la conduite politique de Buonaparte, que, loin de cacher ses desseins, il publie jusqu’aux projets les plus violens, avant de les mettre à exécution, et la conséquence uniforme de ce plan a été que le monde, au lieu d’être alarmé et prêt à la résistance, à force d’attendre des conquêtes et des changemens, devient réconcilié avec l’idée de ces conquêtes et de ces changemens et se soumet sans murmurer aux ordres du tyran. » (26 août 1806.) A vingt-deux ans, il juge sainement Napoléon, Fox, « l’homme d’état que le peuple aime le mieux et dans la politique duquel il a le moins de confiance. » Le jeune lord entre dans la vie comme tory, il adopte les opinions des conservateurs comme il a hérité des domaines de son père. Il est curieux de lire dans son journal l’impression produite sur un jeune Anglais par la bataille d’Austerlitz, par la paix « abjecte » de Presburg, par Iéna. Çà et là on trouve une anecdote qui a son prix. Après Iéna, Palmerston raconte que le roi de Prusse se retire à Osterode, près Dantzig. « Telle était son apathie que lorsque le comte Woronzof, envoyé en mission auprès de lui, le joignit à Osterode, il fut immédiatement invité à suivre le roi à la chasse : on fit bonne chasse et l’on tua un ours. La reine malade, et dégoûtée de cet amusement intempestif, fut contrainte de suivre. » Palmerston eut toute sa vie l’humeur frondeuse vis-à-vis des têtes couronnées.

Toutes les dissertations de Blackstone ne valent pas les notes de Palmerston sur les élections anglaises. On y saisit sur le vif la vieille Angleterre et les détails de son système représentatif à la fois si bizarre et si efficace. Palmerston avait échoué à Cambridge ; un de ses tuteurs, lord Malmesbury, le fit cependant nommer lord de l’amirauté dans le ministère du duc de Portland. Le parlement dissous, il se présenta encore une fois à Cambridge et fut encore battu ; enfin il trouva un siège dans l’île de Wight, le bourg de Newtown. Sir Léonard Holmes, qui en était le patron, lui fit promettre de n’y jamais paraître, même pendant l’élection, tant il redoutait qu’une nouvelle influencé vînt se substituer à la sienne.

Lord Palmerston conserva jusqu’au bout une prédilection secrète pour un système électoral qui donnait le monopole du gouvernement à la fortune et à la qualité ; il ne fut jamais un réformiste ardent, et les libéraux attendirent sa mort pour faire la seconde réforme électorale.

Le voilà à vingt-cinq ans législateur et dans un poste obscur du gouvernement ; il ne lui restait plus qu’à faire son maiden speech. Voici le ton dégagé dont il en parle à sa sœur Elisabeth (lettre du 6 février 1808) : « Mes amis ont eu la bonté de m’affirmer que je n’ai pas trop dit de sottises, les journaux ne m’ont pas fait une place très libérale dans leur compte-rendu ; mais voici en substance ce que j’ai dit. » Il explique alors, avec la gravité d’un vieux diplomate, qu’il a parlé contre la production des pièces relatives aux affaires du Danemark et au bombardement de Copenhague. Il n’y avait pas besoin de ces pièces pour justifier l’expédition. La France voulait prendre la Zélande et la flotte danoise : le Danemark n’était pas en mesure de faire respecter sa neutralité. Il fallait arracher à Bonaparte une proie qu’il était sur le point de saisir. « Je fus une demi-heure sur mes pieds, et n’eus pas aussi pour que je m’y attendais. » Ce fut sans doute un pur hasard parlementaire qui fit du nouveau lord de l’amirauté le défenseur d’une des violences les plus fameuses de l’histoire ; on ne saurait guère le blâmer quand on connaît les ordres donnés par Napoléon à Bernadotte : « Si l’Angleterre n’accepte pas la médiation de la France, il faut que le Danemark lui déclare la guerre ou que je la déclare au Danemark. Vous serez destiné, dans ce dernier cas, à vous emparer de tout le continent danois. » (2 août 1807.) Il est étrange pourtant de voir aux prises celui qui était alors le maître du monde et un jeune homme dont personne en Europe ne connaissait encore le nom.

Il est plus singulier peut-être qu’à peu de temps de là Perceval, pendant une crise ministérielle produite par la querelle de Castlereagh et de Canning, offrit à ce débutant le poste important de chancelier de l’échiquier. Palmerston fut un peu surpris ; mais, avec la gravité d’un vieil homme d’état, il demanda du temps pour réfléchir et « pour consulter ses amis. » Il consulta son tuteur, lord Malmesbury, et, sur son conseil, repoussa le poste qu’on lui offrait comme étant au-dessus de ses forces. Pour ne pas faire preuve d’une trop grande modestie, il accepta celui de ministre de la guerre, qu’on avait mis à sa disposition si le ministère des finances l’épouvantait. Il entra en fonctions le 28 octobre 1809.

Une carrière qui commençait aussi brillamment que celle de Pitt ne devait pas suivre les mêmes phases. Il y eut comme une éclipse de près de vingt ans dans la vie de lord Palmerston ; secrétaire de la guerre en 1809 dans le cabinet de Perceval, nous le reversons secrétaire de la guerre en 1828 dans le cabinet de Wellington. En présentant en 1810 le budget de la guerre, il exposait en ces termes l’état militaire de l’Angleterre : « Nous avons en ce moment 600,000 hommes sous les armes (armée, milice, volontaires), sans compter 200,000 marins. L’énergie virile de la nation n’a jamais été plus éclatante, et le pays n’a jamais eu une attitude plus fière et plus glorieuse. Après une lutte de quinze ans contre un ennemi dont le pouvoir a toujours été en augmentant, nous pouvons continuer la guerre avec des forces plus nombreuses et avec une population que la pression des circonstances a consolidée en une masse militaire impénétrable, et si nous ne présentons pas à une invasion l’obstacle de ces nombreuses forteresses qu’on trouve sur le continent, nous lui offrons la barrière plus insurmontable d’un peuple brave, patriotique et enthousiaste. » Cette vibration d’un patriotisme hautain traverse toute la vie de lord Palmerston : de nature pugnace, si je puis emprunter ce mot à mes voisins, il a toujours trouvé plaisir à défier ses ennemis.

Ceux qui se souviennent encore de Jord Palmerston à cette époque, le peignent comme un homme à la mode, fier, gai, moqueur, hardi chasseur, cachant son ambition sous la frivolité la plus aimable, sachant, on vient de le voir, régler cette ambition, pour la mener plus sûrement et plus loin.

L’homme du monde dominait-il encore l’homme d’état, ou l’homme d’état était-il mal jugé ? Quoi qu’il en soit, il resta pendant quinze ans de suite dans le poste que Perceval lui avait confié, et que lord Liverpool lui conserva. Ses amis personnels n’étaient pas ses amis politiques. Il vivait dans la société des whigs, qui, depuis Fox, était la société à la mode, celle qui donnait le ton et qui tenait le sceptre. La discipline de parti l’attachait seule aux tories, encore s’était-il de bonne heure montré assez indépendant. Il n’avait subi aucun patronage trop pesant ; il n’était ni à Canning, ni à lord Eldon, ni même à lord Liverpool, ayant exigé de ce dernier qu’on le laissât libre dans la question catholique. Palmerston avait des terres en Irlande, il fut toujours ému (autant qu’il pouvait l’être) des maux de ce pays ; sa foi protestante n’ayant rien de farouche, il embrassa de fort bonne heure la cause de l’émancipation catholique. Il fut nommé député de l’université de Cambridge en 1812, comme ami des catholiques ; en 1813, il les défendit au parlement. « Est-il sage de dire à des hommes qui ont un rang et de la fortune, qui, à cause de leur vieille lignée ou de leurs biens présens, ont un intérêt profond à souhaiter le bien public, qu’ils vivent dans un pays où une constitution bienfaisante permet à tous, sauf à eux, en exerçant honnêtement leurs talens dans la vie politique, d’obtenir le respect de leurs contemporains et de rendre service à l’état… Ce que nous avons perdu par ce système, nul ne peut le savoir ; ce que nous pouvons perdre encore, nul ne peut l’imaginer. Si, par le hasard de la naissance ou de l’éducation, un Nelson, un Wellington, un Burke, un Fox, un Pitt, eût appartenu à cette classe de la communauté, de quels honneurs et de quelle gloire l’histoire de la Bretagne n’eût-elle pas été privée ? »

