Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Livres anciens 9.

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Slatkine reprints (p. 158-159).

UN DOCUMENT SUR LE DUC DE LA

VALLIÈRE BIBLIOPHILE


« Ce que je recherche avec le plus grand empressement, c’est, comme je vous l’ai déjà mandé, les poësies en caractères gothiques, les mistères, moralités, etc., et les manuscrits sur vélin et en vers. J’espère que vous m’en découvrirez quelques-uns. »

Ainsi écrivait le duc de la Vallière en mai 1757, soixante-dix ans avant le romantisme, car il faut bien avouer que souvent la bibliophilie a devancé de beaucoup la mode littéraire. On serait même injuste de ne pas conclure qu’en la précédant elle l’a dirigée. Les collectionneurs commencent par découvrir les anciens textes, les recueillent et les sauvent de la destruction. Puis les historiens de la littérature en prennent connaissance et les réimpriment. En troisième lieu viennent les poètes qui lisent les réimpressions et s’en inspirent. Mais il ne faut pas moins de trois quarts de siècle pour que le cycle soit achevé entre la Lettre de la Vallière et Notre-Dame de Paris.

Cette lettre, dont nous reproduisons ici l’original, est adressée au frère de Mercier de Saint-Léger, au chanoine Mercier, du chapitre de Saint-Martin de Nevers. La Vallière avait ainsi des correspondants qui fouillaient pour lui les bibliothèques de province, mais qui recevaient de sa main des instructions préalables.

Mercier venait de lui faire tenir une certaine Vie de Saint-Martin que La Vallière accepte volontiers, bien qu’elle ne soit, dit-il, ni un mystère ni une pièce en vers. Il n’est pas difficile de retrouver ce livre dans le catalogue de 1783.

C’est le fameux incunable qui passa longtemps pour le premier livre imprimé à Tours (BRUNET, V, 1194) avant qu’on eût découvert le Breviarium de Simon Pourcelet.

Mais La Vallière donnerait plusieurs Vies de saint Martin pour un texte en vers sur le même sujet ; et malgré sa prédilection pour la littérature « gothique », il étend son amour de la poésie à toutes les époques.

« Vous me demandez, dit-il, à quel temps je borne ma collection des poètes ? À aucun. Je recueille également ceux de 1757 et ceux de 1480. »

Il faisait bien ; car si les poètes de 1480 n’ont jamais cessé d’être recherchés depuis deux cents ans, on n’en saurait dire autant de ceux qui chantaient Sylvie en 1757.

Rien n’a été détruit avec plus d’acharnement et rien n’est devenu plus rare que certains poètes non illustrés du XVIIIe siècle. Si l’exemplaire La Vallière n’était pas à l’Arsenal, quelques-uns d’entre eux, déjà, auraient péri pour toujours.