Ces paroles montrent comment lord Palmerston comprenait et défendait l’égalité ; son éloquence n’a jamais de bonds, de saillies vers les abstractions, elle reste sur le sol anglais. Il n’a pas pour d’être injuste, il a pour que l’Angleterre ne perde quelque chose en excluant du parlement, de l’administration, de l’armée, des gens « titrés et riches. »

C’était assez pourtant pour déplaire au gros du parti tory. Lord Liverpool essaya, mais en vain, de se défaire de lord Palmerston en l’envoyant dans l’Inde comme gouverneur-général, ou en l’embaumant dans la chambre des lords. Il refusa, voulant faire son chemin dans les communes : en 1825, il y eut des élections, et il fut nommé encore une fois à Cambridge, mais il dut se battre en quelque sorte tout seul. « Je me jetai dans les bras de mes ennemis politiques, les whigs, pour me défendre contre mes amis politiques, les tories. » Il se plaignit à lord Liverpool, au duc de Wellington et à Canning des attaques dont il avait été l’objet, bien que la question de l’émancipation catholique eût été directement réservée, chaque membre du cabinet pouvant prendre parti comme il l’entendait. Il avait déclaré à lord Liverpool que, s’il était battu, il sortirait du ministère. « Ce fut, écrivait-il, le premier pas décidé vers une rupture entre les tories et moi, et ils furent les agresseurs. »

Palmerston aimait la lutte, il avait du sang ; il se plaît à la guerre des catholiques et des anti-catholiques. « La bataille continue, et nos gens vont en tout sens comme une meute indisciplinée ; je puis pardonner à des vieilles femmes comme le chancelier, à des niais (spoonies) comme Liverpool, à des ignoramus comme Weslmoreland, à de vieux tories fourbus comme Bathurst ; mais comment un homme tel que Peel, libéral, intelligent, d’esprit frais, se trouve courir dans une telle meute, voilà qui me semble difficile à comprendre. Il doit regretter dans son cœur ces premières promesses, ces préjugés juvéniles, qui l’ont lié à des opinions si différentes de ses vues larges sur les affaires publiques. Mais le jour approche, il me semble, où cette question sera résolue comme elle doit l’être… Les jours de la tyrannie protestante sont comptés. » (Lettre à son frère William Temple, 21 octobre 1826.)

Le roi Georges IV, qui avait épousé la passion protestante de George III et du duc d’York, n’aimait pas lord Palmerston. Quand la mort de lord Liverpool fit passer le pouvoir aux mains de Canning, ce dernier, abandonné par les tories de la vieille roche, par ce qu’on appelait le parti « protestant, » eut quelque peine à composer son ministère. L’amour-propre de Palmerston fut flatté d’abord par l’offre de la chancellerie de l’Échiquier, mais Canning dut bientôt retirer son offre, et Palmerston resta simple ministre de la guerre, sans voix dans le cabinet. Canning lui offrit de la part du roi le gouvernement de la Jamaïque. « Je ris de si bon cœur, écrit-il dans ses notes, que Canning en fut tout troublé et je fus obligé de redevenir sérieux. » Il n’en voulut pas à Canning et s’attacha décidément à sa politique ; il devint un canningite, ni tory, ni whig.

Ce parti nouveau servait pour ainsi dire de planche aux libéraux, depuis longtemps exclus du pouvoir. « Le parti de M. Canning, écrit Bulwer, vivra dans notre histoire et dans l’histoire du monde, comme le parti des Anglais généreux, courageux et intelligens de la première moitié de ce siècle. Il n’était pas en faveur d’une extension du suffrage électoral. Il était partisan d’une aristocratie puissante et riche ; il n’était pas opposé au système des bourgs pourris. Qu’est-ce donc qui le distinguait ? C’était le patronage des opinions constitutionnelles hors de l’Angleterre, l’adoption avec certaines réserves des doctrines du libre échange, et la suppression des qualifications religieuses pour les fonctions politiques. » Palmerston, qui cherchait sa voie, fut toujours un économiste assez tiède ; le patronage des opinions constitutionnelles au dehors devait devenir son occupation favorite.

Le passage de Canning aux affaires fut court. Le duc de Wellington, qui le remplaça, conserva quelque temps des canningites dans son ministère ; mais bientôt Palmerston, Huskisson et deux autres ministres se séparèrent de lui. Palmerston, entré dans l’opposition, n’avait encore qu’une petite place dans la chambre des communes. On en jugera par cet extrait du journal de Greville : « L’événement de la semaine dernière a été le discours de Palmerston sur la question portugaise (insurrection contre dom Miguel en faveur de dona Maria de Gloria), prononcé tard et devant une chambre vide, mais, dit-on, très habile et éloquent. Il a été très violent contre le gouvernement. Il a été vingt ans en place et ne s’est jamais distingué jusqu’ici, ce qui prouve combien les circonstances. accidentelles sont nécessaires pour faire saillir les talens d’un homme. Le poste qu’il a rempli le vouait à des détails secs et ennuyeux, et il n’en est jamais sorti. Il était sans doute fasciné par Canning et les autres, et ne fut jamais du cabinet ; mais ayant récemment acquis plus de confiance en lui-même, et la mort ou la pairie ayant fait le vide dans la chambre des communes, il s’est lancé, et avec un succès étonnant. Lord Granville m’a dit qu’il avait toujours jugé Palmerston capable de plus qu’il n’a fait ; il l’a dit aussi à Canning, qui ne voulait pas le croire. » Il est à peine nécessaire de dire que Palmerston prit le parti des constitutionnels portugais. Par les ordres du duc de Wellington, deux frégates anglaises avaient empêché une escadre portugaise, armée en Angleterre, de débarquer à Terceire pour défendre l’île contre une expédition miguéliste. Palmerston dénonça cet acte comme une odieuse complaisance pour la cause absolutiste, qui semblait alors triomphante en Europe.

Il alla peu après à Paris, comme s’il eût le pressentiment des grands événemens qui s’y préparaient. Il se réjouit des progrès de la cause constitutionnelle en France, mais il ouvre surtout l’oreille à tous ceux qui lui parlent de la politique extérieure. « L’administration actuelle (lettre du 10 janvier 1829) est très russe, mais le sentiment français grandit chez les hommes publics et les pousse à reconquérir les provinces situées entre la frontière du nord et le Rhin, la Belgique et une partie du territoire prussien. Les ultralibéraux disent qu’ils donneraient leur appui à tout ministre qui reprendrait ces provinces, et Pozzo di Borgo donne eh secret à la France l’assurance que, si dans une guerre générale elle se met du côté de la Russie, on l’aidera à les obtenir. » Palmerston vit Pasquier, Casimir Perier, Benjamin Constant, Royer-Collard, le baron Louis Sébastiani, « un fat, un important, » lui parla « avec franchise. » C’était grand’pitié que les partis et les gouvernemens en Angleterre ne comprissent rien aux besoins de la France. Il était essentiel, indispensable, que la France reprît le Rhin pour sa frontière. On donnerait à la Prusse des morceaux de l’Autriche, la Saxe, le Hanovre. Palmerston exprima le doute qu’il se trouvât jamais en Angleterre un parti assez intelligent pour comprendre les choses de cette façon. Il mit les confidences de Sébastiani dans son carquois diplomatique. Pour Talleyrand, qui était peu candide, il n’en put rien tirer.

Palmerston juge sainement l’état des partis en France : « Certains royalistes qu’on rencontre dans le monde parlent comme des imbéciles et des fous ; il nous faut de la force, d’abord de la force, et puis on peut être raisonnable à plaisir. » Il montre le roi, qui « fronce les sourcils et serre le poing, et parle de ce qu’il fera à pied et à cheval, et dit que la première révolution était l’enfant de la faiblesse de Louis XVI, et que la seconde ne serait pas engendrée par la faiblesse de Charles X ; » il voit dans Polignac l’homme qui sera choisi pour les mesures violentes, et ne croit guère au succès de ces mesures. « Si le roi était appuyé par un ministère courageux, résolu aux coups de désespoir, assez fou pour affronter la tempête du sentiment national, le résultat serait probablement le changement du nom de l’habitant des Tuileries : on inviterait le duc d’Orléans à quitter le Palais-Royal et à traverser la rue ; tout autre changement est hors de question. Il y a en France trop de millions de propriétaires de terres et de rentes pour qu’il puisse rien arriver qui mette en danger la sécurité des propriétés ou des personnes. » (Lettre à son frère du à décembre 1829.) On ne voit pas dans les lettres écrites de Paris que Palmerston ait cherché à voir le duc d’Orléans, qu’il avait pourtant connu en Angleterre. Ses prévisions s’accomplirent de point en point, mais peut-être Palmerston n’aperçut-il pas les dangers sociaux qui menaçaient la France, en dépit de ce grand nombre de propriétaires fonciers et de rentiers qui lui semblaient une garantie contre tous les désordres. Il n’eut jamais le sentiment exact des difficultés dont triompha la royauté de juillet ; en tout cas, il ne considérait pas que ce fût le devoir d’un ministre anglais de rendre plus facile la tâche de cette royauté.


II

Palmerston ne sortit de la pénombre politique qu’après la révolution de 1830. Il s’était dégoûté graduellement des tories. Lord Wellington, peu de temps avant de tomber du pouvoir et se sentant déjà ébranlé, lui fit des avances et lui offrit une place dans le ministère. Palmerston se montra si exigeant que la négociation fut rompue ; il songeait déjà à lier définitivement son sort au parti libéral : la politique absolutiste, qu’il avait toujours dénoncée, était ébranlée dans toute l’Europe. La Belgique était soulevée contre la Hollande : il jouissait à la fois de voir la révolution triomphante et redoutait que la France ne grandît trop dans ce triomphe. Quand il fut nommé ministre des affaires étrangères dans le cabinet whig de lord Grey, sa tâche semblait des plus difficiles. L’Angleterre, portée par le traité de 1815 au comble de la puissance, applaudissait pourtant aux efforts des peuples soulevés contre la sainte-alliance. Le vainqueur de Waterloo semblait comme le revenant d’un passé dont on avait perdu le sens.

A peine avait-il pris la place de lord Aberdeen, Palmerston dut s’occuper de la Belgique. Nous ne raconterons pas en détail l’histoire assez connue de la fondation du royaume belge : empêcher la France d’obtenir un pouce de territoire et de mettre un Français sur le trône belge, telle fut toute la politique de Palmerston pendant les longs travaux de la conférence. Sur tout le reste il varia au gré des événemens. Si novice qu’il fût alors dans le grand art de la négociation, il affectait de traiter M. de Talleyrand comme s’il eût ignoré que celui-ci avait tenu plus d’une fois des couronnes dans ses mains : il se plaisait à le faire attendre plus qu’il n’était convenable. Talleyrand, qui avait affronté les colères titaniques de Napoléon Ier, pouvait supporter silencieusement les économies de politesse d’un lord anglais. Le roi Louis-Philippe n’avait, cela est manifeste, que le grand et noble dessein de conserver à l’Europe le bienfait de la paix, d’assurer l’indépendance de la Belgique et de couvrir la France par la neutralité belge, de maintenir la bonne harmonie entre l’Angleterre et la France.

Le langage diplomatique de Palmerston n’en a pas moins quelque -chose de scandaleux. Voici, par exemple, ce qu’il écrit à lord Granville : « Il est absolument nécessaire que nous nous entendions avec Perier sur la Belgique. S’il est disposé à suivre la ligne droite et à se bien conduire avec les quatre puissances, nous réglerons cette matière à l’amiable et honorablement pour toutes les parties ; mais s’il se prête aux mesquines intrigues du Palais-Royal, je prévois que cela finira par la guerre. » (18 mars 1831.) Le biographe ajoute ici en note : « Lord Palmerston rend à peine (hardly) justice ici au roi des Français, dont la conduite a été en somme droite, mais qui naturellement était tenu de se conformer aux circonstances et de manier les divers partis dont il était entouré. »

On se figurait alors en France, avec un peu de naïveté, que l’Angleterre. devait tout faire pour aplanir les voies au nouveau gouvernement constitutionnel, au « Guillaume III » français. On plaidait un peu trop souvent dans ce sens auprès de Palmerston : « Les Français viennent continuellement à nous avec cet argument : Voyez donc toutes nos difficultés, et comme on nous presse de tous côtés… Et pourquoi est-ce que nous désirerions vous maintenir ? Eh ! c’est pour que vous teniez vos engagemens » (Lettre du 13 avril 1831.) S’il ne convenait pas à lord Palmerston que la France obtînt « un champ de choux » dans les nouveaux arrangemens territoriaux que nécessitait l’état des ancien, Pays-Bas autrichiens, il ne supportait pas même le poids de notre influence morale. « Vous me dites, écrivait-il à lord Granville (22 avril 1831), que le gouvernement français fait valoir que la nation ne sera pas satisfaite de son gouvernement s’il semble n’avoir aucune influence dans les conseils des grandes nations de l’Europe, et que nous devrions en conséquence traiter libéralement et avec faveur toute interprétation des traités qu’il essaie de faire présenter, tant qu’elle n’affecte pas matériellement la sécurité et les intérêts d’autres nations. Je dois protester contre cette doctrine, et nous ne pouvons avoir aucune confiance dans le gouvernement qui l’invoque. Que veulent-ils dire par leur influence dans les conseils des nations ? Si c’est le pouvoir d’amener ces nations à se soumettre ou à souscrire aux usurpations françaises, c’est le pied fourchu sous un nouveau déguisement, le vieil et détestable esprit d’agression qui renaît. Ce que veut la France est juste ou injuste, bon ou mauvais. Si l’un, cela doit être fait ; si l’autre, cela ne doit pas l’être. »

On le voit, ce n’est pas Palmerston qui eût inventé l’entente cordiale, et après tout la rudesse de son langage n’a rien qui doive choquer ceux qui ont vu comment se font et se défont les alliances ; pas plus que les hommes, les gouvernemens n’ont de droits à la sympathie, ils n’ont droit qu’à l’équité. Une grande nation ne doit compter que sur elle-même. On chatouillait trop l’orgueil de Palmerston, on appelait presque son mépris, quand on se lamentait contre son manque de sympathie. Ce qui était insupportable, ce n’était pas son indifférence, ce n’était pas même sa haine, il y a des haines savoureuses et fortifiantes, c’était la prétention qu’il semblait s’attribuer au monopole du désintéressement et de l’honnêteté politique. A lire ses dépêches, il semble que du côté de la France il n’y a que noirceur, duplicité, mauvais desseins ; du côté de l’Angleterre, tout est noblesse, oubli de soi, candeur, simplicité, grandeur d’âme.

Si les Anglais lisaient dans quelque livre français ces lignes : « Lord Grey est honnête, mais il n’est pas conforme à la nature humaine qu’il ne soit pas entraîné de temps en temps par la déshonnêteté de Palmerston et, j’ai pour de l’ajouter, par le manque de principes de la reine. » Que penseraient-ils d’un ministre des affaires étrangères français qui les eût écrites ? Remplacez pourtant lord Grey par Perier, Palmerston par Sébastiani, la reine par le roi, et vous aurez un passage d’une lettre écrite le 22 avril par Palmerston à lord Granville.


III

La question d’Orient est celle qui a peut-être le plus occupé Palmerston ; nous allons y suivre, depuis le début, le développement de sa politique et en analyser les ressorts. L’empire ottoman n’eut d’abord aucune part dans sa tendresse, et, pendant quelque temps, il succomba à la passion philhellène. En 1827 il propose au duc de Wellington d’occuper la Grèce et de balayer les Turcs hors du petit royaume que la diplomatie avait accordé à l’insurrection, avant que l’expédition française en Morée eût été résolue. Il ne redoute pas encore la Russie ; il écrit en 1828 dans son journal, pendant la guerre entre la Russie et la Turquie : « Les Russes commencent à découvrir qu’ils ont assez de territoire, que la prise de Constantinople, si l’Europe la permettait, créerait bien un nouvel empire, mais ne fortifierait pas la Russie actuelle. Ce qui leur est indispensable, c’est la certitude du libre passage pour leur commerce dans le Bosphore et les Dardanelles, et cela, ils peuvent l’obtenir par traité. »

Les succès d’Ibrahim-Pacha ne l’alarmèrent que quand la France apparut sur le théâtre des hostilités. On sait qu’après la bataille de Konieh (21 décembre 1832) le sultan implora les secours de la Russie. Avant que la flotte russe ne fût arrivée, l’amiral Roussin, ambassadeur de France, offrit sa médiation, et la Turquie demanda à la Russie de différer l’envoi de l’escadre de Sébastopol.

Quand Palmerston apprit ces nouvelles à l’ambassadeur de Turquie, Namik-Pacha l’écouta en silence et se contenta de lui répondre : « Et où est l’Angleterre dans tout ceci ? » (Mémoires de Greville, tome II, page 367.) Ce mot fut-il une révélation pour Palmerston, qui jusque-là avait semblé un spectateur assez indifférent des événemens ? Mehemet-Ali refusa les propositions de l’amiral Roussin, et la Russie en profita pour intervenir et pour conclure un traité (8 juillet 1833) qui fermait les Dardanelles aux vaisseaux de guerre de toutes les puissances occidentales. Les protestations de l’Angleterre et de la France restèrent vaines.

Pendant cette année 1833, Mme de Lieven, qui reflétait comme un miroir les passions de Saint-Pétersbourg, disait à qui voulait l’entendre, dans la société anglaise, que Palmerston était « un très petit esprit, lourd, obstiné ; » elle « s’étonnait que lady C…, avec sa finesse, en fût éprise. » (Mémoires de Greville, tome II, page 357.) Palmerston se vengeait de ces propos en envoyant à Constantinople, au lieu d’un chargé d’affaires, un ambassadeur, Stratford Canning, qu’il savait être personnellement désagréable à Saint-Pétersbourg, que M. de Nesselrode qualifiait, dans une lettre à Mme de Lieven, « d’impraticable, soupçonneux, pointilleux, défiant. » Palmerston faisait dire à Mme de Lieven qu’il avait choisi Canning à dessein, qu’il était temps que la hauteur russe descendît d’un cran (a peg). (Mémoires de Greville.)

L’orage qui s’était formé en Orient se dissipa ; mais il resta chez les représentans de la Russie à Londres un grand fonds de ressentiment contre Palmerston. Mme de Lieven disait à Greville (Journal de Greville, 18 février 183/1) qu’il était impossible de décrire le mépris et l’aversion que tout le monde diplomatique ressentait pour le ministre anglais, « lui surtout, » en montrant Talleyrand, qui était assis près d’elle. M. de Bulow ne faisait pas mystère de son antipathie. Mais Palmerston, attaqué dans son propre ministère, peu aimé de ses collègues, était soutenu par lord Granville, qui avait à Paris une situation exceptionnelle comme la diplomatie moderne n’en connaît plus guère ; celui-ci avait conçu la plus haute idée du ministre des affaires étrangères. Lady Granville, une des personnes qui faisaient alors l’opinion, disait que son talent était de premier ordre : « Il approchait de la vraie grandeur par ses vues larges, son dédain pour les trivialités, sa résolution, sa décision, sa confiance, surtout son mépris pour les clameurs et les injures. (Mémoires de Gréville, tome III, page 360.) Le moment approchait où Palmerston allait montrer ce dont il était capable, et malheureusement la France devait servir de première victime à celui dont M. de Talleyrand, malgré son aversion, disait dans sa correspondance intime qu’il était et le seul homme d’état de l’Angleterre. » (Lettre à Mme de Flahault.)

Après le traité qui avait en quelque sorte livré la Turquie à la Russie, lord Palmerston avait semblé se rapprocher de la France. Il était pourtant plus tourmenté de la France que de la Russie. Sa mauvaise humeur contre notre pays, qui était chez lui à l’état de diathèse, s’était fortement aiguisée, parce qu’il n’avait pu entraîner le roi Louis-Philippe dans une intervention armée en faveur de la reine d’Espagne. Il avait absolument refusé à ses collègues de mettre un seul mot pour la France dans le discours de la couronne prononcé après l’avènement au pouvoir de M. Mole. La quadruple alliance contractée par l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre et la France n’avait pas donné les fruits que lord Palmerston en attendait : le rêve de Palmerston avait toujours été de voir flotter le pavillon de Saint-George à côté d’autres drapeaux victorieux sur le continent : Louis-Philippe ne lui donna pas la « guerre de Crimée » qu’il devait obtenir plus tard d’un Napoléon. Il en conçut un amer ressentiment. « La France, écrit-il à lord Granville, se met dans une fausse position, et dans peu de temps elle verra son erreur » (20 septembre 1836). Pour lui, il se retire de la quadruple alliance, se lave les mains de ce qui arrivera. Qui avait raison de Louis-Philippe ou de lord Palmerston ? La cause des christinos triompha sans intervention étrangère et tout rentra dans l’ordre en Espagne. Louis-Philippe était avare du sang français et servit mieux l’Espagne par ses conseils qu’il n’eût pu le faire par ses armes.

On voit Palmerston dès ce moment chercher son occasion : il la trouva en Orient. « Il y a peu d’hommes publics en Angleterre, écrivait-il à lord Granville le 5 juin 1858, qui suivent d’assez près les affaires étrangères pour prévoir les conséquences d’événemens qui ne sont pas arrivés. » Les hommes sont rares en tous pays, qui voient approcher l’ombre des faits à venir. Palmerston détermina le cabinet anglais à épouser la cause du sultan contre Mehemet-Ali. Pour empêcher la Russie d’accorder encore à la Turquie sa lourde protection, il est décidé à offrir au sultan l’appui d’une flotte anglaise. Il voudrait lier la France à une action commune avec l’Angleterre, car « il ne faut pas oublier que le grand danger pour l’Europe est la possibilité d’une combinaison entre la France et la Russie, combinaison empêchée en ce moment par les sentimens de l’empereur Nicolas, mais qui ne sera pas toujours aussi impossible qu’aujourd’hui. » (Lettre à Granville, 8 juin 1838.)

Il est prêt toutefois à agir sans la France, s’il le faut, contre la France, s’il se peut. Pour se tenir en équilibre entre la Russie et la France, il propose une conférence des cinq puissances à Londres : il ne voudrait livrer la Turquie ni à l’amitié moscovite, ni à l’amitié française, il veut lui faire un bouclier de l’Europe ; il s’élève contre ce vieux thème : la chute imminente de l’empire ottoman ; les empires ne tombent pas tout seuls, ils sont renversés du dehors. « Il est de l’intérêt de l’Angleterre que le sultan soit fort, et il est clair qu’il est plus fort avec la Syrie et l’Égypte que sans ces provinces. Je suis donc d’avis qu’on maintienne l’intégrité de l’empire. » (Lettre à H. Bulwer, 22 septembre 1838.)

Quand on arriva aux détails, l’accord ne dura pas. La France répugnait à prendre des mesures coercitives contre Méhémet-Ali ; l’opinion publique l’avait choisi comme une idole, elle s’exagérait ses ressources ; on ne se demandait pas combien de temps il pourrait guerroyer dans l’Asie-Mineure, dès que ses communications maritimes seraient coupées par une flotte anglaise. Le vieux pacha était à la mode, et l’exécuteur sommaire des mamelouks était vanté comme un apôtre de civilisation.

Palmerston ne voyait pas sans joie la France pencher vers une cause qu’il savait pouvoir accabler à un moment donné avec les forces de toute l’Europe ; il visait la France à travers le pacha rebelle. « Les Français n’ont que trois voies à suivre, écrit-il à Bulwer, alors à Paris, — ou marcher droit avec nous et remplir honnêtement les engagemens pris avec nous et l’Europe, ou se tenir à l’écart et reculer devant l’exécution de leurs propres déclarations, ou enfin aller en avant et se liguer avec Méhémet-Ali et employer la force… Je ne crois pas que Louis-Philippe soit égal à la dernière tâche. La seconde est celle qu’il préférera. » (1er septembre 1839.)

Palmerston avait jeté la sonde dans le nouvel envoyé de la Russie, M. Brunnow, diplomate encore obscur, sorti de la nuit des chancelleries, jaloux de faire un début, de se signaler par quelque acte important et de se lier à un de ces hommes puissans qui attirent ceux qui les servent à leur propre hauteur et les imposent à tout le monde. Palmerston excellait dans l’art de faire prisonniers les hommes qu’il jugeait intelligens. Brunnow en vint à déclarer que non-seulement son gouvernement était prêt à faire immédiatement une convention avec l’Angleterre, l’Autriche et la Prusse, il la ferait avec ou sans la France : « personnellement l’empereur Nicolas aimerait mieux que la France fût laissée en dehors. » Il renonça pour la Russie à toute idée d’un traité séparé avec la Turquie, comme celui d’Onkiar-Skelessi. (Lettre à Bulwer, 24 septembre 1839.)

Ainsi une coalition se formait sourdement contre la France. Palmerston faisait bien connaître à Sébastiani le langage de Brunnow : « Je lui ai tout dit, excepté la préférence de Nicolas pour une solution qui laisse la France dehors, » (Lettre à Bulwer.) Avec de telles restrictions, une conversation diplomatique ressemble au drame de Hamlet sans Hamlet.

Palmerston, il faut le dire, avait des témérités heureuses : il savait se livrer tout entier et couper les câbles à propos. Il professait qu’il n’y a rien de si dangereux que la demi-confiance. On ne crut pas à Paris qu’il se jetterait dans les bras de Brunnow, on pensa qu’il oscillerait entre la Russie et la France ; mais il prit son parti dès qu’il eut trouvé dans Brunnow un homme secret, décidé à le suivre. A ce moment, la coalition de M. Guizot et de M. Thiers renversait le cabinet du maréchal Soult. M. Thiers fut nommé président du conseil, et M. Guizot alla remplacer le général Sébastiani à Londres. Palmerston se réjouit du changement : « Guizot, écrit-il à : lord Granville ; est un homme raisonnable et éclairé. » (11 mars 1840.) Cependant il continue à jouer une partie liée avec la Russie. Il se plaint sans cesse de la mauvaise foi française. Lord Granville lui écrit en vain : « Le roi ne désire pas de querelle avec vous, mais il n’en désire pas non plus avec la presse et les chambres françaises. Il ne veut pas manger l’Égypte, mais il ne veut pas se quereller avec ceux qui la mangent. » Palmerston lui répond impérieusement : ce Peu m’importent les sentimens, je ne regarde qu’aux faits. » Enfin il touche au terme de ses désirs : le 15 juillet, il signe avec la Russie, l’Autriche et la Prusse une convention secrète pour le règlement de la question d’Orient.

En l’absence de lord Granville, Bulwer remplissait à Paris les fonctions de chargé d’affaires. Un matin, à Auteuil, M. Thiers montre à Bulwer le traité secret, dont il avait obtenu connaissance, bien que les négociations eussent été conduites avec le plus grand secret. « Il était naturellement, écrit Bulwer, très décomposé (discomposed). Il me parla de l’effet qui serait produit sur l’opinion publique en France, me pria de ne rien dire jusqu’à ce qu’il eût pris des mesures pour empêcher une violente explosion ; il s’exprima en somme, je dois lui rendre justice, avec plus de regret que d’irritation. »

Palmerston brûlait d’avoir des nouvelles de Paris. « Je suis curieux, écrit-il à Bulwer (21 juillet 1840), de savoir comment Thiers a pris notre convention. Sans doute il a été très irrité : c’est un grand coup pour la France ; mais elle se l’est attiré par son obstination à se refuser à tout arrangement raisonnable. Je penche à croire que Thiers a été égaré par Ellice[1] et par Guizot ; il a cru que le cabinet anglais ne ferait jamais ce dernier pas… Thiers sans doute commence par écumer ; mais nous ne sommes pas gens à nous épouvanter d’une menace, et il est trop sage pour faire des folies qui le mettraient en collision avec l’Angleterre, sans parler des trois autres puissances. Vous dites que Thiers est un ami chaud, mais un dangereux ennemi ; c’est possible. Je doute pourtant qu’on puisse avoir confiance en lui comme ami, et, me sachant dans mon droit, je ne le crains pas comme ennemi. »

M. Guizot était venu à Londres, pénétré d’admiration pour un pays dont il avait raconté l’histoire et dont il vantait les institutions. Les fumées d’admiration dont l’enveloppait, aristocratie britannique lui dérobèrent peut-être trop longtemps les secrètes menées de lord Palmerston ; son âme hautaine et droite ne s’ouvrait pas facilement an soupçon. Quand il sut la vérité, il dit à Palmerston qu’il serait nécessaire désormais pour la France d’être « en force, en grande force, dans le Levant. » — « Soit ! écrit Palmerston en relevant le mot, nous ne serons effrayés par aucune force navale dont on fera parade. Nous irons tranquillement notre chemin, comme, i cette force était encore à Toulon. La France sait bien que, si cette force supérieure s’avise de se mêler de la nôtre, c’est la guerre. « Il souligne le mot à dessein. Il n’y croit pourtant pas, à cette guerre, « Louis-Philippe n’est pas homme à jouer cette partie. « Le 18 septembre, M. Thiers reçoit Bulwer à Auteuil. « J’ai, lui dit-il, des dépêches de Walewski (qui avait été envoyé en mission spéciale auprès de Méhémet-Ali). Sa négociation avec le pacha est terminée. » H en fait connaître les termes, lui déclare que la France approuve les demandes formulées par le pacha. « Si vous pouvez persuader au sultan et aux autres puissances d’accepter ces conditions, nous pouvons reprendre l’entente cordiale. Sinon, après les concessions que nous avons obtenues de Méhémet-Ali, nous sommes tenus de le soutenir. » Puis, le regardant entre les yeux, il ajouta gravement : « Vous comprenez, mon cher, la portée de ce que je viens de dire. — Parfaitement, répondit Bulwer. »

Palmerston ne s’alarma pas de cette « menace mystérieuse, » — « mais, écrit-il à Bulwer, si Thiers reprend jamais avec vous la langue de la menace, si indistincte et vaguement ombrée qu’elle soit, ripostez et allez jusqu’aux dernières limites de ce que je vais vous dire… Dites-lui que, si la France jette le gant, nous ne refuserons pas de le ramasser ; que, si elle commence la guerre, elle perdra certainement ses vaisseaux, ses colonies, son commercé avant d’en voir la fin ; que son armée d’Algérie cessera d’être pour elle une cause d’anxiété, et que Méhémet-Ali sera jeté dans le Nil. » Voilà le langage « sédatif » dont il veut qu’on use. Palmerston ne s’était pas mépris sur la faiblesse de Méhémet-Ali : celui qu’on avait pris pour un second Alexandre fut battu presque honteusement. M. Thiers accusait M. Guizot de s’être laissé enguirlander et tromper à Londres ; mais M. Guizot, une fois les voiles déchirés, avait promptement compris que M. Thiers ne réussirait pas à provoquer une entente directe entre le sultan et Méhémet-Ali. Il épousait le sentiment du roi qui ne voulait pas jeter la France dans une guerre pleine de périls, seule contre toute l’Europe et sans autre allié qu’un pacha dont l’empire gonflé avait crevé sous la première piqûre. M. Thiers dut quitter le pouvoir ; il n’avait pas désiré la guerre au début, il était allé, dans des momens d’épanchement, jusqu’à se plaindre des velléités belliqueuses du roi, il s’était enflammé lentement, mais enfin il avait amené les choses à ce point que la guerre était devenue imminente : le roi et les chambres durent choisir entre lui et une lutte avec l’Europe coalisée. Le roi avait sans doute ressenti aussi vivement que personne l’injure faite à la France ; mais il connaissait mieux l’Europe que ceux qui, dès cette époque, croyaient pouvoir la braver et qui rêvaient de recommencer l’épopée révolutionnaire et impériale. M. Thiers lui-même avait été très raisonnable dans son langage officiel ; sa dernière note à lord Granville séparait nettement la question de la Syrie et la question d’Égypte : il abandonnait la Syrie à la fortune de la guerre, et considérait seulement comme un casus belli toute tentative faite pour déposséder Méhémet-Ali en Égypte. M. Thiers fut sacrifié à la nécessité de la paix : son programme ne le fut pas et il fut adopté par M. Guizot.

Palmerston avait assez triomphé : il avait isolé la France, il avait soufflé sur l’empire asiatique de notre protégé, il avait fait entendre le canon anglais dans le Levant. M. Guizot reçut la réponse faite à la dernière note de M. Thiers (2 novembre 1840). Palmerston exprimait la satisfaction qu’il éprouvait en voyant la France attachée au principe de l’intégrité de l’empire ottoman : il ne faisait pas même allusion à la menace du casus belli qui pourrait résulter d’une agression contre l’Égypte : cette question égyptienne était une affaire entre le sultan et le pacha ; le sultan verrait jusqu’où il pourrait pousser la générosité envers son vassal. Ce langage froidement ironique fut son seul cri de victoire ; il était de ces hommes qui, lorsqu’ils ont la proie, se soucient peu de l’ombre. Dans les débats du parlement, il couvrit la France de fleurs ; jamais il n’était venu à personne la pensée de l’insulter, de la blesser ; la France avait eu un bandeau sur les yeux, les événemens l’avaient délié. Dans sa correspondance, on sent la main d’acier sous le gant de velours. a Mon cher Granville, vous m’écrivez que le vœu français est que « la solution finale de la question d’Orient ne paraisse pas avoir été décidée sans la concurrence de la France ; mais c’est là précisément ce que je ne veux pas qui paraisse. » Il ne croit pas que la colère française soit seulement causée par une blessure d’amour-propre : les débats des chambres françaises ont prouvé que cette colère avait des causes bien autrement profondes. La France veut s’agrandir dans le Levant, au détriment de l’Angleterre. Ces plans ambitieux sont déjoués ; voilà ce qui cause sa furie, « et cette furie est d’autant plus intense et plus ingouvernable que ceux qui l’éprouvent n’en peuvent décemment avouer la vraie cause et sont obligés de la mettre au compte de sentimens que tout homme arrivé à l’âge adulte doit être honteux d’éprouver. » Écoutez-le enfin sonner l’hallali dans ce petit billet bref, pressé, débordant de joie contenue : « Ce jour (8 décembre) nous apporte une masse de bonnes nouvelles : la soumission de Méhémet, la défaite de Dost Mohammed, l’occupation de Chusac. La première met fin à la question turco-égyptienne. Le grand point maintenant sera de régler les derniers détails, de telle sorte que Méhémet soit réellement et bona fide un sujet du sultan, non un dépendant et un instrument de la France. »

Nous pouvons aujourd’hui, du fond de notre malheur, juger bien froidement ces événemens de 1840 qui émurent tant nos-pères. Le roi Louis-Philippe fit bien de refuser la guerre que lui offrait Palmerston, et Palmerston ne l’offrait que parce qu’il savait que ce souverain aimait trop la France pour la précipiter dans les hasards : ministre d’une monarchie constitutionnelle et entrepreneur de révolutions à l’extérieur, il était prêt à exploiter les haines et les défiances de l’Europe absolutiste contre le gouvernement de juillet. Quand M. Brunnow assista plus tard au déchaînement de l’opinion anglaise contre l’empereur Nicolas, quand il vit Palmerston s’unir à Napoléon III, il se demanda sans doute si la politique de son pays avait été clairvoyante et habile en 1840, si le tsar avait bien servi la Russie en cherchant à abaisser une royauté qui n’inquiétait pas l’Europe, qui ne menaçait aucun trône et qui ne rêvait que des conquêtes morales et pacifiques. Palmerston, dénonçant Louis-Philippe comme un ambitieux et un trouble-fête, louant la solidité conservatrice de Metternich et de Brunnow, de la même main qui, à propos des affaires d’Espagne, dénonçait la France comme inféodée au parti absolutiste et aux ennemis des institutions libres, ferait l’effet d’une sorte de Méphistophélès politique, si sous ses contradictions, ses tours et retours, ses légèretés calculées, l’on ne sentait la trame solide et forte d’un patriotisme violent, égoïste, avide, impitoyable, dédaigneux des hommes, des nations, des théories, des principes. Ceux qui travaillèrent après 1830 à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en France comptèrent trop, on peut l’avouer aujourd’hui, sur les complaisances de l’Angleterre ; ils firent aussi trop de fond sur ces sympathies banales qui s’évaporent dans les salons. « Guizot a été trompé par le sot langage de Holland et de Clarendon, qui lui parlaient en faveur de Méhémet-Ali. » (Lettre à son frère, 27 juillet 1840.) Palmerston, au moment critique, offrit sa démission à lord Melbourne ; tout céda, l’intérêt national fut invoqué, et Palmerston fit ce qu’il voulut. « Les peuples n’ont pas de cousins, » aimait-il à répéter. Il se persuadait que, s’il avait cédé à la France, Louis-Philippe devenait le dictateur de l’Europe et que notre insolence n’aurait plus connu de bornes. Jamais on ne trouve dans sa correspondance un mot qui marque de l’amitié ou du moins du goût pour notre nation ; il a toujours une flèche prête pour nous : « Le gouvernement français nous a demandé la permission de rapporter les cendres de Napoléon de Sainte-Hélène ; nous avons accordé cette permission. Voilà une requête bien française. » ( Lettre à son frère William, là mai 1840.) L’antipathie dont il honorait Louis-Philippe était instinctive ; il reconnaissait dans le roi un Français jusqu’à la moelle. Il n’avait dans son caractère rien de la fadeur de ces whigs, de ces grands seigneurs qui patronnent volontiers et tour à tour les souverains et les peuples ; il était le bouledogue de l’Angleterre et ne voulait pas être autre chose.


IV

L’Europe avait été plus équitable que lord Palmerston : ses souverains avaient fini par reconnaître les grandes qualités du roi Louis-Philippe et par rendre justice à son amour sincère de la paix. Le nuage de 1840 s’était promptement dissipé : on fut surpris de voir tomber le cabinet anglais au lendemain même de son triomphe diplomatique. Palmerston alla reprendre sa place sur les bancs de l’opposition. Les questions économiques commençaient alors à prendre l’ascendant dans la chambre des communes. La réforme parlementaire y avait fait pénétrer les représentans des classes industrielles qui aspiraient au libre échange ; les gentilshommes étaient attachés aux tarifs protecteurs. Palmerston trouvait l’économie politique chose assez ennuyeuse et s’occupait de préférence des questions de politique extérieure ; il accusait la mollesse du cabinet tory et dénonçait volontiers sa faiblesse envers les États-Unis et la France. Quand on relit aujourd’hui les débats que souleva l’affaire Pritchard, on les trouve tout à fait misérables : pendant que les déclamateurs français accusaient M. Guizot de lâcheté, lord Palmerston éclatait en philippiques véhémentes contre la condescendance anglaise. Il ne faisait pas seulement son métier d’opposition systématique, il était sincèrement convaincu qu’il faut toujours montrer les dents, menacer, gronder. « Ce n’est pas telle ou telle concession qui peut avoir une importance nationale, c’est l’habitude de faire des concessions, c’est la croyance en votre facilité à en faire qui est fatale à l’intérêt, à la tranquillité, à l’honneur d’un pays. » Il écrit ailleurs : « Ne lâchez jamais une tête d’épingle que vous ayez le droit de garder et que vous croyez pouvoir garder, et même si vous croyez qu’à la dernière extrémité vous ne pouvez la conserver, faites autant de difficultés que vous pourrez avant de l’abandonner, et laissez croire que peut-être vous ferez la guerre plutôt que de la lâcher. »

En 1843, Palmerston fit un voyage sur le continent.. On est étonné de le voir à cette époque sans cesse préoccupé d’une guerre avec la France. Il se plaint d’elle à tout le monde. Il ne croyait pas à l’entente cordiale. M. Guizot ne lui convenait pas plus que M. Thiers, a Guizot, écrivait-il en 1845 à son frère William, nous aime aussi peu dans son cœur que tout autre Français, et il est poussé par l’opposition à exprimer des sentimens hostiles, plus souvent et plus fortement que ne le serait un autre. »

Au moment même où l’œuvre de Peel était accomplie, ce grand homme d’état, qui avait l’âme haute, humaine et généreuse, tombait du pouvoir : les tories avaient suivi malgré eux le chef qu’ils s’étaient donné, et le jour même où les lords votaient enfin l’abolition de la loi sur les céréales, l’administration de Peel se trouvait en minorité sur une question relative à l’Irlande. Les whigs se voyaient de nouveau portés au pouvoir, et tout naturellement Palmerston était désigné pour le portefeuille des affaires étrangères. Son attitude vis-à-vis de la France avait été pendant les années précédentes marquée par une insolence si agressive, qu’il crut nécessaire, pendant les vacances de la chambre des communes et pendant que la nouvelle administration se constituait, de faire un voyage à Paris pour montrer qu’il savait sourire aussi bien qu’aboyer. On promena « ce terrible lord Palmerston » de salon en salon, de dîner en dîner ; il vit M. Guizot chez Mme de Lieven, M. Thiers chez lady Sandwich. Le roi l’invita aux Tuileries. Palmerston rencontra M. de Montalembert, qui l’avait furieusement attaqué, lui tendit la main le premier et lui parla avec cette bonne humeur qui ne coûte guère à un homme du monde et qui lui sert d’armure naturelle. Il eut, on le voit, bien peu de chose à faire pour se rendre possible. Lord John Russell forma le cabinet dans lequel lord Palmerston reprit le foreign office pour la troisième fois. Il n’y a peut-être dans toute la correspondance diplomatique de Palmerston rien de plus intéressant qu’une lettre qu’il écrivit à lord John Russell presque aussitôt l’avènement du ministère whig. L’Europe est tranquille : rien ne remue ; l’œil de lynx de Palmerston fouille l’avenir. Où voit-il un danger ? A Rome. Et qui veut-il intéresser au sort du souverain pontife ? Lord John Russell, le whig des whigs. Il lui envoie le 30 juillet 1846 une copie du mémorandum adressé par les puissances au pape en 1831. « La matière, dit-il, est de grande et sérieuse importance, elle a une portée qui n’apparaît pas à première vue. L’Italie est le point faible de l’Europe, et la première guerre qui éclatera en Europe sortira sans doute des affaires italiennes… Laissez les choses comme elles sont, et vous donnez à la France le droit de troubler l’Europe quand elle le voudra… Les libéraux français savent que, s’ils tentaient de marcher sur le Rhin, ils auraient contre eux l’Allemagne unie, la Russie et plus ou moins l’Angleterre ; mais, en soulevant une insurrection en Italie contre le mauvais gouvernement papal, leur position serait différente. L’Angleterre ne prendrait probablement pas partie contre eux ; la Prusse ne remuerait pas le pied ; la Russie ne serait pas bien active et peut-être ne serait pas fâchée dans son cœur de ce qui pourrait humilier et affaiblir l’Autriche. Mais l’Autriche interviendrait et ne pourrait guère faire autrement ; la France et l’Autriche se battraient en Italie, et la France aurait tous les Italiens de son côté. La guerre, commencée en Italie, s’étendrait peut-être à l’Allemagne ; en tout. cas, nous n’avons aucun désir de voir l’Autriche abattue, la France agrandie, la vanité militaire et l’amour des conquêtes des Français réveillés et excités par le succès. » Il conclut en invitant lord Russell à fortifier le pape en lui demandant des réformes intérieures : la mission donnée à lord Minto eut pour principal objet de provoquer des réformes en Italie afin d’empêcher une intervention française dans la péninsule.

Palmerston, on le voit, n’était pas l’ennemi du pape, il n’était l’ennemi d’aucun gouvernement faible, il ne détestait que ce qu’il craignait : la monarchie constitutionnelle de juillet avait, à force de patience et de courage, surmonté les plus grandes difficultés, elle avait usé la mauvaise humeur des cours, elle rayonnait sur toute l’Europe par le génie de ses écrivains, par l’éloquence de ses hommes d’état, par ses idées sagement libérales, par le prestige attaché à un roi honnête homme, entouré d’une nombreuse et brillante famille. Cette prospérité, que rien ne semblait plus menacer, aveuglait, épouvantait Palmerston ; son esprit inquiet cherchait constamment le défaut de la cuirasse française, ses pressentimens étaient guidés par un profond instinct : si la révolution de 1848 n’eût pas eu lieu, la guerre eût vraisemblablement éclaté tôt ou tard en Italie entre la France et l’Autriche. Ce n’est pas seulement l’Italie que surveillait Palmerston, son œil sortait rarement de l’Espagne : les affaires de Madrid l’amusaient comme un roman, et sa raideur britannique savait passer à travers les mailles des intrigues les plus serrées.

Jamais le gouvernement anglais n’eut à se plaindre sérieusement de la conduite de la France vis-à-vis de l’Espagne, mais il plaisait à Palmerston de nourrir des griefs contre nous, de nous représenter comme des alliés peu sûrs, des modèles de fourberie, des abîmes d’ambition. Il voit rouge quand il est question du roi des Français. Voici sur quel ton il écrit à son frère : « Ces insurrections militaires en Espagne et en Portugal sont le diable ; mais elles n’auraient pas éclaté si notre digne ami et fidèle allié Louis-Philippe avait rempli ses engagemens et avait agi dans l’esprit du quadruple traité[2]. Mais, quelle qu’en soit la cause, il nous a à peu près jetés par-dessus bord, nous, la reine et le traité. Les uns disent que c’est par pour des républicains, les autres par désir de plaire à l’Autriche et à la Russie,… d’autres qu’il veut le succès de don Carlos et donne une princesse française à un fils de don Carlos… » (10 septembre 1836.) Peu de jours après, il revient à la charge et écrit à son frère : « Louis-Philippe nous a traités salement (scurvily) dans ces affaires espagnoles ; mais le fait est qu’il est aussi ambitieux que Louis XIV et veut mettre un de ses fils sur le trône d’Espagne, comme mari de la jeune reine, et il croit qu’il, atteindra mieux ce but par la continuation du désordre en Espagne que par la fin de la guerre civile et l’établissement de l’indépendance nationale. » Une au ire fois, il accuse Louis-Philippe de convoiter les provinces du nord de l’Espagne ; il croit que la guerre civile et la misère les jetteront dans les bras de la France : « c’est le rêve de Talleyrand. » (Lettre du 1er décembre 1836.) Ainsi cette imagination inquiète s’ingénie à découvrir en nous toute sorte de noirceurs.

Connaissait-il mieux l’Espagne ? En parlant de la jeune reine, il écrit : « Il lui faut de l’argent, de bons généraux, d’honnêtes serviteurs ; comment elle trouvera l’une quelconque de ces trois choses, Dieu le sait ! » Il a peu d’illusions sur les hommes d’état de la Péninsule, sur Torreno, « dont les poches sont profondes » (Lettre du 12 avril 1838 à William Temple), sur « mon absurde ami » Miraflores, etc. Le temps, mieux que la sagesse des hommes d’état, consolidait pourtant le trône d’Isabelle.

Le représentant de l’Angleterre était toujours lié aux progressistes, celui de la France aux modérés ; mais M. Guizot et lord Aberdeen avaient fini par s’entendre et par décider qu’il ne devait plus y avoir à Madrid de parti français, ni de parti anglais. Tel n’était pas l’avis de lord Palmerston, et bientôt la question des mariages espagnols vint envenimer une lutte qu’on avait pu croire apaisée.

Notre génération ne comprend plus guère les passions que cette question fameuse a soulevées. Elle a vu s’élever et tomber trop de choses pour ne pas regarder froidement, à travers le voile de l’histoire, les timides ambitions, les prétentions rivales qui s’agitaient en 1847 autour d’une jeune souveraine. Nous avons vu donner et retirer les couronnes ; nous avons assisté à la formation de vastes et puissans empires ; tous les rangs ont été bouleversés dans l’Olympe des souverains. La famille des Cobourg fournit aujourd’hui des souverains aux deux mondes ; une princesse danoise et une princesse russe sont sur les marches du trône dans un pays qui n’a jamais refusé aux femmes l’autorité royale. Les grandes forces qui régissent l’Europe moderne emportent tout, les alliances de famille, les intérêts privés, les traditions des races privilégiées : les souverains ne sont plus que les premiers serviteurs des ambitions, des haines, des espérances nationales. Nous ne-comprenons plus guère aujourd’hui l’intérêt qui s’attachait au mariage de la jeune reine d’Espagne : son époux ne pouvait jamais être que le mari de la reine ; son influence, si grande qu’elle pût devenir, ne pouvait aller jusqu’à changer les intérêts d’une race fière, jalouse de l’étranger, qui a toujours dévoré en peu de temps tout ce qui a été mêlé à sa vie intérieure.

C’est presque un lieu commun, en Angleterre, de dire que dans cette question des mariages espagnols la France a manqué à des engagemens formels et qu’elle n’a dû la victoire qu’à sa mauvaise foi dans cette triste bataille livrée autour d’un lit nuptial. Le biographe du prince Albert a été jusqu’à dire que la révolution de 1848 a été le châtiment providentiel de cette mauvaise foi. Quel était donc le crime du roi Louis-Philippe ? Peu de personnes connaissent exactement les sentimens qu’il apporta dans la question des mariages espagnols. Au fond de son cœur, il avait toujours déploré les discordes qui séparaient les carlistes et les partisans de la reine Christine ; il avait songé à y mettre fin en donnant la main de la jeune reine Isabelle au comte de Montemolin ; mais on oublie toujours qu’il fallait compter avec les sentimens et les passions de la reine Christine. Celle-ci avait un pouvoir à peu près absolu et ne voulut jamais entendre parler d’un prince qu’elle regardait comme un rebelle : le parti libéral le repoussait également avec la dernière énergie. Cette solution écartée, examinons celles qui s’offraient à l’Espagne, et dès l’abord nous affirmons de la manière la plus formelle que jamais le roi ne songea au trône d’Espagne pour l’un de ses enfans. Il se souvenait du duc d’Anjou, des malheureuses guerres de la fin du règne de Louis XIV. La reine Marie-Amélie redoutait le palais de Madrid pour ses enfans : elle avait reçu d’une sœur chérie, devenue princesse des Asturies, des confidences qui l’avaient attristée. Quand plus tard un de ses fils, épousa l’infante sœur de la reine, les jeunes époux ne. vécurent pas à la cour.

Si ni le roi ni la reine ne voulaient mettre un fils de France sur le trône d’Espagne » la reine Christine le désirait au contraire vivement : elle avait jeté les yeux sur le duc d’Aumale, qu’elle avait vu à Pampelune ; on lui déclara péremptoirement que son espérance était chimérique.

Qui pouvait prétendre à la main de la reine ? Le comte de Trapani, accepté un moment par la reine Christine et par le roi Louis-Philippe, était repoussé par le sentiment unanime du peuple espagnol. Le duc de Se ville s’était rendu odieux à la reine Christine et aux « modérés » par ses alliances avec les radicaux, par ses actes inconsidérés et ses violences. Restaient le duc de Cadix et le prince Léopold de Cobourg, de la branche catholique des Cobourg. La France ne faisait aucune objection au mariage de l’infante, sœur de Ta reine, avec un Cobourg ; elle ne voulait pas de son mariage avec la reine ; ayant renoncé elle-même à lui donner un époux français, elle avait le droit de repousser celui avec lequel l’Angleterre avait notoirement lié ses intérêts. L’Angleterre donnait l’exclusion à nos princes, nous la donnions au sien.

Jusqu’à la dernière heure, l’Angleterre espéra pourtant faire triompher la candidature du prince de Cobourg. De Madrid, de Lisbonne, de Londres, de Bruxelles, on tendait sur l’Europe comme une toile d’araignée dans laquelle on espérait bien faire tomber la mouche française. M. Guizot répétait à satiété dans ses dépêches que, lorsque nous avions déclaré notre parti-pris de ne pas vouloir du trône du roi pour un fils du roi, nous ne pouvions cependant admettre que l’Espagne fût jetée hors de, sa tradition historique et que le trône pût sortir de la maison de Bourbon. M. Bulwer, qui était à Madrid, ne voulait pas d’un Bourbon. « J’étais, je l’avoue, tout à fait opposé aux prétentions bourbonniennes. » (Tome III, p. 223, Vie de lord Palmerston.) « Si j’avais, ajoute-t-il, pu conduire la cour espagnole, j’eusse lié les langues, et j’aurais amené le prince Léopold à Madrid pour le marier soudainement avec l’approbation des cartes et les acclamations de l’armée, » Tels étaient les desseins de ceux qui plus tard osaient accuser notre bonne foi ; ils voulaient prendre, non pas la main d’une infante, mais la couronne même par une sorte de surprise.

La question des mariages espagnols avait été posée pendant le ministère de sir Robert Peel et de lord Aberdeen. Ce dernier avait déclaré au roi Louis-Philippe à Eu que tous les aspirans à la main de la reine convenaient à l’Angleterre, sauf un fils de France. Lord Palmerston, qui remplaça lord Aberdeen, partageait au fond les sentimens du représentant anglais à Madrid. Il écrivait bien à sir H. Bulwer, le 16 août 1846 : « Nous n’avons qu’une objection à faire : c’est au mariage d’un prince français avec une princesse espagnole sur le trône ou héritière du trône, et je vous prie d’avertir Christine, Rianzarès et Isturitz que nous considérerions un tel mariage comme une mesure d’hostilité contingente contre l’Angleterre, de la part de l’Espagne et de la part de la France, et que nous serions obligés de modifier en conséquence nos rapports avec ces deux pays. » Peu de temps après, il exprime mieux sa vraie pensée : « Mon cher Bulwer, je me range à l’opinion que vous avez eu raison tout le temps, et que c’est nous qui avons eu tort dans cette affaire du mariage espagnol. Nous aurions du tout de suite et bravement adopter Cobourg et le faire triompher en bravant la France ; mais nous n’étions pas disposés à rompre avec la France au moment où nous prenions le pouvoir, et nous ne croyions pas que le mariage fût un intérêt anglais assez fort pour justifier cette rupture. »

Voilà qui est bien clair : lord Palmerston, quand il succéda à lord Aberdeen, désirait en réalité le trône d’Espagne pour Cobourg ; plus tard il se rabattit sur le double mariage de la reine avec un infant, de l’infante avec Cobourg. Le roi Louis-Philippe avait toujours dit qu’il fallait ne marier d’abord que la reine et attendre pour l’infante : c’est la diplomatie anglaise qui inventa le double mariage ; si la France adopta cette solution pour son propre compte, elle ne fit pas autre chose que ce que l’Angleterre se préparait à faire.

C’est au mois de juillet 1846 que la solution du double mariage devint imminente ; la France se vit alors entièrement dégagée, et M. Guizot se contenta de changer dans la solution anglaise un nom par un autre. Lord Palmerston n’avait pas apporté dans ses négociations la bonne foi et la modération d’idées de lord Aberdeen, son prédécesseur. A peine arrivé aux affaires, il avait envoyé à Bulwer une dépêche où il dénonçait dans les termes les plus violens le parti modéré espagnol, et plaçait le prince Léopold au premier rang des candidats a la main de la reine ; il avait fait passer cette dépêche sous les yeux du gouvernement français. Il envoyait en même temps à Bulwer une dépêche secrète, dont la France ne devait pas avoir connaissance ; il lui disait de ne pas insister tout d’abord pour Cobourg, mais d’appuyer le duc de Séville alors exilé. Il voulait alarmer Louis-Philippe et lui faire pour d’un prince qui se donnait comme le chef de l’opposition espagnole. Il fit écrire dans le même sens à Isturitz par lord Clarendon. Il travailla à réconcilier la reine Christine avec les progressistes. « Si Cobourg épouse la reine, don Henri (le duc de Séville) pourrait épouser l’infante, ou vice-versa, » écrivait-il le 19 juillet 1846. Il se soucie peu au fond de tel ou tel infant, mais Cobourg est dans toutes ses combinaisons : « Le meilleur arrangement serait que Enrique épousât la reine et Cobourg l’infante. » Il n’a pourtant pas d’illusions sur son candidat, et il en parle avec une étrange liberté (voir la lettre à Bulow du 16 août 1846), il ne voit en lui visiblement qu’un instrument commode.

Quand M. de Jarnac lui apprend le double mariage de la reine et de l’infante, il lui écrit de Penzance : « Je ne vous parlerai plus d’entente cordiale, parce que ce qu’on nous annonce ne prouve que trop clairement qu’on ne veut plus à Paris ni de cordialité, ni d’entente. » La colère déborde dans ses épanchemens à Bulwer : « Nous sommes indignés de la mauvaise foi, de l’ambition sans scrupules, des basses intrigues du gouvernement français. » Il répète que le roi et M. Guizot, à Eu, ont assuré personnellement à la reine et à Aberdeen que le mariage de l’infante ne se ferait pas avant que la reine Isabelle n’ait des enfans ; il se garde d’ajouter que lui-même se préparait à donner un mari à l’infante, le même jour qu’à la reine, que c’est sur les conseils de l’Angleterre que la reine Christine insistait sur les mariages simultanés. Il écrit à lord Normanby (27 septembre 1846) : « La reine a écrit une lettre chatouilleuse (a tickler) au roi des Français, en réponse à la sienne. Toutes deux ont passé par la reine des Belges. » Nous ne parlerons pas de cette correspondance royale ; la reine Victoria était certainement convaincue que son gouvernement n’avait fait aucun effort pour mettre le prince de Cobourg sur le trône d’Espagne ; elle en était restée aux conversations familières d’Eu. Elle voulait ajourner le mariage de l’infante ; mais cette politique n’était ni celle de Bulwer, ni celle de Palmerston, ni celle de tous les agens qui s’employaient sans relâche pour le prince de Cobourg. On ne peut pas avoir à la fois les bénéfices du désistement et de l’ambition, pratiquer le renoncement à un étage de la politique et l’avidité dans un autre.

Il avait convenu à lord Palmerston d’engager une lutte acharnée, de traiter la France en ennemie, l’Espagne en vassale ; s’il avait mis Cobourg sur le trône d’Espagne, il eût bien ri de la candeur de ceux qui eussent accusé sa diplomatie d’incorrection ; mais il se crut toute sa vie permis ce qu’il voulait interdire à tout le monde. Lord Clarendon disait plaisamment que tous les commandemens du Décalogue pouvaient être remplacés par un seul : « tu ne seras pas découvert. » Lord Palmerston en avait inventé un autre : « ne faites pas à l’Angleterre ce que vous trouverez bon qu’elle vous fasse. »


AUGUSTE LAUGEL.

  1. On connaît bien dans le monde politique Ellice, qui pendant si longtemps a été un conseiller officieux de la diplomatie anglaise.
  2. Ce traité fut signé le 22 avril 1834 entre l’Angleterre, la France, l’Espagne et le Portugal pour garantir les trônes constitutionnels d’Espagne et de Portugal.